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Full text of "Mission scientifique du Ka-Tanga : journal de route, section Moliro, M'pwéto, Ka-Béca, Lofoï, chutes Ki-Oubo"

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Personnel européen de la Mission scientifique du Ka-Tanga. 


CAPE LEMAIRE CE 


Journal de Route 


Section Moliro — M'pwéto — Ka-Béca — Lofoi — Chutes Ki-Oubo 


PAR LE 


Capirae LEMAIRE CHARLES 7 


DU 9m RÉGIMENT D'ARTILLERIE 


Ancien commissaire du District de l'Equateur 
Membre correspondant de l'Institut Colonial International, 


de la Société de Colonisation de Washington (Amérique), / à. 
de lu Société de Géographie de Bruxelles, d S 
et de la Société des 1. 
Membre titulaire de la Société de Géographie commerciale de Paris. \ 10080 


Membre d'honneur de la Société R e de Géographie d'Anvers, 
de la Société Royale de Géographie de Liverpool, 


et de la Société de Géographie de l'Est (Nancy). 


Lauréat de la médaille DEWEZ décernée par la Société de Géographie commerciale de Paris 
et du prix CONRAD MALTE-BRUN (médaille d’or) décerné par la Société de Géographie de Paris. 


CHEF DE LA MISSION SCIENTIFIQUE DU KA-TANGA 


J'ableaux, aquarelles et dessins de M. LEON DARDENXNE 


Photographies de M. FRANZ MICHEL 


OCT 27 1986 


OUVRAGES DU MÊME AUTEUR : 


Chez Ch. Bulens, Éditeur, 75, rue Terre-Neuve, Bruxelles. 


Vocabulaire pratique. (Français, Anglais, Zanzibarite (Swahili), Fiote, Ki-Bangui—Irébou, Mongo, 


Bangala.) 2 6 : : ë : ÿ Ê : Ë 5 ; 5 ï e fr 2.00 
La Station d’Équateur-Ville. 

21 mois d'observations météorologiques e 5 ; : : : ù : - : ë . 1.00 
Congo et Belgique. (In-5° illustré). . , Ë : à 5 $ : ; 38.50 
Au Congo. Comment les Noirs travaillent. (In-5 illustré ) . : : : 2.00 
Voyage au Congo. (Grand album de 1,000 illustrations.). Ô : ; : . ; 5 : 3.50 
Africaines. 

Contribution à l’histoire de la Femme en Afrique. (In-4° grand médian, illustré.). ; : : ; 12.00 


Chez Henri Kistemaeckers, Éditeur, Bruxelles. 


Histoires de Corps de Garde (par Musette). 
Souvenirs de Sous-Lieutenant; 24 nouvelles illustrées par Flasschoen. - 4 à o È 3.00 


A la Société générale d’imprimerie, Bruxelles. 


L’Esperanto. Solution triomphante du problème de la langue auxiliaire universelle 


Chez Ch. Bulens et chez P. Weissenbruch, Éditeurs, Bruxelles. 


La Mission scientifique du Ka-Tanga. 
Résultats des observations astronomiques, magnétiques et altimétriques effectuées sur le territoire 
de l'État indépendant du Congo, du 4 août 1898 au 2 septembre 1900 : 15 mémoires 
1er mémoire. : : 10.00 


Mémoires 2 à 15, chacun. : 5.00 


Chez P. Weissenbruch, Éditeur, Bruxelles. 


La Mission scientifique du Ka-Tanga. 16° mémoire. 
Observations altimétriques : Notes sur les déterminations d'altitude: tableau définitif des altitudes 
déterminées par la mission; table unique pour le calcul des altitudes de o à 2100 mètres dans les 


régions comprises entre 12° de latitude Nord et 12° de latitude Sud . : . : $ © ; 5.00 


Chez Goossens, Bruxelles. 


Carte de l'itinéraire parcouru par la Mission scientifique du Ka-Tanga : 


: I À à 
2 feuilles au ———— en quatre couleurs . . 5 - : Chaque feuille. 5 10500 
1.000.000 


= M 


Note préliminaire sur les résultats des observations magnétiques faites au Congo 
de 1898 à 1900, par le capitaine Lemaire. (Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, classe des 


sciences, numéro de février 1901.) 


Note sur la mouche Tsétsé. 
(Bulletin de la Société de géographie d’ Anvers, numéro de décembre 1900.) 


La Mission scientifique du Ka-Tanga. 
Communication faite à la Société de Géographie commerciale de Paris. Bulletin de cette société, année 1907, 


n° 6, 7 et8.) 
The Belgian scientific Expedition to Ka-Tanga. 


Communication faite à la British Association for Advancement of Science, en son meeting de Glasgow, 


septembre 1901. (Numéro d'octobre 1901 de The Scottisch geographical Magazine, avec 1 carte. 


Grottes et Troglodytes du Ka-Tanga. (Photographies et cartes. 
(Numéros de novembre et de décembre 1901 de La Géographie, bulletin de la Société de Géographie de Paris. 


The Congo-Zambézi Water-parting. (Photographies et carte.) 
(Numéro de février 1902 de The geographical Fournal, bulletin de la Royal Geographical Society, de Londres. 


The Sources of the Congo. (Photographie et carte.) 
(Bulletin de 1902 de la Société de Géographie de Liverpool.) 


La Ligne de Faîte Congo-Zambèze. (Photographies et carte.) 
[Bulletin de 1902 de la Société de géographie de l'Est (Nancy).] 


Les Wamboundous. (Les colporteurs noirs entre l’Atlantique et le Ka-Tanga.) Carte. 


(Revue de géographie, Paris, 1902.) 


Pour paraître en 1902-1908 : 


Atlas de 125 à 130 feuilles, au 55 60 en 5 couleurs, donnant l'itinéraire détaillé 


parcouru par la Mission scientifique du Ka-Tanga. 


Cet atlas paraîtra en trois sections. 


Journal de route de la Mission scientifique du Ka-Tanga. 


De . ” . . ” . . , I 
Trois mémoires, illustrés en noir et en couleurs, et formant le commentaire de l'Atlas au — À 
20.000 


Résultats des observations météorologiques effectuées par la Mission scientifique du 
Ka-Tanga. 


Ce travail paraîtra sous les auspices du Service météorologique de Belgique.) 


En préparation : 


La cartographie astronomique au Congo. (Emploi du cercle méridien, du théodolite, du magné- 


tomètre, etc.) 


Ce livre est respectueusement dédié 
à Monsieur le baron Lambermont, 


et à la mémoire vénérée de feu Émile Banning. 


PRÉFACE de MowsiIEUrR ÉLISÉE RECLUS 
Géographe, Professeur et Directeur de l'Institut de Géographie à l'Université Nouvelle (Bruxelles). 


Accompagné de tout un imposant cortège de mémoires et de documents scientifiques, cartes, dessins, 


gravures, le livre de M. Lemaire est de ceux qui marquent une date dans l'histoire de la géographie. 
L'auteur y parle modestement de ce qu'il a fait, mais sous cette modestie on sent, à la noblesse tranquille 
de son langage, qu’il a la parfaite conscience d’avoir bien accompli sa mission, non seulement au point de 
vue materiel, mais en son ideal même : il a fait plus qu'on ne demandait de lui. 

Lisez le récit du voyage! La marche journalière est souvent longue et pénible. Mais l'observateur 
chemine toujours régulièrement, comptant ses pas, annotant son carnet de route bien oriente. A l'étape, il 
se met aussitôt à une nouvelle besogne : rédiger des notes, faire des calculs, préparer, puis executer des 
visces astronomiques. Nulle minute fugitive qui ne soit employée; nul petit devoir qui ne soit realise. Sans 
doute, comme tous les voyageurs d'Afrique, M. Lemaire eut sa part de fièvres, de nausées, de blessures, 
mais rien n'empécha le travail, pour lequel la triomphante volonté l'avait revètu de ce «triple airain » 
dont parle le poète. Que la maladie vienne avant ou après l'heure, qu'importe! à la seconde exacte où il 
doit appliquer l'œil a telle ou telle lunette de son observatoire volant, il est la, le regard clair, la main 
ferme et la pensée nette. Il peut y avoir des nuages dans le ciel; il n'y en a point dans sa penusee. 

Cette préoccupation absolue et victorieuse de bien faire, le chef de l'exploration ne fut point seul à 
Pavoir. A la lecture de l'ouvrage, il me semble pouvoir affirmer que les compagnons de M. Lemaire 


participaient de son esprit, et comme lui travaillaient avec methode, avec conscience, avec passion. 


— X — 


Évidemment ils avaient été l'objet d'un choix scrupuleux avant le départ d'Europe; mais, certainement 
aussi, le noble exemple qu'ils avaient devant les yeux contribua beaucoup à les grandir, l'émulation du 
bien leur donna des forces. L'ideal de l’un étant devenu celui de tous, l'expédition, parfaitement homogène, 
formait une individualite collective, un seul corps et une seule äme. L'autorité, semble-t-il, n'avait pas eu 
besoin de se montrer ; elle s'était faite amitie, solidarite, justice. En un passage de son livre, l'auteur parle 
des «armes fortes et dignes du commandement », mais commander, d’après lui, c’est integrer dans 
l'ensemble de son devoir celui de la collectivité tout entière, c’est hausser le sens de sa responsabilité 
personnelle de manière à embrasser la responsabilite de tous. 

= L'œuvre parlant assez par elle-méme, le style de l'explorateur n'est jamais emphatique ni fleuri; 
on se demande si parfois il ne serait pas trop bref, d'un sans-géne trop militaire. Mais la où des explica- 
tions sont indispensables pour que, dans l'avenir, tel ou tel successeur de M. Lemaire puisse procéder sans 
aucune espèce de dificulté à quelque opération délicate, la phrase se développe amplement en détails d'une 
precision parfaite. Le livre devient alors, comme les cartes qui l'accompagnent, le plus impeccable des 
guides. 

Quant à l'importance du voyage en lui-même, l'opinion unanime de tous les hommes competents l’a 
depuis longtemps proclamée! Au milieu du réseau déja très compliqué des itinéraires qui traversent le 
continent africain, les géographes distingueront désormais une ligne maîtresse qui se développe sinueuse- 
nent, sur une longueur d'environ 6,600 kilomètres, de l'extrémité méridionale du Tanganika à l'estuaire 
du Congo, et que jalonnent, de distance en distance, des points déterminés par des observations astrono- 
miques. Cette ligne, tracce par M. Lemaire, est la solide armature a laquelle les cartes des contrées 
limitrophes seront désormais rattachées. L'œuvre accomplie est de celles qui durent à jamais. 

Et ce voyage si utile par ses résultats scientifiques, si digne à cet egard d'être donne en modele aux 
explorateurs futurs, doit étre également signalé entre tous par la majesté pacifique avec laguelle il s’est 
toujours déroulé a travers les populations diverses dans l’immensité du territoire africain. L'expédition 
était officiellement chargee de transporter avec elle des fusils et des cartouches, mais celui qui en était l’ane 
savait parfaitement que ces armes lui seraient inutiles. Assure d'avance qu’il serait toujours équitable, 
bienveillant, affectueux, qu'il tiendrait toujours ses promesses, plus que ses promesses, et ne laisserait 
derrière lui que des obliges, il n'avait rien a craindre et veillait, avec une sollicitude constante, pour que 
tous les hommes de sa caravane fussent guides comme lui par un parfait esprit de justice. Une seule fois 
durant l'expédition, il eut a sévir avec une sainte colère, et ce fut pour prendre la defense d'indigènes qui 
avaient été traitreusement leses. Le nom de Lemaire restera dans l'histoire des explorations a côte de ceux 
des d'Abbadie, des Duveyrier, des Livingstone, qui brillent d'un éclat si doux, opposés à ceux d’autres 
voyageurs qu'il est inutile de citer. L'avenir marquera la place de chacun. 

Le chef de la mission du Ka-Tanga peut regarder d'un œil satisfait la besogne accomplie. Il eut 
Pourtant une très grande douleur, presque au début de son voyage, celle de voir périr deux compagnons, 
donbVun, le géologue fean De Windt, n'avait pas encore donné à la science ce que l’on était en droit 
d'attendre de lui, ce qu'il waurait pas manqué de produire dans la compagnie du grand eévocateur de 


travail qui l'avait pris pour collaborateur. 


La puissance d’évocation intellectuelle et morale, telle est, en effet, me semble-t-il, la qualité maîtresse 
de notre explorateur. Il devait en étre ainsi, puisque la vie digne de ce nom consiste à réaliser son idéal, 
non seulement en soi, mais encore autour de soi, dans les hommes de son entourage, ct, par leur entremise, 
sur tout l'ensemble des choses extérieures. Telle fut la haute conception de M. Lemaire et telle fut son 
œuvre. Les ressources de toute espèce, matérielles et morales, les observations, les calculs, les combinaisons 
hardies, et les hommes eux-mêmes, toutes ces forces que d’autres employérent dans l'épopée humaine au 
«grand art de la guerre », il a voulu et su les appliquer au plus noble de tous les arts, le « grand art» 


de la science et de la civilisation pacifique. 


ÉLISÉE RECLUS. 


Le Mardi 25 mai 1898, par l’une des bouches du Zambèze, un petit groupe d'Européens (la Mission 
scientifique belge du Ka-Tanga) pénétrait en Afrique intertropicale, pour en sortir, le mercredi 5 septembre 1900, 
par l'estuaire du Zaire. 

Pendant vingt-sept mois et demi fut accomplie la tâche journalière d’études et de reconnaissances assignée 
aux voyageurs. 

De ce voyage, — qui fut long, mais facile, — les effets se devaient extérioriser par tous moyens. 

Voulant fixer nettement ce que nous entendons par là, nous dirons de suite ce que signifient, ce 
que renferment ces mots : « mission scientifique ». 

Il nous suflira pour cela de condenser ici quelques chapitres de la Philosophie scientifique de Girard, dont 
nous respecterons le plus rigoureusement possible le texte expressif et superbe. 


SCIENCE. — ART. 


La finalité générale de la science consiste dans l'établissement de la domination de homme sur l'univers; 
la science fournit à l’homme les armes au moyen desquelles il domine le monde. 

Armé de ces armes, l’homme réagit sur cet univers dont lui-même fait partie et imprime à ce qui l'entoure 
le sceau de sa volonté; ce faisant, il devient artiste, créateur. 

Le roi du monde est à la fois un savant et un artiste. 

Or, — dit Girard, — parmi les notions vagues où erronées qui ont communément cours au sujet de la 
science et de Part, il n'en est peut-être pas de plus contraire à leur développement que la confusion dont ces 
deux manifestations définitives du génie humain sont constamment lPobjet. 

Que les savants considèrent la science comme supérieure à l’art, que les artistes regardent l’art comme 
supérieur à la science, ce sont là, à proprement parler, des appréciations personnelles, fondées sur ce subjec- 
tivisme qui jadis à fait croire à l’homme que la terre était le centre du monde, et qui porte tant d'individus, 
aujourd'hui aulant que jamais, à se considérer comme le centre de l'humanité, en étendant à celle-ci tout 
entière l’importance que les objets de leurs préoccupations ou de leur activité acquièrent à leurs propres veux. 

La préférence d’un mathématicien pour le Binôme de Newton, mise en parallèle avec celle d’un musicien 
pour la Neuvième Symphonie, loin d'être une source de confusion, est bien plutôt l'affirmation des matheéma- 
tiques comme science et de la musique comme art. 


Mais ces deux termes, qui semblent avoir des significations si précises tant qu'il s’agit de mathématiques et 
de musique, deviennent absolument indéterminés dès qu'on les applique à d’autres branches de l’activité 
humaine; de telle sorte qu'en dehors de quelques rares sciences positives et des arts proprement dits, dès que 
l’homme veut étudier ou appliquer, il se trouve sans aucun guide certain, ne sachant dans quelle voie diriger 
ses études, ignorant sur quelles bases élever ses conceptions. 

Parmi les branches où l’art s’unit si intimement à la science que les meilleurs esprits ne parviennent pas 
à en opérer la distinction, Girard eite à juste titre, en première ligne, l’art de la guerre. 

Nous n’hésitons pas à mettre immédiatement après l’art de la colonisation. 

C’est surtout pour ces branches qu’il importe de déterminer les idées d’art et de science. 

Et cette détermination est nécessaire, car ces idées sont la caractéristique du génie humain, de cette vie 
consciente transcendante, qui est le partage de l’homme et qui se résume en ces deux termes : recevoir des 
impressions de l'univers extérieur et réagir sur cet univers par les manifestations de sa volonté. Réceptivité et 
activité, nutrition et création : telles sont les deux expressions fatales de l’activité humaine, où viennent 
inéluctablement converger toutes les facultés inorganiques, organiques et transcendantes qui, se superposant 
et se fondant en un tout unique dans cette vie consciente qui est le lot de l'homme, sont traduits par lui au 
moyen de ces mots magiques : science, art. 

Il faut y insister. 

À l’aide de ses cinq sens, — cinq sans plus à l'heure actuelle, — l’homme se fait de ce qui l'entoure des 
idées plus ou moins exactes. 

Si, au lieu de se contenter de voir, d'entendre, de toucher, de goûter, de sentir (ainsi que fait l'animal), 
l’homme s'efforce de regarder, d'écouter, de palper, de déguster, de flairer; si, de plus, il adjoint à ses sens 
les milliers d'instruments que les études de physique, de chimie, de mécanique, ete., ont mis entre ses mains, 
l’homme acquiert des représentations intellectuelles de ce qui existe hors de lui; et ces représentations 
intellectuelles meublent peu à peu son esprit d’une série de connaissances qu'il classe, commente, abstrait et 
synthétise. 

Et c’est tout cela, c’est cette nourriture de l'esprit, bien assimilée, qui constitue la seience. 

Se servant alors de ces acquis intellectuels, — trouvés hors de lui par la seule application de ses cinq 
sens et des seules méthodes expérimentales, — l’homme réagit sur ce qui l’environne. 

Il répète, si possible, les causes dont les effets lui sont favorables; il anéantit ou modifie celles qui n’ont 
pour lui que des effets nuisibles. Il lutte pour l'existence, de par la loi naturelle de la création à laquelle 
l'humanité est d'autant plus soumise que son organisation est plus délicate et plus complexe. 

Sans doute, — dit toujours Girard, — dans ce combat livré par l'être humain à ce qui l’entoure pour 
asseoir sa domination sur l'univers, c’est par l’art créateur que sont portés les coups; mais la science, encore 
que son action soit médiate, n’en contribue pas moins à la victoire. En effet, ce n’est que par la Connaissance 
qu'il possède des choses (Felix qui potuit rerum cognoscere causas) que l'homme parvient à les engager dans la 
voie de ses desseins. 

Du laboureur qui sème le grain dans l'espoir d’une riche récolte au sculpteur qui fait jaillir une forme 
humaine du bloc d'argile, ou à l'architecte qui lance une flèche de pierre vers les cieux, tous les travailleurs, 
artistes, créateurs, qu'ils obligent le sol à produire ou asservissent la matière à une haute pensée, tous, 
dis-je, ne réalisent leurs desseins que par la connaissance qu'ils ont, l’un des lois de la nature, le deuxième 
des proportions essentielles du corps humain, le dernier des règles de l'équilibre et de la résistance des 
matériaux. 

On voit par là que, si Part est le levier au moyen duquel lPidée humaine soulève le monde, la science est 
ce point d'appui que demandait Archimède sans se douter jusqu’à quel point il contribuait à l’établir. 

Telle, la phrase lapidaire par laquelle Girard met en pleine et saine lumière la signification enfin fixée de 
ces mots magiques : art, science, double terme de l'échange établi entre l’être humain et ce qui l’entoure. 

Et dans leurs innombrables manifestations, l’art et la science sont toujours en un mélange intime : les 
grands artistes sont de grands savants comme les grands savants sont de grands artistes; seulement, pour être 
un grand artiste, il faut plus encore que la science : il faut le génie, cette splendeur d’ordre transcendant qui, 
de même que la beauté dans l’ordre organique, est le lot du petit nombre. 

L'art le plus idéal, la musique, repose sur des sciences telles que l'harmonie, le contrepoint, ete., qui ne 


le cèdent en rien sous le rapport de la précision et de l’aridité aux mathématiques pures, el il y repose tellement 
que, sans elles, lhomme le mieux doué au point de vue musical serait incapable d'écrire le morceau le plus 
vulgaire. 3 

Mais qui prétendrait que la connaissance de l'harmonie et du contrepoint à sufli à Beethoven pour écrire 
ses immortelles symphonies? Si Beethoven n'avait rien de plus que la science musicale, s'il n’avait pas le « feu 
sacre », tout musicien Jouit de la pleine liberté d'écrire comme Beethoven. 

Pourquoi done y en a-t-il si peu qui en profitent et, du coup, nous en fassent profiter? 

Parce que, — nous venons de le dire, — il faut à la science joindre le génie, qui est le lot du petit nombre, 
le partage de lélite directrice des groupes humains et de leurs destinées, directrice, enfin, de la prise de 
possession de plus en plus complète de l’univers. 

Dé ce qui précède résulte que la science, — c’est-à-dire lacquisition des connaissances médiates ou 
immédiates, leur groupement, leur elassement, leur abstraction et, enfin, leur synthétisation, — doit précéder 
l’action modificatrice de Phomme sur le monde. 

Il en résulte encore que la science peut être le lot d’un nombre d’humains très considérable ; même, la 
marche progressive de l'humanité peut laisser espérer que les limites de nos connaissances scientifiques 
s’étendront jusqu’à englober l'univers entier, en même temps que le nombre des hommes savants (et non 
plus savantasses) augmentera indéfiniment, puisque être savant ce sera garder le patrimoine des expériences 
faites par les générations disparues, en l’enrichissant, pour les générations à venir, de nouvelles recherches 
expérimentales à la portée du très grand nombre. 

Or, la finalité d’une génération est de procréer physiquement et intellectuellement la génération suivante. 

La génération ou l'homme qui placent leur orgueil dans le but qu'ils ont atteint, s’abusent étrangement 
sur le rôle qu'ils ont à remplir dans l'humanité. Ce rôle, en effet, ne consiste pas à s'arrêter dans la contem- 
plation de ses œuvres, mais bien à marcher en avant dans la voie indéfinie du progrès. C’est à cette finalité qu'ils 
doivent employer toutes leurs forces : à ce prix seulement, ils peuvent être fier d’un respectacle orgueil, et non 
d’une sotte et méprisable vanité. 

L'homme étant conçu en possession virtuelle d’une intelligence dont le fonctionnement général est établi 
sur un plan qui diffère selon les races et qui est modifiable dans le temps pour la même race, possède une 
puissance réceptive et créatrice qui peut s’accroitre ou diminuer. Cette modification peut, d’ailleurs, s'exercer 
plus particulièrement dans un sens que dans l’autre, suivant la direction imprimée par les méthodes générales 
d'enseignement et d'instruction. Chaque race, chaque nation même a ainsi son avenir entre les mains, et c’est 
dans l’école, dans les universités, dans les casernes, partout, en un mot, où l’on modifie les infelligences par 
une action extérieure, que cet avenir se prépare. 

C’est ainsi que les générations ne périssent pas tout entières; elles revivent dans celles qui leur succèdent 
par la manière dont elles ont compris leur devoir envers elles-mêmes et envers la postéri 6. 

C’est en se basant sur ces vues (vues en accord complet avec les données les mieux établies de la science 
moderne) que Girard a pu aflirmer qu'une bonne direction imprimée au développement intellectuel de l'huma- 
nité conduira celle-ci à une puissance d’assimilation de plus en plus grande, et, par suite, accroïtra dans des 
proportions que l’on ne peut prévoir la puissance transformatrice que l’homme exerce sur l'univers. 

Les élucubrations qui, jusqu'ici, se sont trop souvent parées du nom respecté de la science disparaitront 
dans l'oubli définitif, La spéculation, qui a transformé trop souvent la philosophie scientifique en un réceptacle 
d'idées saugrenues et de paradoxes fantastiques, a ses jours comptés. Déjà Gœæthe a lancé, à ladresse des 
spéculateurs spéculant dans toutes les branches de la science et de la philosophie, lépigramme suivante : 
« L'homme qui spécule est comme un animal promené par un esprit malin dans une bruyère aride, tandis 
qu'aux alentours se déploient de frais-et riches pâturages. » 

On ne saurait assez le répéter : l’homme domine le monde par sa volonté, non par la spéculation, et les 
choses sont ce qu’elles sont, sans nul souci de l’opinion que le genre humain tout entier peut en avoir. 

L’admirable essor qu'ont pris aujourd’hui les sciences expérimentales est le premier coup porté à la 
spéculation. 

Et la science se montre comme pouvant devenir le lot du grand nombre, puisqu'il sufit du travail pour 
l’'acquérir. 


Nous voyons ainsi se former dans les dirigeants du monde deux grandes classes : l’une, de plus en plus 


ME 


nombreuse, qui interroge patiemment la nature, lui ravit ses secrets et ses lois, en un mot, réunit les 
matériaux scientifiques; l’autre, forcément réduite à une élite, qui met en œuvre le travail scientifique en 
s’élevant sur les ailes de la philosophie pour saisir les ensembles et les lois générales, afin de les appliquer à 
la transformation, à la prise de possession de plus en plus complète du domaine de l'humanité. Ceci peut être 
indifférent à ceux qui ne pensent pas au delà des besoins journaliers de la vie matérielle; mais les hommes 
dont l'humanité s’'honore n’ont jamais compté parmi ceux-là ; on les trouve dans l'élite qui ne s’enquiert pas 
seulement du point où l’on est, mais encore où l’on va et d’où l’on vient. C’est dans cette élite que brille, astre 
de première grandeur, le Roi-Souverain de l’État indépendant du Congo. 


Fait dit que, parmi les branches où l’art s’unit si intimement à la science que les meilleurs esprits ne 
parviennent pas à en opérer la distinction, il faut, — après le grand art de la guerre, — citer l’art de la 
colonisation. 

C’est le résultat de causes nombreuses dont beaucoup viennent de suite à l'esprit. 

Ce que voudrait pouvoir dire le philosophe, c’est que, dans la science de la colonisation, on rencontre, 
porté à son plus haut point, comme cela se voit dans la science militaire, ce détachement du conventionnel 
des préjugés et des intérêts personnels, qui est le commencement de la véritable science. 

Hélas ! 

Pourtant, il faut choisir : il faut être ou savant, ou financier, ‘industriel, commerçant. 

Malgré tous les titres d’un docteur en science, s’il met ses découvertes nouvelles en exploitation par 
quelque syndicat, il choisit lui-même un rôle qui lui enlève toute autorité scientifique; il n’a plus qualité pour 
faire appel à ses frères en science; le savant à fait place au financier. 

Dès lors, toutes les suppositions sont permises. 

Lorsque le D' Rœntgen découvrit les rayons qui ont illustré son nom, son premier soin fut de permettre 
de répéter son expérience dans tous les laboratoires, et il s’y employa de toutes ses forces. 

Si, au lieu d'appliquer ainsi largement les méthodes de contrôle en honneur dans la science moderne, le 
D' Rœntgen avait répondu aux physiciens, le lendemain de sa découverte : « Je ne peux rien vous dire de 
précis; un syndicat vient de se former pour l'exploitation de la vision à travers les corps opaques et le secret 
m'est ordonné, » il aurait peut-être acquis beaucoup de fortune, mais aurait cessé de compter parmi les 
savants. 

Ainsi l'explorateur qui veut rester digne du nom de savant doit de même exposer tout ce qu’il a constaté, 
sans le moindre souci d’affaires. Il ne doit lui importer en rien que des particuliers, en petit ou en grand 
nombre, puissent s'enrichir ou être ruinés selon des opérations spéculatives qu'ils tenteront sur les constata- 
tions livrées à la publicité par lui, simple savant, qui se réjouira seulement de voir lesdites constatations 
passées au crible du plus grand nombre possible de contrôles. 

Ces contrôles, les travaux de la mission scientifique du Ka-Tanga les appellent, en même temps qu'ils 
doivent faire connaître au plus grand nombre d’intéressés possible ce qu’on peut connaitre d’un pays d’outre- 
mer, sans avoir soi-même traversé les océans. 

Pour atteindre à ce but, nous avons eu, et continuerons à avoir recours à tous les moyens de publicité. 

Au cours même du voyage, de nombreux documents avaient été envoyés au gouvernement de l'État indé- 
pendant du Congo; une partie des documents écrits furent publiés par la Belgique coloniale; quelques-unes 
de nos planchettes cartographiques ont déjà servi au géographe A.-J. Wauters pour sa toute dernière carte 
du Congo; des poissons envoyés par nous furent décrits et reproduits — quelques-uns en couleurs — par les 
Transactions of the Zoological Society, de Londres. 

Depuis notre retour, plus de soixante conférences ont été données en Belgique, en France et en 
Angleterre; deux cents photographies reproduites en diapositifs ont ainsi permis de donner rapidement une 
première idée de notre promenade transafricaine. 

D’autre part, les spécialistes de la mission se mirent de suite à la coordination des éléments à publier. 

C'est ainsi que M. Voss, géologue, à dressé cartes et coupes géologiques; classé les échantillons minéra- 
logiques recueillis par lui, et terminé un rapport de plus de deux cents pages. 


— 5) — 


De son côté, M. Questiaux, prospector, a également établi son rapport spécial. 

Ces documents ont été remis par le gouvernement de l'État indépendant à la Société belge de Géologie 
qui à bien voulu se charger d’en effectuer la publication dans son bulletin. 

Les documents météorologiques furent remis à M. A. Lancaster, laimable et savant directeur du service 
météorologique de Belgique. 

Sous la direction de cet éminent spécialiste, M. de Banterlé, adjoint au service météorologique de l'Obser- 
vatoire royal à Uccle, a dressé une longue série de tableaux qui paraïîtront prochainement sous les auspices du 
service météorologique de Belgique. 

Le travail cartographique fut confié à M. L. Menger, élève d’Élisée Reclus et l’un des meilleurs dessina- 
teurs cartographes de notre Institut cartographique militaire. 

De mon côté — aidé de mon second, M. le sous-intendant Michel — j'ai revisé les longs, les intermi- 
nables calculs de latitude, longitude et altitude, ainsi que les calculs relatifs à la détermination des trois 
composantes magnétiques. 

Ce travail spécial a provoqué la publication — en 1901 — de quinze mémoires justificatifs de nos 
observations d'astronomie cartographique. 


Egalement en 1901, a été publiée la carte en deux feuilles, au en quatre teintes, de notre 


1 
1,000,000° 
itinéraire complet depuis notre arrivée au sud du Tanganika jusqu’à notre passage aux Stanley-Falls. 


ë 
En même temps paraissaient, dans des publications spéciales, les diverses notes suivantes, rédigées 
par nous : 


1° Note préliminaire sur les Résultats des Observations magnétiques, faites au Congo, de 1898 à 1900, par le 
capitaine Lemaire. 
Bulletin de l’Académie royale de Belgique, classe des sciences, numéro de février 1901. 
2 Note sur la Mouche Tsétsé. 
Bulletin de la Société de géographie d'Anvers (décembre 1900). 
9° La Mission scientifique du Ka-Tanga. 
Communication faite à la Société de géographie commerciale de Paris. 
Bulletin de cette société, année 1901, n® 6, 7 et 8. 
The Belgian scientific Expedition to Ka-Tanga. 
Communication faite à la British Association for advancement of science, en son meeting de Glasgow, 
septembre 1901. 
Numéro d’octobre 1901 de « The Scottish geographical Magazine ». 
»° Grottes et Troglodytes du Ka-Tanga. 
Bulletin de la Société de géographie de Paris, numéros de novembre et décembre 1901. 
6° The Congo-Zambezi Water-parting. 
Numéro de février 1902 de « The geographical Journal », bulletin de la « Royal geographical 
Society » de Londres. 
T° Note sur les Déterminations d’'Altitudes absolues dans les Régions intertropicales. 
Communication faite à la Société belge d'astronomie, (16° mémoire de la mission scientifique du 
Ka-Tanga et bulletin de la Société belge d'astronomie, 1902.) 
8° Note sur les Sources du Congo. 
Envoyée à la Société de géographie de Liverpool pour être publiée dans son bulletin. 
% La Ligne de Faîte Congo-Zambèze. 
Bulletin de 1902 de la Société de géographie de l'Est (Nancy). 
10° Les Wamboundous. (Les Colporteurs noirs entre l'Atlantique et le Ka-Tanga.) 
Revue de géographie. (Paris, 1902.) 


pes 


Maintenant je rappelle que l’œuvre de Léon Dardenne, l'artiste peintre qui fut nôtre là-bas, a été exposée 
complètement — soit plus de 500 tableaux, aquarelles, esquisses, études, planches de faune et de flore, ete., — 
au Cercle artistique de Bruxelles, en juin 1901. 


Les aquarelles de cette série furent exposées en septembre à l’Ecole d'Art de Glasgow, et en octobre à la 


© 


Société de Géographie d'Edimbourg. Toute la collection de Dardenne sera encore présentée en mai-juin 1902 à 
l'exposition organisée à Anvers par la Société de Géographie de cette ville, pour fêter son 25° anniversaire. 


1 


Enfin, un atlas manuscrit de 200 feuilles, donnant, à une échelle d'environ le 33 000” le détail des 
RSS. À s Se ; : À — 99, ( 
6,600 kilomètres levés par nous, à été achevé au cours de l’année 1901. 


* 


Tel est le travail assuré par le personnel mème de la mission depuis sa rentrée en Europe. 

D'autre part, nos collections de faune, de flore et d’ethnographie étaient étudiées par les diverses commis- 
sions spéciales chargées par le gouvernement de l’État indépendant, de la publication de ses superbes annales 
scientifiques. 


Avec l’année 1902, nous avons pu arriver à la publication de notre journal de route, publication destinée, 
non plus tout particulièrement aux spécialistes comme tout ce que nous venons d'énumérer, mais à tous les 
genres de lecteurs. 

Cette publication comprendra trois volumes illustrés, qui se complèteront de Patlas au 50 000 cinq 
couleurs, de notre itinéraire, également divisé en trois sections. è 

Notre journal de route a pour but de vulgariser nos travaux; il sera le récit fidèle, fait au jour le jour, de la 
vie intime de notre caravane. 

Ceux qui liront ces lignes, écrites toujours de bonne foi, y trouveront l’exacte notation de l’existence que 
nous firent les circonstances de notre long voyage ; puisse cette expression sincère de nos impressions éveiller 
des curiosités et provoquer des vocations. Je n’hésite pas à dire à ceux qui seraient ainsi touchés qu'ils s’assure- 
ront la plus enviable des existences, car ils se feront une vie agréable par son travail, lequel les paiera cent fois, 
mille fois mieux et plus que la seule fortune; ils travailleront pour s'amuser, non pour gagner de largent; ce 
dernier but fait la vie amère, le premier la rend belle et bonne, en conservant au travailleur la fraicheur d'idées, 
l'enthousiasme désintéressé qui sont l'apanage de la jeunesse! 

Par cette fraicheur d'idées, par cet enthousiasme juvénil, le travailleur de la pensée ne vieillit pas et la vie 
ne lui est jamais à charge. 

Puisse la lecture de ces pages si vécues confirmer ce que je dis ici, et persuader quelques adolescents de 


suivre la voie que nous leur indiquons. 


CHAPITRE LI. 


Arrivée au sud du Tanganika. — Moliro, première station de l'État indépendant. — Examen 


et installation de nos instruments d'observation. — Premiers travaux. 


Sous le titre « Vers le Tanganika par le Zambèze », le Petit Bleu a publié une série de longues lettres 
tenant nos amis au courant des circonstances de notre voyage depuis l'Europe jusqu’à notre arrivée à Moliro- 
Station, premier poste de l’État indépendant du Congo, où devaient commencer nos travaux. 

Ce fut dans la nuit du 3 au 4 août 1898, à minuit précis, que le steamer Good News jeta l’ancre dans la 
baie de Moliro. Avec moi se trouvaient à bord MM. Maffei, Michel et Dardenne. FPavais laissé en arrière-garde 
à Ki-Touta, port d'attache du Good News, MM. De Windt et Caisley. 

Voici pour quelles raisons j'avais arrêté cet ordre de marche. Jusque Ki-Touta, nous avions été transportés 
par la Compagnie des lacs; aidé de Michel, j'avais fait constamment l’arrière-garde, De Windt commandant 
l'avant-garde; et, dans chaque station de Ja Compagnie anglaise, J'avais manœuvre de manière à ne me mettre 
en route que lorsque toutes mes charges étaient évacuées. 

A Ki-Touta, port à l’extrême sud-est du Tanganika, nous touchions au moment de quitter la Compagnie 
des lacs, pour entrer sur notre territoire propre et y commencer de suite nos travaux. 

A ce moment, l’âge de la lune me pressait de gagner Moliro au plus vite en vue des premières détermina- 
tions de longitude absolue. 

Toutelois un gros retard nous menaçait : le steamer Good News ne marchait plus, les grilles de sa 
chaudière manquant de barreaux. 

Heureusement j'avais connu dans le haut Congo le capitaine du Good News ; il avait commandé le Pionnier 
pendant que j'étais commissaire du district Équateur. 

Reconnaissance renouée, le capitaine Gibson consent à faire pour moi un dernier voyage jusqu'à Moliro: 
seulement, il ne pourra prendre que quatre passagers et environ quatre-vingt charges, soit le dixième de nos 
approvisionnements. 

Il est done décidé que quatre d’entre nous partiront de suite. 

De Windt et son adjoint Caisley resteront à Ki-Touta et ne quitteront que lorsque toutes nos charges 
auront été dirigées par terre, les unes vers le nord du lac Moéro, les autres vers Moliro-Station. Nos deux amis 
arriveront eux-mêmes à ce dernier poste en suivant la rive sud du Tanganika. 

Ces instructions arrangeaient fort bien De Windt qui, depuis le nord du lae Nyassa, avait établi un levé 
géologique détaillé des pays parcourus, levé qu'il continuerait beaucoup mieux par terre que par eau. 

Le mereredi 3 août 1898, nous quittions Ki-Touta à bord du Good News, pour arriver en pleine nuit à 
Moliro. 

Mes compagnons de route étaient en bonne santé; pour moi, je n'avais cessé, pendant toute la traversée, 
de rendre force bile. Aussi, quel soulagement extrême d'arriver au poste, distant de dix minutes de la rive, ce 
qui me parut plutôt long dans l’état d’accablement où je me trouvais. 

L’aimable commandant du poste, M. le sous-intendant Helaers, s'était porté à notre rencontre, ravi de 
notre arrivée, quoique un peu à l’étroit pour nous installer tous comme il l’eût désiré. 

Le jeudi 4 août, de bon matin, on décharge le bateau, qui s’en repart dans l'après-midi. 


ES 


Pendant que la fièvre me cloue sur ma couchette, mes adjoints procèdent à leur installation. 

Le lundi 8 août seulement, je puis me meltre un peu au travail. 

Tout notre matériel, tous nos instruments sont en parfait état : pas de casse, pas le moindre petit aceroc 
ne peuvent être constatés dans la minutieuse inspection que nous passons. 

Je monte sans retard le baromètre à mercure, et mets en marche nos deux chronomètres. 

Un mot à propos de ces instruments. 


Lorsque je m'occupai de dresser la liste de tout ce que nous aurions à emporter avec nous, j'eus à me 
_ préoccuper d’un baromètre à mercure. On sait, de reste, que le transport de cet appareil est un cauchemar 
pour tout observateur sérieux. 

Aussi, visitant divers fournisseurs, fouillant les catalogues spéciaux, interrogeant l’Institut cartographique 
et l'Observatoire royal, je cherchai s’il n'existait pas un autre type de baromètre à mercure que l'ordinaire et 
redoute Fortin, plus ou moins arrangé pour le transport. Et je commençais à désespérer, lorsque mon vieil 
ami Cornet — le bon géologue de la mission Bia, aujourd'hui professeur à l'École des mines de Mons et pré- 
sident de la Société de géologie de Belgique, — me parla d’un baromètre qu'il avait vu aux mains du capitaine 
Stairs, lors de la rencontre de leurs deux expéditions au Ka-Tanga. Toutefois, Cornet ne pouvait me dire ee 
qu'était ce baromètre, ni où l’on pourrait se le procurer; il savait seulement que Stairs avait un bon baromètre 
à mercure que lui, Cornet, avait essayé, inutilement, de lui dérober. 

Mis sur cette piste, je me rendis à la Société anonyme belge pour le commerce et l’industrie au Congo, où 
j'obtins du major Thys, — depuis lieutenant-colonel — de pouvoir compulser le journal de route de Stairs. 

De nombreuses lectures de baromètre à mercure y étaient renseignées, mais sans indication sur la nature 

de l'instrument employé, sauf en un seul point où, par bonheur, je lus non plus simple- 
ù ment « mereurial barometer », mais « George’s barometer ». 
Ô Empoigner lexcellent aide-mémoire anglais Hints to Travellers, courir à la table et y 


trouver la mention « Captain George’s mercurial barometer » fut tôt fait. 


EE 


{ Je m’adressai alors à M. John Coles, secrétaire de la Société royale de géographie de 
Londres, qui voulut bien me donner son avis sur deux types de baromètres à mercure : 
le « Boylean-Mariotti barometer » et le « Captain Georgc’s mercurial barometer ». 

C’est à celui-ci qu'il accordait la préférence, dans les termes que voici : 

À « Le baromètre du capitaine George est un instrument plus sûr; son point faible est 

dl qu'il prend environ vingt minutes pour être rempli, dressé et fournir l’observation, et ceci, 


au sommet d’une montagne, en cas de basse température, est certainement un inconvénient 


re 


(a drawback), bien qu'on puisse se fier aux résultats obtenus. Il faudrait prendre des 
tubes de rechange, et ceux-ci, avec le poids de la caisse et du trépied, constitueront 

un ensemble quelque peu lourd. 

« Le constructeur du baromètre George est Cary, 7, Pall Mall, à Londres. La 
maison construit nos instruments, et on peut se fier à elle. » 

Au reçu de cette lettre, nous commandämes à la maison Carv un baromètre 
George avec tube de rechange; l'instrument entier coûtait 315 francs; le tube de 


rechange augmenta le prix de 78 fr. To €. 


« Voulant — écrit le staff-commander C. George R. N. — procurer au 
voyageur un baromètre à mercure, j'ai soigneusement examiné les diverses 
méthodes de remplissage des tubes barométriques, préconistes par des hommes 


HEReUS d'expérience et de pratique; ces méthodes se ramènent à deux procédés qui 


peuvent être appelés : le procédé à chaud et le procédé à froid. 
« Le procédé à chaud, en ce qui concerne le voyageur, doit être rejeté comme étant trop peu sûr; aussi 
portai-je toute mon attention sur le procédé à froid, que je tenais pour capable de me conduire à une solution 


favorable. 


A) 


« De nombreuses expériences furent successivement effectuées et abandonnées comme ne donnant pas 
toute satisfaction, outre qu'elles n'étaient pas réalisables par le voyageur, de la seule convenance duquel 
J'entendais tenir compte, à l'exclusion de tout autre considération. » 

Et le capitaine George s’y prit si bien qu’il réalisa le seul type de baromètre transportable qu'on puisse 
recommander pour des voyages tels que le nôtre; son extraordinaire avantage consiste en ce que, pour le 
transport, on vide complètement la cuvette et le tube qui se réemplissent chaque fois qu’on installe à nouveau 
l'instrument : vingt minutes suflisent à le monter complètement et à faire les premières ñ 


if 


lectures. 

La méthode de remplissage a reçu, de son découvreur, le nom de « méthode de la 
corde spirale. » 

Le tube, gradué en cinquantièmes de pouce (soit le 1/2 millimètre) se fixe sur la 
cuvette en verre au moyen d'un simple anneau en caoutchouc, au travers duquel on le 
pousse à frottement dur, par un mouvement en spirale. 

On dispose cet ensemble sur le trépied dans la position que montre la figure 1, 
c’est-à-dire le tube vers le bas, la cuvette reposant sur la plate forme du trépied. 

On enfonce alors « jusqu’au fond du tube » une corde en boyau de chat, tordue 
sur elle-même, et terminée par une plume d’oie; ensuite on verse avec précaution le 


mercure, qui remplit le tube et la cuvette; grâce à sa forme tordue la corde en 
« catgut » s’archoute d'elle-même contre le tube et n’est pas projetée au dehors, 
comme cela tend à se produire de par la densité du mercure. 

On tourne maintenant lentement cette corde sur elle-même; sa forme 
hélicoïdale la fait s'élever progressivement, les barbes de la plume d’oie 
ramassant et entraînant avec elles les globules d'air, c’est-à-dire produi- 
sant précisément l'effet des procédés de remplissage à chaud. 

L'opération de retrait complet de la corde spirale ne dure pas 
dix minutes; au fur et à mesure que la corde sort du tube, du 
mercure y entre et il faut veiller à en reverser dans le réservoir 
de manière à maintenir toujours bien couvert l’orifice du 
tube. 

Dès que la corde spirale est dégagée, on visse sur le 
réservoir un disque de fermeture muni d’un robinet; on 
retire le tout du trépied, on opère le retournement avec 
précaution et l’on voit le mercure baisser dans le tube et 
prendre sa hauteur d'équilibre atmosphérique; si l'opération 
a été bien menée, en basculant le tube avec précaution, le 
mercure viendra frapper le haut du tube en produisant le 


son métallique si pur indiquant que le vide est obtenu. 

On laisse écouler par le robinet la quantité de mercure 
qui pourrait être en excès dans la cuvette, et l’on place l'appareil à demeure sur son trépied, comme le 
montre la figure 2. 

Nous n’entrerons pas dans le détail du mode de suspension assurant aisément la verticalité, non plus 
que dans le détail des garnitures en cuivre permettant cette suspension, ni dans la méthode de lecture de 
l'instrument; ceux que la chose intéresse (et j'entends surtout par là tous les professeurs de physique 
ouvriront Hints to Travellers, et y trouveront ces divers renseignements. 

Notre but n’est ici que de faire connaître en Belgique un fort intéressant appareil qui n’y est guère connu, 
et qui mérile, mieux que la fontaine de Héron ou que le tourniquet hydraulique, les honneurs de la descrip- 
üon dans les cours de physique. 

Jai le grand plaisir de consigner ici que M. Rousseau, notre vénéré professeur de physique, et M. Eugène 
Lagrange, professeur à l’École militaire, ont bien voulu me faire connaître qu'après avoir lu la préface du 
premier de nos mémoires relatifs à nos observations astronomiques, ils ont introduit dans leurs cours R 
description du baromètre George. 


RTS 


Le vide obtenu si aisément et si rapidement par le procédé de la corde spirale est aussi parfait que le 
vide obtenu par les méthodes à chaud. J'ai dit déjà que si l’opération que nous avons décrite est bien faite, 
et il suffit de la faire lentement, le son métallique du mercure contre le haut du tube est étonnamment pur, 
sonore et cristallin. 

En ce qui nous concerne, au reçu du baromètre commandé à la maison Cary, à Londres, nous nous 
rendimes à l'Observatoire royal, où, aidé du camarade Walracvens, nous procédämes au remplissage du baro- 
mètre, en suivant ponctuellement les instructions. 

Il faut remarquer que, pas plus que moi, Walraevens n’avait jamais entendu parler du baromètre George. 

Or, notre premier remplissage s’exécuta parfaitement, et l'instrument, placé dans la chambre des 
baromètres étalons, ne marquait qu'une différence de 4/10 de millimètre; cette différence se maintint inva- 
riable pendant les quinze jours que dura la comparaison. Depuis longtemps, d’ailleurs, les mêmes résultats 
avaient été obtenus ailleurs qu’en Belgique. 

En 1873, M. Robert-H. Scott, directeur du service météorologique à Londres, écrivait, après comparaison 
d’un baromètre George (alors de fabrication récente) avec un baromètre étalon, que la différence moyenne 
était inférieure à 0.03 de pouce, soit 3/4 de millimètre. 

En 1874, le voyageur Keith Johnston déclare avoir rempli et vidé son baromètre George plus de cent fois, 
avec toujours succès complet. 

Puis, c’est une série de spécialistes : N. Elias de Calcutta, le lieutenant Watson, le capitaine Richard 
Burton, le major Wilson, le « staff-commander » Bailey... qui vantent l'excellence du baromètre George. 

Et si nous venons, si tard et après tant d’autres, dire encore les avantages de cet appareil, répétons bien 
que c’est parce qu'il peut être considéré comme inconnu en Belgique, laquelle, pourtant, a aujourd’hui voix 
au chapitre Voyages d'Explorations scientifiques. 

Pour le transport, le mercure est versé dans un flacon en fer ad hoc; le réservoir a sa boîte spéciale; le 
tube barométrique se place dans un tube en laiton intérieurement garni d’un épais revêtement en caoutchouc; 
ce tube en laiton se loge lui-même dans un creux ménagé dans l’axe du trépied replié, et maintenu fermé par 
deux anneaux en cuivre. Enfin, le tout se cale dans une caisse longue, et constitue, y compris le tube gradué 
de rechange, une demi-charge (moins de 15 kilogr.). 

Il sera prudent de prendre une corde-spirale de réserve. 

A notre arrivée à Moliro, notre baromètre fut monté en vingt minutes et l'opération réussit du premier 
coup. 


Le baromètre installé, je m’occupai des chronomètres. 

Ceux-ci, au nombre de deux, réglés sur le temps sidéral, m'avaient été fournis par la maison Hohwü, 
d'Amsterdam, qui avait fourni déjà la mission Delporte et Gillis, et la mission Cabra. 

Comme nos travaux astronomiques effectifs ne devaient commencer qu'au lac Tanganika, c’est-à-dire en 
plein centre africain, javais, après müre réflexion, renoncé à emporter l'heure en partant d'Europe. En effet, 
il m'eût été fort dificile, pour ne pas dire impossible, de déterminer ce que serait la marche des chronomètres 
pendant leur transport d'Amsterdam à Moliro : tant que nous étions en mer, j'aurais bien eu la ressource des 
comparaisons avec les chronomètres du bord, mais cette comparaison ne m'inspirait qu'une trop maigre 
confiance; puis, une fois débarqués à l'embouchure du Zambèze, nous n'avions plus, pour chercher à déter- 
miner la marche des chronomètres, que les observations que nous aurions dù faire nous-mêmes dans des 
conditions de voyage qui ne s’y prêtaient guère, car ces observations eussent dû être nombreuses et répétées en 
un certain nombre de points, tandis que nous devions gagner d'urgence notre véritable terrain d'action. 

Déjà, en perdant le moins de temps possible, nous avons dépassé de huit mois la durée de travail effectif 
que nous assignaient nos instructions. 

Tout bien examiné, je décidai d’emporter mes chronomètres arrêtés; bien plus, je priai le constructeur 
d’immobiliser, momentanément et complètement, les balanciers compensateurs, au moyen de petites cales en 
bois sec rendues elles-mêmes, par une goutelette de vernis, adhérentes à un des plateaux du chronomètre; en 
outre, un brin de soie entourait la couronne du balancier et l’une des colonnettes en cuivre réunissant les 
plateaux des chronomètres, ce qui achevait d'assurer l’immobilisation des balanciers. 


IL 


Les deux instruments étaient placés chacun dans un étui en feutre, épais de près de deux centimètres, 
qui, tout en les protégeant de façon générale, avait l'avantage de corriger, dans une certaine mesure, les 
variations de température. 

On comprend combien j'avais hâte de constater si le transport s'était fait proprement. 

Les petites cales de bois sec étaient restées bien en place et furent retirées à l’aide d’une légère pince 
brucelle; les fils de soie furent ôtés et les chronomètres, remontés immédiatement, furent mis en marche en 
attendant le moment de les mettre à peu près à l’heure de Moliro, que j'avais à déterminer par nos premières 
observations. 

Cette mise approximative à l'heure de Moliro n'avait d'autre but que de nous fournir un état des 
chronomètres — leur dh — exprimé par un petit nombre dè minutes et secondes, ceci pour simplifier un peu 
les caleuls et faciliter l'établissement des carnets d'étoiles pour les observations de nuit, tout en rendant plus 
sûres les lectures de chronomètre. 

Nos premières observations, dont nous parlerons plus tard, prouvèrent que nos compteurs de temps 
étaient arrivés en parfait élat. Ils coûtaient chacun 1,000 francs. 

Je parlerai plus tard du demi-chronomètre compteur de temps sidéral qui complétait notre matériel de 
chronométrie. 


Entre-temps, j'avais fait ouvrir les trois caisses de météorologie, confectionnées pour nous par l’Obser- 
vatoire royal d'Uccle, dans des conditions telles que pas un seul des nombreux instruments qui s'y trouvaient 
n'avait subi le moindre dérangement. 

Je dirai immédiatement que ces caisses furent, dans la suite, employées pour le transport des instruments 
météorologiques à M’pwéto, puis de là à Lofoi, et enfin à Lou-Kafou-station. 

J'ai le regret de dire qu'au départ du capitaine Verdick, ces observations méthodiques ont cessé dans le 
poste de Lou-Kafou, devenu un simple poste de commerce. 

Pour lé transport d'Europe au Tanganika, les trois caisses avaient été enfermées dans des enveloppes de 
zinc soudées, placées elles-mêmes dans d’ordinaires caisses en bois. Le procédé est à recommander, car il 
nous réussit pleinement, venons-nous de dire. 

Toutefois, nous reparlerons plus tard d’un type de caisse extérieure en aluminium, que nous proposerons 
pour le transport, et la protection contre les chocs et contre la pluie, des caisses en bois renfermant des instru- 
ments de physique terrestre. 

Il me parait intéressant de faire connaitre ici la série d'instruments et appareils que, très complaisamment, 
l'Observatoire d'Ucele — qui répondra toujours avec plaisir à toute demande d’aide analogue à celle que nous 
lui fimes — voulut bien commander pour nous à ses fournisseurs. 

Ces instruments furent tenus en comparaison à l'Observatoire, par MM. Walraevens et Vincent, pour déter- 
mination de leurs constantes, puis emballés par les soins mêmes de cet établissement scientifique. 

La caisse n° 1 contenait : un barographe Richard (enregistreur de pression atmosphérique); un termo- 
graphe Richard (enregistreur de température) ; un anénomètre à cadran, de Robinson, et son support; le 
support et les pinces d’un actinomètre de Bellany; les pinces de l’actinomètre d’Arago; un crochet pour 
suspendre le thermographe; deux boîtes contenant les clefs, l'encre et les plumes pour les enregistreurs ; une 
série de feuilles barographiques et termographiques. 

La caisse n° 2 contenait : un hypsomètre de Regnault, modifié par Fuess, avec thermomètres de rechange; 
un actinomètre de Bellany (à éther) ; un actinomètre d’Arago (à thermomètres conjugués) ; deux tiges de support 
pour l’actinomètre d’Arago; un tube en cuivre servant de base à ces tiges; deux cadres pour thermomètres; un 
support pour ces cadres; une caisse renfermant trois éprouvettes graduées (pour pluviomètres) ; deux séries de 
feuilles barographiques et thermographiques; un paquet de bandes en carton pour l’enregistreur solaire: un 
étui renfermant un flacon de mercure. 

La caisse n° 3 contenait : un néphoscope, ou miroir pour observer les courants supérieurs: deux 
pluviomètres; un enregistreur solaire, dont la boule était isolée dans une caissette; une boîte plate, à rainures, 
contenant douze thermomètres et un évaporomètre de Piche; une boite contenant : un flacon d'huile d'horlo- 


eo 
gerie, une boîte de rouge anglais, un blaireau, deux flacons d’encre pour enregistreurs, une peau de chamois, 
du fil de cuivre pour attachér les thermomètres sur leurs cadres, un paquet de rondelles de papier buvard pour 
l’'évaporomètre, une boule de mèche pour le psychromètre, une boule de ficelle pour les thermomètres frondes ; 
un jeu de quatre fioles pour le psychromètre; un paquet de bandes en carton pour l’enregistreur solaire; le 
dispositif pour fixer le papier buvard au tube de l’évaporomètre. 

Tel était notre matériel d'observations météorologiques qui, avec quelques ouvrages spéciaux, avait coûté 
près de 1,300 francs. 

Parmi ces ouvrages spéciaux, emportés pour nous guider et nous aider, signalons : l'Atlas international des 
nuages; les Instructions météorologiques, de Angot; les Instructions pour effectuer les observations météorolo- 
giques dans les régions tropicales, et plus particulièrement au Congo, par I. Vineent, etc. 

Nous ne pouvons songer à décrire les divers instruments qui viennent d’être énumérés; cette description 
sera du domaine de l’ouvrage à consacrer à nos seules observations météorologiques. 

Signalons seulement quelques petites choses. 

Les feuilles d’enregistreur barographique emportées par nous portaient, comme chiffres devant répondre 
à la pression atmosphérique, les nombres 720 à 790. Or, les pressions relevées par nous devaient être inférieures 
à 720 millimètres de mercure et descendre jusqu'à 620. 

Nous avions dû prendre les feuilles telles que nous les trouvions, quitte à mentionner sur chacune d'elles, 
au moment où on l’enlevait de l'appareil, de quelle quantité il fallait diminuer les indications des diagrammes 
pour les faire coïncider, à + de 0®",5 près, avec les indications du baromètre à mercure. 


De même, les bandes en carton pour l’enregistreur solaire, dont nous avions emporté un jeu pour deux 
ans, étaient de longueurs et de divisions répondant à nos diverses saisons; elles furent employées telles 
quelles dans des régions où le soleil se lève et se couche invariablement aux mêmes heures, à vingt minutes 
près. 

L'hypsomètre de Regnault, modifié par Fuess, est fort avantageux en ce sens qu’on lit immédiatement 
sur les thermomètres, non plus la température d’ébullition, mais le nombre de millimètres de mercure 
mesurant la pression atmosphérique correspondant à cette température d’ébullition. Tout caleul est donc 
supprimé en ce qui concerne la transformation du chiffre thermométrique en un chiffre barométrique. 

Disons, enfin, que le néphoscope, ou miroir pour l'observation de la marche des nuages, nous avait 
été gracieusement offert par la Société royale belge d'astronomie, à qui nous renouvelons ici nos remer- 


ciements. 


Ayant choisi l'emplacement de lobservatoire du moment que nous voulions installer à Moliro, J'en 
abandonnai la construction à M. Helaers, chef du poste, qui se faisait une fête de nous aider très intelli- 
gemment. 

Cet observatoire fut constitué par un hangar dont le long côté, orienté Est — Nord-Est — Ouest 


Sud- 
Ouest, avait 9 mètres; largeur, 3 mètres; hauteur sous faite, 3"50; hauteur aux parois, 2 mètres. 

Toiture en herbes; parois Est et Nord couvertes depuis le toit jusqu’à 1",50 du sol; le reste fermé par des 
chaumes de roseaux presque jointifs, laissant libre circulation à Pair. 

Cet abri reçut les thermomètres, le thermographe, le barographe, le psychromètre, l’évaporomètre de 
Piche. 

A l'extérieur furent disposés les actinomètres. 

Le support de Panémomètre fut placé en un point particulièrement découvert, en dehors du boma de la 
station. 

Comme nous étions en pleine saison sèche, les pluviomètres demeurèrent dans leur caisse; également le 
néphoscope et l’enregistreur solaire, parce que notre séjour à Moliro devait être aussi écourté que possible. 

Enfin dans ma chambre de travail furent disposés : les chronomètres, le demi-chronomètre, le baromètre à 
mercure et deux anéroïdes compensés (fournis par l'Observatoire), construits par F. Darton et Ci, de Londres, 
et gradués de 790 à 540 millimètres, done permettant de faire des lectures d'altitude atteignant 3,000 mètres. 


A propos des anéroides, baromètres holostériques (et autres dénominations), nous avons à attirer 
l'attention sur quelques points. 

Ces instruments — et ceci est une règle absolue pour tous les instruments scientifiques — doivent être 
manipulés délicatement et transportés avec précaution : quand on porte un anéroide en sautoir, on ne peut 
franchir les ruisseaux d’un bond gracieux sans doute, mais à coup sûr nuisible au délicat mécanisme de 
l'instrument, qui s’en venge en sautant aussi de son côté, parfois de plusieurs degrés; et de cet autre saut, le 
voyageur ne daigne $’'apercevoir. 

En second lieu, il ne faut accorder quelque confiance à un anéroïde que si on peut le comparer, très 
souvent et soigneusement (c’est-à-dire en connaissance de cause) à un bon baromètre à mercure (à la rigueur à 
un hypsomètre, et encore !), ou si l’on est fixé sur l'altitude absolue de certaines stations. 

Les voyageurs trouveront de telles altitudes sur les piliers géodésiques laissés par nous en plusieurs 
stations : Moliro, Mpwéto, Lofoi, Lou-Kafou, Baudouin-Ville, Lou-Saka, Mpala, Mtowa, etc. Se garder, dans 
l'emploi de l’anéroïde, de lire l'échelle des hauteurs; en réalité, elle fausse les idées de trop d’apprentis 
voyageurs ; la vraie lecture à faire est celle des différences de pression qui, au moyen de tables, fourniront les 
différences d'altitude. Dans les régions du Tanganika et du Ka-Tanga, on peut se passer de ces tables et faire 
correspondre une différence de 1 millimètre de pression à une modification de 12,50 dans l'altitude. 

Enfin, je dirai mon étonnement en trouvant aux mains des agents de l’État, dans la zone du Tanganika, 
des anéroïdes gradués de 790 à 672 millimètres, avec échelle de hauteurs correspondante de 0 à 1,300 mètres. 

Or, à la traversée des Kou’ n° déloungou, nous avons eu à relever des pressions descendues à 621 milli- 
mètres et correspondant à 1,750 mètres d'altitude; le long de la ligne de faite Congo-Zambèze, nous avons 
souvent trouvé des pressions voisines de 640 millimètres et correspondant à des altitudes de 1,500 mètres 
environ; dans la zone montagneuse du Tanganika, nous observämes des altitudes de 1,750 à 1,850 mètres et 
plus (notamment au sommet des pies Mroumbi, Lou-Apéna, N’senga, ete.); entre Baudouin-Ville et Lou-Saka, 
l’anéroïde se mouvait entre 670 et 625 millimètres; entre Lou-Saka et M'pala, l’anéroide à marqué jusqu’à 
626 millimètres le long du sentier; ce n’est qu'à quelques kilomètres de Mpala (sur le bord du Tanganika) que 
l'instrument atteignit et dépassa 672 millimètres, c’est-à-dire la limite inférieure des pressions marquées par 
les anéroïdes qui sont aux mains des agents de l'Etat. 

Les faits que je viens de citer montrent que ces agents sont munis d’un instrument inutile, qu'ils 
cherchent quand même à employer (c’est ainsi que je fus amené à en examiner un de près). 

C'est là évidemment un des facteurs de la cause pour laquelle les altitudes d’une même station, fournies 
par divers observateurs, ont varié de plusieurs centaines de mètres, alors que le nivellement barométrique 
peut, dans les régions que nous avons reconnues {et vraisemblablement dans toute la zone équatoriale), fournir 
des chiffres en erreur maximum de 50 à 60 mètres. 

Voir à ce sujet notre 16% mémoire sur les observations astronomiques, magnétiques et altimétriques de la 
mission scientifique du Ka-Tanga. 


De son côté, M. Michel, chargé spécialement de la photographie et des collections zoologiques, 
installait sa chambre noire dans un étroit réduit d’un des méchants bâtiments de la station ; quant à sa propre 
chambre, le brave garçon la transformait en une salle d’appariteur d'histoire naturelle, prèt à voir arriver, 
pour être mis en peau, en papier, en boite, ou en formol, les représentants de la faune terrestre et aquatique 
qu'allaient bientôt nous apporter tant le personnel noir de la station que les quelques indigènes des environs, 
amusés de cette nouvelle industrie qui, momentanément, allait leur procurer force perles, communes pour 
nous, très précieuses pour eux. 

Je renonce à détailler le matériel photographique, très complet, emporté par M. Michel; il n'y en avait 
pas moins de huit caisses zinguées et deux malles en fer, le tout fourni par la maison veuve Géeèle, pour une 
somme de 1,527 francs. 

Si quelqu'un désire connaitre le détail de ce matériel, nous nous ferons un plaisir de le lui fournir. 

Le matériel photographique se comporta de façon très satisfaisante. Toutefois, les cartouches de dévelop- 


pie 


pateur et de fixateur auraient dû être placées chacune dans un petit étui en zine, soudé. Nous étions pourvus 
d’une chambre noire Mackenstein 18/24, qui se comporta admirablement; mais une chambre 13/18 nous eût 
sufii, presque tous nos clichés ont été pris à ces dimensions et ils sont les meilleurs; les 9/12 furent bons, les 
18/24 médiocres. Le trépied articulé et pliant est peu recommandable; ce qu’il faut, c’est un solide trépied 
analogue à ceux des instruments de topographie, les conditions actuelles des voyages au centre de l’Afrique 
n'exigeant pas encore que l’on puisse replier son trépied jusqu'à le fourrer dans la poche de son gilet; des 
couvre-objectifs de réserve auraient fait notre affaire. 

Disons encore que des plaques 18/24 avaient été mises au départ dans les six châssis doubles ; quand elles 
furent impressionnées, on ne put les extraire des châssis, où elles s’étaient littéralement collées et coincées ; 
il fallut les sacrifier et les briser pour les ôter des châssis; pour ceux qui seront dans le cas d'emporter ainsi 
des châssis à grande distance, il y aura done avantage à mettre de simples verres où des plaques perdues, 
qui ne serviront qu'à empêcher les châssis de se gauchir. 

Enfin, ce fut une erreur de placer le matériel de pose dans deux malles en fer fermant non par les ordi 
naires et bons vieux couvercles à charnières, mais par le stupide système de couvercle à glissières, le plus 
déplorable système qu'on ait jamais inventé et qui est fait, comme à plaisir, pour permettre à l’eau de pluie 
de pénétrer dans les malheureuses caisses. 


La question de savoir si les plaques doivent être développées où non en Afrique à souvent été débattue; 
là-dessus chacun à donné et gardé son avis. 

Voiei à quoi je m’arrêterais, si j'avais à diriger une nouvelle «mission scientifique » : il ne serait employé 
qu'un seul format de plaques, qui seraient des 13/18; deux plaques seraient posées pour chaque sujet ou 
scène, desquelles l’une serait mise de côté pour développement en Europe et l’autre développée de suite. 

Conseiller le seul développement en Europe, c’est oublier toute l'importance qu'il y à à dire ce que doit 
montrer la photographie, non pas des mois, voire des années après qu’elle a été prise, mais de suite, dans 
une note rédigée au moment où l’on à dans les veux et les oreilles les renseignements frais, concordants, 
encore contrôlables, donnant à la photographie toute sa valeur de document, au lieu de la simple valeur 
d'image plus ou moins bien exécutée, qu'ont trop de photographies africaines. 

Or, on ne peut rédiger pareille note que si on a la photographie de suite sous les yeux; et cette 
considération capitale exige, c’est évident, le développement immédiat en Afrique. Mais comme, d'autre part, 
les photographies seront, c’est évident encore, mieux développées en Europe, je concilie les deux conditions 
contradictoires par la prise des clichés en double, considérant comme très accessoire l’augmentation, 
d’ailleurs peu importante, de matériel. Il est possible que cette dernière objection serve à des gens à courte 
vue, — où à court foyer, pour rester dans la photographie, — à ratiociner tant et plus. Ce sera, aussi, peu 
important. 


Jai dit que M. Michel, outre le service photographique, assurait le service des récoltes zoologiques. 

Il avait été mis au courant de ce dernier service, avant notre départ d'Europe, par M. le professeur 
De Pauw, de l’Université libre de Bruxelles, toujours si complaisant aux voyageurs. Sous sa direction, mon 
adjoint avait dépioté, rempioté, lardé d'éloupes et bardé de savon arsénical, des chats, des chiens, des poules, 
des pigeons, que sais-je encore ? 

Je retrouve, dans une note à payer pour ces expériences de taxidermie : 

Quatre oiseaux préparés par M. Michel : 5 francs; un mammifère (chien): 3 francs; le garçon de laboratoire: à francs. 

Je crois, toutefois, que le garcon de laboratoire n’a pas été préparé avec les autres oiseaux et mammifères. 

En revanche, M. De Pauw avait établi la liste longue du matériel varié qui nous serait nécessaire, et qui fut 
commandé par lui-même, de sorte que, là encore, nous trouvâmes toute l’aide efficace, donc précieuse, des 


es As 


hommes de métier; aussi, les six caisses de matériel zoologique fournies à notre mission par l’Université de 
Bruxelles, nous ont-elles permis d'envoyer à Tervueren d’abondantes récoltes. 

Je signalerai ici que nous avions emporté, en vue du renvoi en Europe des collections conservées en 
formol, des récipients assez intéressants, ne fût-ce que parce qu'ils partaient d'ici remplis d'alcools variés 
autant que dégustables (à petites, très petites doses), parmi lequel le Qwetch jouait un rôle considérable; ces 
alcools, au fur et à mesure de leur absorption par les membres de la mission scientifique du Ka-Tanga, devaient 
être remplacés par du formol, où se conserveraient des animaux aussi divers que faire se pourrait; lesdits 
récipients étaient des estagnons de 1 et de 2 litres, que le ferblantier bruxellois Verhaeren fabriqua 
fort bien sur nos indications, d'après le modèle ci-contre. 


Ils avaient 1 1/2 millimètre d'épaisseur ; leur goulot, très large, devait permettre l’introduction 
d'animaux déjà assez gros; ils étaient fermés par le moyen d’un gros bouchon en liège B, enfoncé 
jusqu'à un centimètre en dessous du rebord; sur le bouchon une couche de plâtre P, achevant 
de remplir le goulot; enfin, un couvre-goulot en cuivre C, garni intérieurement d’une rondelle 
de cuir, se vissait sur un pas de vis fileté à l'extérieur du goulot. 

La marque de la mission (MIS. LEM.) et un numéro d'ordre furent poinçonnés sur chaque 
estagnon, le numéro d'ordre répété sur les couvre-goulots, et une couche de minium acheva de leur 
donner bonne allure. 

N'oublions pas de dire qu'ils avaient été essayés à 1 1/2 atmosphère et qu'un énorme tire- 
bouchon dut ètre commandé pour eux seuls. Des bouchons, du plâtre et des rondelles de cuir 
avaient aussi été commandes en vue des rebouchages en Afrique. 

Ces récipients nous rendirent de précieux services; grâce à eux, nous ne perdimes rien de nos alcools 
d’abord, et ensuite les réexpéditions en Europe se firent aisément, avec cet avantage que nos estagnons 
soustrayaient les animaux en formol à l’action décolorante de la lumière. 

Le matériel des collections zoologiques, y compris 100 estagnons, ne coûta qu'environ 600 francs, avec 
achat du guide du chercheur d'insectes et du guide du naturaliste. Il me parait que notre type d’estagnon, 
serait encore plus avantageux en aluminium : &’est une expérience à faire. 


Parrive à Dardenne, l'artiste peintre qui apportait pour sa part trois longues et larges caisses plates, 
contenant chacune : un panneau acajou de 96 cent. X 45 cent.; deux jeux de brosses anglaises ; deux jeux de 
pinceaux; deux boîtes garnies de 24 grand godets Rowney; 6 kilogr. couleurs à l'huile; un flacon encre de 
Chine; une boite plumes; une douzaine porte-plumes; quatre douzaines crayons Marquise; quatre douzaines 
crayons Gilbert; une glace dépolie; une molette; une boîte punaises; un carnet croquis; un flacon gouache : 
vingt feuilles Whatmann; vingt toiles absorbantes de 98 cent. X 48 cent. 

A ce materiel s’ajoutait une chambre noire du commandant Blain, une boîte portative, un parasol de 
peintre, un chevalet de campagne et divers accessoires; le tout ayant été payé 1,250 francs, et provenant 
(à part la chambre noire) de la maison Albert Mendel. 

L'artiste curieux qu'est Dardenne, lequel avait déjà, en cours de route, rempli deux carnets de croquis 
en couleurs, se mettait à la besogne le lendemain même de l’arrivée à Moliro. 


Je compléterai plus tard lénumération du reste de notre matériel scientifique, au moment où je le mettrai 
en œuvre. 

Jai cru devoir faire pareille énumération, d’une part, parce qu'il est bon qu'on sache de quoi nous étions 
munis pour apprécier ce que nous avons fait; d'autre part, parce que cettte énumération peut ètre utile 
à d’autres après nous. 


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Du 
A 2 


CHAPITRE II. 


Continuation du séjour à Moliro-Station. — Recrutement de serviteurs noirs. — Premier 
coup d’œil sur le poste. — Réveil terrible: mort de Jean De Windt et de William 
Caisley, noyés avec six pagayeurs. — Dépression et découragement momentané. — 


Reprise du travail. 


Mardi, 19 août 1898. 


Le gros de notre installation est achevé; nous avons pris l'air de la station et commencé à engager nos 
serviteurs noirs. 

Nous étions bien porteurs d’instructions prescrivant aux chefs de poste de nous fournir des boys modèles, 
des cuisiniers, des interprètes, etc. Mais, comme les plus belles filles du monde, les chefs de poste ne peuvent 
donner que ce qu'ils ont. 

Le brave Helaers, dans son désir très grand de nous aider, nous donna son propre et unique « pichi » 
(cuisinier). 

Prenez le mot propre au sens de personnel. 

Ce « pichi », — de son nom Ki-Toumbou, — était un brave gamin d’une douzaine d'années, venu on ne 
savait d’où, et que la perspective de s’en aller au diable Vauvert avec nous comblait de bonheur. 

Helaers nous donna encore un de ses boys, car nous menacions fort de n’arriver pas à en trouver 
autrement; il n'y avait à prendre que quelques gamins des environs, n'ayant Jamais servi l'Européen, et ne 
voulant s'engager que Jusqu'à notre arrivée à M'Pwéto, soit pour trois mois au maximum. 

Voici comment se répartissait notre domesticité : J'avais un bon boy, recruté en territoire anglais, et qui 
avait bien voulu continuer à m'accompagner, moyennant un gros payement (15 shillings par mois, plus la 
nourriture); je lui adjoignis un gamin non dressé. 

Maffei reçut comme boy le nommé Tanganika, serviteur adroit, cédé par M. Helaers. 

Michel et Dardenne avaient un gamin non dressé, 

Enfin, le « pichi » Ki-Toumbou. 


| 


Un point, c’est tout. Ni interprète, ni aide-cuisinier, ni lavandier. 
Ce n’était pas pour me déplaire, car on n’est vraiment bien servi que par les gens 


qu'on dresse soi-même; le diable, c’est que nous n’avions guère 
de temps à consacrer à ce dressage. 

Mais la modestie était de mise à Moliro, poste humble, discret, 
peu riant. Situé à dix minutes du lac, le poste de Moliro com- 
prenait — en août 1898 — le quartier des blancs entouré d'un 
boma en pisé, une large rue bordée des huttes et des cultures 


du personnel noir, et quelque chose qui se décorait du nom de 

jardins. 
Moliro-Station en 1898. Le quartier européen se composait de trois bâtiments en pisé, 
Quartier des Européens. lourds, épais de murailles, mal ventilés, mal orientés; un seul 
possédait une véranda convenable et encore sur une seule face. 
La vue de ces bâtiments à toits plats, dans le genre arabe, provoquait le plus grand désir d’une démolition 


immédiate. Pour comble, les constructeurs du poste, respectueux en cela d’une exquise et délicate coutume 


= re 


belge avaient jeté bas les grands arbres qui auraient pu rendre le poste supportable au lieu d'en faire une 
fournaise. Un seul arbre avait été conservé, sous lequel était installé un poulailler servant en même temps de 
buen-retiro ! 

Explique qui pourra celte association de perchoirs, 

Le quartier des noirs, — soldats et travailleurs, — était animé; le personnel y paraissait fort heureux, 
n'ayant pas grand’ehose à faire. 

Quant aux « jardins », je n'ai pu encore les visiter en détail, mais j'ai remis à M. Helaers un paquet de 
semences, en le priant de les semer d'urgence, afin que nous puissions en profiter; il faut dire qu’en prévision 
de séjours assez longs en certains points, nous nous étions munis de 12 paquets de semences hätives compre- 
nant chacun : de la moutarde blanche de Chine, du pourpier doré, du cresson alénois, des radis ronds 
rouges, des laitues à cueillir d'Amérique, enfin des carottes à châssis. 

Comme on voit, tous légumes poussant vite, surtout là-bas. 


Tableau de Dardenne. s Septembre 1898. 
La rentrée du troupeau à Moliro-Station. 


Au fond, les femmes, sous la direction de la « capita +, font de la farine de sorgho et de manioc, tandis que d’autres reviennent 
du lac où elles ont été à l’aiguade. 


Si je n'avais pu encore voir en détail les alentours de notre installation, j'avais pourtant déjà fort 
apprécié l'existence au poste d'un petit troupeau de gros bétail, très beau et très prometteur. 

Il comportait cinq vaches, trois génisses, un taureau adulte, un jeune taureau, quatre veaux. 

Trois vaches fournissaient chacune, par jour, 3 litres de lait, ce qui permettait d’avoir du lait frais à 
profusion à chaque repas, du fromage blanc à discrétion et, journellement, 400 grammes d’excellent beurre frais. 

Le beurre se fabriquait dans une calebasse qu’un noir agitait d’une façon spéciale constituant un 
véritable truc, et ayant pour effet de constamment briser la masse agitée, produisant aïnsi la barattage 
voulu. 

Moliro est le poste où j'ai vu tirer le meilleur parti du troupeau de gros bétail. 

En nous couchant, le mardi 9 août, nous éprouvions une réelle satisfaction de l’allure que prenaient nos 
travaux; j'avais choisi le point où je comptais installer notre cercle méridien, et j'espérais pouvoir, le 
lendemain, fixer le méridien, l'heure et la latitude, par une observation des hauteurs correspondantes du 
soleil, observation qui devait se faire au théodolite et me fournir seulement les éléments pour préparer les 
observations de nuit. 

Hélas! le matin suivant nous réservait un réveil sans nom. 


Mercredi, 140 août 1898. 


À 6 heures et demie, MM. Michel et Helaers entrent chez moi. Je suis encore couché. 

« Comment avez-vous passé la nuit? commandant. 

— Assez bien. On étouffe un peu dans ces maisons, mais je me sens mieux de jour en jour. 

— Alors, — fait Michel brusquement, — nous pouvons vous dire un grand malheur ! » 

Me dressant sur ma couchette, voici ce que j'entends : 

« Vous ne reverrez plus De Windt ni Caisley. 

— Que dites-vous? Que venez-vous d'apprendre? 

— Ils se sont noyés dans le Tanganika. » 

Je saute de mon lit et m'habille à la hâte, pendant que Michel continue : « C’est le pilote noir du 
Good News qui vient de nous prévenir. De Windt et Caisley arrivaient en pirogues de Ki-Touta; il y avait trois 
pirogues; seule, la pirogue du pilote est arrivée cette nuit au débarcadère de Moliro. 

Les autres étaient restées en arrière, séparées par une tempête; ce matin, à l'instant même, des pagayeurs 
de la pirogue des Européens sont arrivés, déclarant que leur embarcation avait coulé à quelque distance du 
poste, et que les blancs étaient noyés. » 

Nous sortons. Le pilote du Good News est là. Je l’interroge à mon tour; tout ce qu'on en peut savoir, 
cest qu'hier soir les piroguiers voulaient passer la nuit à la rive, mais que les blancs ont voulu continuer à 
marcher. Lui, pilote, est arrivé avec sa pirogue à bon port et à passé la nuit avec ses gens sous labri du 
débarcadère de Moliro; le matin, ül 
à vu apparaitre des hommes de la 
pirogue des blanes, nus, grelottant 
de froid, qui déclarèrent avoir coulé 
tout près de là, dans les rochers. Eux 
avaient pu atterrir dans l'obscurité, 
mais les blancs s'étaient noyés. 

Etrien de plus à tirer de ce pilote 
ni des survivants du désastre, si ce 
n'est qu'il manque six piroguiers, qui 
probablement ont partagé le sort de 
nos amis. 

Nous nous portons vers le lieu de la 
catastrophe qui n’est qu'à vingt minutes 
de la station. 

A 100 mètres de la rive, émerge la 
pointe du canot qui portait nos mal- 
heureux compagnons. 

A la rive, dans les rochers éboulés, 
leurs deux corps roulés et meurtris, 


LE AE CAES $ Poe \ NE à | avec les corps de trois des noirs dis- 
parus. 
Baie de Ké-Liba (Tanganika). De Windt est tout habillé; la figure 


peu changée; un mince filet de sang 
coule d'une contusion à la nuque ; le nez est meurtri et ensanglanté; 11 n’a rien sur lui qu'un trousseau 
de clefs; la montre a été arrachée de son cordonnet. 

Caisley est horriblement défiguré; il a dû être longtemps ballotté sur les roches, tant la tête est meurtrie 
et ensanglantée; il a ses souliers, sa chemise et son veston: pas de pantalon; sa montre marque 20 minutes 
avant minuit. 

L'accident s'est produit au sud de la pointe de Ké-Liba, qui sépare la baie de ce nom de la baie de Moliro ; 


7) 
la pirogue à coulé à 100 mètres des rochers, sur lesquels déferle le flot encore furieux; les corps des blancs et 


des noirs ont été roulés à la rive avec des débris, paniers indigènes, pagaies, pagnes, etc. 


Le pauvre De Windt avait avec lui un chien qui est là, sain et sauf, sans même une contusion. 

Les corps sont enveloppés de couvertures et transportés à la station, dans la chambre où des lits avaient 
déjà été dressés en prévision de la prochaine arrivée, par terre, de nos amis. 

Mafeï procède pieusement à la dernière toilette des morts : une sentinelle les veille. 

Il n°y a pas de quoi confectionner des cercueils. 


Pas de cimetière à Moliro; nous choisissons, à 150 mètres -du poste, l'emplacement où seront creusées les 
fosses, sous un grand arbre, un prodigieux mimosa, dont les branches balayent la terre; il faut y tailler un 
tunnel pour arriver au pied de larbre. 


J'interroge de nouveau le pilote noir, sans en tirer grand’chose de plus : trois pirogues Sont parties de 
Ki-Touta, il y a trois jours ; deux fois en cours de route elles ont stoppé pour la nuit; mais hier soir, les blancs 
n’ont pas voulu s'arrêter. La première pirogue, celle du pilote, est heureusement arrivée dans la baie de Moliro 
pendant la nuit; la troisième pirogue n’est pas encore ici, soit qu'elle ait aussi coulé, soit qu’elle soit restée tout 
à fait en arrière; quant à la deuxième pirogue, qui a chaviré, elle a, d’après les dires des survivants, été assaillie 
par un vent violent qui l’a fait couler à pie au point où l’on voit émerger une de ses extrémités, près des rochers 
dans lesquels on a retrouvé les deux blancs avec trois de leurs pagayeurs ; la pirogue était à la voile; c'était la 
plus belle pirogue du sud du lae, véritable barque par ses dimensions, et appartenant à une mission protestante 
anglaise située à l’ouest de Ki-Touta. 

Impossible d'obtenir d’autres renseignements. 

Pai prié M. Helaers de faire plonger les pêcheurs du poste au point où la pirogue à coulé. 

A 15 heures, arrive la troisième embarcation : elle n'avait pas, heureusement pour elle, obéi à l'ordre de 
marcher la nuit. 


A 16 heures, le triste enterrement; les soldats du poste, en grande tenue, portent les deux corps sur deux 
lits de campement, transformés en civières; le drapeau bleu les 
recouvre, seul et suprême hommage que nous puissions rendre aux _ HBÉESS: 
pauvres enfants; derrière marchent les cinq Européens, puis les noirs 
du poste. Sous le grand soleil le cortège arrive lentement aux fosses, 
où lon descend les funèbres dépouilles; les branches du mimosa 
touchent le sol, nous mettant dans une obscurité de crypte; dans ce 
berceau de verdure des oiseaux chantent à plein gosier, durant que 
nous sanglotons sourdement devant les trous béants qui se comblent 
doucement, silencieusement. 

Pendant une heure il nous est impossible de nous détacher de là. 

Il semble toujours que c’est un cauchemar qui va prendre fin. 

Hélas ! 

Déjà l'Afrique en à voulu deux! Et, à côté, trois tombes de noirs! 
Et trois autres noirs qu’on n’a pas retrouvés! 

Je me sens dans le vide. Devant moi l’image des tristes parents 
qui ne sauront que dans un mois, par une courte dépêche, labominable chose qui va les meurtrir pour 
toujours! 


Déjà les événements nous reprennent : à 18 heures, on retire une malle de De Windt, crevée, remplie d’eau 
et de boue, ne contenant que des vêtements. Puis une petite sacoche que De Windt portait toujours avec lui: 
elle contient un couvert en argent, un petit coupe-papier en métal, un demi-chronomètre, une montre en or, 
une petite lunette; un podomètre, un anéroïde, deux boussoles. 

Ces divers instruments, remplis d’eau et de sable, sont hors de service. Tels quels, ils seront renvoyés à la 
famille. 


L'étui à coiffures de De Windt a été roulé à la rive; il est rempli de boue, les objets qui y sont contenus 
sont à Jeter. 
Enfin, on rapporte encore une petite valise en toile contenant quelques bougies et du savon. 


La nuit est venue, calme, claire, sereine, très douce. 

Tous avons la fièvre, que lon essaye de neutraliser par de fortes doses de quinine : c’est notre seul 
souper. 

Étendus sous la véranda, dans le silence obsédant, où passent seulement des hurlements de hyènes déter- 
reuses de cadavres, nous laissons s’écouler les premières heures de la nuit; puis gagnons nos couchettes après 
nous être dit bonsoir à voix basse. 


Jeudi, 11 août 1898. 
D 


Mauvaise a été la nuit, pour tout le monde. 

Vingt fois je me suis trouvé hors de mon lit, l'oreille aux aguets, tendue aux rafales du vent qui, vers 
minuit, s’est élevé violent. 

Mes camarades n'ont pas dormi. 

De pareilles secousses vous mettent dans un état d’accablement et d’affaissement profonds, et je ne pense 
pas que même les proches éprouvent momentanément une aussi absolue dépression. 

C'est que la mort du D° Jean De Windt était une perte inappréciable, non seulement pour sa famille, 
déjà si éprouvée, mais pour la science, dont il était un enthousiaste, et pour l’État du Congo, qu'il admirait et 
aspirait à servir. 

Le 1% août, dix jours avant sa mort, j'inscrivais dans mes notes la mention suivante : 

« M. De Windt, avec un dévouement complet (qui me cause un plaisir énorme, car je vois que son éduca- 
tion de second est déjà faite et bien faite, et que je puis me reposer sur lui), De Windt fait le contrôle 
des charges arrivées. » 

Telle est l'appréciation que je portais sur le docteur Jean De Wind, à la veille de sa mort. 

Pourquoi — malgré son désir très vif de faire la route par terre, afin d'éviter une lacune dans l'étude 
géologique qu'il avait commencée au nord du Nyassa, — pourquoi a-t-il pris la résolution de venir par 
pirogues ? S’était-il senti brusquement malade, lui ou Caisley ? 

C’est ce qui semble le plus probable, et ce qu'il comptait naturellement me faire connaitre de vive voix à 
son arrivée à Moliro. 

Mais pourquoi avoir voulu marcher la nuit, malgré lavis des noirs? Quoi qu'il en soit, nous perdions en 
De Windt, outre l’ami, l'élément le plus important de notre mission, celui dont le gouvernement était en droit 
d'attendre les plus grands résultats ! 


Il faut réagir, d'autant plus vite, d'autant plus complètement que nous devons être prêts à de nou- 
veaux malheurs. L'avenir n’est pas à nous! 

Mais c’est en se disant : Hodie tibi, cras mihi! au contraire de ce qui s'écrit sur les catafalques, qu'on 
reprend sa volonté, qu'on sent se retremper son courage. Car, dans la grande œuvre africaine, ce n’est 
pas seulement le côté conquêtes et convoitises que l’on peut voir, c’est surtout, — pour les cœurs de soldats, 
de missionnaires, de savants, — l’œuvre de rédemption et de sacrifices. 

Il serait trop simple, il serait fort inique d'aller chercher d’emblée la richesse et la jouissance sur une terre 
où l’on a semé, des siècles durant, la terreur et la mort. 

Les générations sont solidaires : Delicta majorum immeritus lues! Les nations de l’Europe ont à expier en 
Afrique le crime de leurs ancêtres, l'homicide d’une race; mais la justice qui répare est mère de la prospérité 
qui récompense. 


Plusieurs des problèmes les plus poignants que soulève aujourd’hui la condition morale et sociale des popu- 


lations ouvrières du vieux continent trouveront une solution normale par la mise en valeur des vastes 
ressources de l'Afrique. 

La charité entre peuples et races n’est pas moins sainte et moins féconde que celle entre les hommes indi- 
viduels. 

Ainsi s'exprime Banning. 

Et les artisans de cette charité entre peuples et races sont les jeunes hommes de savoir, de désintéresse- 
ment comme Jean De Windt, qui sont les premiers ouvriers de la mise en valeur des vastes ressources de 
l'Afrique, les premiers et aussi les nécessaires, les indispensables pour la réalisation de la consolante prophétie 
de Banning. 

Le nom de Jean De Windt a sa place dans le groupe de ceux qui ont donné leur vie à l’œuvre congolaise 
pour la faire grande, par amour d'elle même, sans penser de lucre, sans espoir de récompense plus haute que 
le bonheur personnel d’avoir servi plus faible que soï; ear il est grand 
de servir les petits autant qu’il est petit de servir les grands. 

De Windt est mort à 22 ans, trop tôt pour son pays. 

Et voyez ce qu'était déjà son actif scientifique : 

Le 1% janvier 189%, nommé aide-préparateur au laboratoire de 
minéralogie et de géologie de l’Université de Gand. 

En juillet 1896, nommé docteur en sciences naturelles, groupe C 
des sciences géologiques. 

Lauréat au concours universitaire pour les sciences minérales, 
période 1894-1896. Obtient 19 points sur 20; le jury propose de faire 
imprimer, aux frais du gouvernement, le travail couronné. 

Lauréat au concours universitaire des bourses de voyage, période 
1896-1898. (Séjour à Vienne chez Penek et à Berlin chez von 
Richthofen.) 


Voiei maintenant les travaux scientifiques de ce tout jeune 
homme : 


I. « Recherches sur la constitution des iles. Essai de classifica- 
tion des îles au point de vue génétique. » (Bulletin de la Société royale 
de géographie de Bruxelles, 1897.) 


If. « Relations lithologiques entre les roches considérées comme 
cambriennes des massifs de Rocroi, du Brabant et de Stavelot. » 
(Mémoires couronnés publiés par l'Académie royale des sciences, 
lettres, ete., de Belgique, t. LVI, 1896, avec 3 planches.) 


Docteur Jean De Windt. 


IL. « Morphométrie de Ténériffe. » (Bulletin de l’Académie royale de Belgique, janvier 1898, avec 3 tableaux 
et 1 carte.) 

IV. « Sur les isochores océaniques. » (Mémoires couronnés publiés par l'Académie royale de Belgique, avec 
3 Cartes.) 

Enfin, au moment où j'engageai Jean De Windt comme second de l'expédition scientifique que j'avais le 
grand honneur de commander, le jeune savant achevait, en collaboration avec le professeur Berweth, du Musée 
de Vienne, un « Rapport sur les sédiments de mer profonde recueillis par la Pola, pendant les expéditions 
scientifiques dans la Méditerranée, de 1890 à 1897 ». 

Avais-je raison d'attirer l'attention sur l'actif scientifique du docteur Jean De Windt? 

Ai-je raison de dire que son pays ne peut pas l’oublier ? 

Ai-je eu raison, — parlant dans la salle de l'hôtel de ville d’Alost, — de dire aux Alostois combien Jean 
De Windt honorait son berceau natal. 

Eh bien, si j’ai eu raison, qu'Alost, ville natale d’un savant martyr, sache comment il faut conserver un 
nom qui l’honore ! 


== 199 ).2— 


Pour nous, résolus à ne regarder que de l'avant, vers le point si lointain qu'il faut atteindre et d’où il 
faudra revenir, nous reprenons notre travail. 

Les pêcheurs sont retournés au lieu de l'accident pour continuer leurs recherches et tâcher de renflouer 
la pirogue. 

Un courrier, porteur d’une dépêche chiffrée, part d'urgence pour le territoire anglais. 

Et j'écris le triste rapport au gouvernement; nous établissons les certificats de décès; on inventorie ce 
que les plongeurs retirent successivement. 

A 10 heures, on apporte le baromètre à mercure de De Windt; l'instrument est entièrement hors d'usage. 
Puis c’est une malle ne contenant que des effets et un cachet; le fusil de De Windt; une de nos deux caisses 
de pharmacie, dont il ne restera qu’à jeter le contenu; et encore une caisse de machettes du matériel de la 
mission. 


Entre-temps, Dardenne est envoyé aux tombes; des hyènes sont venues la nuit, qui ont excavé à 
mi-profondeur les fosses des noirs; celles des blanes ont été respectées ; Dardenne y fait disposer des tumulus 
de lourds blocs de grès rouge qu'on entoure d’une barrière de bambous; puis notre délicat camarade peint 
une aquarelle qui sera jointe au rapport ofliciel, pour être remise à la famille. 


Des boys viennent offrir leurs services : on en engage trois qui seront nourris, habillés et payés à raison 
d’une brasse d’étoffe par mois. 

A 16 heures, on retire du lac la malle bain de Dardenne; toute la peinture extérieure du couvercle a été 
enlevée; le matériel apparaît poli et luisant, disant ce qu'a été le frottement sur le sable et le gravier dans 
le remous des flots. 

La malle est remplie d’eau et de boue; elle contenait la chambre noire, système du commandant Blain; 
on n’en retrouve que les débris. 

Enfin la journée s'achève, longue et fiévreuse, et de nouveau on se couche avec l’appréhension du 
cauchemar ! 


Vendredi, 12 aout 1898. 


Mauvaise nuit pour tout le monde. 

N'importe! Qu'on ne s’'abandonne pas ! 

Le courrier, terminé hier soir, est emporté par de bons coureurs vers Soumbou, premier poste du 
territoire anglais, d’où on l’expédiera vers le Nyassa et le Zambèze. 

Le soleil brille superbe. 

Le moment est venu de procéder à notre première observation astronomique. 

Mais, avant d'en parler, il convient de consacrer un chapitre de ce récit, — et ce sera le suivant, — à ce 


qu'était notre tâche personnelle dans la mission et au matériel dont nous étions munis pour la réaliser. 


CHAPITRE LIT. 


Nécessité des observations astronomiques au Congo. — Importance des observations 
magnétiques. — Programme et idées du capitaine Delporte. — Instructions spéciales 
pour le chef de la mission du Ka-Tanga. — Matériel pour les observations astrono- 
miques et magnétiques. 


Dans une brochure intitulée Astronomie et cartographie pratiques à l'usage des explorateurs de l'Afrique, 
le regretté capitaine Delporte exposait, dès 1889, comment il comprenait le programme d'un explorateur 
géographe. 

Par des exemples pris dans l'histoire même du Congo, il mettait en relief la nécessité méluctable d'obser- 
vations astronomiques au Congo, grâce auxquelles disparaîtront peu à peu les cartes trop imprécises dont on 
a dû et doit encore se contenter. 

Rappelons quelques-uns de ces exemples. 

Une carte, dressée en 1884 par l’Institut géographique de Bruxelles, place la station de l’Équateur par 
17°. 25! de longitude est de Greenwich. En 1885, un article de M. Du Fief, dans le Bulletin de la Société royale 
de Géographie de Bruxelles, donne 18°. 36' pour la longitude de la même station. Entre ces deux valeurs, la 
différence est de 1°. 11!, soit 130 kilomètres. 

En 1887, le voyageur français Rouvier trouve comme longitude d'Équateur-Ville 18°. 13/, valeur bien difté- 
rente des deux premières, car entre elle et celle de l’Institut géographique il y a 88 kilomètres et avec celle de 
M. Du Fief 42 kilomètres d'intervalle. Le voyageur français était seul près de la vérité, la longitude d'Equa- 
teur-Ville ayant été trouvée de 18°. 16! par la mission scientifique du Ka-Tanga, dans des conditions d’approxima- 
tion assurant la minute. 

Autre exemple : Delporte examine et compare trois croquis du Stanley-Pool, l’un de Stanley, le second 
de Comber, le troisième de Grenfell. Voilà trois noms de voyageurs absolument remarquables, consciencieux, 
dignes de foi. Pourtant leurs trois croquis n’ont qu'une vague ressemblance, quant à la forme du lae, et ils 
sont complètement dissemblables quant à lorientation et aux dimensions. 

Aïnsi, d’après le croquis de Comber, il y a entre Léopold-Ville et Ki-Mpoko une différence de longitude de 
9 minutes environ, tandis que d’après M. Grenfell cette différence de longitude est de 20 minutes. Écart entre 
les deux valeurs : 11 minutes ou plus de 20 kilomètres ; en d’autres termes, la largeur du Pool est doublée. 

En latitude, le lac s'étend, d’après Comber, de 4. 10! à 4°. 20, soit sur 10 minutes: tandis que d’après 
Grenfell il s’étend de 4. 3! à 4°. 22’, soit sur 19 minutes. L'écart est énorme, presque incroyable: si lon trace 
les croquis de Comber et de Grenfell, le premier ne couvre que le quart du second. 

I y à plus : les latitudes données par Comber et Grenfell sont d’une inexactitude réellement inexplieable: 
Léopold-Ville est située par 4°. 19. 36! de latitude sud, valeur fixée par Delporte et Gillis, en sept soirées d'ob- 
servation, par 42 étoiles, avec une erreur moyenne d'environ 1,"8. 

À notre passage à Léopold-Ville, nous avons consacré deux soirées à une détermination nouvelle de la 
latitude, qui, par 98 étoiles, fut trouvée égale à 4°. 19', 45". 


Ur, notre point de station étant à 295 mètres au sud du point Delporte et Gillis, nos latitudes devaient 


différer d'environ 8 secondes. Elles diffèrent en realité de 9 secondes, ce qui met à 1 seconde d'arc seulement 
la différence entre nos observations ramenées au même point. 

D'où vient pareille concordance à côté de l’inexactitude et de la discordance des travaux précédents ? 
Simplement de ce que Delporte, Gillis et leur élève ont employé des méthodes d'observation et des instru- 
ments bien choisis et dont ils étaient les maîtres. 

L'absence de cartes suflisamment précises a eu trop souvent des résullats considérables. Rappelons les 
débats auxquels donna lieu, en 1886, la délimitation vers l'équateur des territoires de l'État indépendant et du 
Congo français. Ces débats n'avaient d'autre cause que le vague qui planait sur les déterminations astrono- 
miques faites dans ces parages. La longueur totale du chemin de fer Matadi-Léopold-Ville avait été fixée 
à 450 kilomètres, alors qu’elle n’atteint pas 400 kilomètres, malgré ses nombreux lacets. 

Je me rappelle nos discussions avec le major Thys, quand j'afirmais qué les itinéraires levés par moi 
en 1890, entre la Lou-Fou et Léopold-Ville, ne me permettaient pas d'accepter les chiffres fixés par ses 
ingénieurs, et qu'à mon estime le chemin de fer ne dépasserait guère un développement de 375 kilomètres. 
Ces discussions avaient lieu sur le tracé même du chemin de fer que nous parcourions avec les ingénieurs 
belges envoyés en 1895 par le gouvernement belge. 

Le chiffre exagéré de 450 kilomètres provenait de linexactitude des positions cartographiques de Matadi 
et de Léopold-Ville; la longitude de Matadi était en erreur de plus de 50 kilomètres. 

Je cite cet exemple parce qu'il y aurait eu grand avantage à pouvoir dire, à ceux dont on sollicitait l’aide 
pécuniaire, que le chemin de fer projeté aurait non pas 450 kilomètres, mais une centaine de moins: 

A ces exemples, j'ajouterai encore la longue série de rectifications qui caractérise les travaux de la mission 
scientifique du Ka-Tanga. Nous avions avec nous la dernière carte de l'Etat indépendant, publiée en 1898; 
nous y rapportämes les points fixés par nous, ef pas un seul des points importants de la zone orientale 
et méridionale de l’État ne fut trouvé à son exacte place cartographique : Lofoï, les chutes Ki-oubo (Djouo des 
anciennes cartes), Bounkéia (résidence de Msiri), les gorges du Nzilou, le Kassaï, le lac Di-lolo, toute la ligne 
de faite Congo-Zambèze sur 800 kilomètres de longueur, tout cela subit des déplacements de position allant 
jusqu’à 35 kilomètres, et pour un point dépassant un degré en latitude. 

Or, avec une erreur de 1 degré, on pourrait, en Belgique par exemple, se croire sur la Meuse, alors qu'on 
serait sur les bords de lEscaut. 

Continuant nos travaux astronomiques sur la route de retour, nous vimes toute la rive occidentale du 
Tanganika se reporter dans l’ouest, par un mouvement de rotation autour de Moliro ; ainsi l'embouchure de la 
Lou-Kouga (par laquelle ont passé tous les voyageurs de tous pays dans ces parages) à été déplacée de 
92 kilomètres dans l’ouest. 

Déplacements analogues pour Baudouin-Ville, Mpala, Mtowa, Mi-Foucho (dit Soungoula), Ka-Bambaré, 
Ka-Songo, tous ces points se déplaçant vers l’ouest; à partir de Ka-Songo, les déplacements se produisent vers 
l'est, Riba-Riba, par exemple, s’éloignant, vers le nord-est, de 40 kilomètres de l’emplacement qui lui est 


assigné par les cartes actuelles ; le fleuve relevé par nous entre Ka-Songo et Stanley-Ville, 


et fixé en position 
par quatorze stations géodésiques, — recoupe quatre fois le tracé des cartes actuelles; la côte occidentale du lac 
Tanganika et le Lou-Alaba sont en réalité plus près lune de l’autre qu’on ne le croyait, d'environ 60 kilomètres. 

Voilà, pensons-nous, surabondamment prouvée la nécessité inéluctable des observations astronomiques 
au Congo, faites par de vrais observateurs, munis de bons instruments et employant des méthodes d’obser- 
vation parfaites. 


On voit moins aisément, au premier abord, l'utilité des observations magnétiques. 

Pour mettre en lumière leur importance, — suivant les trois composantes de déclinaison, d’inclinaison 
et d'intensité, — Delporte fait un résumé succinct de ce qui a été réalisé par les peuples civilisés, pour 
apporter un peu de clarté dans la connaissance du phénomène le plus complexe et le plus délicat qu'offrent, 
à ce jour, les forces naturelles. 

On sait que, dans l’état actuel de la science, les éléments du magnétisme terrestre comprennent la 
recherche de la déclinaison de l'aiguille aimantée, de son inclinaison et de l'intensité magnétique. 

Les points d’égale déclinaison sont réunis par des lignes dites « isogoniques », ceux d’égale inclinaison 
par les « isocliniques », ceux d’égale intensité par les « isodynamiques ». 


— 95 — 

Des cartes donnant le tracé de ces lignes, — avec leurs variations, — sont, pour la navigation, d’une 
utilité facile à concevoir. 

Sur terre, elles facilitent ou plutôt rendent possibles les levés rapides faits à la boussole par ordinaire 
voyageur. 

Aussi les nations ont-elles rivalisé d'efforts pour étendre le champ de ces recherches. 

Et le capitaine Delporte, — exposant les raisons qui militent en faveur d'observations dans le voisinage 
de l'Équateur, et en particulier dans l'énorme masse encore inviolée du continent africain, — le capitaine 
Delporte, avec toute sa foi de savant modeste, rappelait que, dans le généreux tournoi des peuples entrés dans 
la lice magnétique, la Belgique n’avait pas été la dernière à se distinguer et qu'elle avait un passé de gloire à 
soutenir dans le monde scientifique. 

On sait comment Delporte, ayant Gillis comme adjoint, se rendit alors au Congo. 

Il avait entrevu les dangers qui l'y menaceraient, non pour renoncer à l’entreprise hardie, mais pour la 
regarder bien en face, en s’écriant : 

« Ne l’oublions pas, le savant pas plus que le missionnaire ne s'arrête devant la menace des dangers 
à courir. Les deux genres de fanatismes se ressemblent : le fanatisme seul ou, si l’on veut, la foi seule est 
capable de grandes œuvres ! » 

Il s’en alla. 

Ses cendres reposent à Jamais en terre d'Afrique, ajoutant un des noms les plus beaux et les plus purs au 
nécrologe douloureux qui restera une gloire historique pour la Belgique. 

Il est un grand exemple, que les élites ne se lasseront jamais d’imiter. 

Qu'il eût été heureux de connaître l’héroïque voyage de la Belgica dans les mers antaretiques, où l’un des 
nôtres, le lieutenant d'artillerie Danco, commença les travaux magnétiques achevés par le lieutenant d'artillerie 
Lecointe! 

Un jour, — le 7 juin 1898, — un trou fut laborieusement creusé dans la glace qui emprisonnait la Belgica ; 
un grand sac en toile, — le linceul d’un brave, - placé sur un traineau, fut hàâlé jusqu'à ce trou; et Danco 
disparut, deux fois raidi, par la mort et par le gel. 

En traçant ces mots, mes yeux se gonflent de lourdes larmes, saintes consolatrices des rancœurs qu'ins- 
pirent la vulgarité des esprits, la banalité des consciences donnant le ton dans nos réunions d'hommes! Et la 
majorité est fatalement de leur côte! 

Les sceptiques du jour, dit Banning, traitent l'âme humaine à la façon d’un marécage : ils prétendent 
l’assainir en la desséchant. 

Pourtant les joies du sacrifice sont supérieures aux plaisirs de la jouissance : ceux-ci laissent une saveur 
amère, celles-là une saveur divine. 

Malheur aux âmes qui sont impropres à les goûter, et dont les ailes alourdies ne savent que raser la terre 
sans pouvoir se dégager d’une atmosphère dépourvue d'oxygène moral! 


Lorsque, en novembre 1897, le gouvernement du Roi-Souverain voulut bien nous appeler à l'honneur 
d'organiser et de conduire dans le sud de son territoire une mission scientifique, notre première pensée fut 
pour Delporte; notre désir immédiat fut de reprendre son programme ; notre intime souhait de n'être pas trop 
indigne de cette tâche. 

Mes instructions disaient : 

« La conduite de la mission est confiée à M. le lieutenant Lemaire, qui sera spécialement chargé : 

« 1° Des déterminations de latitude, longitude et altitude ; 

« 2° De la détermination des trois composantes magnétiques; 
« 3° Du relevé cartographique des itinéraires parcourus ; 

« 4° Des observations météorologiques ; 
« 5° De la botanique et de la faune économique ; 
« 6° Des mensurations anthropologiques. » 


— 96 — 


Pour arriver à réaliser les trois premiers paragraphes de ces instructions, je m'en fus sans retard trouver 
le commandant Gillis qui, avec ce dévouement absolu qu'on rencontre encore entre frères d'armes, se chargea 
de me donner l’enseignement qui m'était indispensable. 

La première chose que nous devions faire était de commander les instruments; ce fut encore Gillis qui me 


désigna ce qu’il fallait prendre, et, dès maintenant, je dois dire, — avec joie, — que ces instruments se compor- 
tèrent excellemment et que tous, sauf un, sont revenus en Belgique en parfait état et prêts à continuer leurs 
services plus tard. 

L’instrument resté en Afrique est un théodolite remis par moi à une commission de délimitation, dont les 
instruments ne méritaient guère que d'être jetés au Tanganika. 

Quant aux instruments qui ont fait toute la traversée de l'Afrique, 
— en étant employés quasi-journellement, bien entendu, — j'ai eu 
l'honneur et le bonheur de les présenter en séance de la Société 
royale belge d'Astronomie, afin que des gens du métier pussent se 
rendre compte de leur parfaite conservation. 


Notre matériel d'observation comprenait : 


I. Un cercle méridien construit sur commande à Paris, dans les 
ateliers de la maison Secretan. 

Sans entrer ici dans tous les détails de cet instrument, disons 
seulement que les dimensions de la lunette — 56 millimètres 
d'ouverture; 55 centimètres de longueur focale principale; champ 
de 31 minutes, — permettaient l'observation certaine des étoiles 
de cinquième grandeur (par un ciel clair, sixième grandeur); 
on pouvait done observer aisément les étoiles de culmination 
lunaire. 

Le réticule portait 9 fils horaires, — dont un fil milieu, 


l’écartement de deux fils étant d'environ 12 secondes de temps, 


intervalle nécessaire pour reprendre l'heure au chronomètre entre les 


passages de l'étoile à deux fils successifs. 


Le nombre des fils horaires avait été fixé à 9 pour avoir l'heure 
du passage des astres au méridien à moins d’un dixième de seconde 
près, tout en évitant d'observer trop en dehors du méridien. 


Oculaire double, dont l’un, positif, grossit environ vingt-cinc 
I 5 É 


fois; l’autre, coudé, permettant les observations aisées au zénith, avait 


un degré de champ et un grossissement 19; il pouvait faire révolution 
sur lui-même sans changer la mise au point; de plus, il était doué 
d’un mouvement parallactique (déplacement latéral), de sorte que son axe optique pouvait se placer suecessive- 
ment sur chaque fil du réticule, condition d’exaetitude dans l'observation du passage d’une étoile où du bord 
de la lune. 

L'axe de rotation de la lunette était percé d’un trou eylindrique par lequel pénétrait la lumière 
servant à éclairer le réticule, par le moyen d’un petit miroir argenté incliné à 45° sur l’axe optique de la 
lunette. 

Le cercle gradué avait 25 centimètres de diamètre; ses divisions allaient de dix minutes en dix minutes, 
chaque quadrant étant divisé de 0° à 90°; les verniers se trouvaient dans le même plan que le limbe et 
donnaient les dix secondes d'arc (secondes sexagésimales). 

Le niveau du cercle des distances zénithales était fixe; une division de ce niveau valait 4,22 (secondes 
d'arc), d’après mesurages effectués à l'observatoire de Belgique. 

Enfin, l'horizontalité de l'axe de rotation était réglée au moyen d’un grand niveau mobile, dont les 
divisions, mesurées également au eerele mural de FObservatoire d'Uccle, furent trouvées égales à 05,27 chacune 
(seconde de temps). 

Signalons que tous les nivellements de l'instrument furent faits par la méthode des retournements,. 


a 
Al 


Pour plus de détails immédiats, nous renvoyons au travail de Gillis, publié par le Bulletin de l'Académie 
royale de Belgique, le 5 novembre 1899, sous le titre : « Observations astronomiques et magnétiques exécutées 
sur le territoire de l’État indépendant du Congo, par les capitaines Delporte et Gillis », et au premier des 
16 mémoires justificatifs de nos observations astronomiques, magnétiques et altimétriques. 


Le cercle méridien se décomposait comme suit, pour le transport : 

a) Une caisse en chêne renfermant la lunette proprement dite, avec réticule de rechange, oculaire coudé 
de rechange et tournevis pour les niveaux ; 

b) Une caisse en chêne, renfermant le pied en fonte du cerele méridien et les supports de lanterne ; 

c) Une caisse en chêne, renfermant les accessoires suivants : quatre lanternes avec mèches, une alidade en 
cuivre avec pinnules, un petit niveau à bulle d'air, un déclinatoire en cuivre, deux décamètres en ruban métal- 
lisé, une chaîne d’arpenteur avec fiches, deux fils à plomb avec pointes mobiles, les trois crapaudines du pied 
du cercle, des fioles de rechange pour les niveaux, une peau de chamois, un flacon d'huile fine, une boîte de 
rouge à polir, un blaireau et des fils de cocon (pour le magnétomètre), le tout réparti dans une dizaine 
de boîtes en bois blanc. 

Ces trois caisses étaient reçues à leur tour dans des boîtes matelassées, que nous renforçämes à un moment 
donné par des bandes en fer prises à nos ballots d’étoffe. 

Les caisses « et c exigeaient chacune deux porteurs; la caisse b en demandait trois; le transport se faisait 
au moyen d’une perche reposant sur les épaules des porteurs. 

Le transport de pareilles caisses sur la tête doit être interdit de façon absolue, pour la question de leur 
mise à terre, qui ne peut se faire sans danger que par l'emploi de la perche. 


Le cerele méridien comportait encore un pilier en chêne remplaçant les 
ordinaires trépieds des instruments géodésiques et topographiques; ce pilier 
formait la charge d’un porteur ; il ne comportait que des garnitures métal- 
liques en cuivre, parce qu’il devait recevoir aussi le théodolite magnétique. 
Le dit pilier était enfoncé en terre de 30 centimètres et fortement empierré 
et damé plusieurs heures avant l’observation. 

Enfin, six jalons, une mire parlante, une petite mire pour rectifier la 
déviation azimutale, complétaient les accessoires du cerele méridien. 

L'ensemble valait 2,000 francs. 


II. Comme réserve de l'important instrument que nous venons 
de caractériser sommairement, fut commandé à la maison Hurlimann, à 
Paris, un théodolite, qui est bien linstrument le plus robuste et le plus 
agréable d'emploi qu’on puisse souhaiter pour des travaux de deuxième 
ordre. 

Le cercle azimutal et le cercle de hauteur ont 13 centimètres de 
diamètre et sont divisés sur argent en 30 secondes {secondes sexagési- 
males); un prisme permet les observations zénitales, la lunette étant 


excentrique; le réticule comprend un fil horaire, un fil de hauteur et deux 


fils de stadia; enfin, une pièce accessoire permet la détermination de la 
déclinaison magnétique. 


Je fis ajouter un coulant à crémaillère avec réticule sur verre, et une 


fiole de niveau de rechange. 
Le tout coûta 892 francs. 
La constante de stadia, pour le réticule à fils d’araignée, fut fixée en mars 1898, à l'Institut cartographique 
militaire, avec l’aide des commandants Gillis et Fabry; une première observation donna 106,3; une deuxième 
106,7; ce qui laissa comme moyenne 106,5. 
Le théodolite, protégé également par une caisse extérieure matelassée, formait une charge réduite, 
le trépied étant porté à part; il est prudent de ne donner aux porteurs d'instruments que des charges 
réduites. 


III. Venait alors le magnétomètre Delporte, construit dans les ateliers de la maison Ed. Sacré, à Bruxelles, 
sur les plans mêmes du capitaine Delporte; l'instrument employé en Afrique par le regretté oflicier avait été 
remis au laboratoire de physique de l’école militaire; d'accord avec le gouvernement de l’État indépendant 
du Congo, je demandai à pouvoir être mis en possession de l'instrument créé par Delporte, ce qui me fut 
accordé. 

Cet instrument est revenu de son long voyage, et lorsqu'il rentrera au laboratoire de l’école militaire je 
ne doute pas qu'il ÿ trouvera une place à part, en récompense des nombreux services rendus, qui en font 
désormais un instrument historique. 

Ayant dû, avant notre départ, le faire remettre en ordre par l’ouvrier qui l’avait construit, le brave et 
adroit P. Boët (aujourd’hui établi pour son compte), je fus amené à redéterminer les constantes pour le caleul 
de l’inclinaison et de l'intensité. Ceci fut fait à l'Observatoire royal, en mars 1898, avec le précieux concours 
de M. Charles Lagrange. 

Le magnétomètre était aussi protégé par une caisse extérieure matelassée; l’ensemble ne formait qu’une 
charge, mais jy mis toujours deux porteurs. 


Comme bibliographie, nous emportions : la Connaissance des Temps, le Nautical Almanac et l'Astrono- 
misches Jahrbuch pour 1898, 1899 et 1900; les Observations astronomiques et magnétiques de Delporte et Gillis; 
Astronomie et Cartographie pratiques de Delporte; Cours d'Astronomie pratique de E. Caspari; la Table de 
logarithmes de J. Dupuis, d’après Callet, Véga, ete.; Logaithmisch-Trigonometrische Tafeln, du D' Th. Albrecht; 
la Planisphère Philip, montrant les principales étoiles visibles à chaque heure de l'année, par 35° de lati- 
tude Sud. 


C'est avec le matériel que nous venons d’énumérer que je travaillai à l’Institut cartographique, sous 
l’amicale et savante direction de Gillis. 

Entre autres travaux, signalons la détermination, pour le cercle méridien, des distances des fils au 
fil milieu; pour cette détermination vingt-neuf circumpolaires furent observées, du 21 mars au 6 avril 1898; 
la différence entre la moyenne des fils et le fil milieu fut trouvée égale à environ 0°,95, — pour le cercle 
à l’est, + pour le cercle à l’ouest. 

Pendant la période où se fit cette détermination, je puis bien — aujourd'hui — dire ce que fut notre 
genre de vie. 

Levé à 7 heures, déjeunant en hâte, pour se mettre aux calculs de l'observation de la veille, jusqu’au 
moment d'aller à l’Institut cartographique; courir de là, dans l'après-midi, à l'Observatoire d’Uccle et en 
revenir à la nuit tombante à l’Institut, pour nous enfermer, Gillis et moi, dans le petit abri astronomique, où 
l’on travaillait Jusqu'à 23 heures, voire jusque passé minuit. 

Entre les étoiles cireumpolaires, dont on attendait le passage, on trouvait parfois le temps de dégringoler 
jusqu’à la cantine pour s’y réchauffer un peu, car, malgré nos grands manteaux, nos chaudes pantoufles et nos 
bonnets, on peut croire qu'il faisait plutôt frais. 

Entre l’Institut et l'Observatoire, je m'arrêtais vingt minutes chez Mocder Lambic, où j'avalais dare-dare 
quelques tartines de fromage, arrosées d’une bouteille de gueuse. 

Alors, le soir, si l'observation finissait à temps pour me permettre d'attraper un tram vers la ville, j'avais 
la chance de trouver encore de quoi souper avant de m'aller coucher; plus d’une fois, je soupai par cœur : 
c’étaient les jours où la besogne avait le mieux marché. 

Mais que de reconnaissance je garde à jamais au commandant Gillis, des longues heures de nuit qu’il vint 
ainsi passer pour moi, sur la petite plaine de l’Institut cartographique, à un moment de l’année où le coin du 
feu familial doit être si doux, si prenant. 


J'écris ceci pour mes amis; ©est pourquoi je puis donner ces détails qui, peut-être, étonneront 
quelques-uns de mes compatriotes, convaincus que pour se bien préparer à un voyage au Congo, rien ne vaut 
banquets et réceptions. 


Un mot à propos des boîtes matelassées qui contenaient et protégeaient les caisses d'instruments. 
Ces boîtes avaient été confectionnées surtout en vue du transport à bord des bateaux. Mais je constatai de 
suite quel avantage il y aurait à les conserver pour le transport par caravanes. 
Aussi, si un avenir plus ou 
moins éloigné me réserve encore 


de voyager avec des instruments 


de précision, Je ferai confection- 


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KKKFKFKKKKFFFFFFFKKKKKKK 


ner des caisses en aluminium du 
modèle ci-contre, destinées à rece- 
voir les caisses en bois renfer- 


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DJS 


LCL LC LL LIU 


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mant les instruments. 
Comme le montre le croquis, 
ces caisses en aluminium se Com- 


poseraient de deux parties très 


SCSRSSESSSSKEREENEEE EN ERREEREEREET RTE TI 


LDDOMmOÔMMMMMMMM D - simples: l’une, munie de poignées, 


formerait le dessous, l’autre n’é- 
tant qu'un ordinaire couverele, mais sans charnières ni glissières. Pour le transport, engager une perche, un 
bambou, à travers les poignées et amarrer la caisse pour l'empêcher de glisser. 

Avec de pareilles caisses, plus rien à redouter des plus fortes pluies; par suite, tranquillité d'esprit 
parfaite pour le voyageur. 


Les méthodes préconisées par Delporte furent celles que nous employämes à notre tour; elles sont décrites 
dans les Observations astronomiques et magnétiques de Delporte et Gillis, dont nous avons déjà parlé plus haut; 
nous y renvoyons ceux que la chose intéresserait particulièrement; pour l’emploi du théodolite d’Hurlimann à 
la mesure de la déclinaison magnétique, emploi dont il n’est pas parlé dans le travail de Delporte et de Gillis, 
nous l’avons décrit dans le premier des mémoires justificatifs de nos observations. 

Disons seulement que la mesure de la déclinaison par le théodolite d'Hurlimann prend — si on y emploie 
deux aiguilles — plus d’une heure et demie d’un travail assez pénible, tandis que le déelinomètre de Delporte 
fournit la même donnée en vingt minutes, également par deux aiguilles. 


CHAPITRE IV. 


Premières observations. — La tente observatoire. — Diagrammes de la température et de 
la pression atmosphérique pour la semaine du 8 au 15 août : curieuses constatations. 
— Arrivée d’une caravane de Ki-Touta. — Dernières formalités relatives à la mort de 
De Windt et Caisley. — Visite au potager. — Service de pêche de la station. — Travaux 


divers. — Diagrammes des températures et des pressions du 15 au 22 août. — Prome- 
nade jusqu’à Moliro-village. — La tréfilerie du cuivre rouge. — Le lac Souzi. — Visite 
nocturne d’un fauve, léopard ou lion. — Résultats des observations astronomiques et 


magnétiques. — Vilaine morsure. 


Vendredi, 12 août 1898 (suite. 


Je reprends maintenant le réeit interrompu, au chapitre précédent, le vendredi 12 août 1898. 

Le moment, disions-nous, était venu de procéder à notre première observation astronomique, qui devait se 
faire par la méthode des hauteurs correspondantes appliquées à messire Soleil. 

L'opération, commencée à 10 h. 30 m., se terminait à 13 h. 30 m.; une première valeur de la latitude était 
obtenue ; le méridien était fixé ainsi que le dh approché du demi-chronomètre; je dis le dh approché, car, ne 
connaissant pas encore l'exacte longitude de Moliro — que nous avions précisément à fixer par une série de 
culminations lunaires —, je n'avais pu élablir qu'à quelques secondes près l'ascension droite du soleil, à son 
passage au méridien de Moliro. 

Les données que j'attendais de cette observation par les hauteurs correspondantes devaient me servir 
surtout — je lai déjà dit — à préparer les observations de nuit au eercle méridien, en me fournissant une 
première valeur de la latitude pour l'établissement du catalogue d'étoiles, en me fournissant aussi le méridien, 
et l’heure à faire marquer à mes chronomètres pour que leurs dA fussent très voisins de 0. 

On entend par dh d’un chronomètre, où encore par état d’un chronomètre, la différence positive ou 
négative existant entre l'heure que marque l'instrument au passage méridien d’une étoile, et Pascension droite 
de cette étoile; en d’autres termes encore, c’est la différence entre Pheure du chronomètre (instrument humain, 
donc variable) et l'heure de cette pendule sans variations qu'est la sphère sidérale dans sa rotation apparente de 
l’est à l’ouest. 

Comme je prenais Moliro pour point de départ de nos travaux, il y avait un certain avantage de calcul 
à faire marquer par nos chronomètres une heure très voisine de l'heure sidérale de Moliro; l'idéal eût été 
d’avoir l'heure exacte de Moliro et de la conserver. 

Mais à l’impossible nul n’est tenu. 

Javais done laissé s'arrêter les deux chronomètres, ne conservant en marche que le demi-chronomètre, 
pour la première prise d'heure; celle-ci faite, j'attendis le moment de remettre les chronomètres en marche; 
quand nous y fûmes, les instruments furent remontés, mais, par suite d’une erreur de lecture au moment de 
leur imprimer Ja secousse de mise en marche, l'heure se marqua en différence de douze minutes environ sur 
l'heure sidérale de Moliro; ce dh de douze minutes était d’ailleurs fort acceptable, et il ne valait pas la peine 
que l'observateur touchât aux aiguilles des chronomètres, opération qui n’est jamais avantageuse. 


31 


Par chance, la marche de nos chronomètres, se combinant avec le sens de notre reconnaissance, qui se 
faisait de l’est vers l’ouest, amena cette heureuse coïncidence que les dh allèrent en se rapprochant de 0, 
circonstance avantageuse simplement au point de vue des calculs, de la facilité d'établissement du catalogue 
d'étoiles de chaque soir, et enfin de la sûreté de lecture des chronomètres. 

Ceci, bien entendu, n’est qu’un détail de pratique des instruments; mais ceux qui ont beaucoup observé 
savent que le « métier » joue un grand rôle dans l’emploi des meilleurs instruments. 

La Bruyère disait : « C’est un métier de faire un livre »; nous pouvons dire aussi justement : « C’est un 
métier de faire des observations astronomiques ». 

Et l’une des premières et grosses remarques que nous étions amenés à consigner dans ce métier, était 
qu'une observation au soleil, telle que nous venions de l’effectuer, était des plus pénible et fort propre à frapper 
d'insolation n'importe quel observateur. Et je ne parle que pour mémoire de la multitude de mouchettes 
essayant de trouver place dans les veux, le nez et les oreilles des observateurs. 


# 


Dans l'après-midi, une première valeur de la déclinaison fut recherchée au théodolite d'Hurlimann, en 
compagnie de nuages de mouchettes agressives. 

Je calculai également une première valeur de l'altitude de Moliro. 

Rien d’autre à signaler pour cette journée, si ce n’est que les plongeurs n’ont rien retrouvé aujourd'hui 
des malles et des caisses qui sont encore dans l’eau, et aussi, que j'ai prié le chef de poste de préparer le recru- 
tement de 200 hommes qui nous seront nécessaires pour gagner Mpwéto-Station, lorsque nos travaux seront 
terminés à Moliro. Le chiffre 200 a effrayé M. Helaers, qui ne croit pas arriver à trouver un tel nombre d'hommes 
dans les villages soumis à son autorité, villages dont la plupart ne comptent que quelques dizaines d'habitants. 


Samedi, 13 août 1898. 


—_————_—— 


Nuit sans sommeil. 

Minima de la nuit : 19,6. 

Vers 9 heures, on retrouve près du village de Moliro, à une heure du poste, le corps d’un des trois piro- 
guiers gardés par les flots du Tanganika. On l’enterre auprès de ses compagnons d’infortune. 

Je fais dresser la tente destinée aux observations astronomiques. 

Delporte et Gillis, lors de leur voyage au Congo, étaient munis d’un type de tente d'observation bien 
compris : la charpente permettait de découvrir complètement une bande méridienne avec le zénith tout à fait 
libre; un plancher permettait de circuler autour du pilier des instruments sans lui imprimer de trépidations. 

A côté de ces avantages, cet abri avait l'inconvénient d'exiger 14 porteurs; il fallait niveler très convena- 
blement le sol pour pouvoir l’édifier, ce qui prenait pas mal de temps; enfin, comme tout matériel en boïs, il 
était de conservation plutôt difiicile en Afrique. 

Pour ces diverses raisons, j'avais songé à remplacer l'abri Delporte par une simple tente convenablement 
transformée. 

Javais donc fait construire une tente à double toit, de dimensions un peu plus faibles que celles des 
ordinaires tentes à deux lits (type des tentes Eddington, fabriquées à Bruxelles par M. Van Campenhout. 

En faisant cette commande, je commettais une double erreur : d’une part, il eût fallu augmenter les 
dimensions de la tente au lieu de les diminuer ; d'autre part, le double toit était inutile, done nuisible. 

Quoi qu'il en soit, nous étions donc munis d’une tente dont le toit et le double toit étaient découpés de 
manière à pouvoir s'ouvrir suivant une bande méridienne; naturellement fallait-il orienter la tente en 
conséquence. 

Notre premier emploi de cette tente nous la fit condamner immédiatement : trop petite, il était quasi 
impossible de s’y installer ; de plus, les observations vers le zénith (les meilleures) étaient gènées par la traverse 
reliant les montants de la tente. 


Je voulus néanmoins y effectuer une soirée d'observations. 


Die 


[SE] 


Le cerele méridien fut installé dans l'après-midi, et Je procédai au réglage du niveau du cercle des distances 
zénithales et du grand niveau de l’axe de la lunette. 

Ces opérations furent rendues pénibles, voire fatigantes, par la multitude de petites mouches qui, comme 
hier, ne cessaient de nous harceler, nous entrant dans les yeux, le nez, les oreilles, malgré la fumée des bouf- 
fardes par lesquelles nous avions tenté de nous défendre. 

Soleil toute la journée. Côte orientale du lac invisible. Maxima du jour : 28 degrés. 

Le programme de la soirée avait été préparé; c'était notre première observation de nuit; les nuages la 
rendirent mauvaise. 

Pendant la nuit, rafales de vent sud et sud-est. 


Dimanche, 14 août 1898. 


La nuit a été moins méchante; j'ai pu dormir quatre heures. 

Minima nocturne : 17°,8. 

Le vent soufile ferme dans la matinée. 

Calculs de Pobservation d'hier. 

La feuille de latitude établie fournit six résultats concordants pour là position du cercle à l’est, et cinq 
résultats absolument discordants pour la position du 
cercle à Pouest. 

Examen fait des conditions de lobservation, je 
constate qu'après le retournement il à été oublié de 
niveler à nouveau l'instrument. 

Dans ces conditions, inutile d'établir la feuille 
d'heure, si ce n’est à titre d'exercice. C’est ce que je 
fais, convaincu, d’ailleurs, que j'aurai encore quelques 
soirées d'écoles dues au manque d'expérience, d’une 
part, et, d'autre part, à linévitable nervosité dans 
laquelle je me trouverai tant que je n'aurai pas réussi 
une première soirée parfaitement. 

On enlève la tente d'observation, qui sera remplacée 


- Observatoire astronomique du moment par un abri en herbages, avec ouverture méridienne, 
à Moliro-Station (1898). recouverte par un prélart. 
Déterminé une nouvelle valeur de l’altitude. 
Journée couverte, grise, triste. Ciel de cirrus et de cirro-stratus; côte orientale du lac invisible; rafales 
de vent sud et sud-est; maxima diurne : 269,4. 
Soirée entièrement couverte; observation impossible. 


Dans le courant de la journée, reçu de M. H. Boyd, collector (agent du gouvernement) à Soumbou (poste 
anglais à deux jours au sud de Moliro), une lettre m’accusant réception du courrier expédié d'ici le 12. 

J'avais joint une livre pour affranchissement; M. Boyd me renvoie cet argent en me disant qu’il n’y a pas 
de Post Office à Soumbou, mais qu'il a affranchi lui-même mes lettres. 

Le complaisant fonctionnaire continue ainsi à notre égard le régime d’amabilités qui a été celui des 
autorités anglaises depuis notre arrivée en Afrique. 

M. Boyd me dit aussi qu'il avait vu De Windt et Caisley à Ki-Touta, et qu’il leur avait conseillé de ne pas 
traverser la baie de Cameron pendant la nuit, parce qu’elle est sujette aux rafales tombant brusquement des 
hauteurs bordières. 

Au moment où il m'écrit, il croit que les corps n’ont pas été retrouvés, et il a envoyé des gens à lui pour 
les rechercher. 


Lundi, 15 aoùt 1898. 


Nuit infecte. 

Minima nocturne : 16°,7. Soleil dès 6 1/2 heures jusqu’à 18 heures. Le vent du Sud continue à soufiler 
par rafales. La côte orientale du lac se laisse deviner dans une atmosphère laiteuse argentée par le soleil. 

Changé les feuilles du barographe et du thermographe. 

La première feuille de l’enregistreur de pression atmosphérique montre la constance de celle-ci : à 
12 heures (midi), la pression est moyenne; elle diminue de 1 1/2 à 2 millimètres jusqu’à 16 heures, remonte 
à la moyenne atteinte vers 20 heures, reste à peu près stationnaire jusque vers 4 heures, puis s'élève de 
2 millimètres jusqu'à 9 heures, pour revenir à la moyenne à midi. 

Pendant la nuit, — plus exactement de 20 heures au lendemain à 5 heures, — la pression reste quasi 
invariable. 

La première feuille de l’enregistreur de température accuse, de son côté, d’intéressantes variations : la 
moyenne se produit une première fois entre 11 heures à 13 heures (done vers midi), la deuxième lois vers 
19 heures (soit une heure après le coucher du soleil) : le maximum diurne se produit vers 16 à 16 1/2 heures: 
le minimum diurne de # à 6 1/2 heures. (Voir pour comparaison les diagrammes insérés pages 35-39.) 

L’attention est vivement attirée par des relèvements de température se produisant la nuit; ainsi, le 
vendredi 12 août, entre 3 1/2 et 7 heures, la température se relève de ®, puis redescend d'autant; le même 
jour, à 20 heures, la température se relève de nouveau de 2 jusque vers minuit, pour redescendre ensuite 
de 2°,5. 

Le samedi 13, entre 19 et 21 heures, relèvement de 1°, puis reprise de la diminution régulière 
jusqu'au dimanche, à 4 heures; à ce moment, la température remonte de 4°, pour redescendre d'autant vers 
G heures, puis commencer son mouvement ascensionnel régulier de chaque jour. 

Le même dimanche, à 23 heures, la température monte de % jusqu'au lundi, à 1 heure, puis redescend 
normalement Jusqu'à 7 heures. 

Quelle est la cause de ces relèvements nocturnes de la température? 

Peut-être le vent du Sud et du Sud-Est, qui à soufflé par rafales pendant les nuits de la semaine écoulée, 
est-il chaud; mais alors, pourquoi ce vent est-il chaud ? 

Quoi qu'il en soit, le thermographe vient de révéler d'intéressantes particularités de la température. 


# 


Reçu une lettre de M. Chargeois, lieutenant chef de poste à Mpwéto. 

À notre arrivée à Chindé, le 29 mai précédent, j'avais écrit aux chefs de poste de Moliro et de Mpwéto 
pour leur transmettre la partie de mes instructions les concernant. 

C’est à cette lettre que répond aujourd’hui le lieutenant Chargeois, pour m'annoncer qu'il aura des 
logements pour nous et des magasins pour nos charges. 

« Seulement, — ajoute la lettre, — le recrutement d’une caravane de 200 porteurs ne sera pas chose 
facile, les indigènes du Moéro n'étant pas habitués au portage et étant fort casaniers de leur nature. » 


A 14 heures, arrive de Ki-Touta une caravane, partie le 5 août dernier; sa feuille de route a êté établie 
par le regretté De Windt, et porte en post-scriptum la note suivante : 
« Mon cuER LEMAIRE, 


« Les hommes que voici sont de Loanza et de Lofoi. Peut-être pourra-t-on s’en servir de Moro 
M'pwéto. J'espère que vous êtes tout à fait remis. 


Cette dernière phrase indique qu’au moment où la caravane quittait Ki-Toulta, notre malheureux ami ne 
songeait pas encore à arriver à Moliro par eau, c’est-à-dire de manière à devancer la caravane, le trajet par eau 
prenant seulement trois jours, contre les dix du voyage par terre. 

Les hommes arrivés aujourd’hui nous étaient connus. Ils sont effectivement originaires du Ka-Tanga, et 
ont accompagné jusqu'à Blantyre le missionnaire anglais Campbell, établi au sud de Lofoi. Nous avions 
voyagé avec ces gens à bord du steamer Domira, sur le lac Nyassa, et j'en ai parlé dans les lettres qui, — il 
y à deux ans, — formèrent la préface du présent récit. 

Ils arrivent aujourd’hui au nombre de 27. Après avoir reçu leurs charges et les avoir payés, — de manière 
à ne pas peser sur la décision que je vais leur demander de prendre, — je leur propose de rester avec nous 
jusqu'à notre départ pour Mpwéto; je leur dis quel paiement ils recevraient, en ajoutant qu'ils sont entiè- 
rement libres d'accepter ou de refuser. 

Après quelques pourparlers à propos du paiement, nos gens acceptent d'attendre notre départ vers 
M'pwéto, et s’en vont s'installer sous un grand hangar, au quartier des travailleurs de la station. 

Je suis enchanté de leur acceptation pour plusieurs raisons, dont la principale est celle-ci : ces 
indigènes, à qui j'ai déjà parlé à bord du Domira, et qui savent que je vais me rendre dans leur pays, 
vont passer maintenant une couple de mois avec nous; quand nous atteindrons Mpwélo, ils recevront leurs 
arrhes et s’en retourneront chez eux; selon la facon dont ils auront été traités, ils iront ou chanter nos 


louanges ou nous faire une triste réputation; or, comme Je suis décidé — d'accord en cela avec toutes les 
instructions gouvernementales — à ne traiter tous ceux à qui j'aurai à faire qu'avec une absolue justice et 


aussi correctement que possible, j'espère que ce noyau me reviendra plus tard à Lofoi et aidera aux 
nombreux recrutements de porteurs qu'il y faudra faire pour nous. 

Je suis heureux de pouvoir dire de suite que l'événement se réalisa pleinement. 

Il fut arrété que nos gens recevraient, comme paiement hebdomadaire, une brasse d’étoffe (valeur 
1 fr. 25 c.), plus deux brasses à l’arrivée à Mpwéto; comme d'habitude, nous donnions la ration en perles; 
cette ration — destinée à l'achat de vivres pendant une semaine — se composait de 7 à 10 grosses perles 
blanches (valeur 15 à 20 centimes). 

J'avais attendu l’arrivée de cette caravane venant de Ki-Touta, avant de procéder à l'inventaire définitif 
des objets délaissés par nos deux malheureux compagnons; cette caravane n’apportant aucun colis personnel 
à De Windt ou à Caisley, je pus faire procéder immédiatement aux opérations prescrites par les instructions 
concernant le décès des Européens. 

Les objets ayant un caractère de famille furent mis à part pour expédition vers Boma. 

Le reste fut en partie mis en vente publique, en partie réservé au service de la mission. 

Le rapport au gouverneur général (accompagné des certificats de décès, des procès-verbaux d'inventaire, 
de vente, et de pièces diverses) fut établi de suite, ainsi que la lettre annonçant aux autorités de Mtowa 
le malheur arrivé dans la nuit du 9 au 10 août, et l'envoi d’une valise contenant les objets à remettre à la 
famille De Windt. 

De Caisley, on n’avait retrouvé que le fusil et la montre; ces objets étaient également renvoyés à Boma. 

Par un concours de circonstances vraiment fatal, ces divers objets devaient disparaître quelque temps 
après, dans la prise de Ka-Bambaré; ils avaient été confiés à un Européen rentrant par expiration de terme, 
et le malheur voulut que cet Européen fût de passage à Ka-Bambaré précisément au moment de l'attaque de 
ce poste par les révoltés. 


On à renoncé aujourd'hui à continuer les recherches des plongeurs; n'ont pu être retrouvées : trois 
malles de De Windt, les trois valises composant le bagage de Caisley, deux caisses d’outils, une caisse 
de vivres. 

Dans ces malles de De Windt se trouvaient : un goniomètre à pinnules avec boussole, deux thermomètres 
pour le sol, six marteaux et six poinçons divers. 

Jai déjà dit qu'on avait retiré, hors d'usage : un baromètre à mercure de Hellmann ; un anéroïde de 
Bohne, une lunette à horizon, un podomètre, deux boussoles. 


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2) — 


Il ne nous restait, des instruments du regretté De Windt, qu’un psychromètre à aspiration d’Assmann et 
une boîte de réactifs et d'instruments pour l’analyse élémentaire au chalumeau. 

Cette dernière boîte, qui avait été égarée à Fort-Johnston (entrée du Nyassa), devait nous revenir plus 
tard, grâce à l’obligeance de la Compagnie des lacs. 


A 18 heures, la soirée s'annonce superbe, éloilée à profusion; nous nous mettons en observation, 
toujours en compagnie de quantités d'insectes attirés par les lumières. A moitié du travail, le ciel se couvre 
complètement, nous forçant à lever la séance. 

Maxima diurne : 270,9. 


Mardi, 16 août 1898. 


Pai pu dormir pendant six heures; je me lève reposé. Minima nocturne : 19°,9. Soleil dès 6 1/2 heures 
jusqu’à 17 1/2 heures. - 

La côte orientale du lac est invisible, cachée dans une atmosphère laiteuse. Cirrus et cirro-stratus au zénith 
et vers l’est. Vent n° 1 (échelle de Angot). 

Pris à l’anéroïde, la différence de niveau entre la station et le lac; elle se marque par une différence de 
pression de 3,37 millimètres de mercure. 

Belle soirée d'observation, un peu gâtée vers 19 h. 30 m., par un large voile de nuages se dissipant heureu- 
sement en une demi-heure. 

C’est notre première observation de nuit bien complète et bien réussie; jy travaille jusqu'à minuit. 

Maxima diurne : 289,6. 


Mercredi, 17 août 1898. 


Nuit peu reposante. 

Minima nocturne : 19°,6. Soleil dès 6 h. 20 m. jusqu'à 18 heures. 

Côte orientale noyée dans la même atmosphère laiteuse. 

Vers 8 heures vent n° 2. 

Consacré la journée aux calculs de l’observation d'hier. Très bons résultats. 

De son côté, Michel a pris plusieurs photographies du poste et des environs. 

Les indigènes apportent beaucoup d'animaux à mettre en formol, entre autres d’intéressants poissons. 

Dardenne a exécuté déjà plusieurs croquis et tableautins. Il a également peint sur une plaque en zine 
l'inscription pour les tombes de De Windt et Caisley. 

Avec le coucher du soleil, d’abondants cumulus et eumulo-nimbus montent de l'horizon est: le ciel se 
couvre peu à peu d’alto-cumulus, ce qui rend l’observation impossible. 

Travail de bureau jusqu’à 93 heures. 

Maxima diurne : 299,5. 


Jeudi, 18 aout 1898. 


Nuit peu reposante; l'esprit est resté excité par les calculs d'hier. Il faudra pourtant qu'il S'y habitue. 
Minima de la nuit : 20°,5. Soleil dès 6 h. 15 m. jusqu'à 17 h. 45 m., voilé un instant vers 7 heures. Côte 
orientale invisible. 


one 


Fait un tour au potager : le cresson alénois semé il y a cinq jours (semences apportées par nous) est déjà 
grand; on en pourra cueillir dans deux ou trois jours; le pourpier doré, la moutarde blanche de Chine, les 
carottes sont hors terre. 

Il y à dans le jardin de Moliro : deux manguiers malheureux; un anacardier (pomme d’acajou) idem; 
quelques cœurs de bœuf venant bien; un caféier rachitique haut de 80 centimètres; des papayers qui portent de 
beaux fruits tant qu'ils n’ont pas dépassé 1,50 de taille, après quoi ils s’étiolent ; des grenadiers malheureux; 
pas de bananiers. 

Les parcs, plus ou moins protégés par des elaies contre un soleil implacable, montrent quelques chicorées 
frisées laissées pour la semence; un 
unique plant de concombres; quelques 
restants de choux; des légumes divers 
récemment semés et commençant à 
sortir de terre. 

Des pépinières de papayers et de 
citronniers promettent bien. 

Dans le boma du poste on peut voir 
quatre arbustes malingres : un pom- 
mier-cannelle (chérimolier), un goya- 
vier, un citronnier, un limonicr. 

Le poste de Moliro occupe la lisière 
d'un plateau dont le terrain est mal- 
heureusement fort sablonneux aux 
points oceupés par la station et ses 
dépendances; derrière le poste, du côté 
opposé au lac, existe une avenue large 
d'une quinzaine de mètres, ne menant 
à rien, mais le long de laquelle ont 
été plantés une vingtaine de caféiers ; 


tous sont misérables, desséchés par 


le vent, ayant au plus six à huit 
Jardin de Moliro-Station en 1898. feuilles. 
C'est dans cette large allée, à direc- 
tion à peu peu près est-ouest, que J'ai fait construire notre observatoire du moment. 

Outre le paquet de semences dont j'ai déjà parlé, j'ai remis à M. Helaers des graines de café de Blantyre et 
des noyaux el semences de dix essences botaniques apportées du Nyassaland, savoir : la fausse banane (plante 
d'ornement) ; Wellingtonia giyantea (Mammoth tree); Melia oxedarach (Cape Syringa) ; 1huga gigantea; Loquaerts 
{nèfles du Japon) ; Cypressus Sinensis; Cedra Deodora; Gravellia robusta; Hevea braziliensis, et enfin une plante 
ornementale à larges feuilles rouges, de nom inconnu. 

Je tenais ces graines du jardin d'essai de la Compagnie des Lacs, à Blantyre. Elles avaient été mises en terre, 
à Moliro, dans des caisses placées à l'ombre de grands arbres, à proximité des Jardins; rien ne sort encore, et 
malheureusement rien ne sortira dans l'avenir. 


De 15 à 18 heures, recherché une nouvelle valeur de la déclinaison magnétique par le théodolite 
d'Hurlimann. 

Quand se couche le soleil se lève le vent qui continue à soufller régulièrement de la zone Sud-est — Sud — 
Sud-ouest. 

Le ciel se couvre de nuages et l'observation est de nouveau impossible; toute la nuit le vent souffle 
par rafales, allant de l'intensité 2 à l'intensité 4, soit de faible (sensible aux mains et à la figure, faisant 


remuer un drapeau et agitant des feuilles légères) à fort {pliant les grosses branches et les troncs de petit 
diamètre). 
Maxima diurne : 29,8. 


Des lettres privées venues de Mtowa nous laissent indécis sur la situation des révoltés. 
M. Helaers reçoit une lettre partie d'Europe le 6 avril dernier, c’est-à-dire dix jours avant nous. 


Vendredi, 19 août 1898. 


Dormi un peu mieux. 

Minima nocturne : 20°,2. Soleil dès 6 heures jusqu’à 17 h. 45 m. Côte orientale assez visible; quelques 
cirrus et cirro-stratus; vent allant en intensité de 1 à 3. 

La nuit dernière, Michel a été légèrement piqué par un centipède; cette méchante bête, d’un beau vert 
métallique, abonde dans les maisons de Moliro. 

C’est un hôte moins agréable que la mignonne et douce bergeronnette, blanche et noire, qui volète jusque 
sous nos pieds, et qui rappelle les hirondelles patriales. 

Nouvelle détermination, par les anéroïdes, de la différence de niveau entre la station et le lac; elle est 
trouvée égale à 3"%,47 de mercure. 

Cette valeur, combinée avec celle trouvée mardi dernier, laisse comme moyenne 3"",42, de mercure 
ce qui correspond à 40 mètres environ de différence d'altitude. 

De 13 h. 30 m. à 17 heures, effectué la détermination des trois composantes magnétiques par le magnéto- 
mètre Delporte. 

Cette observation est rendue extrêmement pénible par la multitude de mouchettes qui nous harcèlent sans 
répit. 

Pen suis fatigué et énervé au point de devoir renoncer à l'observation de nuit; un bain dans le Tanganika 
me retape un peu. 

Maxima diurne : 26°,7. 


On à apporté dans la journée deux jeunes perdreaux vivants. 


Samedi, 20 août 1898. 


Assez bonne nuit. Le vent a soufflé avec une intensité 2. à 

Minima nocturne : 189,5. Côte orientale assez visible. Nébulosité allant de 1 à 7 dans le courant de la journée. 

Je n'ai pas encore signalé le service de pêche fonctionnant régulièrement à Moliro, comme il devrait 
fonctionner partout au Congo. 

Il y à à Moliro une équipe de pêcheurs fournie par un chef ami; les hommes sont renouvelés chaque mois 
et logent au poste; ils emploient des filets leur permettant de prendre depuis de minuscules poissons blanes 
jusqu'à des poissons de 80 centimètres de long, pesant 7 kilogrammes. 

Je ne parle ici — c’est entendu une fois pour toutes — que de ce que nous avons vu ; le Tanganika renferme 
des poissons de bien autres dimensions. 

Depuis notre arrivée à Moliro Dardenne à pu dessiner 24 variétés de poissons. : 

Comme cest lui qui, chaque matin, inspecte le premier les corbeilles de poissons apportées par les 
pécheurs, afin de prendre les spécimens à croquer. par le crayon et le pinceau, notre camarade à été baptisé 
du pittoresque surnom de « Samaki » (le poisson), qui va le suivre jusqu’à son retour en Europe. 


TE LOR FE. 


Je fais peser la pêche de ce matin : 32 kilogrammes de beau poisson, dont nous prenons la part des Euro- 
péens, le reste étant ensuite distribué au personnel noir. 

Outre les ordinaires préparations au beurre, à la friture, au curry, ou simplement à l’eau, nous réussissons 
à fabriquer du poisson à la daube, et Michel sale et sèche à l’air quelques poissons qui nous rappellent presque 
les scholes de savoureuse mémoire. 

D'autre part, des chasseurs indigènes apportent aujourd’hui une antilope. 


Préparé les calculs de l’observation de la lune, qui pourra commencer dans quatre jours. 

Trouvé au jardin de Moliro une vigne sauvage, de 20 centimètres de hauteur, poussant vigoureusement. 
Reçu un courrier d'Europe, arrivé par la voie anglaise. 

Maxima diurne : 26,1. 

Superbe soirée d'observation : pas de vent ni de nuages; atmosphère limpide. 


Dimanche, 21 août 1898. 


Nuit passable. 
Minima nocturne : 15°,8. Soleil dès 6 h. 15 m. jusqu’à 18 heures. Côte orientale vaguement visible. 
Poids du poisson apporté ce matin : 21 kilogrammes. 


Écrit au chef de poste de M’pwéto d'envoyer si possible 125 porteurs à Moliro. 

Travaillé toute la journée à l’établissement de la feuille de latitude et de la feuille d’heure par l'observation 
d'hier. 

Le chef de poste de Moliro me fait connaître qu’un chasseur européen, établi en territoire anglais, lui écrit 
pour obtenir d'aller chasser au lac Souzi. Ce nom, me tombant pour la première fois dans l’oreille, éveille mon 
attention ; tout ce que M. Helaers peut me dire, c’est qu'il s’agit d’un petit lac à trois jours d’ici, non encore 
connu des Européens, dans lequel tomberait une rivière à chutes; les environs du lac seraient très giboyeux. 

Justement, des indigènes viennent aujourd’hui nous apporter des bananes, de la farine de mais et des 
pigeons domestiques. 

Je les fais interroger à propos du lac Souzi; ils le connaissent, disant que ses eaux s’écoulent par le 
ruisseau « Moukondjé », qui passe par le village N'tambala pour entrer ensuite en territoire anglais. 

Il faut trois jours de Moliro au « Souzi ». 

Je songe que je pourrais bien pousser une pointe jusque-là, après la série des culminations lunaires. 

Je me sens fatigué. Michel manque d’appétit et éprouve une gène aux articulations, indice de fièvre. Maffei 
est atteint de diarrhée; enfin Helaers est sujet chaque soir à de légers accès de fièvre. 

Seul, Dardenne se porte à merveille. 

Renoncé à l'observation pour aujourd’hui. 

Maxima diurne : 289,5. 


Lundi, 22 août 1898. 


Mauvaise nuit : levé la tête lourde. 

Minima nocturne : 16°. Soleil dès 6 h. 15 m. La côte orientale est un peu visible; vent de 0 à 2; 
nébulosité de 0 à 1. 

Changé les feuilles des enregistreurs de pression et de température. 


Les feuilles de la semaine écoulée appellent les mêmes remarques que celles faites lundi dernier, 


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39 — 


entre autres la constatation de relèvement de la température pendant la nuit, relèvement ayant atteint 
jusqu'à 3°,5, dans la nuit d'hier à aujourd’hui. 

Pression atmosphérique maxima de la semaine : 696 millimètres; minima : 960%%,8, soit 5,2 d'écart 
maximum. 

Température maxima de la semaine : 29,5; minima : 17°,2. Remarquons bien qu’il s’agit ici des indications 
du thermographe, lesquelles diffèrent de celles des thermomètres à mercure, d’une quantité allant de 0° à 1°. 

Les moyennes de la semaine sont : pour la pression : 693"",4; pour la température : 25°,5. 

Ces derniers chiffres coincident presque intégralement avec ceux trouvés le dimanche 14 août, et employés 
ce jour-là pour le calcul de l'altitude. 

Nous garderons done la valeur trouvée pour laltitude, ce dimanche 14 août. 

Les caleuls définitifs effectués en Europe donnent comme altitude du Tanganika : 854 mètres. 

Voir à ce sujet notre mémoire N° 16, entièrement consacré à la question des altitudes. 


On à apporté aujourd'hui 24 kilogrammes de poissons. 

Une promenade aux alentours immédiats du poste me révèle que celui-ci occupe l'emplacement d'un 
ancien village indigène; il en est resté un superbe bouquet de grands arbres, parmi lesquels plusieurs ficus 
à étoffes, donnant un abondant latex caoutchouteux; j'en fais recueillir une certaine quantité qui est mise à 
coaguler dans une soucoupe. Après dessiccation, on obtient une gomme très élastique mais qui, lavée à l'eau 
chaude, laisse un produit cireux, semblant avoir perdu toute nervosité. 

C’est sous le beau bouquet d'arbres que je viens de signaler qu’il eût fallu mettre le quartier européen du 
poste; on y eut trouvé, dès le premier jour, une ombre propice, étendue, rafraichissante, en même temps 
qu'une meilleure vue sur le lac. 


Mardi, 23 août 1898. 


La nuit a été meilleure. 

Minima nocturne : 17°,2. Côte orientale du lac invisible. 

Les pêcheurs apportent 22 1/2 kilogrammes de poisson. 

Après le déjeuner, nous partons en excursion au village du chef Moliro, à une petite heure au nord 
de la station. La route serait fort bonne s’il ne fallait, pendant plus d’un kilomètre, palauger dans 
du sable semi-fluide, rendant la marche 
très désagréable. 

Le village est de pauvre allure, man- 
quant de verdure et d'ombre; environ 
10 huttes circulaires misérables, formant 


une seule et longue rue, large d’une 


di 
ma HULL 


vingtaine de mètres; derrière chaque 
hutte, un petit grenier et quelques parcs 


légumiers ; bananiers rares et chétifs ; 


nombreux jeunes « miroumba » (ficus à Le { 
étoffe). RSA Pa 
Cultures : manioc, maïs, sorgho, FF 
mil, arachide, patate douce, aubergines, Le village du chef Moliro (Dessin de Dardenne). 


courges, ricin, tabac, coton. 

Les huttes et les greniers sont à parois en pisé, toitures en herbes. 

La population paraît abrutie dans le fort soleil; une femme exhibe un cas de maladie lépreuse 
repoussant. 


— 40 — 


Seul le chef Moliro a une certaine allure, ainsi que son second, Mocholo; ce dernier surtout est de bonne 
figure, les yeux vifs, intelligents. 

A ses qualités de ministre du chef, Mocholo joint le métier de forgeron et de fabricant de filigrane de laiton 
et de cuivre. 

Bien entendu, il ne travaille qu’à ses jours et à ses heures. 

Toutefois, sur nos instances, il veut bien se mettre à la besogne et étirer sous nos yeux une baguette de 
cuivre. 

Le matériel de ce tréfileur primitif comprend : 

1° Une masse en fer F, ayant la forme des oiseaux piqués sur les perches de nos tirs à l’are, pesant environ 
1/2 kilogramme et percée suivant son axe d’un trou légèrement conique; nous l’appellerons « masse de 
filière » ; 

90 Un poinçon P, identique à notre outil de même nom ; 

3° Une pince en fer p, formée d’une bande de fer repliée sur elle-même en forme de V 
allongé, ayant action de ressort et qu'on ferme plus où moins, grâce à un anneau en fer; 
l’intérieur de cette pince est dentelé, afin de la faire bien mordre; 

4° Un poteau en bois résistant, haut de 1,95, ayant environ 15 centimètres 
de diamètre, solidement planté en terre. Comme le montre la photographie ei-des- 
sous, ce poteau est creusé en encoche rectangulaire à sa partie supérieure; il est 
enjolivé de quelques dentelures. 

Enfin, le tréfileur emploie naturellement l'ordinaire matériel des forgerons noirs. 

Voici son travail : 

Première opération : la masse filière F est chauffée à blane au feu de forge et disposée sur deux pavés; 
au moyen du poinçon P, on agrandit le trou de filière, ainsi que le montre le croquis, Jusqu'à lui donner le 
diamètre du fil à étirer. 

Deuxième opération : on chaufe 
légèrement ce fil en le flambant simple- 
ment au moyen d’une poignée d'herbes 
sèches. 

Troisième opération : l'extrémité du 
fil à étirer est légèrement martelce de 
manière à lui donner un diamètre lant 
soit peu inférieur au diamètre du trou 
de la masse filière ; cette extrémité ainsi 
amincie est alors forcée dans le trou de 
filière jusqu'à ce qu'elle dépasse d’en- 
viron 1 bon centimètre; on à d’abord 
huilé le trou de filière. 

Quatrième opération : avec la pince 
dentelée, saisir ce bout de fil aminci, 
serrer l’anneau énergiquement; huiler 
à l'huile d’arachide le fil à étirer. 

Cinquième opération : disposer la 
masse filière contre l’encoche du poteau 


planté en terre; enrouler autour de là 
pince une solide corde indigène que Tréfilerie de cuivre rouge à Moliro-Village. 
trois hommes empoignent, faisant effort 
progressivement de manière à entrainer la pince et avec elle le fil que les mâchoires de la pince ont bien 
mordu. 

Le fil ayant été étiré, la même série d’opéralions recommence, mais après une précaution des plus 
curieuse, consistant à réduire légèrement le trou de la masse filière: pour ce faire, cette masse est martelée à 


— 4 


froid, longuement et prudemment, par petits coups appliqués autour du trou de filière jusqu’à ce que celui-ci 
soit légèrement réduit en diamètre; c’est en cette opération que se montre toute l’habileté du tréfileur : s’il 
dépasse une certaine limite dans la diminution du diamètre à réaliser, il est presque certain de provoquer la 
rupture du fil au passage suivant. 

La réduction convenable du diamètre étant obtenue, la série des opérations 2, 3, #4, 5 recommence. 

Une tige de 67,5 centimètres s’allongea, au troisième passage, de 5 centimètres. 

Si le fil se brise, les morceaux sont étirés à part, puis raccordés à la fin de l'opération 
par une simple torsion des extrémités. 

Enfin, pour achever l'opération, la masse filière est remplacée par un écrou dont le 
trou de filière peut plus facilement être rendu très petit. 

Il est assez remarquable que cet ingénieux et relativement délicat travail n'ait pas 
encore amené le tréfileur à remplacer l’unique masse filière par un jeu de masses à trous 
de plus en plus petits, mais invariables. 


Il est intéressant de décrire le soufflet de forge qu’employait le tréfileur de Moliro; 
nous ne l’avons pas vu avant ce jour. 

Une peau de bouc, chèvre, antilope, etc., est disposée en sac, dont un des petits 
côtés, ab, reste ouvert, à l’opposite de la tuyère. 

Les deux bords de l'ouverture ab sont garnis chacun d'une latte fixée par une lanière 
en euir formant poignée P.. 

Tenant les deux poignées dans une seule main — ce qui maintient la fente ab fermée —, le forgeron 
insuffle de l’air dans le foyer; la poussée achevée, il lâche une des poignées tout en décomprimant le soufflet 
qui se remplit d'air à nouveau ; l’homme 
rattrape alors la poignée qu'il avait 
lâchée, ce qui referme le soufflet plein 
d'air, et le mouvement recommence 
régulièrement, l'air séchappant avec 


force vers le foyer. La tuyère est, 
comme d'habitude, maintenue en place 
par des fiches en bois, plantées en 
terre, et des bouts de ficelle. 

Tout le matériel du tréfileur de 
Moliro a été acheté par nous et peut se 
voir au Musée colonial de Tervueren. 


Le retour à Ja station se fait en 
grande partie par la plage du Tanga- 
nika. Le temps est superbe; tout au 
plus fait-il un peu trop chaud; le Hot 
déferle aujourd'hui tout en caresses, 
nous lançant sa frange d’écume sur les 


pieds; c’est fort agréable pour les noirs, 
tandis que nous devons à tout moment Forgeron à Moliro-Village. 
sauter de côté. 

Un ourlet continu de coquillages variés est promené par le flot capricieux ; à nous les voir ramasser pour 
nos collections, on nous preudrait pour des écoliers faisant l'école buissonnière. 


Mais nous voici à la mare aux crocodiles, petite lagune où l’eau du lac pénètre, j'allais dire à marée haute, 


== fo — 


en réalité lorsque le lac est démonté et que ses flots pressés, houleux, se précipitent au rivage et s’y brisent 
éeumants et rebondissants; dans le sable, des coulées fraiches disent que les hideux sauriens viennent de 
traverser. 


J'avais commencé à dresser des déterminations journalières de l’hygrométricité. Je renonce à continuer 
cette fastidieuse et absorbante besogne, dont les résultats ne me seraient, d’ailleurs, d'aucun usage immédiat. 
Ces déterminations seront réservées pour l’Europe. 

A 16 h. 30 m. (temps moyen), observation du passage de la lune au méridien; après quoi, il nous faut 
attendre une heure et demie avant de pouvoir prendre les premières étoiles 

Aussi, bien que l’observation soit complète, je n’en établirais les calculs que pour déterminer l'heure; la 
longitude n’en sera déduite qu'à titre d'exercice. 

Maxima diurne : 29°,8. 


Mercredi, 24 août 1898. 


Nuit peu reposante ; il fait lourd dans les chambres que nous occupons. 

Minima nocturne : 17°. 

Le thermographe accuse, dans la nuit écoulée, deux relèvements de température très marqués : de minuit 
à 1 h. 30 m., la température remonte de 2°, puis redescend de 3° jusqu'à 3 h. 30 m.; à ce moment, elle remonte 
de 1°,5, pour redescendre ensuite de 3°,5, n’atteignant son minimum qu’à 7 heures. 

Soleil dès 6 h. 15 m. Vers 10 heures, vent d'intensité 3 à 4, soufllant par rafales à longues périodes; ce 
vent, caractéristique de ce moment de l’année, souffle de la zone S.-E. — S.-W,. 

La côte orientale est difficilement perceptible. 

Poids de la pêche du jour : 25 kilogrammes. 

Effectué les calculs de l'observation d'hier; après toute une matinée de travail, les résultats discordants 
auxquels j'arrive me font constater que l’aide-observateur à mal lu ou mal noté les heures ; obligé de refaire tout 
le travail, après correction des heures; J'en gagne un énervement fiévreux très compréhensible. 

Pour être digne de servir d’aide-observateur, il faut absolument se fourrer dans la tête que l’on ne peut 
pas se tromper de gaieté de cœur. Il faut se dire, en effet, que l’on ne devra pas supporter soi-même les consé- 
quences de ses erreurs; en revanche, celles-ei vaudront, à l'observateur, un gros travail inutile et à recom- 
mencer, pendant que l’aide-observateur pourra se contenter de dire : « C’est bien triste que je me sois trompé, 
mais cela peut arriver à tout le monde!» 

Certes, on peut se tromper, à condition que ce ne soit pas par légèreté d'esprit où manque d’attention ou 
de réflexion; on peut surtout se tromper, — on ne saurait assez y insister, — quand on doit pâtir soi-même de 
ses erreurs, en souffrir et en supporter les responsabilités. 

Mais une expérience déjà longue m'a prouvé, et me prouve chaque jour, que les erreurs dont pâtit celui 
qui les commet sont infiniment plus rares que les autres. 


Maxima diurne : 28°,2. 

Bonne soirée d'observation : pris le premier bord de la lune et seize étoiles. Observation terminée à 
20 heures. 

Il est 20 h. 30 m. quand nous pouvons diner. 

Je me couche éreinté; mon diner s’entète à me rester sur l'estomac. 


43 


LS — 


Jeudi, 25 août 1898. 


La nuit à été infecte, A peine levé je suis pris de vomissements. 
Minima de la nuit : 48. 
Poids de la pêche : 19 kilogrammes. 
Ca ne va pas; essayons de dormir un peu. L’estomac est chargé de bile. Vers 10 heures, une dose d'ipéca me 
soulage, juste au moment où arrive le chef Ka-Tanga, brave homme, dont le village comporte bien une dizaine 
de huttes en un joli site dominant le lac, un peu à gauche de la route qui va de Moliro-station à Moliro-village. 
Je l’interroge sur le lac Souzi et obtiens les renseignements suivants : partant de Moliro, on marche 
pendant six heures et l’on campe dans la brousse; le lendemain, six heures de marche mènent à la rivière 
Ka-Pemba (bonne eau) ; le troisième jour, nouvelle marche de six heures pour atteindre le village Ki-Panda, 
proche du lac Souzi. Ce lac (?) aurait 1 1/2 kilomètre de diamètre; il s'écoule dans la rivière Mou-Kondié, 
laquelle passe par le village N'tambala pour aller se perdre dans la Ki-Piri (marais Moéro), en territoire anglais. 
Ces renseignements, — donnés avee une complète assurance, — me font décider que nous pousserons une 
pointe vers le lac Souzi, après la dernière observation de lune. 
A 16 heures, mon estomac, reposé, accepte une tartine de fromage blanc; ensuite, je puis effectuer quelques 
calculs. 
De 18 à 20 heures, excellente observation de la lune et de treize étoiles. 
Maxima diurne : 2e. 


Vendredi, 26 août 1898. 


Nuit plus calme, bien que j'aie peu dormi. Levé assez reposé. 

Minima nocturne : 18°,6. 

Poids de la péche : 95 kilogrammes. 

La nuit dernière, un fauve (léopard ou lion), a pénétré dans la cuisine et y a dévoré une demi-chèvre qui x 
était pendue; les griffes sont incrustées dans la muraille, et l’animal a laissé, de son passage, des traces malodo- 
rantes autant qu'abondantes. On suit sa piste dans la poussière qui couvre le sol de la station; la bête à franchi 
le boma d’enceinte. 

A 8 heures, visite du chef du village Ki-Panda, ce village près du lac Souzi, dont Ka-Tanga m'a parlé hier: 
il confirme les renseignements de son collègue. 

Nous partirons mercredi pour le Souzi. 

Je puis travailler toute la journée, mais n’arrive pas à me mettre tout à fait au courant, bien que je sois 
rendu à la tombée du jour. 

Soirée d'observation faite précaire par un ciel encombré d’alto-cumulus; toutefois, je parviens à prendre 
la lune et cinq étoiles. 

Maxima diurne : 31°. 

A 93 heures, rugissements de fauves. 


Samedi, 27 août 1898. 


Assez bonne nuit; toutefois, je voudrais bien me sentir plus reposé et mieux en appétit. 

Minima nocturne : 199. 

Poïds de la péche : 18 1/2 kilogrammes. 

Des hyènes sont venues cette nuit essayer de déterrer les noirs dont les tombes sont voisines de celles de 
De Windt et Caisley. 

Après le déjeuner, les vomissements me reprennent. 

Force m'est de me recoucher pour trouver un peu de repos, car je suis vraiment rendu de la besogne iles 


calculs. 


Pre 


Jai la chance de pouvoir dormir, ce qui me permet de me lever à 17 heures pour l’observation de nuit, 
qui donne de bons résultats. 

Avant de me coucher, je calcule la longitude fournie par l'observation qui vient d’être faite, et, le résultat 
étant bon, je me mets au lit, plus tranquille d'esprit. C’est effrayant de vivre ici dans cet état de tension d'esprit 
qui fait que l’on appréhende toujours de manquer une observation. 

Heureusement que cela ne durera pas; je sens déjà que la période des débuts et des tâätonnements tire à 
sa fin. 

Je consigne dans ce récit toutes les circonstances caractérisant une vie d’observateur amoureux de la vérité : 
elles paraîtront à d’aucuns puériles et ne valant pas d’être mentionnées. Je préfère cependant dire seulement ce 
qui est, quitte à ne rien narrer d’étrange et de « Mayne-Reidesque », mais à donner à ceux qui s’y intéresseront 
l’exacte idée d’une vie congolaise, que je me garderais bien, d’ailleurs, de donner comme type de la vie courante. 

Le temps, au surplus, est passé — heureusement — des récits de choses bizarres vues à travers le curieux 
prisme du mirage africain; ceux qui sont destinés à aimer la vie d'Afrique pour ce qu'elle est réellement — 
non pour ce qu’elle paraît — me liront avec fruit; et cela me sufhit, soit dit une fois pour toutes. 

Maxima diurne : 31°,8. 


Dimanche 28 août 1898. 


Dormi un peu mieux. 

Le minima de la nuit n’a pas été relevé. Poids de la pêche : 13 1/2 kilogrammes. 

La cuisine à de nouveau reçu la visite du fauve de l’autre nuit. 

Je me sens beaucoup mieux et puis calculer toute la journée; les résultats sont des plus satisfaisants. 

De leur côté, Michel et Dardenne ne perdent pas une minute; grâce à eux, nous pourrons probablement 
faire déjà un envoi de collections avant de quitter Moliro. 

Des lettres de M#° Roelens et du capitaine Joubert, arrivées de Baudouin-Ville, prient M. Helaers de nous 
transmettre des compliments de condoléances à l’occasion du grand malheur qui à marqué notre arrivée iei. 

Les Pères Blancs envoient 15 paniers de pommes de terre d'Europe, cultivées avec tant de succès chez eux ; 
trois de ces paniers sont destinés à être plantés aux pluies prochaines. 

Malheureusement le blé n’a pas réussi cette année, et on ne pourra en obtenir que pour semailles. 

Je gronde un peu le chef de poste de Moliro de ce qu'il a cru devoir demander aux bons missionnaires 
des pommes de terre et du blé à l’occasion de notre venue chez lui. Je pense que si lon veut franchement 
accepter, en passant, l'hospitalité complète dans les missions, il convient de ne pas abuser en leur demandant 
de loin l’envoi de vivres ou de produits obtenus par leur travail. Etant dans des régions analogues à celles où 
ils vivent, c’est bien le moins qu'on puisse cultiver soi-même les produits qu'ils réussissent à obtenir en abon- 
dance et de bonne qualité, comme nous aurons plus tard l’occasion de le constater par nous-mêmes. 


Une lettre du chef de zone donne quelques renseignements sur les révoltés : ils auraient subi un échec. 


Bonne soirée d'observation : la lune et quinze étoiles. 
Maxima diurne : 519,7. 


Lundi 29 août 1898. 


Levé bien dispos. 

Minima nocturne : 20°,5. Soleil dès 6 h. 10 m., se levant tout rouge, barré de stratus. 

Changé les feuilles des enregistreurs. 

La feuille barographique est quasi identique aux deux feuilles relevées les semaines précédentes; son 
examen conduit aux mêmes remarques. 


La régularité des variations diurnes (qui ne dépassent pas 4"%,5 à 5") est telle que le barographe pourrait 
servir d'horloge, en supposant naturellement que la subdivision horaire des feuilles ait disparu. 

Deux maxima par jour : le plus marqué vers 10 heures, le second, très faiblement indiqué, vers 22 heures. 

Deux minima par jour : le plus marqué de 16 à 18 heures, le second, vers 3 heures, et également très peu 
indiqué. 

La moyenne vers midi; enfin, de 20 heures à 4 heures, le barographe reste quasi stationnaire, avec la toute 
légère variation des seconds maxima et minima. 

Cette régularité, avec quasi-identité, de la pression atmosphérique augmente le poids de notre détermina- 
tion de l’altitude par les indications du baromètre et du thermomètre. 

La feuille du thermographe montre à nouveau de très remarquables variations dans la température. Nous 
avons signalé, le mercredi 24 août, ce qui s'était passé durant la nuit précédente : un double relèsement très 
marqué de la température. 

Chaque nuit de la nouvelle feuille thermographique montre des variations de l'espèce, plus ou moins 
marquées. 

Pendant le jour, entre 15 et 17 heures, on voit qu'il se produit aussi des variations analogues; ainsi, le 
samedi 27 août, la courbe atteint un maximum, puis redescend de 1°,8 jusqu'à 16 heures, remontant alors 
de 2°,1 jusqu'à 17 heures, pour redescendre enfin régulièrement. 


Les observations du 16 et du 20 août fournissent comme latitude de Moliro : — 8°. 14, 18,00. 


Les observations du 24 au 98 août ont donné pour la longitude les résultats ci-dessous : 


Mercredi 24 août 1898. . . Re 300, 34. 19,80 est Greenwich. 
Jeudi 25 TR RAD A 366 01e — 
Vendredi 26 = Ne : 94. 197,60 — 
Samedi 27 RO Er 94. 59,40 — 
Dimanche 98 On Et iv 39!. 14,40 == 
Moyenne, ou longitude définitive de Moliro. 30°. 34! 59,00 est Greenwich. 


Erreur moyenne : + 21”. 


Maxima diurne : 31°. 


Mardi, 30 août 1898. 


ee 

Bien dormi. Je vais très bien. 

Minima nocturne : 20°,6. Poids de la pèche : 25 kilogrammes. 

Jalonné la méridienne du point où ont été faites les observations de nuit; une butte en terre marquera ce 
point, et la méridienne sera tracée par une rigole remplie de grosses pierres. 

Le cercle méridien et ses accessoires, dûment nettoyés, quittent lobservatoire dont le règne est déja fini, 
et qui va être démoli. 

Déterminé la déclinaison magnétique au théodolite d’'Hurlimann; nettoyé l'instrument qui, avec le magné- 
tomètre Delporte, nous accompagnera au lac Souzi. 

Les caractéristiques magnétiques de Moliro furent trouvées égales : la déclinaison occidentale 
à 44°. 13. 36,00; linclinaison à 36°. 43'; l'intensité horizontale à 0,1270. 


Écrit au chef de poste de M'pwéto pour le prier de tenir prêts, en vue de notre arrivée, les matériaux qui 
nous seront nécessaires pour l'édification de l'observatoire provisoire et d’un abri thermométrique; je lui 
spécifie la quantité et la nature de ces matériaux. 

Préparé ensuite notre départ pour la reconnaissance au lac Souzi. 

M'accompagneront : M. Michel et M. Helaers, chef de poste, qui trouvera là une bonne occasion de voir les 
alentours de son poste. Comme porteurs, les gens de Lofoï (dont j'ai parlé précédemment), et des gens des 
villages les plus voisins du poste, en tout 50 noirs, y compris les serviteurs. 

Préparé une liste de 110 charges qui partiront demain vers M'pwéto avec des hommes que M. Helaers à pu 
recruter dans sa zone. 


M'étant couché d'assez bonne heure, je commence à m’assoupir, lorsque je me sens mordu à la main 
droite; de la gauche, j'arrache une bête que je jette au loin; la bougie allumée, je vois trois points de morsure 
imperceptibles, mais toute la main et l'avant-bras sont le siège de violents lancements. Comme je transpire 
beaucoup, j'espère que le venin sera expulsé. 

Je n’ai pas vu la bête. Moliro, ayant la chance de n'avoir ni moustiques, ni djigues, se rattrape par 
d’autres nuisances. 


CHAPITRE V. 


Départ pour le lac Souzi. — Campements dans la brousse. — Villages abandonnés. — La 
plaine Ka-Chichi. — On tue un zèbre. — Premiers villages. — Pièges à gibier. — Départ 
du lac Souzi. — Ruines de hauts-fourneaux. — Les chutes de la N'Kongué. — Les feux 
d'herbes. — Premiers villages importants. — Les maisons des esprits. — Un fondeur de 
fer. — Un paradoxe. — La plaine de P’an’dé. — Fièvre générale. — Un âne de luxe. — 
Plusieurs coups de tonnerre. — Le manque de bonne eau potable. — Ancienne prospérité 
de la route Moliro-M’'pwéto. — Hauteurs bordières du Tanganika. — Rentrée à la 
station. — Cassime. — Le père Castelain et la mission de Ka-La. — Premiers envois de 
collections. — Derniers jours à Moliro. — Quelques renseignements météorologiques. — 
Caravane d'avant-garde. — Coup d’œil sur lès ressources du poste de Moliro. 


Mercredi, 31 août 1898. 
RE, 


En n'éveillant, à 5 h. 30 m., je trouve la morsure d'hier bien marquée et rouge, avec un peu de gonfle- 
ment; aucune douleur, ce qui me fait penser que ce ne sera rien. 

Minima nocturne : 19°,8. 

La journée s'annonce brûlante; la période actuelle de l’année est d’ailleurs caractérisée à Moliro par 
l’ardeur du soleil qui brille chaque jour quasi sans interruption; tout ce qui, dans les jardins, n’est pas 
ombré, est littéralement rôti; même l’ombre portée par les claies est insuflisante; il ne faudrait mettre les 
parcs que sous de grands arbres, ce qui est possible ici. 


A 8 h. 18 m., départ pour le lac Souzi. 

Le chef de poste a, tant bien que mal, sellé et bridé (!?) un des ânes du poste, lequel complète pittoresque- 
ment notre petite caravane. 

Nous mettons quarante-deux minutes pour arriver à Moliro-village, au delà duquel on se heurte à la 
paroi des collines bordant le lac et d’où sort la Tambala, rivière torrentueuse actuellement à see, avec mares 
d’eau stagnante; son lit abonde en belles euphorbes candélabres. 

La Tambala franchie, un raidillon sur roches nous fait monter de 75 mètres en quelques minutes; après 
quoi, la pente se continue douce. / 

Voici, au bord du sentier étroit, un tumulus de pierrailles auquel nos gens ajoutent tous une pierre 
nouvelle. Je m’informe : il s’agit d’un tumulus fétiche; les pierres qu’on y jette sont en quelque sorte des 
ex-voto destinés à conjurer les n’zimou (mauvais esprits). 

L’altitude maxima atteinte aujourd’hui est d'environ 1,000 mètres au-dessus du niveau de la mer. De ce 
point d’altitude maxima on distingue, à grande distance dans l’ouest, un pays assez mouvementé, mais sans 
hauteur marquante; vers le sud-sud-est, la pointe Ki-liba fermant vers le sud la baie de Moliro; les indigènes 
ne disent guère Moliro qu’en parlant aux blancs, entre eux ils disent Ki-Poundou. 


Nous voyons ici des restes de tranchées-abris creusées jadis par les Niamwézis (Arabes), attaquant le chef 
Moliro; puis viennent des séries régulières de petits monticules révélant l'emplacement d'anciennes cultures 
étendues (plusieurs hectares) ; elles dépendaient du chef Mtété, qui s’est porté dans le sud. 

Jusqu'ici la route a suivi une direction nord-ouest; maintenant elle tourne à l’ouest pour descendre au 
ruisseau Ka-Namanga, petit affluent de la Tambala, traversée près de Moliro; la Ka-Namanga encaissée de 
2 mètres, large d'autant, est à sec, sauf quelques flaques d’eau stagnante sur fond de gravier; quelques 
grands et beaux arbres verts en marquent le cours. 

Il n’est que 10 h. 25 m,, et nous n'avons fait que 8 1/2 kilomètres en une heure cinquante-deux minutes de 
marche effective; mais les guides déclarent qu'il faut camper ici, sinon on ne trouvera plus d’eau avant 
15 heures; comme ils sont très aflirmatifs, force nous est de stopper; nous nous installons dans le lit même 
du ruisseau, sous un des grands arbres ombreux. Le site est charmant. 

Le sol que nous venons de fouler est argilo-sablonneux, brûlé terriblement par un soleil implacable; le 
feu des herbes à passé, carbonisant tout; la brousse, formée d’arbustes grèles, est assez haute, sans grandes 
essences; quelques plants d’une espèce volubile, ayant la fleur des landolphia, et qui me paraît être très 
proche du caoutchouc dit des herbes: les feuilles sont laticifères; nos noirs, toutefois, ne sont pas d'accord 
sur le point de savoir si c’est du bon mapira (caoutchouc) où non. 

A 16 h. 50 m., nous sommes rejoints par un courrier d'Europe vid le Nyassa ; cela met une note très douce 
el inspiratrice de courage et de confiance dans cette première soirée sous la tente, début de notre promenade 
en territoire congolais. 

Que ceux qui ont des parents, des amis au loin, leur. écrivent beaucoup, quelque banales que puissent 
leur sembler les nouvelles qu'ils enverront! Que de fois j'ai vu des visages, amaigris et pàlis, s’attrister 
lorsque, le courrier ouvert, il n'y avait pas de lettres pour tous ceux qui, les yeux un peu fixes et brülants, 
attendaient impalients et s'en allaient navrés! 


Ecrivez beaucoup aux exilés. 


Jeudi, 1° septembre 1898. 
—— À ————— 


Nuit excellente, rafraichie par un vent d'intensité 2? à 3 qui se lève vers le matin. Réveil à 5 h. 30 m. 
Soleil dès 6 h. 15 m. 

Température à 6 h. 15 m. au thermomètre fronde : 16°,2. 

On remarquera que l'augmentation dallitude se marque par une diminution notable du minima nocturne. 

L'emplacement de la station de Moliro ne devrait pas être l'emplacement actuel, dans la crique asséchée et 
basse où nous l'avons trouvée, mais bien au bord de la falaise qui encercle cette crique, afin de profiter des 
conditions, favorables à Phabitabilité par les Européens, que crée un accroissement daltitude. Nous trouverons 
plus tard les Pères Blanes, — à Baudouin-Ville en particulier, — utilisant de la plus intelligente façon ces 
avantages très sérieux de Paltitude. 

A 6h. 55 m., nous nous mettons en roule vers l’ouest un peu nord; le sentier s'élève de façon continue, 
Lraversant suécessivement : d'anciennes plantations, le village abandonné de Pa-Kalondé (ayant émigré vers le 
sud), une vaste plaine où l’on marche littéralement sur les laisses de gibier (éléphants, antilopes, fauves), de 
nouveau d'anciennes plantalions suivies du village abandonné de Ki-Panda et du boma, également abandonné, 
de Ki-Toupounda, près de deux ruisseaux à see : le Ka-Lambwé et le Ki-Pako. 

Au delà de ces villages abandonnés la montée s'accentue; on trouve un col bien marqué et, par une forte 
grunpette sur roches, on arrive en un point d’où se découvre, à deux heures vers le nord-est, la nappe 
miroitante du Tanganika, à Pindentation du village Voua; ce dernier à l'embouchure du ruisseau Di-Voua, à 
cinq heures de pirogue de Moliro. 


Vers le sud, on distingue la pointe Ki-Pimbié, qui pourrait bien être le cap Akalonga des cartes. 


Le nom d'Akalonga, — important puisque le cap de ce nom est le point de départ de la frontière 
anglo-congolaise, — n’est connu d'aucun des indigènes que j'ai interrogés Jusqu'ici. 


La marche s'achève ouest un peu sud, l'altitude continuant à croitre, et — après avoir traversé à nouveau 
d'anciennes cultures — nous sommes aux sources du-ruisseau Kéno, par 1,350 mètres d'altitude. 


— 49 — 

Nous avons fait 19 kilomètres en # heures 27 minutes. [’élape à été assez dure, par la continuité de 
la montée sur roches. Pendant la dernière heure, nous avons laissé, à quelques kilomètres au nord, une ligne 
circulaire de pies isolés allant aboutir au Tanganika. Le pays parcouru est herbeux; arbres clairsemés : 
euphorbes-candélabres. 

Campement agréable, dans l’ombre d’une superbe galerie de grands arbres bordant la Kéno, dont le mince 
filet d’eau limpide (large seulement de 25 centimètres et profond de 6 à 7) coule toute l’année, s’enflant 
naturellement aux pluies. 

Dans la galerie bordière nombreuses lianes à caoutchouc exploitable, d’aucunes grosses comme la jambe. 

Justement, des gamins de la caravane nous ont apporté des fruits de lamomum citratum (N’toundoulou 
du bas Congo et du Ka-Tanga; bossanga de l'Équateur), dont le jus acide provoque la coagulation instantanée 
du latex des landolphia; ni le chef de poste de Moliro, ni les indigènes qui sont avec nous ne connaissent cette 
propriété, si précieuse; c’est pourquoi je fais recueillir quelques gobelets de latex, qu'on coagule séance tenante 
par le jus des n’toundoulou, au grand étonnement de tous. 

Dans l'après-midi, Michel tue un n'sengélé, sorte de rat musqué grimpant aux arbres; comestible pour les 
noirs. 


Vendredi, 2 septembre 1898. 


Levés à à h. 350 m. 

Température à 6 h. 10 m. : 16°,2. Soleil dès 6 h. 45 m. 

Passage de perroquets gris. 

Départ à 6 h. 40 m. C’est d’abord une région d'herbe basse avec taillis plus hauts que ceux vus hier et 
avant-hier; beaucoup d'arbres de taille moyenne ont été arrachés et renversés par des éléphants. 

L'altitude s'élève à 4,425 mètres, en un point marqué par un joli coin de haute fulaie; puis on redescend 
sur cailloux roulés; le terrain se mouvemente; vers l’ouest et le sud-ouest, une percée découvre une vaste plaine 
herbue avec, au delà, une lisière de collines boisées, surbaissées. 

Bientôt le sentier dégringole fortement, toujours sur cailloux roulés, vers une zone très accidentée, couverte 
d'énormes et hautes termitières qui, chose à noter, sont presque toutes surmontées d'une magnifique euphorbe- 
candélibre qu'on ne voit guère autre part que sur les termitières ; ces euphorbes sont de dimensions telles que, 
grace au piédestal formé par les termitières, elles dépassent parfois le sommet des grands arbres avoisinants. 

Remarqué aussi plusieurs arbres entaillés jusqu'au cœur : ce sont des arbres creux où des abeilles 
sauvages avaient fait leur nid, dont les indigènes gourmands s'emparent en agrandissant l'ouverture à coups de 
hache. 

Nous voici au ruisseau Ka-M’pemba, ne montrant que des flaques stagnantes et se jetant de suite dans le 
ruisseau Ki-Engué, encaissé de 1,50 à 2 mètres et large d'autant ; dans l’angle du confluent, anciennes cultures 
et boma abandonné du chef Mi-Kounga; le Ki-Engué se jette dans le Tanganika près du village Lombolombo: le 
boma abandonné est formé d’un fossé et d’une haute et épaisse haie en pommes épineuses (Datura stramonium) . 
Nous cueillons dans ce boma deux légumes indigènes poussant encore au milieu de la brousse qui à repris le 
village; lun est le maké'n'kenta, belle aubergine rouge-orange, très amère; l’autre est le ma&n’kolobwé, cucur- 
bitacée à fruits oblongs, épineux, de la grosseur d’un concombre; c’est d'ailleurs en concombre que se mange 
le man kolobwé et il est fort agréable. 

A 1 1/2 kilomètre à l’ouest du ruisseau Ki-Engué, nous entrons dans une vaste plaine herbue, de direction 
générale est-ouest, large de? kilomètres, courant eomme un lit de fleuve desséché entre deux bordures de 


hauteurs basses, bois 
Dans la bordure nord, une percée de 500 mètres de large, en plaine basse herbue également, et que les 


ses. 
indigènes appellent Ki-Koni; la plaine où nous venons d'aboutir est la plaine de la Ka-Chichi, ruisseau de 
1m,50 d’encaissement et de même largeur, que nous franchissons bientôt à sec. 

Aux pluies, tout se couvre d’eau; l’eau de la Ki-Koni coule vers la Ka-Chichi, laquelle va au ruisseau 
Ki-Longué, affluent lui-même de la N'Kongué, tributaire des marais Moéro. 

Il ne serait pas impossible que nous soyons ici dans un ancien lae. 


H= 


= SU 


Le sol est d'argile blanche, vrai royaume de termites qui, toutefois, n’y élèvent pas leurs ordinaires et 
hautes termitières, mais ont comme hersé le sol qui se montre couvert de petites mottes dures et irrégulières, 
au travers desquelles circule le sentier, étroit à n'avoir plus que la largeur du pied; aussi la marehe est-elle 
désagréable, ear il faut fixer ses pieds tout le temps, sous peine de risquer une foulure. 

Une deuxième fois, on traverse le ruisseau de Ka-Chichi; maintenant des flaques d’eau stagnante s'y 
montrent, de plus en plus nombreuses ; le lit du ruisseau s’élargit par places; des barrages de pêche montrent 
que les indigènes profitent de la fin de la saison des pluies pour empêcher le poisson de s’en aller avec les eaux ; 
on voit frétiller de nombreux silures dans les flaques et des nasses que nous relevons par curiosité en 
contiennent. 

Le pays, d'autre part, est giboyeux; partout des traces variées, entre autres de monstrueux pas d’éléphants 
moulés dans la terre durcie. 

Voici deux abreuvoirs à gibiers où convergent un réseau de sentes ; d'énormes oiseaux d’eau se promènent 
gravement. 

Brusquement, trois zèbres filent au galop devant nous; quatre ensuite sur notre droite. Comme nous les 
contemplons, — et leurs allures si libres sont d’une souplesse et d’une élégance inconnues, — un léger nuage, 
puis une détonation nous surprennent. 
C'est mon boy Djoti qui est filé sans rien 
dire, et qui vient d’abattre une belle 
femelle pleine, restée sur le coup. 

Nous sommes proches du campement, 
où nous poussons de suite; nos noirs 
peuvent ainsi aller chercher le zèbre ; il 
est si lourd qu'on ne parvient pas à le 
porter sur une perche; il faut le trainer 
pendant près de 4 kilomètres, ce qui 
abime tellement la peau que nous re- 
nonçons à la prendre pour nos collee- 
tions. 

Michel prend des photographies du 
bel animal, qu'on livre ensuite aux 
dépeceurs. 

La chair du zèbre est bien ce que 
Michel et moi avons encore mangé de 
meilleur au Congo. 

L'aubaine est donc bienvenue des 
blancs et des noirs. 


Par surcroit d’abondance, voici 

Campement à la lisière de la plaine Ka-Chichi. qu'on nous apporte un petit chapelet 

de silures. 

Notre camp est établi à la lisière boisée de la plaine Ka-Chichi; nous étions arrivés à 11 h. 8 m., ayant 
marché pendant 5 h. 8 m. et parcouru 21 1/2 kilomètres; l'altitude est redescendue à 1,295 mètres. 

Un point désastreux est qu'il n’y à comme eau que de l’eau des abreuvoirs, véritable lessive boueuse d’où 
émergent de temps à autre d’'inquiétantes antennes de bêtes inconnues. 

Le thé que l’on en confectionne... Pouah ! 

Pourtant, la soupe peut s’avaler, épaisse purée aux pois que l’eau colore en brun sale. 

Par bonheur, il nous reste une demi-dame-jeanne d’eau convenable, apportée de la Kéno. Je promets 
une bonne récompense à qui nous apportera un seau d'eau un peu claire; des hommes partent qui 
ne reviennent qu'à la tombée du jour, avec un seau d’eau trouble; donnons-leur tout de même le matabiche 
promis. 

N’avoir qu'une eau infecte est une fort vilaine aventure, — rare heureusement, — que nos estomacs 
n’acceplent pas sans protestation, d'autant que la cuisine, qui se fait en plein air, est visitée aujourd’hui par de 


— d1 — 


violents tourbillons de poussière, balayant tout sur leur passage; Fun d'eux, véritable trombe en petit, emporte 
livres, chapeaux, bibelots divers. 


Remarqué pendant létape : le simili magnolia si ornemental que nous avions signalé entre le Nyassa et le 
Tanganika et qui est un protéa; le mapänga, sorte de pomme-nèfle comestible vue en abondance également 
depuis le Nyassa (rhaptopetalum coriaceum), un bel arbre appelé par nous « le saucissonnier » (Kigelia 
æthiopica), son fruit rappelle celui du boabab; diverses fougères, des immortelles et quantité de fleurs très 
fraiches et très jolies, entre autres l’Hibiscus Debeerstit. 


Samedi, 3 septembre 1898. 


90 


À 6 heures, le thermomètre-fronde marque 15°. Légère rosée. Soleil dès 6 h. 10 m. 

Départ à 6 h. 50 m., vers l’ouest, pendant une eouple de kilomètres, le long de la lisière clairboisée de la 
plaine Ka-Chichi; se lèvent sous nos pas de nombreux oiseaux, perdreaux, tourterelles, pigeons verts...; une 
compagnie de cinquante pintates s’'ébroue lourdement. 

* Maintenant le sentier tourne au sud, s’'embranchant sur une autre route; c’est le premier carrefour vu 
depuis notre départ de Moliro ; nous montons sur roches pour suivre le bord d’un plateau, dont la falaise forme 
la limite orientale de la plaine basse où stagnent la Ka-Chichi et quelques autres ruisseaux peu importants 
menant leurs eaux à la N'Kongué. 

Voici un vrai dallage de limonites, affleurant par 1,325 mètres d'altitude. Le plateau où nous défilons est 
herbeux; on en descend bientôt pour traverser le ruisseau Ki-Banga ct saluer le chef Ka-Samvou, — dont 
l'important village ne comprend pas moins de cinq huttes, — et son voisin Ka-Kolé, plus puissant, car ses 
domaines exhibent sept huttes. 

Retraversant la Ki-Banga, nous suivons pendant trois quarts d'heure sa rive droite jusqu’à son confluent 
avec le ruisseau Ka-Bélélé; dans l'angle de leur confluent, les quatorze huttes du village de M'houlou, sans 
boma. ë 

Il est 10 h. 55 m. quand nous nous y arrêlons pour camper, ayant couvert 16 kilomètres en trois heures 
9) minutes. 

Le ruisseau Ki-Banga offre un lit s’épanouissant par places sur une largeur de 25 mètres ; on y enfonce de 
40 à 50 centimètres dans un fond marétageux; l’eau est plutôt trouble, et s'écoule en trois filets larges 
d’un mètre à la sortie des deux petits villages signalés ; le ruisseau possède une belle galerie forestière. 

Le ruisseau Ka-Belélé est large d’un mètre, profond de 10 centimètres; son eau est un peu laiteuse, son 
lit rocheux. 

Les trois villages, — ensemble vingt-six huttes logeant chacune 3 où # habitants, — sont confiants: 
nous ne sommes accompagnés, d'ailleurs, d'aucune espèce d'appareil militaire; en signe de bienvenue, 
les femmes hurlent en tenant la main devant la bouche et en agitant frénétiquement la langue: les hommes 
viennent à notre rencontre, se tapent sur la cuisse, — ou sur sa voisine, — font le salut militaire, et disent : 
« Bonjour bwana! » 

Cultures : manioc, maïs, mil, sorgho, tabac (en quantité), ricin, pois-cajan, patate douce, igname, coton, 
bananier, ma’n’kolobwé, courges, mioumbou. 

Ce dernier légume est un tubercule mince, long, très aqueux, se mangeant cru où cuit, et pouvant plus 
ou moins bien remplacer la pomme de terre, à condition de lui adjoindre une sauee relevée; le mioumbou 
ressemble aussi quelque peu à nos scorsonnaires. 

Remarqué la facon dont les indigènes sèchent, pour les conserver, leurs pommes de terre douces 
celles-ci sont coupées en longues tranches minces, et exposées sur les toits des huttes à l'ardeur du soleil. 
Ainsi desséchées, les tranches de patate sont disposées dans des corbeiïlles soigneusement tressées et bien 
fermées, qu'on garnit d’une couche d’argile et qu’on suspend ainsi dans les arbres du village, ce qui les met 
à l’abri des rongeurs et des fourmis. Naturellement, à la saison des pluies, on rentre ces corbeiïlles. 


Lo) 


Ji 


Nous avons goûlé ces patates séchées: c’est très coriace avee un goût de couque de Dinant; signalons à ce 
propos, — et ceci est fort probablement inconnu de plus d’un vieil Africain, — que la patate douce se mange 
très bien crue et est très agréable par son goût de châtaigne. 

Les villages ont des poules et des pigeons; mais ni chèvres, ni moutons, ni chiens. En revanche, nous 
avons observé le long du sentier de nombreux pièges à gibier, souvent d’un primitif absolu, tels les simples 
trous recouverts d’une légère couche de branches et de terre, trous dans lesquels le gros gibier donne de 
l'avant et reste entèté sans pouvoir se dégager, attendant le coup de grace du chasseur. 

Parfois aussi les pièges sont singulièrement ingénieux dans leur simplicité. 

Celui-ci, par exemple : le sentier est barré, à droite et à gauche, par une légère haie de branches 
épineuses, de manière à amener la bête à suivre le sentier; au milieu de celui-ci, un petit trou A, 


peu profond, recouvert d’un léger clayonnage dissimulé sous un peu de terre. 

Une cordelette C, fixée à l'extrémité d’une perche flexible P, vient se terminer en un nœud 
coulant disposé dans le clayonnage qui recouvre le trou A. 

Un bâtonnet fixé dans la paroi du trou maintient la cordelette bandée, ainsi que le 
montre la figure. 

Un animal se présente-{t-il au-dessus de À, instantanément il s'y enfonce, lun 
de ses membres antérieurs s’engageant dans le nœud coulant de la cordelette ; ré 
celle-ci n'étant plus retenue par le déclie que le poids 
de l'animal a arraché, se redresse sous la tension de 
la perche P:; en même temps une lourde fourche en 
bois M, au travers de laquelle passait la corde, glisse le 
long de celle-ci et vient emboiter le membre de lPanimal 
capturé, Pempêchant ainsi de ronger la cordelette et de se 
sauver. 

La fourche M est maintenue en place sur la cordelelle tendue par le moyen dun petit fcaillou p 
pincé entre la fourche et la corde, et qui saute de lui-même au moment où tout déclanche. 

A signaler comme pièges de nombreux lacels où se font prendre “pintades, perdrix, francolins, ete., 


qui abondent dans la région. 


Dès notre arrivée à Mhoulou, le théodolite est mis en station pour une observation du soleil par les 
hauteurs correspondantes. Malheureusement, des nuages rendent observation précaire. 
LI an 


Les caractéristiques de Mhoulou-village sont ; latitude, -— 8°. 8'. 997, 50; longitude, 30°. b', 35!!, 78 Est 


Greenwich; altitude, 1,190 mètres; déclinaison occidentale, 11°. 44, 83/7, 50. 


Dimanche, 4 septembre 1898. 


Réveil à 5 h. 45 m. A 6 heures le thermoniètre marque 8°,S. Rosée abondante. Soleil dès 6 h. 10 m. 
Départ à 6 h. 45 m,; des gens de M'houlou nous servent de guides. 

Nous franchissons de suite le ruisseau Ki-Banga pour longer sa rive gauche pendant un bon kilomètre 
à lravers une plaine de grandes herbes; le Ki-Banga est retraversé près de son confluent avec la N’'Kongut; 
à la plaine herbeuse à succédé du bas taillis; au point où nous touchons la N'Kongué cette rivière est 
large de 3 à 4 mètres, profonde de 50 centimètres; son eau est claire et courante; elle reçoit à gauche 
un ruisseau, le Ki-Longué, encaissé de 1",50, large de 2 mètres, avec 20 centimètres d’eau claire courante. 
Le sentier franchit la Ki-Longué, puis la N’Kongué qui vient du nord-ouest et file ici vers le sud. Nous 
longeons maintenant la rive droite de la N'Kongué dont le lit s’épanouit en prairies de papyrus où s’ébattent 
des hippopolames. 

Dans la plaine, de nombreux petits borassus brûlés par les feux d'herbe. 


— 09 — 

AS 1/2 heures, traversée d’un col assez resserré au delà duquel nous trouvons le village palissadé Ki-Pando, 
fort de trente huttes; les gens sont très confiants. 

Croyant le lac Souzi tout proche du village, nous pensons loger ici, et cherchons un bon point de 
campement ; il y a bien un superbe bouquet de grands arbres contre la N'Kongué, mais la nature irrégulière et 
l'humidité du sol ne nous permettent pas de nous y installer, ce qui nous amène à pousser jusqu'au lac Souzi 
même; des guides du chef Ki-Pando nous précèdent. 

La plaine où coule, très rapide, la N'Kongué est assez étroite et nettement bordée de collines, formant un 
cirque enveloppant. 

Bientôt nous quittons le sentier, — qui continue à remonter la rivière, — pour nous engager dans des 
affleurements de grosses roches et atteindre un plateau herbeux, sillonné d’une quantité de sentiers de gros 
gibiers; la hauteur et la densité des herbes, s’ajoutant au lacis de sentes qui couvre le sol, font que dix fois nous 
perdons le guide. 

Mais le voici qu’il s'arrête, tendant le bras : « Mayi Souzi », le lac Souzi, une nappe d’eau miroitant au soleil, 
au milieu de ce plateau herbeux qu’en- 
elot le cirque des hauteurs. 

Pas de bouquets de bois, mais des 
oasis de verdure constituées par de 
nombreuses grandes termitières habil- 
lées de beaux arbres, parmi lesquels un 
dattier sauvage. 

Essayons de nous rapprocher du 
lac; il faut y renoncer, car on patauge 
bientôt dans les terrains marécageux 
qui le bordent; marécageux est peut- 
ètre impropre; il s’agit, en réalité, du 
lac lui-même, venant se perdre dans les 
grandes herbes, le terrain étant en 
même temps défoncé par le gibier qui 
vient s’'abreuver au lac. 

Nous camperons près d'un de ces 
iiots de verdure que je viens de dire, 
proches la rivière N'Kongué, qui reçoit 
les eaux du Souzi. 

Il est 10 h. 45 m.; nous avons 
marché 3 heures 17 minutes et fait 
16 kilomètres. 


Campement au lae Souzi. 


Vite à la besogne pour désherber les alentours de notre oasis; de notre côté, il est encore temps de 
prendre une observation au soleil. Celle-ci terminée, on trace une allée méridienne en vue d’une observation 
de nuit. 

Par malheur, nous oublierons de disposer l'instrument à temps, avant la tombée du jour, ce qui rendra 
inutilisable le catalogues d'étoiles préparé dans Faprès-midi; et l'observation de nuit sera manquée. C'est notre 
éducation de praticien qui continue à se faire. 

Nous nous rattraperons demain, car nous resterons ici un jour plein pour mettre les calculs au 
courant. 

Michel et Helaers sont envoyés au lac pour tâcher d'en déterminer les dimensions; au retour, ils voient un 
troupeau d’une dizaine d’antilopes. 

Dans l’après-midi, les gens de Ki-Pando apportent force vivres, tant pour nous que pour nos porteurs: on 
nous offre de jeunes hyènes vivantes. 

La soirée est fraiche à nous obliger à demander du feu, près de nos tables, pour le repas du soir. 

Les hippopotames du lac grognent ferme : ordre d'entretenir du feu toute la nuit, afin de les tenir à l'écart, 
ainsi que les éléphants, qui pourraient d'aventure venir bousculer nos tentes. 


| 
C° 
re 
| 


Lundi, 5 septembre 1898. 


Séjour au lac Souzi. La nuit a été froide. À 6 h. 30 m., le thermomètre marque 7°; le froid à ce moment 
est si vif que l’eau des ablutions matinales semble glacée; malgré les paletots frileusement endossés, nous 
devons faire flamber un grand feu, auquel nous nous collons littéralement; nonobstant leurs feux, nos noirs 
grelottent à faire pitié. 

Les hippos qui grouillent dans le lac ont renaclé toute la nuit. 

La matinée est consacrée aux recherches magnétiques. 

Jai dit hier que Michel et Helaers avaient tâché de reconnaitre l'étang Souzi. Une photographie en a été prise 
du haut d’une termitière; le lac est en réalité un étang ayant à ce moment 600 mètres sur 1,200, et dont les 
abords immédiats, encombrés de grandes herbes, piétinés et rendus fangeux par le gibier, sont inaccessibles ; 
comme le montre la photographie, l’étang Souzi affecte une forme assez curieuse avec ses deux longues cornes 
de direction est-ouest. 


L'étang Souzi. 


A ce moment de l’année, l’émissaire par lequel les eaux du Souzi s’écoulent vers la N'Kongué est presque 
à sec; il faut la saison des pluies pour qu'il y ait écoulement sérieux; c’est à la N'Kongué qu’on va puiser notre 
eau, qui est très belle, limpide, excellente de goût et surtout très fraiche. Quelle compensation du breuvage de la 
Ka-Chichi ! 

La grande plaine où git l'étang Souzi est étonnamment giboyeuse, comme, d’ailleurs, toute la vallée 
de la N'Kongué : partout s'étend un lacis de sentes de gros gibier. 

Bien que nous n’ayons pas vu d’éléphant, la quantité de leurs sentiers (la photographie de l'étang Souzi 
en montre un à l’avant-plan), de places battues, de laisses fraiches et, d'autre part, les nombreux pièges creusés 
tant pour l'éléphant que pour l’hippo, le buflle, le zèbre, les grandes antilopes, ete., montrent à toute évidence 
que le pays est giboyeux à plaisir. 

Si nous n'avons pas vu d’éléphant, en revanche il nous a été, et nous sera encore donné ces jours-ci, de 
voir des zèbres, antilopes, hippos, phacochères, comme gros gibier; perdreaux, pigeons verts, tourterelles, 
pintades, ete., comme petit gibier, ce dernier très abondant. 

Sur les eaux du Souzi s’ébattent des troupeaux d'oiseaux aquatiques variés. 

Enfin, les laisses et traces de fauves décèlent le lion, le léopard, la hyène. 

On comprend que les chasseurs du type « écumeurs de la brousse », viennent chasser ici avec ou sans 
autorisation. 

Je signalaï, en conséquence, à l'attention du gouvernement qu'il y aurait lieu d'examiner la question de 
déclarer « réserve de chasse » la vallée de l'étang Souzi et de la rivière N'Kongué. 

L'étang Souzi a sa légende d’après laquelle on ne peut capturer de gibier dans ses environs immédiats, 
paree que les «n’zimou » (esprits) de l'étang appellent à eux le gibier blessé ou poursuivi par le chasseur. 


DD — 


La réalité est que tout animal blessé où pourchassé trouve un refuge connu dans les abords de l'étang, 
inaccessibles au chasseur. 


La plaine Souzi est de bonne terre de culture; les herbes y sont d’une hauteur et d’une densité que nous ne 
connaissions pas encore. Comment se fait-il que cette plaine, avec son lac et sa rivière d’eau superbe, ne soit 
pas habitée, ou du moins mieux habitée ? 

La percée méridienne tracée pour nos observations nous à montré les buttes régulières de cultures 
anciennes. 

Peut-être les déprédations du gros gibier ont-elles écarté les indigènes. Car le lac abonde en hippopotames: 
d'autre part, sur la photographie montrant notre campement, page 53, entre les deux tentes et au-dessus 
d'elles, on peut voir une grosse branche horizontale : elle était écorcée par le frottement de lFéchine de 
quelque monstrueux pachyderme qui s’y était gratté à plaisir. 


Vers 18 heures, — alors que nous venons de commencer l'observation astronomique, — arrivent les chefs 
du village Ki-Bwébwé. Je les reçois entre deux étoiles; ils apportent leurs hommages sous forme d’un quartier 
d'hippopotame pourri, qui empeste le campement pendant toute la soirée. 

Les chefs nous font connaître que leur village n’est qu'à un jour d'ici, sur la N'Kongué, en un point où 
cette rivière forme une grande chute en tombant du plateau du Ma-Roungou. 

Ces renseignements me décident à réaliser l’idée que j'avais de rentrer à Moliro par une autre route que 
celle suivie pour arriver au Souzi; je dis aux chefs de Ki-Bwébwé que nous logerons demain chez eux. 

Et je retourne à l'observation que les nuages m'empêchent de prendre complète; toutefois, elle pourra 
nous servir au moins pour la latitude. 

De nouveau, on doit nous allumer un feu pétillant pour combattre le froid très vif qui nous saisit après 
le coucher du soleil. 

Caractéristiques de l'étang Souzi : latitude : — 8°. 7!. 14!, 00; longitude, 29, 58’. 1", 28 Est Greenwich: 
altitude, 1,260 mètres; déclinaison magnétique occidentale, 119, 27!, 54", 50; inclinaison, 35°. 32". 81", 30; 
intensité horizontale, 0,1315. 

Point de station à 1 kilomètre environ à l’est de l'étang. 


Mardi, 6 septembre 1898. 


Nuit excellente, très reposante par sa fraicheur; on s'habille près d’un feu clair et gai. 

Température à 6 heures : 7°,1. Soleil dès 6 h. 15 m. 

Départ à 6 h. 50 m. vers le nord, puis l’ouest; tout de suite un troupeau de six ou sept antilopes détale 
devant nous : coup de feu sans résultat. 

Suecessivement on franchit l’émissaire du Souzi et la N'Kongué, et voici le sentier battu que nous avions 
abandonné pour gagner l’étang. 

Nouvelle bande d’antilopes; nouveau coup de feu nul. 

Bonne route horizontale; terrains alternativement argileux et rocheux; roches ferrugineuses. 

Qu'est ceci? 

Un «lilongo » est la réponse. 

« Lilongo » ou haut-fourneau, dont six spécimens abandonnés se voient près du sentier que nous suivons : 
adossés à de hautes termitières auxquelles a été prise l'argile rouge de la paroi des « lilongo ». 

La construction affecte la forme d’un tronc de cône régulier, haut de 3 mètres, large de 2 mètres à la base, 
de 1,20 à la section supérieure. 


— D0 — 


La paroi, épaisse de T7 à 8 centimètres, est faite d’un clayonnage ayant servi à maintenir l'argile, prise aux 
termitières, Jusqu'à ce que les premières opérations de fonte aient cuit cette paroi en une seule masse. 

À la base se voient un trou d'homme et des ouvertures plus petites ayant leur grande dimension dans le 
sens vertical; ces ouvertures allongées recevaient une série de tuyaux d'aération disposés en flûte de Pan; ces 
tuyaux étaient en terre cuite. 

Les hauts-fourneaux que nous voyons aujourd’hui sont en partie démolis; leurs abords sont jonchés de 
tuyaux brisés, ainsi que d’une quantité de scories ferrugineuses. 

La N'Kongué fournissait l’eau ; le bois (bois taillis) couvre les environs; enfin, la roche ferrugineuse abonde 
partout. 

D’anciens emplacements de cultures, les restes d’un boma circulaire (le boma de Tankoula), ajoutent leur 
témoignage à celui des « lilongo » en ruines, pour dire clairement que ce pays a été bien habité. 

Les guides, interrogés à ce sujet, n’ont qu'une réponse. «Il y a. longtemps, il y avait ici des villages; tous 
les gens sont morts. » 

Reprenant notre marche, nous traversons à nouveau la N'Kongué, près du boma abandonné, et suivons de 
facon continue la rive droite de la rivière qui, par places, offre des épanouissements d’allures marécageuses, 
couverts de papyrus. Et voilà que de l’un d’eux sortent cinq phacochères, qui viennent de s’abreuver, et qui 
nous passent à 50 mètres devant; Michel envoie deux charges de ballettes: Helaers tire à balle, mais en oubliant 
de glisser d’abord une cartouche dans son flingot; tout le résultat obtenu est de mettre la bande au galop. 

Constamment, sur la route, des pièges à gros gibier, consistant en un simple trou de 1",50 de diamètre et 
profond d'autant, recouvert de branchages dissimulés par une légère couche de terre; la bête (buflle, 
éléphant, hippo) y tombe de l'avant et y reste engagée sans parvenir à trouver un appui pour se dégager. Ces 
pièges primitifs sont si bien confondus avec le sol ferme environnant, que j'ai failli tantôt m’y prendre de belle 
facon ; heureusement, nos noirs ont l'œil, et le bon : ils m'ont arrêté à temps. 

On continue à marcher sur des affleurements de limonite en même temps qu'on s'élève, de façon lente et 
continue, pour se rapprocher de la ligne de falaises dominant de 150 mètres la plaine où nous nous trouvons. 

Voici un embranchement du sentier, filant vers le nord : c’est la route vers Baudouin-Ville. 

Encore 3 kilomètres, en partie à travers d'anciennes cultures, suivies de grands champs bien cultivés, et 
nous arrivons au village de Ki-Bwébwé, fort de 22 huttes, qu'encerele l'ordinaire boma en perches jointives, 
souvent garni pittoresquement de plantes grimpantes. 

Il est 9 h. 35 m.; nous avons marché 2 heures 45 minutes et fait 12 kilomètres. 

Le village est sur la rive droite de la N'Kongué, ayant en face de lui, sur l’autre rive, le village Lou-Bilo 
(10 huttes) ; tous deux au pied de collines qu'ils appellent « Kilima Kia Ki-Bwébwé » (hauteurs de Ki-Bwébwc), 
et qui courent ici sud-nord, puis forment une avancée très marquée vers l’est : e’est le-bord du plateau 
Ma-Roungou. 

La N'Kongué tombe du haut de cette falaise par une crevasse encombrée d’une végétation luxuriante, dans 
laquelle la nappe d’eau se masque en partie: au pied de la falaise, la rivière forme une assez large expansion 
marécageuse. 


Nous sommes reçus à Ki-Bwébwé par l'accoutumée salutation des femmes : cris perçants avec battements de 
la main sur les lèvres; les indigènes sont vêtus de pagnes fournis par l'arbre à étoffe; on voit très peu de tissus 
européens. 

Mêmes cultures que précédemment ; comme animaux domestiques on ne voit que la poule. 

Nous logeons ici dans deux huttes qu'on nettoie à notre intention. 

Pris une observation au soleil. 

Après le deuxième repas, M. Helaers, muni de l’antroïde, est chargé de faire l’ascension de la falaise et de 
déterminer son altitude moyenne au-dessus du niveau de la plaine; il devra s’efforcer d'arriver au sommet d’un 
piton boisé, qui met une note dominante dans les « Kilima Kia Ki-Bwébwé ». 

Pendant cette ascension Michel et moi prenons une observation complète de magnétisme. 


— DT — 


Helaers rapporte comme chiffres d'altitude pour le piton : 175 mètres; pour le bord de la falaise, 
140 à 150 mètres. 

La journée s'achève par une observation de latitude aux étoiles, et la détermination de la déviation 
azimutale pour corriger la déclinaison. 

Soirée fraiche exigeant le feu du soir. 

Caractéristiques de Ki-Bwébwé-village : latitude : — 8°. 2'. 19", 42; longitude : 290, 55, 41, 48 Est Green- 
wich; altitude : 1,300 mètres; altitude du sommet de la chute : 1,380 mètres; déclinaison magnétique occi- 
dentale : 11°. 33!. 5", 005 inclinaison : 84°. 54!. 46", T0; intensité horizontale : 0,1267. 

Point de station dans le village, rive droite de la N'Kongué, à 750 mètres environ du pied de la chute. 


Mercredi, 7 septembre 1898. 


Température à 6 heures : 14,5. Il est intéressant de remarquer que ce chiffre est le double de ceux 
obtenus à l'étang Souzi, bien que nous soyons proche de cet étang et à une altitude plus élevée. 

Départ à 6 h. 55 m. vers le sud, le long de la falaise, pendant 6 à 7 kilomètres; après quoi la falaise 
s'éloigne vers le sud-ouest tout en paraissant s’abaisser graduellement. 

Aux dires des chefs qui nous accompagnent, cette falaise forme la séparation entre les populations « Bana- 
Maroungou » et les populations « Wa-Bemba » et « Ba-Mambwé » ; ces dernières s'étendent au loin vers le sud 
et le sud-est, en territoire anglais. 

La route, à ce moment de l’année, est bonne; peut-être aux pluies a-t-on un peu d’ennui au passage du 
ruisseau Mambala, dont le lit marécageux est actuellement à sec. 

On rencontre alternativement des portions où les hautes herbes, très drues, font la marche pénible, puis 
des parties de brousse basse, du bois-taillis grêle, bien que certains arbres atteignent des hauteurs de 10 à 
12 mètres; presque partout sévissent les termites, dont les galeries d'argile rougeûtre garnissent presque tous 
les troncs d'arbres; exceptionnellement se voient des ilots de verdure, dont les arbres sont indemnes de ces 
galeries d'exploitation, et où les essences ont plus de vigueur. 

Partout le simili-cacutchoue des herbes, avec sa forme retrouvée de liane, parfois s’enroulant aux 
arbres. 

La prune des sables (m'fingwa du bas Congo; voir le Mouvement géographique du 26 juillet 1891 et 
du 26 janvier 1896) s'appelle iei « mossongwa ». Remarqué aussi, comme fruit comestible de la brousse, 
le « n’sokolobwé », porté par un arbre de bonne taille; ce fruit est une drupe de la grosseur d’une belle baie de 
café, et dont le noyau rappelle quelque peu le grain du café; à ce moment de l’année, le dit fruit est encore vert 
et immangeable. 

Enfin, de nombreux borassus flabelliformis, dont beaucoup sont maintenus petits par les feux d'herbes: 
ceux-ci font rage actuellement; au cours de l'étape d'aujourd'hui, nous marchons vers un de ces feux venant 
lui-même à notre rencontre : on croirait entendre des feux de compagnie à volonté; le crépitement augmente 
d’instant en instant, en même temps que des langues de flammes s'élèvent en se tordant jusqu'au-dessus des 
plus grands arbres, dont elles carbonisent les branchettes et le feuillage, @’est un véritable océan de feu qui 
roule sur la plaine, faisant fuir le gibier, s'élever les criquets bientôt rejoints par la flamme capricieuse, durant 
que les éperviers gris (Gypohierax angolensis) planent dans les tourbillons de fumée et plongent brusquement 
dans la fournaise pour y happer quelque animal impuissant à fuir : mulot, serpent, etc. 

Des bouffées de chaleur nous arrivent de plus en plus pressées, et nous devons hâter le pas pour gagner, 
au pied de la falaise de Ki-Bwébwé, une avancée de blocs de roches qui nous protège contre l'incendie. 

Au moment où nous nous remettons en route, se lève un bel engoulevent mäle aux longues plumes 
caudales; Michel le tire et s’élance pour le ramasser; mais avant que loiseau ait touché terre, un épervier 
a plongé, si rapide, qu’il a happé l’engoulevent et s’est relevé emportant sa proie sous nos yeux ébahis. 

À 10 h. 15 m., nous atteignons le village Mtalika, près des sources du ruisseau Nônda, afluent de là 
N’Kongué. 

Nous avons marché 3 heures 10 minutes et parcouru 14 1/2 kilomètres; en arrivant au gite d'étape, le 
camarade Helaers est pris de vomissements suivis, — c’est quasi la règle, — d’un accès de fièvre. 


M'talika-village n’est pas palissadé, sans doute parce qu'il y a trop peu à protéger, le village ne comptant 
que sept huttes; à notre arrivée, il n’y à à voir que einq ou six femmes ; les hommes sont absents, mais rentre- 
ront dans l’après-midi. 

Installé le campement dans l’admirable galerie du ruisseau Nônda; celui-ci nous fournit une bonne eau 
claire. 

Les cultures du village montrent une belle terre noire où poussent : manioe, maïs, mil, arachides, patates 
douces, haricots, courges, aubergines, man-kolobwé, tabac (qu'on met en rouleaux tressés), ricin, Coton, 
borassus, bananiers, ficus à étoffe. 

Comme animaux domestiques : poules et pigeons. 

Dans l'après-midi, les chefs Tambo, Vitou et Mtalika viennent offrir leurs hommages et un présent 
consistant en vivres divers. 

Comme la durée de notre reconnaissance s’allonge au delà de ce que j'avais pensé, j’expédie d’iei à Moliro 
un courrier pour qu'on envoie à notre rencontre un supplément de vivres, et en particulier de café dont nous 
allons manquer. 

Feux d'herbe partout; partout d’épais nuages de fumée noire tourbillonnent lourdement avec des envolées 
de feuilles brülées. 

Vers 20 h. 1/9, je suis réveillé, tant l’incendie fait rage à moins de 300 mètres de nous, sur la rive droite de 
la Nânga dont, heureusement, la galerie d'arbres nous protège eflicacement; le spectacle est si grandiose que 
j'appelle mes compagnons : tout est éclairé et « chauffé ». 

Ceci est à noter, on verra bientôt pourquoi. 


Jeudi, 8 septembre 1898. 


Température à 6 heures : 11°,5. Aujourd'hui encore, la température s’accuse notablement supérieure à celle 
trouvée au Souzi, qui est cependant tout proche. Il semble que les puissants feux d'herbe qui flambent toute 
la journée et une partie de la nuit expliquent le chiffre relativement élevé de la température d'hier et d'aujour- 
d'hui matin, vis-à-vis du chiffre des jours précédents, où nous n'avons pas eu de feux d'herbe à proximité du 
Camp. 

Il y à là une indication à enregistrer, comme facteur possible dans la cause totale des relèvements 
nocturnes de la température que nous avons constatés à Moliro-Station par les diagrammes du thermographe. 

Départ de Mtalika à 6 h. 55 m. 

M. Helaers est toujours sous le coup de son accès de fièvre; il fera la route à dos d'âne, mais sa journée 
restera mauvaise. 

La marche se continue vers le sud; on distingue encore quelque temps, vers l’ouest, la falaise suivie 
depuis Ki-Bwébwé; vers l’est, c’est, jusqu’à la ligne d'horizon, une vaste plaine ondulée. 

On monte un moment pour redescendre bientôt, de facon continue, pendant toute l'étape. 

Encore un haut-fourneau en ruines. 

Maintenant nous foulons un sol d'argile blanche, couvert de termitières de toutes tailles ; sur chaque grande 
termitière une cuphorbe-candélabre de grandes dimensions, ainsi que nous avons vu précédemment; cette 
essence pittoresque et caractéristique ne se voit que sur les termitières. Pourquoi ? 

Il semble y avoir là une cause intéressante à déterminer. 

Au sol d'argile blanche et de termitières succèdent des dalles rocheuses faisant place à leur tour à l'argile 
rouge. 

Pendant la première moitié de l'étape, on ne recoupe aucun ruisseau; le premier rencontré est le Zongué, 
large de 2 à 4 mètres, à fleur de sol, et à sec en ce moment; puis nous touchons au ruisseau Ka-Boto, dont le lit 
rocheux conserve des trous d’eau signalés par des bouquets de beaux arbres; le Ka-Boto se jette dans la 
Ka-Moussenga, et le sentier les traverse tous deux à leur confluent ; la Ka-Moussenga est large de 1,50; son eau, 
profonde de 30 centimètres, est claire et courante; sur les bords se montrent d'anciennes cultures. 

La Ka-Moussenga traversée, on la longe à quelque distance de sa rive droite, foulant au pied de grandes 
dalles ferrugineuses, suivies d’un terrain sablonneux où se développent les champs de manioc du village 


— 9 — 


Ki-Tétéma, où nous faisons notre entrée à 11 h. 32 m., ayant marché 4 heures T minutes et couvert 20 kilo- 
mètres, le long desquels nous avons relevé peu de traces de gibier; d'autre part, le sol s’est montré peu 
favorable aux cultures; brousse caractérisée par la quantité d’acacias et de mimosas que les feux d'herbe et les 
termites maintiennent rabougris. 

A signaler des plants d’aloès et le « m'filou » du bas Congo, appelé ici « moufoutou ». 

Les seuls beaux arbres vus sont les arbres du Ka-Boto {entre autres de superbes borassus), et surtout de Ja 
Ka-Moussenga dont la galerie, près de Ki-Tétéma, est faite d’arbres à fûts élancés et droits à plaisir. 

Ki-Tétéma-village est sur la route Moliro-Mpwéto. C'était anciennement un village soumis aux esclavagistes 
arabes; l'enceinte existe encore, tombant en ruines; elle se composait de deux murs parallèles en torchis, 
recouverts d'un toit en herbe, créant une série de casemates. 

Aujourd'hui, le village compte 40 huttes; des plantations l'entourent au loin. Il s’y trouve un poste noir 
dépendant de Moliro, et composé d'un caporal indigène, qui est ici depuis cinq ans, et cultive avec succès un 
jardinet et un petit harem; du jardinet nous recevons des oignons, présent appréciable; des dames du harem, 
nous recevons des œufs, du pourpier, un peu de riz, présents également apprécié. 


Ki-Tétéma-village : les fortifications en ruines. 


En quelques minutes, on nous vend quarante œufs, au prix d'une perle blanche par œuf; une poule 
coûte 7 pareilles perles. 

On présente en vente deux escravelles (petites pointes d'ivoire) bourrées de terre, ne pesant pas ensemble 
1 kilogramme, et pour lesquelles on nous demande de la poudre, article que nous n'avons d'ailleurs pas. 

Il y à ici assez bien de bananiers qu’on a laissé, malheureusement, toucher par les feux d'herbe: il y a 
aussi deux papayers ne portant pas encore. 

Pour la première fois, nous voyons des chiens indigènes; quoique fort laids, ils sont un peu moins répu- 
gnants que les chiens du bas Congo. 

Nous nous installons dans la maison du caporal, où nous aurons comme compagnons des escadrons de 
rats. 

Reçu le chef Ki-Tétéma et engagé, séance tenante, un petit contingent de porteurs pour le voyage prochain 
de Moliro à Mpwéto; ils partiront avec nous dès demain. 

La soirée est belle; nous réussissons, pour la première fois, une observation complète au théodolite : 
13 étoiles sont prises dans les quatre positions de la lunette, fournissant la latitude, l'heure et la déviation 
azimutale à utiliser pour la détermination de la déclinaison magnétique que nous ferons demain matin avant le 
départ. 

Caractéristiques de Ki-Tétéma : latitude, — 8°. 16'. 49/, 71; longitude, 29%, 54’, 48", 83; E. Gr.: altitude, 
1,075 mètres; déclinaison magnétique occidentale, 11°. 33'. 38/, 80; inclinaison, 35°. 33°. 45”, T0; intensité 
horizontale, 0,1303. 


Point de station au milieu du village. 


— C0 — 


Vendredi, 9 septembre 1898. 


De 6 heures à 6 h. 45 m., prise de la déclinaison magnétique. A 7 h. 20 m., départ. M. Helaers, encore 
fiévreux, doit être porté en hamac. Pendant près de 6 kilomètres nous traversons un terrain soumis aux inon- 
dations, et qui a été couvert de cultures dont les buttes sont aujourd'hui absolument défoncées par des multi- 
tudes de «m’poukou » (rats, mulots) ; le sol sonne creux sous le pied; des bandes de tourterelles et de pintades 
se lèvent à diverses reprises. 

La Ka-Moussenga, franchie à environ 2 kilomètres du village, est large de 3 mètres, profonde de 80 centi- 
mètres ; le courant est insensible et l’eau parait trouble, du moins au passage du sentier ; une double et épaisse 
bordure de papyrus en dessine le cours, que nous descendons pendant la moitié de l'étape; sur la rive droite, 
on distingue un petit village abandonné. 

Au delà de la région d'anciennes cultures, la route s'élève d’une vingtaine de mètres, et se déroule sur un 
plateau couvert de hautes termitières et de nombreux restes de hauts-fourneaux. 

Restes est, à vrai dire, un terme impropre, car ces constructions étaient si solides que beaucoup sont restées 
intactes. 

Ainsi que déjà nous l'avons noté, les hauts-fourneaux marchent de pair avec les hautes termitières, celles-ci 
fournissant à ceux-là l'argile rouge de leur paroi. 

Les dimensions des « lilongo » restent à peu près invariablement celles que nous avons données précé- 
demment. Leur nombre est considérable : nous en comptons plus de 50 à droite et à gauche de la route sur un 
parcours de moins d’une lieue. 

Et nous ne voyons là, évidemment, qu'une partie de ce qui existe, nos noirs nous afirmant que les mêmes 
ruines se retrouvent jusque loin vers le sud. 

A mes interrogations relatives à l’époque où on les exploitait, il n’est donné qu'une réponse : « Samäni ! 
Samäni! » … Longtemps! Longtemps! 

Comme je demande si un des jeunes hommes, un des guides, a vu les « lilongo » en activité, il n'est 
répondu en riant que non. 

« Et cet autre?» — C’est un vieux nègre grisonnant. 

« Non plus », répond l’homme interpellé. 

C’est enrageant de ne rien pouvoir tirer de tout ce monde quant à l’époque où (lait exploitée, sur une si 
erande échelle, l'industrie de la fabrication du fer; l'abondance des anciens terrains de culture que signalent 
les quinconces de tertres, aujourd'hui repris par la brousse, complète la preuve fournie par les hauts-fourneaux 
que la région a été très peuplée. 

Mais impossible de savoir quand et pourquoi cette exploitation à pris fin. 

Allons toujours! 

Nous voici au village Kassi-Kissi, chef Simba-Mavwé, fort de 38 huites. 

A l'entrée du boma on voit la nioumba na znimou (maison des esprits). 

Dans la croyance des Wa-Bembas, des esprits méchants parcourent le pays, lesquels, s'ils ne trouvent 
pas, pour y passer la nuit, des maisons préparées à leur intention, viennent coucher dans le village même 
el y apportent le malheur. Ces « maisons des esprits » ne sont, la plupart du temps, que des réductions 
minuscules de huttes, auprès desquelles on place de temps à autres quelques vivres et du pombé (bière 
indigène). 

Au village Kassi-Kissi succède le village du chef Ka-Fwanka, gros de 30 huttes, et montrant, encastré 
dans la muraille d'enceinte, un crâne de buffle produisant un curieux effet. 

Règle générale les villages sont infects; à Ka-Fwanka, où l’on peut voir pourtant quelques très jolies 
huttes, les indigènes ne sortent pas toujours de leur boma pour satisfaire leurs divers besoins. 

Les populations sont elles-mêmes malpropres; on les dirait heureuses de leur couche de crasse à laquelle 
adhère la poussière, ce qui leur donne la teinte du sol même qu’elles habitent. 

Une chose également peu agréable pour le voyageur est, dans toute cette région, l'absence de grands arbres 
dans les villages; ceux-ci rôtissent littéralement dans le soleil. 

L'étape s'achève au village du chef Moumbalanga, où nous allons trouver d’intéressants renseignements. 

Il est 11 h. 25 m.; nous avons fait 17 kilomètres en 3 heures 25 minutes. 


ce 


Le village où nous nous arrètons, situé sur la rive droite de la Ka-Sakiï, est en construction pour le moment, 
il compte 15 huttes; son constructeur en chef est Ie foundi (forgeron) Moumbalanga, homme intelligent, dont 
la personnalité contraste singulièrement avec l'état dinfériorité qui caractérise les indigènes vus aujourd'hui. 

Ledit Moumbalanga revient de chez le capitaine Joubert, auprès duquel il s'était réfugié avec ses gens, 
fuyant l'occupation arabe. 

Il nous apprend que les fondeurs de fer (foundi), qui établirent les 
hauts-fourneaux de la région, venaient du pays des Ba-Mambwé (par 
environ 9 latitude sud et 31° longitude Est Greenwich); ils arrivèrent ici 
aux confins des tribus Wa-Bembas qui, du sud, s'étendent jusqu’à la ligne 
de hauteurs de Ki-Bwébwé, où nous avons vu Ja chute de Ja N'Kongué. 

Les foundi Ba-Mambwé s'établirent pacifiquement chez les Wa- 
Bembas, qui, vraisemblablement, furent heureux de voir arriver chez 
eux des travailleurs du fer, ce qu'eux-mèêmes n'étaient pas. 

Quand s’accentua l'occupation arabe, les fondeurs quittèrent le pays, 
et les derniers se réfugièrent auprès des Pères Blancs. 

La paix et la sécurité étant aujourd’hui rétablies, grâce à l’action de 
« Boula-Matari », Moumbalanga est revenu avec ses gens, et a réinstallé 
un haut-fourneau à une demi-heure d'ici. 

A son métier de fondeur, il joint celui de forgeron. Il tire son 
minerai de la vallée de la Ka-Moussenga; nous aurons plus tard Focca- 
sion de nous faire apporter un échantillon de ce minerai, qui n’est 
autre chose que des nodules de limonite. 


Pour le moment, le foundi Moumbalanga nous explique le fonction- 
nement des hauts-fourneaux, fonctionnement dont on peut se rendre compte par 
la figure ci-contre. 

Suivant l'axe du haut-fourneau, on dispose un long creuset en terre réfrac- 
taire, dans lequel on à placé alternativement «le minces lits de charbon de bois 
et de minerai en petits fragments. Du bois à brüler remplit l'intervalle entre le 
creuset et la paroi du haut-fourneau. Par les ouvertures latérales inférieures, 
un appel d'air considérable est établi à l’aide de tuyaux superposés verticalement. 

Telle est la pratique de la réduction du minerai, si nous comprenons bien 
les explications du foundi. Comme nous n'avons pas eu loccasion d'assister par 
nous-mêmes au travail, il importerait que quelque voyageur de passage en la 
région cherche à contrôler de visu les renseignements que nous ne pouvons 
donner que de auditu. 


Le point intéressant à contrôler est l'existence du creuset. 


Coupe verticale et projection horizontale Ë ; » Fe 2 
d'un haut-fourneau. Quoi qu'il en soit, nous retrouvons une fois de plus ici la méthode catalane, 


exigeant un minerai riche, mais donnant un fer excellent. 
Tels les premiers renseignements un peu précis relatifs aux hauts-fourneaux et à Fexploitation du fer: ils 


se compléteront quelque peu plus tard, dans des circonstances que nous dirons à leur heure et place. 


Samedi, 40 septembre 1898. 


C’est une chose curieuse qu’en Afrique, lorsqu'on se sent trop bien portant, on doit se considérer comme 


touchant à un extrême, et s'attendre à un accès de fièvre. 

Hier à midi, je faisais cette réflexion à mes compagnons de route, en leur disant que je me sentais trop 
étonnamment dispos au travail et à la marche. 

Aujourd'hui, je vais faire la preuve de la justesse de ma réflexion en apparence paradoxale. 

La nuit a été plutôt mauvaise. Toutefois, j'avais déjeuné normalement; mais, à peine en route, Festoma 
s'alourdit, Phénomène que je connais trop bien et qui m'annonce les proches vomissements. 


= 9 = 


Je lève néanmoins l'itinéraire; à trois ou quatre reprises, je fais effort pour débarrasser l’estomac, sans 
arriver à mieux qu'à rendre quelques gorgtes de glaires. Enfin, vers 9 heures, nous stoppons pendant une 
heure, car je suis pris de flux de ventre et de deux accès de vomissements, ramenant mon déjeuner tel quel. 
Prenant le hamac, nous gagnons le village de N’tambala, qui est tout proche, et où l’on dressera les tentes 
hors du village, car les huttes dans lesquelles nous avons logé ces jours derniers n'étaient guère engageantes, 
et, pour aujourd’hui, nous nous payerons le luxe et la propreté de la tente. 

Dès que la mienne est dressée, je me couche; je puis dormir et transpirer ferme, ce qui me permet de me 
lever à 14 heures, pour mettre les notes et l'itinéraire du jour au courant. 

Partis à 6 h. 50 m. de chez Moumbalanga, nous avons couvert 13 kilomètres en 2 heures 38 minutes. 

La route suit le ruisseau Ka-Saki, qu’elle traverse au village Sandourouka, pauvre bourgade où se voient, 
en tout et pour tout, huit huttes tombant en ruines; la Ka-Saki va se jeter dans la Ki-Moussenga. 

Jattire l'attention sur ce fait qu’hier on disait Ka-moussenga et qu'aujourd'hui le préfixe Ka est devenu Ki, 
ce qui semblerait indiquer que ces préfixes peuvent se remplacer, où sont équivalents, dans les noms de 
ruisseaux. 

J'aurai plus tard l’occasion de dire quelques mots au sujet de ces préfixes ; je me contente, pour le moment, 
de signaler un fait en lui-même. 

La Ka ou Ki-Moussenga et son affluent la Ka-Saki coulent ici dans une interminable plaine herbue soumise 
aux Inondations, et où abonde le gibier ailé : pigeons, perdreaux, tourterelles, pintades, ete. 

Vu aussi des laisses d’hippopotames. 

A diverses reprises, aujourd’hui encore, nous foulons d'anciens et grands terrains de culture, jusqu’à 
l'arrivée à N'tambala, qui est le plus gros village rencontré jusqu'ici : il compte 80 huttes. 

Comme Ki-Tétéma, Ka-Fwanka, Sandourouka, il est entouré d’un double mur formant casemates, dénotant 
l’ancienne occupation arabe. 

Ces fortifications, — importantes pour le pays, — comme aussi les grands espaces jadis cultivés, attestent 
que, voici quelques années, la route entre les lacs Tanganika et Moéro était d’une extrème importance pour les 
esclavagistes. 

Dans les casemates du double mur d'enceinte on parquait sans doute les convois d'esclaves, et les grandes 
cultures, dont on ne voit plus que les emplacements abandonnés, servaient à nourrir le précieux butin. 

Le feu chef Moliro, père du chef actuel, étut, parait-il, très puissant et commandait à tous les villages à 
cinq jours à la ronde. C’élail un esclavagiste allié aux Arabes. 

Aujourd’hui, son fils vivote dans son malheureux village de Ki-Poundou, près du poste de l’État, village 
dont nous avons déjà dit la malpropreté. 

Au reste, les populations rencontrées ces derniers temps sont tout aussi sales et sans allures; elles 
paraissent très pacifiques; on ne voit que peu d'armes. 

Il n’est pas impossible qu'en mettant une factorerie sur la route, on puisse ramener peu à peu les popula- 
tions qui ont émigré; l'exemple du « foundi » Moumbalanga est assez typique; d'autre part, un ancien chef de 
la route Moliro-Mpwéto, qui s'était porté dans le sud, est venu prévenir M. Helaers qu'il se disposait à se réin- 
staller sur le territoire de l'Etat. 


Notre campement, aux portes de N'tambala, pèche par l'abondance des mouches et des moustiques, et par 
l’absence de bonne eau. 

Au début de la soirée nous sommes en observation, mais le ciel se couvre complètement avant que nous 
ayons pu achever complètement le travail. 

Nous le reprendrons, si possible, quand nous repasserons ici, en marche vers Mpwéto. 


Dimanche, 11 septembre 1898. 


Départ à 6 h. 30 m. Notre caravane s’est augmentée de quelques porteurs fournis par N’tambala pour le 


prochain départ de Moliro. 


63 22 


La route se développe d’abord vers le nord pendant une dizaine de kilomètres, puis tourne à peu prés 
à l’est. 

Pendant la partie qui pique vers le nord, nous longeons à faible distance la N’'Kongué, successivement 
par la rive droite, puis par la rive gauche; le cours de la rivière se marque nettement d'une ligne de beaux 
papyrus. 

Au point de passage du sentier, la N'Kongué à 3 à 4 mètres de large, 20 centimètres d’eau un peu laiteuse, 
courant sur des débris de roches. 

Si je comprends bien les guides, la N'Kongué, après avoir pénétré en territoire anglais, va se perdre dans 
le Ki-Chiéra, — une grande eau qui ne coule pas, — et qui serait le marais Moéro, différent du lac Moéro. 

Après avoir franchi la N'Kongué, on la longe encore sur une couple de kilomètres, puis, tournant vers l’est, 
on s'élève sur un massif de schistes et grès rouges, avec affleurements de limonite; du gros sable rouge parsème 
le pays, devenu moins herbeux pour se couvrir de bas-taillis avec, parfois, un grand arbre. 

Vers la fin de l'étape, on découvre les hauteurs bordières du lac, puis on entre dans une vaste plaine 
rappelant celle de Ia Ka-Chichi, avec son sol d'argile blanche durcie au soleil. Pas un arbre, rien que les 
travaux des termites faisant ressembler la plaine à un interminable champ mal labouré; c’est la plaine Pa’n'dé. 

Vers l'horizon, à l’est, au sud et à l’ouest, courent des lisières d'arbres rabougris; vers le sud, détale un 
troupeau de grandes antilopes; le sol à gardé des empreintes d’éléphants. 

Les guides ne sont pas très certains du point où il faut camper; à un moment donné ils veulent nous 
rabattre dans le sud; toutefois, je fais continuer dans l’est, et nous atteignons bientôt un méchant abreuvoñ 
à gibier, de 50 à 60 mètres de long sur 8 à 10 mètres de large; l’eau qui y stagne au soleil est boueuse et 
verdâtre; de nombreux silures y frétillent durant que s’enlèvent, à notre approche, des oies, des marabouts, 
des grues, des chevaliers armés, etc. 

A 11 h. 40 m., nous stoppons à la lisière orientale de la plaine; l'étape, de 21 kilomètres environ, a pris 
4 heures 35 minutes. Je l'ai faite à pied, sauf quinze minutes de hamac : &’est bien pour un lendemain 
de fièvre, mais ne nous y fions pas. 

Le manque d'ombre au camp d'aujourd'hui nr'oblige à travailler quasi en plein soleil, abrité seulement 
par un paletot et un essuie-mains tendus sur deux jalons 

Aussi ne devais-je pas manquer de m'en ressentir; d'autant que nous avions copieusement lunehé, grâce 
aux provisions fraiches (pain, beurre, fromage blanc, café) que nous recevions de Moliro, à 1# heures, en 
réponse à la réquisition envoyée de N’talika. 

A 17 heures je me sens très cotonneux; Michel et Helaers idem; pourtant il faut observer ce soir; Je 
mets les instruments en station et, en attendant les étoiles, nous dinons de pain et de fromage blanc; ce diner, 
apprécié autant que sommaire, nous retape et nous pouvons faire une observation complète de latitude et 
d'heure. 

Couché à 21 h. 30 m., sans la moindre envie de dormir; il fait chaud à ne pas même supporter le seul 
drap; plus la nuit s’avance, plus je me sens éveillé avec beaucoup plus d'envie de chanter que d'appeler le 
sommeil. 

Je payerai cela demain. 

Caractéristiques du camp de Pa’n’dé: latitude, — 8e. 29. 38/, 29: longitude Est Greenwich, 30°. 14. 14, 78; 
altitude, 1,015 mètres. 


Lundi, 12 septembre 1898. 


Départ à 6 h. 45 m. 

Ainsi que je m'y attendais, je me suis levé pas reposé du tout; Michel de même; quant à M. Helaers, il 
continue à souffrir de coliques et de diarrhée. 

J'essaie d’une tasse de café avec un bout de tartine et ne réussis qu'à alourdir l'estomac; il y aura du 
grabuge de ce côté tout à l'heure. 

Michel et moi levons l'itinéraire long de 19 1/2 kilomètres, couverts en quatre heures; route facile, en 
pente continue. 


AVES 


Nous n'avons qu'un hamac pour trois; M. Helaers s’est bien fait accompagner d’un âne, mais celui-ci, a 
pour toute garniture, une vieille selle dont la sangle à disparu depuis longtemps; elle avait été remplacée par 
deux bandes de saved list bleu qui n'avaient pas tardé à se briser, ce qui rendait impossible l'usage de la bête, 
du moins aux trois fiévreux que nous étions. 

Et, malgré notre manque d’entrain, nous ne pouvions nous empêcher de rire à voir notre aliboron se 
prélasser haut le pied, nu comme ver, et suivi de son conducteur portant la selle sur sa tête. 

Une station qui a des bêtes à monter devrait faire figurer sur ses états de besoins les objets suivants : 

1° Brides à ajustage simple et à mors de bridon (exclure impitoyablement le mors de bride et sa 
gourmette); 

2 Sangles pour couvertures, et surfaix rembourrés auxquels on puisse fixer les étrivières ; 

3 Étrilles, peignes, brosses en chiendent, éponges, pour la toilette des bêtes. 


Il était impossible de toucher l’âne de Moliro tant il était sale, et le simple coup de bouchon ne pouvait 
remplacer l’étrille. 

Je viens de dire : cexelure impitoyablement le mors de bride et sa gourmette ». Ce sont ou des engins inutiles 
ou des instruments de torture aux mains de ceux qui n’en connaissent pas le jeu et les effets; déjà, chez 
nous, On voit trop d’ignorants abuser de ces instruments. Îci, que sera-ce, étant donné que les agents n’ont 
presque toujours aucune notion, — je ne dis pas seulement du dressage, — mais du simple habillement d’une 
bête de selle? 

Je penche aussi vers la suppression de la selle; je ne crois pas avoir jamais vu, au Congo, une selle 
ajustée, quoi qu’en pensàt le cavalier; presque toujours les selles sont trop grandes, comme, d'ailleurs, presque 
toutes les garnitures envoyées d'Europe; en second lieu, l'entretien de la selle est presque toujours un mythe. 

Alors, comme jiei on va très généralement au pas, — du moins quand on est accompagné d’une caravane, 
ce qui est la règle, — à quoi bon la selle? Une couple de couvertures et un bon surfaix avec étrivières 
sufliront toujours amplement. 

Et l'on n'aura pas à faire porter la selle à tète d'homme derrière le baudet dégarni. 

Et l’on ne sera guère souvent démonté par le fait des blessures de garot et de reins que provoque une 
selle mal ajustée. 

Il va de soi que tout ce que je viens de dire ne s'applique pas aux quelques chevaux que l’on trouve 
aujourd’hui dans tel ou tel poste, et pour lesquels il se rencontre bien quelque oflicier ou sous-oflicier d'arme 


montée pouvant habiller convenablement les dites bêtes. 


Quoi qu'il en soit, nous allions donc, aujourd'hui, sans le moindre entrain. 

Chaque fois que j'essaie, — au cours de celte marche, — dingurgiter une gorgée de thé, je le paye d’un 
accès de vomissement. 

Jusqu'au gite d'étape, — au village Ka-Koma, — le sentier s'élève de façon continue; les roches affleurent 
et, par places, le sentier est comme macadamisé; lPensemble a les allures d’un plateau tantôt herbeux 
avec brousse maigre, tantôt couvert de futaie avec quelques grands arbres, dont plusieurs perdent leurs 
feuilles par la sécheresse; des places d'anciennes cultures se rencontrent; les trois ruisseaux vus au cours de 
la journée sont à sec, ne conservant que quelques trous d’eau stagnante. 

Le village Ka-Koma n’est pas palissadé; les habitants sont sales, selon la règle générale du pays; le chef 
N Sépa est un petit bonhomme encore jeune, maladif, les bras atteints d’une affection variqueuse. 

Son village est au bord du ruisseau Mou’n’géla, remarquable par sa belle galerie de grands arbres, qui 
nous fournira un peu d'ombre plus précieuse que jamais. 

Le camp dressé, j'ai essayé de prendre une tasse d’eau coupée d’un peu de vin; tout me revient bientôt, 
accompagné d’une bizarre matière gélatineuse, flottant dans l’eau que je rends. 

Impossible de dormir une heure en paix tant est grande l’abondance des mouches de toutes tailles, de 
toutes teintes, de toutes trompes. Certaines grosses mouches nous prodiguent de vrais coups d’épingles. 


C'est un régal! 


Pres 


Après deux heures de suée dans ces conditions, je puis me lever et mettre au net Pitinéraire et les notes 
du jour; il faut absolument procéder ainsi, aussi longtemps qu’on le peut, sous peine de ne plus en sortir. 

Michel reste sous le coup d’une menace de fièvre : pas d’appétit et mal disposé. 

A 15 heures, premier coup de tonnerre, roulant tout au fond d’un ciel merveilleusement bleu. Michel 
croit qu'à l'étang Souzi il a déjà entendu des grondements d'orage. 

D'après nos gens, le premier coup de tonnerre précède d’un mois les premières pluies sérieuses. D'ici là, 
nous tâcherons d’avoir gagné M’pwéto-Station. 

Demain nous serons rentrés à Moliro, où nous retrouverons avec un absolu plaisir une chose très 
commune, dont nous avons fort manqué ces derniers temps : de l’eau potable. 

Car le pays que nous venons de parcourir à un terrible inconvénient, un inconvénient qui l’empéchera 
en de nombreux points de voir se développer population et cultures : il manque d’eau à la saison sèche, 
l’orographie du pays mettant à sec presque tous les ruisselets du pays, et ne laissant que peu d’eau dans les 
autres. 

Le seul ruisseau à moitié convenable est la N'Kongué, depuis les chutes de Ki-Bwébwé jusqu'au village 
Ki-Pando; encore le débit de cette petite rivière est-il faible; mais l’eau y est claire et courante; puis la 
rivière arrive en pays sans pente et trouve des bas-fonds marécageux, où elle s'étale et stagne, quitte à 
reprendre parfois, sur un ou deux kilomètres, son allure d’eau courante. 

La Ka-Moussenga a moins d'importance encore et prend aussi, dès Ki-Tétéma, cette même allure de 
rivière marécageuse. 

Seule, la plaine où s'étale l’étang Souzi offre une couverture de graminées telle que j'en rencontrai rare- 
ment, au point de vue de leurs dimensions et de leur densité, qui les transforment en véritables fourrés, où 
les seuls éléphants et hippopotames peuvent se mouvoir à laise. 

Depuis Ki-Tétéma, il nous à été impossible de trouver de l’eau qui fût quelque peu limpide, soit qu'on 
allàt la puiser aux épanouissements marécageux de la Ka-Moussenga, à Ki-Tétéma, de la N'Kongué à 
N'tambala, à l’abreuvoir Pa’n’dé, ou à la Mou’n'géla à Ka-Koma. 

Durant notre reconnaissance, nous n'avons eu de l’eau acceptable que trois fois : aux sources de la Kéno, 
à l'étang Souzi (où lon prenait l’eau à la N’Kongué) et aux chutes de Ki-Bwébwé; filtrée à nos filtres au 
charbon, l'eau de ces trois campements était satisfaisante; encore l’avons-nous presque toujours bue sous 
forme de thé léger. 

Tout le reste du voyage, nous avons dû utiliser, en dehors d’une dame-jeanne et d’un seau — qu'on rem- 
plissait quand l’eau était moins mauvaise ef qu'on emportait avec soi, — nous avons dû, dis-je, utiliser trop 
souvent l’eau trouble, chargée de débris organiques, souvent semblable à une purée boueuse. Je n’exagère pas 
d'un dx. 

Et c’est là la raison qui nous a dérangé à tous les trois l'estomac. 

Pourtant, il y a eu, sur la route de Moliro à M'pwéto, de nombreux et grands villages! 


Les restes de Ki-Tétéma, Kassi-Kissi, Ka-Fwanka, Sa’n'dourouka, N'tambala, — sur un parcours de cinq 
à six lieues de marche, — en témoignent sans conteste. 


Mais il y a toujours du monde, quel que soit le pays, quand il y a de l'argent à gagner. 

Et l'importance de la route Moliro-M'pwéto (plus significativement Tanganika-Sud=—Moéro-Nord) n'a été 
due qu'au trafic d'esclaves venant du Moëéro, pour gagner le Tanganika, puis les routes de l’est; ces tristes 
convois exigeaient que leurs maîtres, les Arabes, eussent, d'étape en étape, de gros gites de nuit avec grandes 
plantations, pour parquer: et nourrir les captifs. 

Ainsi s'explique la présence de ces villages ruinés, dont les doubles murs d'enceinte avec toit, formant 
casemales, convenaient à merveille pour le logement des esclaves de passage; ainsi s'explique surtout lextra- 
ordinaire étendue des terrains jadis cultivés, aujourd'hui repris par la brousse. 

De la présence des Arabes, qui donnèrent à cette région une prospérité momentanée, il n’est rien resté de 
ce que l’on a complaisamment coutume de leur attribuer à bien, par exemple l'introduction du riz, du 
citronnier, des goyaviers.. ou certaines industries, telles que la fabrication du savon, de l'huile, de la 
mélasse, etc. 

Et je crains fort que la route Moliro-M'puéto ne revoie pas de longtemps sa splendeur passée, parce que 
le pays manque de l'élément primordial en Afrique : la bonne eau potable en abondance. 


Qt 


— 66 — 


Et je m'étonne moins maintenant de ne plus trouver ici qu'une population maigre, sale, quasi sans 
industrie et sûrement sans allures. 

Qu'un agent maladroit tarabuste ces pauvres gens; ils passeront en territoire anglais; car, vraiment, rien 
ne les retient ici, sinon des villages délabrés, achevant de tomber en ruines, et de l’enceinte desquels on ne 
sort pas toujours pour les besoins naturels. 

Dans ces villages, pas un seul de ces grands et beaux arbres, élaïs, sapho, kola, pommier d’acajou... qui, 
dans le bas Congo par exemple, marquent les emplacements des villages et les font plus chers à leurs 
occupants. 

Pour le moment, — je l’ai noté précédemment, — quelques indigènes reviennent, mais je doute que le 
mouvement puisse être fort marqué. 

En tout cas, pour un blane, parcourir un pareil pays pendant quelque temps, avec l’inéluctable nécessité 
d’être réduit presque constamment à de l’eau boueuse, marécageuse et contaminée, t'est être certain de se 
mettre l’estomac à mal. 

Il me faut noter ce que je vois et ce que je déduis, avec le seul souci de la vérité. C’est ce que je fais iei. 


Mardi, 13 septembre 1898. 


Départ à 6 h. 38 m., pour arriver à Moliro à 13 h. 30 m., ayant couvert 30 kilomètres et marché 6 heures 
28 minutes. 

Aujourd’hui c’est Michel qui est le moins bien portant. 

Au départ de Ka-Koma, nous faisons lever dans les plantations une grande antilope, qu’un coup de feu ne 
fait que mieux détaler. 

Pendant cinq à six kilomètres, le sentier continue la montée douce d'hier et atteint 1,375 à 1,425 mètres 
d'altitude, en un point d’où l’on découvrirait la nappe du Tanganika si elle ne nous était, aujourd’hui, dérobée 
par les brumes. 

Jusqu'à ce point d'altitude maximum, la route est restée excellente, facile, courant sur un sol d'argile noire 
ou brune, propice aux cultures; des bouquets de haut taillis avec assez bien de grands arbres, — entre autres 
des borassus, — habillent maintenant le pays. 

Passé le point d'altitude maximum, et pour la première fois depuis Ki-Tétéma, le terrain se mouve- 
mente, et se mouvemente à plaisir. Au nord du sentier, un profond encaissement boisé forme l’étroite vallée 
du ruisseau Ki-Ta, à sec en saison sèche, et qui débouche au Tanganika, entre Moliro-Station et Moliro- 
Village. 

Partout la roche : grès et schistes rouges, conglomérats, cailloux roulés…. 

Vers l’'Est—Nord-Est, l'œil se perd à plaisir dans une percée profonde à travers une partie très tourmentée : 
d’étroites vallées se contournent entre des lignes de hauteurs d’altitudes diverses, ayant les orientations les plus 
variées; les pentes sont suflisamment boisées. 

Nous voici au pied du pic Ki-Liboula (1,475 mètres), d'où nous dégringolons par un lit de torrent, à sec en 
ce moment; la descente est de plus de 200 mètres sur une longueur de 2 kilomètres environ. 

Nous nous amusons à faire rouler de grosses roches qui, d’abord, s'ébranlent doucement, accélèrent peu 
à peu leur chute, bondissent et vont s'abimer au fond d’un véritable précipice, où coule, — aux pluies, — la 
Ki-Senga; nous traversons celle-ci au pied du raidillon que nous venons de descendre. 

Nous sommes dans un étroit couloir bordé de pittoresques hauteurs à pentes clairboisées : c’est la vallée de 
la Ki-Senga, à terre noire; par places le sol est crevassé en tous sens; d’après les indigènes, les eaux de pluie 
pénétreraient complètement dans le sol par ces crevasses. 

On retraverse encore la Ki-Senga et toute une série de ruisselets à see, pour rejoindre la vallée de la Ki-Ta, 
qu'on traverse aussi deux fois à see avant de grimper au village du chef Ka-Tanga, d’où nous revoyons 
enfin le lac. 

Pendant le court arrêt que nous faisons en ce point perché en nid d’aigle, un coup de tonnerre bien 
marqué et isolé confirme l'avertissement d'hier. 

Encore 3 kilomètres, et nous entrons à la station. 


ro 


Tout le personnel s’est porté à notre rencontre; les femmes surtout affectent des démonstrations de joie 
d'une exubérance peu en rapport avee la nullité des rapports que nous avons eus et auront avec elles. 

L'étape a été longue, mais nous arrivons en bonnes conditions au poste, où nous trouvons le Père Castelain 
de la mission des Pères blancs de Ka-La, sur l’autre rive du lac. 

Il y à aussi au poste un Anglais mal famé, attendant le retour de M. Helaers pour solliciter diverses 
autorisations de recrutement et de chasse; comme il demande à nous être présenté, je lui tourne le dos, 
ce qui l’engage à se retirer sous sa tente, qu'il repliera demain avant 6 heures pour filer sans tambour ni 
trompette. 

Le Père Castelain est, au contraire, largement fêté; nous le gardons ici malgré lui; il est venu pour 
obtenir du sel indigène, que le poste de Moliro n’a malheureusement pas, alors qu'il pourrait en être large- 
ment approvisionné soit par les salines de Ka-Sama (que nous verrons deux jours avant notre arrivée 
à Mpwéto), soit par les salines de N'Gânza, à moins de deux heures au nord-ouest de Saint-Jacques de 
Lou-Saka. 

A peine rentrés à Moliro, nous nous sommes sentis tous trois beaucoup mieux, bien qu'il fasse lourd à en 
transpirer sans trêve; si bien que nous recommencerons cette nuit à coucher nus comme vers. 

Tonnerres et éclairs toute la nuit. Quelques gouttes de cassime. On appelle ainsi de la pluie qui n’est pas 
de la pluie; entendez par là des « précipitations atmosphériques » se produisant en saison sèche et dérangeant 
l’usuelle et superficielle conception des saisons tropicales. 

D’après les indigènes de Lofoï, — ceux que j'ai décidés à rester avec nous jusqu'à Mpwéto, — la pluie arrive 
un mois après le premier coup de tonnerre, ainsi qu'on nous l'avait dit à Ka-Koma. 

Le Père Castelain confirme la chose. 

Il est curieux qu'aux dires de ce père — qui parait un observateur réservé — la pluie arriverait un mois 
plus tôt et cesserait un mois plus tôt à Moliro qu'à Ka-La, qui est en face, sur l’autre rive du lac. 

Qu'y a-t-il d’exact dans ce renseignement ? Il me parait avoir fortement besoin d’être contrôlé. 


Mercredi, 14 septembre 1898. 


Minima nocturne, 210,2. 

Levé bien dispos à 6 1/2 heures. 

A 8 heures, le Père Castelain se rembarque, profitant de la brise pour traverser le lac dans une simple 
pirogue à voile. En voyant s'éloigner la frèle embarcation, ne formant bientôt plus qu'une petite tache noire, 
paraissant et disparaissant dans la houle mauvaise, ma pensée se reporte à la nuit du 9 au 10 août... ! 

ZÆs triplex! 

Le Père Castelain nous a donné quelques renseignements intéressants sur la mission de Ka-La. Les débuts 
furent pénibles; les indigènes manquaient, et le poste, perché sur un éperon rocheux, n'avait guère de 
terrains à jardins non plus que d’eau d'irrigation. Mais qui aurait de la patience si les pères blancs en étaient 
privés ? 

Aussi, aujourd'hui, on compte un millier d'habitants dans un rayon de trois jours autour de la mission; 
c’est peu, mais la promenade faite au Souzi ne nous en a guère montré beaucoup plus de ee côté-ci du lac. 

D'autre part, on a rapporté de la terre arable auprès de la mission même et organisé un service d'arrosage, 
de sorte que les jardins de Ka-La sont actuellement très productifs, ce dont font foi plusieurs corbeilles de fruits 
et de légumes apportées par le Père Castelain : choux, tomates, betteraves rouges, salades, ananas, goyaves, 
citrons, etc. 

A 10 h. 30 m. arrive de M'towa un daw arabe (voir la planche en couleurs); C’est une grosse barque à voile appar- 
tenant au chef-lieu de la zone Tanganika, allant à Ki-Touta voir s’il s'y trouve quelques charges pour Mtowa. 
M. Helaers devra aller lui-même à Ki-Touta; il partira demain; pour aujourd'hui, on tire le daw à terre pour 
calfater quelques fentes et fissures ; les mariniers noirs se montrent très adroits à cette besogne. 

Je consacre la journée à la mise au net du long et difficile itintraire d'hier. 

Puis nous payons la Caravane qui nous avait accompagné au Souzi, et rationnons les porteurs réunis pour 
notre proche départ. 


— (8 — - 


Pendant notre excursion à l'étang Souzi était arrivée de Mpwéto une lettre du lieutenant Chargeois 
disant : 

« … Je vous envoie, avec la présente, un premier groupe de 95 porteurs, et je pourrai vous en envoyer 
encore une trentaine. 

«-Je m'occupe du recrutement, qui doit se faire à quelques jours d'ici. Si, toutefois, ce nombre ne suffisait 
pas, les mêmes porteurs pourraient faire deux voyages. 

« Je serais fort heureux si vous pouviez remettre votre voyage dans l’'Ou-Roua, car à l’époque où vous 
arriverez ici, les pluies approcheront ct les gens sont tous aux cultures. Vous auriez beaucoup de peine par ce 
fait. 

« Dès que je connaitrai la date de votre départ de Mpwéto, j'écrirai à M. le capitaine Verdick, qui m’enverra 
tous les porteurs nécessaires pour vous rendre à Lofoi. » 


Les porteurs annoncés par M. Chargeois étaient à Moliro à notre retour du Souzi, ce qui nous mettait à 
même de quitter Moliro dès que j'aurais pris au moins deux dernières observations d'heure. 

Les termes de la lettre ci-dessus n'inspiraient bien de nouveau un peu d'inquiétude pour les recrutements 
à venir ; Je me dis, toutefois, qu'il était inutile de nous alarmer avant d'être nous-mêmes en lace de la dificulté 
à vaincre. 

Pour le moment, je fais arrangement avec M. Helaers pour prendre, dans la petite garnison de Moliro, 
sept soldats originaires de l’Équateur, qui me connaissent et avec qui je puis parler couramment. Je renverrai 
de M'pwétlo sept autres soldats de l’escorte qui nous y attend. 


Maxima diurne : 319,2. 


Jeudi, 15 septembre 1898. 


Minima nocturne, 20,1. Assez bien dormi. 

La soirée d'hier était fraiche; pourtant je n'ai pu encore supporter que le drap pour la nuit. 

Michel doit rester au lit; la fièvre qui couvait depuis quelques jours se déclare. 

L'état du lac oblige M. Helaers à différer son départ jusqu'à demain. 

Consacré toute la journée à un formidable courrier, entre autres : rapport ofliciel; cinq lettres aux agents 
de la Compagnie des Lacs pour leur annoncer l'envoi d’une première caisse de collections vers Bruxelles; lettres 
aux chefs de poste de Mpwéto et de Lofoï. 

A ce dernier, je fais connaitre que nous avons à Mpwélo tous nos approvisionnements, qu'il faudra expédier 
à Lofot avant que nous puissions nous-mêmes quitter Mpwéto; tenant compte de la lettre de M. Chargeois, — 
dont j'ai donné un extrait — je prie M. le capitaine Verdick d’expédier à Mpwéto, au reçu de ma lettre, le plus 
de porteurs possible, jusqu’à concurrence de 500, 

Je fais connaitre également à cet oflicier que je dispose, pour les payements, d’une série d'articles d'échange, 
dont je lui donne lénuméralion, afin de faciliter ses recrutements. 

D'autre part, nous faisons à la Compagnie des Lacs une commande personnelle de vin et de bière, 
commande qui nous rejoindra quand elle pourra. 

Enfin, nous fermons deux caisses de collections à expédier à Bruxelles. 

La première, qui partira demain avec M. Helaers, et prendra la voie du Nyassa-Zambèze, renferme : 
1 estagnon poissons du Tanganika ; 1 estagnon caméléons et chauves-souris ; 2 flacons orthoptères, arachnides, 
myriapodes, ete.; 3 boîtes coquillages ; 1 boîte d'insectes; 1 boîte d'oiseaux; les outils du tréfileur de cuivre de 
Moliro ; des fétiches, colliers, peignes, bracelets, hochets, etc. 

La deuxième caisse, qui prendra le chemin de Mtowa—Ka-Songo—Stanley-Ville, renferme les premiers 
travaux de Dardenne : 9 tableaux à l'huile et ? aquarelles, donnant divers sites et scènes de Moliro et environs ; 
ces tableaux et aquarelles furent exposés à Tervueren dès leur arrivée à Bruxelles. 

En outre, J'expédiais, par la poste, des planches coloriées représentant 98 types de poissons du Tanganika. 

Le tout arriva en bon état. 


— 69 — 


En ce qui concerne les poissons, ils furent remis à notre compatriote, M. G.-A. Boulenger, à Londres, qui 
les étudia et en fit l’objet d’une communication à la Société de zoologie de Londres (volume XV, part. IV, 
décembre 1899, des Transactions of the xoological Society of London). 

Voici le début de cette communication : 

« La richesse extraordinaire du lac Tanganika en poissons perciform de la famille des Cichlidæ, mise au 
jour pour la première fois par la collection de M. Moore — mentionnée dans ces Transactions, — est montrée à 
nouveau par la collection réunie en août 1898 par l'expédition Lemaire, à Moliro, extrémité sud du lac, déjà 
explorée par M. Moore. 

« Bien que ne comprenant pas plus de 34 spécimens, la collection qui m'est confiée pour description, par 
le gouvernement de l’État indépendant du Congo, contient les types de dix nouvelles espèces, dont trois 
demandent l’établissement de genres nouveaux. Ces genres nouveaux ont de plus cet intérêt qu’ils accentuent 
un trait des Cichlidæ du Tanganika, trait sur lequel j'ai attiré spécialement l'attention dans ma communication 
précédente, et qui concerne l'extension des lignes latérales dans beaucoup des formes découvertes par M. Moore. 
La connaissance des types à trois lignes latérales, caractère non représenté antérieurement dans les Cichlide, 
ajoute à la force des remarques que j'ai faites concernant la signification morphologique des types appelés 
« lignes latérales interrompues ». 

« La collection Lemaire est, en outre, de grande valeur par le soin avec lequel des croquis en couleurs de la 
plupart des poissons ont été exécutés sur place par M. Dardenne, l'excellent artiste attaché à expédition. Ces 
croquis m'ont permis de représenter en chromolithographie quelques-uns des types les plus remarquables par 
leurs couleurs. 

« Outre la description des nouvelles espèces, je puis compléter la description des deux espèces d’Ectodus, 
dont des descriptions incomplètes avaient été données dans ma communication antérieure, par suite du mauvais 
état de conservation des types-spécimens. J'ai aussi ajouté des remarques sur des espèces connues dont des 
exemplaires se trouvent dans la collection Lemaire, ou dont des croquis en couleurs, portant l'indication des 
noms indigènes, ont été fournis par M. Dardenne. » 


Depuis cette publication, faite à Londres, M. Boulenger a reparlé de ces poissons envoyés par nous, du 
Tanganika, dans les Annales du musée du Congo (Zoologie, série I, tome I", fascicule 6). 

Malheureusement, dans ce superbe ouvrage, les poissons n’ont pu être reproduits en couleurs, par manque 
de ressources pécuniaires ; le coût de ces planches colorites est, en effet, énorme! si nous devions reproduire 
en couleurs tout ce qu’a rapporté Dardenne, nous aurions à dépenser plus d’un demi-million. 


Maxima diurne : 30°,92. 


Vendredi, 16 septembre 1898. 


Minima nocturne : 23°. 

La nuit a été meilleure pour moi; Michel est sur pied ; M. Maffei manque d’appétit et ne se sent pas bien. 

Comme la barque ne peut encore partir ce matin, j'en profite pour répondre à une lettre touchante qui 
n'avait été envoyée d'Italie par l'intermédiaire de M" Parkins, l’aimable et complaisante professeur de langues 
à Bruxelles. Cette lettre émanait de la famille Sacchi; en termes émouvants elle nous demandait de faire des 
recherches relatives au docteur Sacchi, disparu pendant l'expédition Bottego, expédition italienne dans l'hin- 
terland des Somalis. 

Je ne pouvais malheureusement répondre qu’en disant combien éloignés nous étions, et resterions, des 
territoires parcourus par l’expédition Bottego. 

Mais se représente-t-on ce que doit être la vie de parents qui croient leur enfant aux mains d'une tribu de 
sauvages ! 

À 1% heures, M. Helaers peut embarquer, emportant notre courrier. 

Bonne soirée d'observation au théodolite. 


Maxima diurne : 320,9. 


Se 


Samedi, 47 septembre 1898. 
a 


Minima nocturne : 22°,2, 

Nuit lourde; les maisons de Moliro sont des cuves où l’air ne sait pas se renouveler; pas d'ouvertures près 
des lourds plafonds; l’air reste stagnant. Qui done a vanté la fraicheur des constructions genre arabe, à 
énormes murailles et à toits plats? 

Michel est ressorti de son assiette; M. Maffei se plaint du foie. Dardenne et moi sommes tout à fait bien. 

Continuation du courrier et bonne soirée d'observation. 


Maxima diurne : 310,2. 


Dimanche, 18 septembre 1898. 


Minima nocturne : 199,9. 

Les calculs de lobservation d'hier ne me donnant pas toute satisfaction, nous devrons prendre à nouveau 
l’heure ce soir, ce qui retardera d’un jour notre départ. 

M. Boyd, l’aimable collector du poste anglais de Soumbou, nous envoie de curieux spécimens de coquilles 
recueillies’ dans les eaux profondes du Tanganika. Je ne sais pas encore ce que sont ces coquillages, à propos 
desquels M. Boyd m'écrivait : « [ls pourront être de quelque intérêt pour vous, as they are of a distinctly 
marine type, as are all of the Eake shells. » 

Achevé le courrier et expédié vers Mtowa la caisse des tableaux de Dardenne. 

Nous avons confectionné nous-mêmes des enveloppes en fer-blane pour les deux caisses de collections, et 
il a fallu les souder; l'opération n’a pas été facile, bien que nous fussions munis de fers à souder et de bâtons de 
soudure; tout doit s’'apprendre ; pour aujourd’hui, on s’en tire avec quelques brûlures. 

A 14 heures, — et en prévision du départ fixé à après-demain, — tous les instruments de météorologie 
sont remis dans leurs caisses ; le baromètre à mercure est démonté; les feuilles sont enlevées des enregistreurs. 

Nous emportons d'ici six feuilles barographiques et six feuilles thermographiques; toutes continuent à 
provoquer les remarques déjà faites à propos des feuilles recueillies pendant les deux premières semaines 
de notre séjour ici. 

Il est intéressant de dire un mot bref au sujet des observations météorologiques faites à Moliro-station, 
du 12 août au 18 septembre 1898. 

Le maxima le plus élevé fut de 3%,8, le T septembre; le minima le moins élevé, 26°,1, le 20 août; 
le maxima moyen, 29°,9. 

Le minima le plus bas fut de 15°,8, le 21 août (correspondant au maxima le moins élevé); le minima le 
moins bas, 22°, le 2 septembre; le minima moyen, 169,1. 

La température moyenne fut de 25°,3. 

Les observations psychrométriques sont particulièrement intéressantes. 

L'air a été très sec pendant le séjour de la mission à Moliro : presque chaque jour, le degré hygrométrique 
est descendu au-dessous de 40, et fréquemment même en dessous de 30. 

Le T septembre, à 2 heures du soir, on à observé le degré très bas de 22. Le 31 août, on avait déjà 
constaté 24. 

Comme indice de la grande sécheresse de l’air, nous dirons qu'à plus d’une reprise l’observateur, en venant 
le matin relever les indications du psychromètre, a trouvé le thermomètre dit « mouillé », absolument sec. 

Les différences entre les lectures des deux thermomètres du psychromètre ont, à de nombreuses reprises, 
été comprises entre 10 et 13°. 

On sait que l’on attribue l’état sanitaire convenable d’Aden à la grande sécheresse de l’air, qui rend plus 
supportable les fortes températures. 

L'examen des diagrammes barographiques montre la régularité de la marée barométrique; l’examen des 
diagrammes thermographiques mène à une constatation frappante : c’est la fréquence d’un relèvement marqué 
de la température vers le milieu de la nuit. Il s'agit là, — nr'écrit M. Lancaster, — d’un phénomène non 
accidentel et dont il sera intéressant de rechercher la cause. 


tes 


Rappelons à ce propos que nous avons signalé précédemment comme facteurs possibles de cette cause : 
1° des vents nocturnes soufflant par rafales à longues périodes et pouvant être des vents chauds ; 2° les grands 
feux d'herbe qui caractérisent cette période de l’année 


Bonne soirée d'observation, terminant notre travail astronomique à Moliro. 


Lundi, 49 septembre 1898. 


Nuit assez bonne; c’est avec joie que nous abandonnerons les maisons de Moliro, où il fait si abominable- 
ment étouffant. 

Après avoir effectué les calculs de lobservation d'hier, nous chargeons une caravane d’une centaine 
d'hommes, qui nous précédera vers Mpwéto; elle partira aujourd’hui même et marchera indépendamment 
de nous. 

L’après-midi est consacrée à plier bagages, car nous pourrons partir demain matin. 

M. Maffei reste souffrant, et comme, dans la soirée, il se plaint plus vivement, je décide qu’il restera ici 

: jusqu’à ce qu’il se sente assez remis pour gagner M'pwéto. Au surplus, comme nous allons forcément voyager 
lentement, il est possible qu'il nous rattrape encore en route. En tout cas, il attendra, pour quitter Moliro, le 
retour de M. Helaers, qui est parti pour Ki-Touta. 

Voici venue notre dernière soirée à Moliro; nous avons été dire adieu aux tombes de nos malheureux 
amis, et nous quitterons le poste peut-être avec quelque mélancolie, comme on quitte tout ce qu’on ne doit 
plus jamais revoir, mais, ce qui est sûr, c’est que nous partirons sans regrets, gardant surtout du poste de Moliro 
le souvenir aimable de son chef si complaisant. 

Ce qui nous avait rendu un peu triste le séjour à Moliro, c'était son quasi-isolement et son peu de contact 
actif avec les quelques villages qui en dépendaient; la vie sur le lac était également presque nulle, comparée 
à celle des riverains du Congo central ; enfin, le personnel noir étant restreint, le poste ne pouvait guère se 
développer. : 

Tout cela, toutefois, peut changer du tout au tout, d'autant plus que Moliro offrait, — au point de vue euro- 
péen tout particulièrement, — un ensemble de ressources précieuses qu’il ne sera pas mauvais de résumer ici. 

La station possédait, — je l’ai dit précédemment, — des bêtes d’une vigueur remarquable : vaches et 
taureaux à grandes cornes, venant de l’Ou-Vira; ânes pleins de vie; beaux et bons moutons à queue grasse; 
chèvres et cochons. Poules, canards et pigeons abondaient. 

Journellement, la table, — où nous étions cinq, — avait à satiété du lait, du beurre frais, du fromage 
blanc, des œufs, de la viande fraiche. 

Nous avons dit aussi qu’une équipe de pêcheurs approvisionnait chaque matin le poste de Moliro. Rappe- 
lons les poids de poissons apportés par cette équipe : du 20 au 30 août inclusivement, ces poids furent : 32, 91, 
24, 929 1/,, 925, 19, 25, 18 1/2, 13 1}, 25 kilogrammes. 

Aussi, pouvait-on ravitailler copieusement la table des blancs et satisfaire le personnel noir. 

La chasse fournissait l’antilope, le phacochère, le perdreau rouge, la pintade, la tourterelle, etc. 

Le poste fabriquait lui-même de l'huile d’arachides qui ne le cédait en rien à l'huile de nos caisses de vivres. 

Les amateurs de miel pouvaient se délecter à loisir du miel sauvage existant en abondance dans toute la 
région. 

Du bon sel indigène pouvait être obtenu de plusieurs salines (Ka-Sama, N'oûnza, etc.). 

D'autre part, le poste pouvait acheter, soit à la factorerie anglaise de Ki-Touta, soit à la mission des Pères 
blanes, à Baudouin-Ville, de la farine africaine ou du blé à mettre soi-même en farine (soit par un moulin, soit 
à l’aide du simple mortier indigène), des pommes de terre, du riz, des oignons et du café. 

Il s’agit là, bien entendu, de tous produits cultivés au lac Tanganika même, et que le poste de Moliro peut 
obtenir dans ses jardins et plantations, tout aussi bien que nos missionnaires catholiques ou que les mission- 
naires protestants établis en territoire anglais. 


Enfin, le pombé ou bière indigène faite de sorgho, de mil, de maïs, finit par se boire; il arrive même 
qu'on l’apprécie; et le miel peut fournir aisémet de l’hydromel {nous en bûmes plus tard à diverses reprises); 
le pombé et l’hydromel peuvent aussi être distillés. 

Ce qui faisait défaut à la table de Moliro, c’étaient les légumes frais et les fruits, alors que la mission de 
Ka-La — dont nous avons parlé — en abondait. Ce défaut a probablement disparu aujourd’hui, et, en tout cas, 
il est de ceux qui ne caractérisent presque toujours que les stations mal tenues, car, même en se bornant aux 
légumes indigènes, il est possible d’avoir, toute l’année, et partout, assez de produits maraïchers, qui sont un 
facteur important de l’état sanitaire; et il n’est nullement besoin de manger chaque jour — comme le faisait 
certain chef de poste — du kisanfou (nom indigène d’une sorte de purée de feuilles de manioc). 


Il me reste à signaler que les Européens établis sur la rive du Tanganika évitent de consommer l’eau du 
lac; elle contiendrait une variété de petites méduses, dont la présence peut n'être pas sans danger; j'essayai, 
à diverses reprises, de me faire apporter des spécimens de ces méduses, mais sans y réussir, bien que M. Helaers 
se fût rendu en pirogue au large pour puiser de l’eau qui en contiendrait. 

D'un autre côté, l'écoulement du lac, par son émissaire la Lou-Kouga, étant relativement faible, il en 
résulte que les apports salins des rivières qui se déversent dans le Tanganika augmentent constamment — par 
l’évaporation — la teneur des eaux en sels divers, particulièrement en magnésie; il faut noter que d’aueuns 
affluents du lac, — par exemple, la Lou-Fouko, — reçoivent les eaux des sources salines. 

Malgré la défiance des Européens pour l’eau du lac, néus avons employé celle-ci pendant notre séjour à 
Moliro, sans en être incommodés; toutefois, on pouvait envoyer chercher de l’eau à trois kilomètres du poste, 
aux réservoirs de la Ki-Ta. 

Au résumé, — exception faite pour les méchantes constructions de Moliro et le manque de jardins, — les 
conditions d'existence matérielle, en ce premier point vu par nous, étaient très satisfaisantes. 

Le chef de poste s’y déclarait très heureux. 


M. Helaers 


Sous-intendant, chef de poste à Moliro 


1S95), 


CHAPITRE VI. 


Départ de Moliro-Station. — Une curieuse bête. — Dernier coup d'œil au Tanganika. — La 
lune en plein midi. — Traces de pluie. — Les oies de l'étang Pa’n’dé. — Rafales chaudes 
du milieu du jour. — L’aveugle de N’tambala. — Le strophantus hispidus. — Trombes 
de poussière. — Minerai de fer. — Vitesses de marche. — Erreurs désagréables. — Un 
arbre en pot. -- Distribution d’eau. — Le mont Lomboloa. — La vallée de la Tchoma. 
— Départ de Lou-Bambo. — Arrivée au village de Ki-Topé. — N'zila na Kapouti M’zinga. 
— Produits de culture. — Tabac et sel indigènes. — Le ficus à étoffe. — Greniers et 
bourriches. — La maison des esprits. — Premières pluies. — Départ de Ki-Topé. — Sites 
pittoresques. — Contrebandiers. — Feu du soir. — Le pays s’embellit — Fruits 
sauvages comestibles. — L’indicateur de miel. — Plus de sentier. — Bain forcé. — Pays 
giboyeux. — Un canellier. — Vue sur la vallée de la Lou-Fonzo. — Forêt de bambous 
d'Inde. — Monstrueux champignens. — Le long de la Lou-Fonzo. — Nouveaux fruits et 
fleurs de la brousse. — Village du chef Ki-Sabi. — Soirées couvertes. — Séjour à Ki-Sabi. 
— Abondance de miel sauvage. — Départ de Ki-Sabi. — Passage de sauterelles. — 
Village Ka-Sama. — Caoutchouc et sel indigène. — Les salines de Ka-Sama. — Vignes 
sauvages. — Le Lou-Alaba. — Carrefour de montagnes. — Le village Mou-Téta. — 
Limonade rafraîchissante. — Pluie d'orage. — Escalade de montagnes. — Camp dans 
la brousse. — Le lac Moéro. — Arrivée à M'pwéto-Station. 


Mardi, 20 septembre 1898. 


À 5 heures et demie, tout le monde est sur pied; c’est l’agitation nerveuse et joyeuse du départ. Lestement 
la caravane est chargée, puis l'on déjeune. 

M. Maffei a reçu le ravitaillement nécessaire à la prolongation de son séjour ici et à son voyage vers 
M'pwéto. 

Je fais mettre également au magasin du poste — d’une pauvreté monacale — deux de nos caisses de vivres, 
qui viendrontfort à point à M. Helaers. 

8 1/2 heures, départ. Les noirs chantent à pleins poumons : les charges ne sont pas lourdes et j'ai mis un 
dixième de porteurs de réserve; ils savent aussi, par notre excursion au Souzi, que les étapes ne sont pas 
longues, et qu'il y aura en cours de route des arrêts et des distributions supplémentaires de vivres, lorsque les 
chefs de village nous apporteront leurs cadeaux. 

Nous-mêmes respirons largement, une fois encore, la bonne brise du lae. 

Et, d’un pas allègre, nous prenons la route de M’pwéto, que nous connaissons déjà jusque Ki-Tétéma. 

Notre campement d'aujourd'hui a été déblayé par les gens du chef Moliro, en un point que J'avais indiqué 
au pied des hauteurs d’où, l’autre jour, nous avons fait dégringoler de grosses pierres. 

Il n'y a ici que de l’eau boueuse stagnante, mais nous avons eu soin d’emporter quatre dames-jeannes d'eau 
du lac. 

Au moment d'arriver au camp, on prend une curieuse arachnide, que Dardenne s’empresse de dessiner: 
après quoi, Michel lui fait prendre un bain de formol ; la bête est étonnamment poilue; elle à quatre paires de 


pattes, les deux dernières couvertes de longs poils blancs formant une sorte de duvet; l’agilité de l'étrange 
animal est étonnante : on dirait une énorme semence de chardon ou un flocon de ouate légère emporté par le 
vent, et ça été toute une chasse pour en opérer la capture. 

Vers le soir, à voir le ciel s’assombrir et se couvrir de cumulus et de strato-cumulus, nous appréhendons 
de la pluie; nos porteurs nous rassurent; il faut les voir regarder le ciel et examiner les nuages, puis dire, bien 
affirmativement, que ce ne serait pas encore de l’eau! Et ils ne se trompèrent pas. 

Michel n’est pas très bien, mange peu, et est brisé de partout, quoique dormant bien; cela ne l'empêche 
nullement de faire toute sa besogne. 


Mercredi, 21 septembre 1898. 


C’est aujourd’hui équinoxe d'automne; le soleil va se mettre du même côté de l’Équateur que nous. 

De jour en jour, on sent s’accentuer la morsure de messire Phébus; la sensation thermique est de plus en 
plus marquée, et les premières bourbouilles annoncent vaguement. 

Aujourd'hui, dès 6 heures, le soleil est sur l'horizon; mais nous aurons gravi les hauteurs avant qu’il 
fasse chaud. 

A 8 h. 15 m., nous nous retournons une dernière fois vers le Tanganika, dont la nappe semble un colossal 
miroir métallique; quelques pas encore, et le beau miroir à disparu. 

Nous pensions ne plus le revoir; la fin de notre long voyage devait pourtant nous y ramener, ainsi que nous 
le dirons en temps opportun. 

Maintenant que nous lui avons définitivement tourné le dos, nous filons bon train le long d’une route 
désherbée sur 5 à 6 mètres de largeur; par guigne, là où il y avait quelques arbres sur le tracé de cette 
grand'route, les noirs ont cru devoir les jeter bas, et pour comble, ils les ont coupés à 1 mètre au-dessus du 
sol, ce qui prive le voyageur de la bienfaisante ombre, sans toutefois avoir débarrassé le sentier. 

Cette façon de comprendre le tracé des routes de caravane, nous la retrouverons plus d’une fois dans la suite, 
et J'aurai alors l’occasion de dire quelles réflexions elle nous suggérait. 

Pour le moment, contentons-nous de constater, et entrons dans Ka-Koma, où il faudra camper, bien qu'il 
ne soit que 9 h. 45 m.; mais, en ce moment de l’année, les gîtes d'étape sont fixés par les points où l'on trouve 
encore de l’eau, fût-elle stagnante et trouble. 

À 13 heures, on voit distinctement la lune; c’est bien la lune en plein midi! 

Vers la tombée du jour, le vent se lève, d'intensité 3, soufflant par rafales. 

A signaler à Ka-Koma un détail qui nous a échappé l’autre jour, savoir de nombreux restes de hauts-four- 
neaux, toujours près de hautes termitières. 

Le chef de Ka-Koma nous offre # poules, 3 paniers patates douces, 1 panier arachides, 3 de farine et 17 œufs. 
Il reçoit en échange 3 brasses check, 50 perles, 1 miroir, 30 clous dorés; dans ce cadeau est comprise l’in- 
demnité que je donne au chef pour lPennui que nous lui causons forcément, en logeant chez lui; car il va de soi 
que l'installation d’une assez forte caravane, dans un village, ne va pas sans quelque maraude ; ce n’est pas grave 
à condition de la réduire à son minimum par une forte surveillance, et d’mdemniser le chef. 

Le brave N'sépa nous offre encore, dans une calebasse taillée en forme de corbeille, une sorte de pomme de 
terre sauvage, pas mauvaise, analogue de goût au mioumbou, dont nous avons déjà parlé, mais diffèrent 
complètement de celui-ci par la forme et la couleur; on dirait de petites pommes de terre noirâtres ayant 
poussé à fleur de sol, à moitié hors de terre; crues, elles sont très amères ; cuites, elles deviennent acceptables. 


Jeudi, 22 septembre 1898. 


À 5 h. 45 m., le thermomètre fronde marque 18°; en sortant de sa gaine, il marquait 16°. 

Nébulosité, 6; alto-stratus, alto-cumulus, cirro-stratus. 

A quelques kilomètres de Ka-Koma, nous constatons qu'il a plu récemment; le sol est encore comme 
humide, et des places ont gardé le craquelé des flaques d’eau à peine desséchées; nos guides nous confirment, 


— T5 — 
d’ailleurs, que ce que nous voyons est bien dû à la pluie, qui — chose à noter pour comparaison avec des 
observations ultérieures — n’est done tombée que très localement. 

A 10h. 25 m., nous sommes à l'entrée de la plaine Pa’n’dé, au point où nous campions le 11 septembre 
dernier. 

Aujourd’hui, nous irons loger plus vers l’ouest un peu sud, nos guides disant qu'en cet-autre point nous 
trouverons de la bonne eau claire. 

En effet, à 11 h. 5 m., nous sommes au bord d’un étang ayant, à ce moment de l’année, une couple 
d'hectares de superficie ; aux pluies, cet étang doit singulièrement s'étendre, et je ne serais pas surpris que toute 
la plaine du Pa’n’dé soit, à un moment donné, complètement sous eau. 

J'aurais dû trouver pareil renseignement dans les archives de Moliro-Station, mais pour ce poste l’âge des 
archives était toujours à venir, ce qui n’est pas le moyen de perpétuer les connaissances recueillies successive- 
ment par les chefs de poste. 

L'eau de notre étang est suflisamment claire; poisson et gibier d’eau abondent. 

Michel tue deux superbes oies de l'espèce dite « oïe du Zambèze »; mon boy Djôti en tire une troisième; ce 
sont d'énormes bêtes brunes, bec et pattes lie de vin, les ailes armécs de gros éperons; envergure : 4",80. 
Dardenne en prend un croquis en couleurs, puis Michel — qui est un cuisinier expert — grande qualité dans la 
brousse, — prépare une des oïes au vin et aux raisins secs ; comme la chair est grasse et exquise, nous narguons 
une fois de plus les privations africaines. 

Pour les curieux : nous avons mis une pareille oie en peau; on peut la voir au musée de Tervueren, 
où elle est étiquetée Plectropterus Gambensis. Les Anglais disent « Spur-winged goose » (oie à l'aile 
éperonnée). 


Vers 13 heures, vent d'intensité 3, soufflant par rafales qui soulèvent des trombes de poussière; ces rafales 
sont caractérisées aussi par des bouffées chaudes très marquées; cette dernière remarque a son importance 
quant à l'explication des relèvements nocturnes de température enregistrés par le thermographe; pour la 
première fois nous observons directement cette sensation de bouffées chaudes. 

La nébulosité, qui était 6 au matin, est descendue à 4 à midi, pour remonter peu à peu; à 21 heures, 
elle est égale à 10 (ciel complètement couvert); les nuages de ce moment de l’année sont des cumulus, des 
alto-cumulus, des stratus et des cirro-stratus. 

La soirée est d’une douceur exquise. 


Vendredi, 23 septembre 1898. 


A 5 h. 50 m., la température est de 18°. Vent et nébulosité : 0. Belle matinée fraîche. Soleil dès 6 h. 10 m., 
pour toute l’étape. 

Départ à T heures. Arrivée à N’tambala à 11 heures, avec arrêt d’une demi-heure à la N'Kongué, où le chef 
de N’tambala nous attendait pour nous souhaiter la bienvenue. En guise de remerciement, un de nos soldats ne 
trouve rien de mieux que de mettre sur la tête du brave chef sa charge de nattes et de bibelots divers; heureusement 
je m'en aperçois, et puis mettre bon ordre immédiatement et manuellement à cette singulière façon de faire, 
et le soldat — qui est pourtant un bon garçon — à l’air très interloqué et ne comprend pas pourquoi je me fâche. 

Cet incident me donne à réfléchir, et je me promets d’avoir l'œil constamment sur ces gens qui doivent 
censément me servir à assurer la police. 

A 14% heures, nous sommes rejoints par 7 porteurs envoyés de Moliro par M. Helaers, déjà de retour de 
Ki-Touta, où il a pu trouver une partie de notre commande; il nous arrive ainsi trois caisses de bière; comme 
nous disposons, pour le repas du soir, d’une des oies tirées hier, il se fait qu'aujourd'hui encore nous nargue- 
rons la misère. 

Mais nous n’attendons pas jusqu'alors pour dire deux mots immédiats à l’excellent breuvage: et pendant 
que nous l’apprécions, voici venir vers nous « l’aveugle de N’tambala ». 


pe 


C’est un chanteur célèbre dans toute la région; il est jeune et est resté aveugle après atteinte de variole; un 
gamin le guide hors du village jusqu'à notre campement. Il a en mains deux hochets faits d'herbes et de fruits 
secs. Lorsqu'il est devant nous, son guide le laisse, et le troubade noir commence ses chants qui passent pour 
une grande curiosité dans la contrée. 

Un peu penché en avant, avec de légers mouvements du corps, il agite frénétiquement ses hochets et 
dégoise ses couplets avec une curieuse volubilité. 

Que dit-il ? 

Sans doute les louanges de l'étranger. Nous lui donnons un bout d'étoffe, et son guide le remmène 
doucement. 

Le fait de garder des infirmes est, comme on le sait, exceptionnel chez les noirs du centre africain; c’est 
évidemment une bonne note pour ceux qui le font; nous en verrons d’autres cas par la suite. 


Noté aujourd'hui l'existence, dans la brousse, du S/rophantus-h spidus, dont nous recueillons une belle 
gousse, qui peut être vue au Musée de Tervueren. 

Ce Strophantus, — que nous rencontrerons à diverses reprises dans notre voyage, — n'a pas ici l'allure 
d'une plante grlmpante qu'il affecte parfois ailleurs, mais se présente sous forme d’arbuste; le fruit est formé de 
deux follicules divergents ; les grains sont surmontés d’une aigrette plumeuse assurant leur dissémination par 
le vent. De ces graines s’extrait la «strophantine», souvent substituée aujourd’hui à la digitale dans les affections 
cardiaques. Les extraits de divers Strophantus sont, d’ailleurs, des poisons violents, notamment l’iné ou onaïe du 
Gabon qui, dit-on, serait le « poison d’épreuve » des Pahouins, lesquels s’en serviraient aussi pour empoisonner 


leurs flèches. 


La nébulosité a varié lentement dans le cours de la journée, passant de 0 à 6 !/, : cirrus, cirro-stratus, 
cirro-cumulus, cumulus, alto-cumulus et strafo-cumulus, tels sont les types de nuages qui caractérisent Ja 
période saisonnière. 

Belle soirée d'observation au théodolite. 


Samedi, 24 septembre 1898. 


À 5 h. 45 m., le thermomètre-fronde donne 14°; il marquait 159,5 au moment où on le retirait de sa gaine. 

Déterminé les trois composantes magnétiques avant de quitter le camp; l’opération prend deux heures 
trois quarts. 

Aussi ne pouvons-nous partir qu'à 9 h. 25 m. Nous laissons au village de N’tambala deux de nos porteurs, 
blessés au pied: ils reçoivent chacun quinze jours de ration, avec une lettre pour M. Maffei, dont ils attendront 
le passage pour se joindre à lui; le chef du village est indemnisé pour le logement et les soins qu’il fournira aux 
deux blessés, 

Etape facile. Dans la plaine de N’{ambala, le vent, d'intensité 2 à 3, soulève de violents et incessants tourbil- 
lons de poussière, en forme de trombes s’élevant jusqu'à S0 et 100 mètres de haut, en minces colonnes girantes. 

Il est 11 h. 50 m. quand nous stoppons chez le chef Moumbalanga, le forgeron revenu de chez le capitaine 
Joubert; le brave homme nous à fabriqué, et très bien, deux solides maillets en bois, que nous lui avions 
demandés à notre premier passage, pour remplacer les maillets de tente, trop tôt brisés; il a confectionné aussi, 
à notre intention, une jolie houe en fer forgé, envoyée depuis à Tervueren. 

Outre Moumbalanga, les chefs de Sandourouka, Ka-Fwanka, Kassi-Kissi, apportent leur offrande de poules, 
œufs, farine, patates douces, etc. 

En arrivant à l'étape, Michel a dû se coucher; la nuit dernière, il avait eu un peu de dérangement d'estomac. 


ot 


Be tes 


Dimanche, 25 septembre 1898. 


Belle matinée fraiche. À 6 heures, le thermomètre marque 14. 

Michel va mieux. Mon boy, blessé au pied, pourra aujourd'hui se prélasser 
dans le hamac de son maitre. 

Départ à 6 h. 50 m. 

Arrêt à mi-route, pour permettre à Dardenne de prendre le croquis d'une « mai- 
son des esprits » et d’un beau « saucissonnier », tandis que Michel photographie une 
vue d'ensemble de plusieurs lilongo (hauts-fourneaux), ainsi qu'un haut-fourneau 
intact. 

Le chef Simba-Mabwé, qui nous donne un pas de conduite, nous dit que le 
minerai jadis ex- 
ploité en grand 
setrouve pas très 
loin de là; je le 
charge d'aller nous 
en chercher un 
échantillon et de 
nous l’apporter, 
aujourd'hui en- 
core, à Ki-Tété- + 


Le saucissonnier. 
Kigelia æthiopica. Ma, OÙ NOUS arTri- 


vons à 10 h.2%5m. 
En route, le boy de Dardenne a 
déserté. C'était un parfait paresseux, 


évitant toute besogne, et n'étant présent 
qu'aux distributions de matabiche. 

Hier, conime je demandais une bou- 
teille d’eau, lanimal était allé prendre 
une des bouteilles de la caisse où Michel 
conserve ses Collections zoologiques; il 
n'a rempli cette bouteille d’eau et j'ai bu 
sans me douter que je risquais un empoi- 
sonnement. 

La chose à été découverte ce matin, 
lorsque Michel à inspecté ses caisses; le 
boy avait alors été corrigé manuellement, 
d'où sa désertion. 


On nous apporte aujourd’hui de l’eau 
plus claire que lors de notre premier 
passage. 

Vers 15 heures, le vent s'élève, souf- 
flant par rafales; ce phénomène se pro- 
duit presque chaque jour. 

Déterminé l’inclinaison et l'intensité 
magnétiques. 

A 17 heures, le chef Simba-Mabwé 
arrive avec environ À kilogramme d’un Haut-fourneau de la route Moliro-M'pwéto. 


M Nr ONE 


minerai de fer composé de nodules très petits, allant du n° 1 ou O0 des plombs de chasse à la grosseur des 
chevrotines et de ballettes; ce sont des modules de limonite; l'échantillon est visible à Tervueren. 


Le trajet que nous venons de faire de Moliro à Ki-Tétéma n’a plus exigé le levé de l’itinéraire, celui-ci 
ayant été fait à notre premier passage. Nous pouvons ainsi fixer les idées relativement à la vitesse de marche 
d’une caravane d'Européens. 

Dans un pays généralement sans mouvements, la vitesse de marche peut être de 7,250 pas à l'heure, soit 
ù 1/, kilomètres environ, quand on n’a pas d'itinéraire à lever ni de notes à prendre. 

S'il faut lever l'itinéraire, la vitesse de marche se réduit à 6,250 pas à l'heure, soit 4 %/, kilomètres, 
toujours bien entendu en pays non mouvementé. 

Si le pays se mouvemente, il faut réduire ces chiffres d’un cinquième environ. 

Enfin, le perpétuel lacet des sentiers indigènes allonge d’un bon sixième le trajet eftectif. 


C’est à mon tour aujourd'hui à me tromper de bouteille. Voulant préparer un verre d’eau citronnée, j'ai 
pris une bouteille de vinaigre blanc; je me suis envoyé ainsi dans l'estomac presque un demi-verre de vinaigre 
pur additionné de citron ; aussi des suites désagréables ne tardent pas à me faire payer ma bévue. 

Comme à notre premier passage ici, on nous apporte, en quelques minutes, une quantité d'œufs (plus 
de 100), à raison d’une perle par œuf. 

Michel s’installe courageusement dans la maison aux rats; Dardenne et moi faisons notre lit sous la véranda. 
la moustiquaire et quelques nattes fermant la véranda nous protégeront suflisamment contre le froid de 
la nuit. 

Avant de nous coucher, nous recevons un courrier de Mpwéto; le chef de ce poste m'annonce que 
d13 charges de nos approvisionnements sont arrivées en bon état à sa station. La pénurie de ses propres 
ressources l’a obligé à ouvrir de nos caisses de perles pour rationner l’escorte réunie pour nous à M'pwéto. 

Pourtant si je n'avais pas fait prendre les devants à nos charges, qu’aurait fait le chef de poste? 

Il est bien dificile d'obtenir l'observance, coûte que coûte, de cette règle si nécessaire qui défend que 
Jamais, sous aucun prétexte, on consomme dans une station ce qui y est seulement en transit ou en dépôt; 
pour observer cette règle, il à fallu parfois, — et je parle d'expérience, — un certain stoicisme! Mais ce 
stoicisme porte toujours en lui-même sa récompense, et n’est à la portée que des âmes fortes et dignes du 
commandement ! 


Lundi, 26 septembre 1898. 


Soleil dès 6 heures. 

Le ciel est parsemé de cirro-stratus en tous les sens, lesquels produisent un effet de lumière des plus 
amusant. Quelques instants avant que le soleil émerge au-dessus de lhorizon les rayons réfractés colorent 
en jaune d’or les bandes de cirro-stratus, ce qui, sur le fond transparent très bleu du firmament, donne 
une atmosphère verdâtre d'un effet déconcertant, dont on aura quelque idée par certains tableaux de 
Dardenne. 

Avant le départ de Ki-Tétéma, j'écris au chef de poste de Moliro de venir reconnaitre au plus tôt l’emplace- 
ment des mines de fer du sud-ouest de N’tambala; ces mines, aux dires du chef Simba-Mabwé, sont sur notre 
territoire ; il n’y en a pas en territoire anglais. Le chef de poste de Moliro devra en reconnaitre l'emplacement 
et l'importance, et recueillir plusieurs charges de minerai à envoyer en Europe. 

Départ à 7 heures, pour aller loger au village Lou-Bambo; 22 1/, kilomètres en 4 heures 28 minutes. 


La Tee 


La route s'enfonce tout le temps droit dans l’ouest. Au sortir de Ki-Tétéma, on traverse 2 kilomètres 
d'anciennes cultures. Le pays devient plus riant avec ses parties boisées dont, exceptionnellement, les essences 
ne perdent pas leurs feuilles à l’arrivée du printemps; car le printemps d'ici est annoncé par la chute des 
feuilles ! 

Le nombre d'arbres dignes de ce nom a augmenté. En voici un qui a poussé en pot, si on peut dire, et 
qui nous fournit un indice intéressant de l’âge des hauts-fourneaux, dont nous avons parlé à diverses reprises. 

C'est sur les bords du Ka-Lou-Bamba, petit ruisseau en ce moment à sec; on y voit deux hauts-fourneaux 
en argile rouge, à moitié écroulés; dans l’un d’eux, en plein axe, un arbre a poussé, qui à aujourd’hui 10 à 
12 mètres de haut et 30 centimètres de diamètre. 

En se reportant aux notes du vendredi 9 septembre, on conclut que ceux-là avaient raison qui disaient 
n'avoir pas connu les hauts-fourneaux en activité; car, dans les pays herbeux à saison sèche (pendant laquelle 
font rage les feux d'herbes), les arbres de la brousse ne poussent que lentement. 

Le Ka-Lou-Bamba franchi, on trouve une montée sur sol pierreux, par laquelle on s'élève d'environ 
125 mètres pour atteintre un plateau d'argile, rouge par places, brune par d’autres; ce plateau est couvert de 
bois taillis à essences grêles, auquel succèdent de grands arbres plus nombreux formant un bois clair planté. 

En un point de la route le sol a gardé des traces de pluie; les guides disent qu'il a plu il y a une dizaine de 
jours. Nous pouvons done à nouveau remarquer qu'il s’agit d’une chute de pluie tout à fait localisée, car, par 
nous-mêmes, nous n'avons encore rien attrapé. 

Aussi la caravane a-t-elle soif, car il fait chaud, et on ne trouve ici, en ce moment de l’année, aucun moyen 
de se désaltérer. C’est pourquoi j'ai fait emporter de Ki-Télama quatre pleines dames-jeannes d’eau, et, 
à 10 heures, toute la caravane stoppe; je fais l'appel nominal, chaque homme vient avaler un gobelet d’eau. 
Force m'est de surveiller moi-même, pendant cinquante minutes, cette distribution; si nous nous contentions 
de donner les dames-jeannes en disant à nos gens de se les partager, il est certain qu'en un elin d'œil il y aurait 
bagarre, les dames-jeannes seraient brisées, l’eau perdue et personne n’en aurait profité; et il en serait ainsi, 
non parce qu'on aurait affaire à des nègres, mais simplement à des hommes, et que les hommes de toutes 
couleurs ont encore besoin, — pour leur très grand avantage personnel, — de la direction et de la poigne d’un 
chef; le tout est que le chef sache être Juste toujours, bon chaque fois que c’est possible et impitoyablement sévère 
si les circonstances l’exigent. 

La caravane un peu désaltérée, nous nous remettons en route; nous voici bientôt aux sources du ruisseau 
Ki-Lomboloa, affluent de la Tehôma; il s’y trouve un trou d’eau où stagne un peu du précieux liquide, à 
peine deux litres; nos guides s’y sont jetés goulüment; d’autres noirs veulent leur part et ce n’est qu'à coups 
de canne que je ramène l’ordre : personne n’a bu, les batailleurs ayant transformé en boue le peu de liquide 
disputé. 

Heureusement pour les gosiers altérés, voici bientôt que, du haut du mont Lomboloa, la vue porte au 
loin vers le nord et distingue l’étroite vallée de la Tehôma, courant nord-sud, prometteuse de bonne et 
abondante eau courante; car la rivière passe là, devant nous, à 160 mètres en contre-bas, et nous nous hâtons 
de dégringoler le raidillon peu agréable qui y mène. 

Cette descente du mont Lomboloa vers le village Lou-Bambo est extrêmement raide. En saison des pluies, 
la « route » (déblaiement sur 3",50) doit se transformer en montagne russe. Les indigènes y avaient un sentier 
en zigzag, et cette forme rachetait quelque peu la pente du Lomboloa; le chef blane a envoyé un nyamparah 
dire aux chefs noirs de faire «une grande route droite ». 

Aussi a-t-on déblayé tous les raidillons suivant la ligne de plus grande pente, eest-à-dire justement 
suivant la direction la plus mauvaise, bien que la plus courte. 

Au pied de la pente du Lomboloa, on foule immédiatement un sol d'argile noire, grasse, profonde: on à 
nettement la sensation d’être dans la cuvette asséchée d’un ancien lac, où coule aujourd'hui la Tehôma, jolie 
rivière venant du Ma-Roungou, et allant se jeter dans le Moéro. 

Sur cette rivière, le village Lou-Bambo, fort de 46 huttes, où se trouve en poste un noir, vêtu en soldat 
de l’État et armé d’un albini. 

L'homme nous attend au pied du Lomboloa. 

D'une voix retentissante, il crie : « Hard... à vo60! R’...tez.., ôrme! Risentez... ôrme! » 

Et en même temps il exécute tous les mouvements. 


Mardi, 27 septembre 1898 


— 0" — 


Il me dit qu'il n’est pas soldat, mais nyamparah du poste; il était auparavant boy d’un soldat en poste à 
Lou-Bambo, mais qui a été rappelé à Mtowa. 

Je ne vois pas fort à quoi sert ce poste noir, pas plus, d’ailleurs, que ceux vus précédemment et ceux que 
nous verrons encore avant d'arriver à Mpwéto. Mais je vois très bien à quoi ils ne servent pas. Le mieux serait 
de les supprimer et de remplacer leur action illusoire pas des visites fréquentes et régulières des chefs de poste 
blancs. 

Tout ce qu'on aurait pu obtenir des petits postes noirs, dans la zone où nous sommes, eût été l'établissement 
de jardins légumiers qui auraient comporté surtout des produits à conserver secs : oignons, haricots, riz, 
pommes de terre d'Europe, etc. 

Ici, comme à Ki-Tétéma, l'emplacement pour de tels jardins serait excellent. 

Hier, des graines de limon ont été remises par nous aux chefs de Ki-Tétéma et au chef Simba-Mabwé, 
ainsi qu'au caporal noir en poste à Ki-Tétéma. 

Nous remettons aujourd'hui de ces graines au nyamparah de Lou-Bambo. 

Il yaici d'assez beaux bananiers, — chose plutôt rare dans le pays, — mais on les a laissé toucher fort 
malheureusement par les feux d'herbes, au point de tuer les régimes déjà très développés. 

Nous trouvons aussi du pourpier sauvage et quelques petites tomates. 

En arrivant à l'étape, Michel à dû s’allonger dans son lit; il avait passé hier une mauvaise nuit, d'autant 
qu'en guise de souper, il avait avalé quatre comprimés d’ipéca, pour se débarrasser l'estomac, ipéca qui avait 
fait office non de vomitif mais de purge. 

A 13 heures, se lève l'ordinaire vent soufflant en rafales. 

Ciel parsemé de gros alto-cumulus d'une éclatante blancheur, d'une légèreté d'aérostat, sur le fond 
presque trop bleu du firmament. 

Le chef de Lou-Bambo, et le chef Tehôma, du village Ma-Sanga, voisin du premier, apportent les 
coutumiers présents, et reçoivent en échange du check, des clous dorés et des perles. 

Les plantations pullulent de tourterelles et de pigeons verts perchés sur de grands mimosas-parasols, 
que les indigènes ont eu l’heureuse idée de ne pas abattre ; et voiei mon boy rapportant quelques oiseaux 
qui figureront dignement à notre repas du soir; nous les accompagnerons même de baies de genévrier. 

Avant ce repas, prenons un bain délicieux dans les eaux vives de Ja Tehôoma (certains noirs pro- 
noncent Ki-ôma); la rivière à iei 6 à 7 mètres de large, et 40 à 50 centimètres d'eau très claire courant 


à la vitesse de 1,50 à la seconde, sur 
un fond de roches spongieuses; elle est 
encaissée de # à à mètres; les rives argi- 
leuses sont affouillées par les eaux; 
abondance de phragmites mettant dans 
le paysage le joli mouvement de leurs 
plumets d’étoupe. 

Installation pour la nuit dans la 
maison, spacieuse el suffisamment pro- 
pre du nyamparah qui crie si bien 
« Risentez... ôrme!» 


Température à 6 heures : 170,5. 

Départ à 6 h. 50 m. La Tchôma se Village Lou-Bambo. Pont sur la Tehôma. 
traverse sur un pont construit par les 
indigènes; sur la rive droite s'écroule un boma abandonné, à enceinte double,Sconfirmant les réflexions 
que nous avons faites précédemment à propos de l'occupation de la route par les esclavagistes arabes. 

La route s’infléchit en une longue courbe vers le sud-ouest, courant dans la vallée de la Tchôma, que 
délimitent nettement deux lignes de hauteurs à peu près parallèles. 


PER y)ee 


Terrain presque horizontal; sol argileux, lantôt de bonne argile noire propice aux cultures, tantôt 
d'argile blanche à termites; dans cette dernière, abondance de petites termilières avec quelques grandes 
de-ci de-là; par places, du gros sable et du gravier brun rougeätre, où se conservent bien les traces de 
gibier. 

La brousse est devenue méchante, maussade, herbue, n’offrant que des arbrisseaux rabougris ; l’Anona 
Senegalensis se montre en plus grande quantité, mais toujours sans fleurs ni fruits. 

Cueilli sur la route, une amaryllidacée d’une beauté surprenante : le bulbe, fusiforme, a 12 centimètres de 
hauteur, 6 à 7 de diamètre; la hampe n’a que 10 centimètres et supporte un volumineux bouquet de délicates 
fleurs rouges, formant une inflorescence en ombelle, l’évolution des fleurs commençant par les plus 
extérieures; c’est un haemanthus. 

A une lieue à l’ouest de Lou-Bombo, le sentier traverse le Ka-M’pinda, joli ruisseau large de 5 mètres, 
profond de 30 à 40 centimètres, eau limpide courant à la vitesse de 1",50 à 2 mètres à la seconde; les abords du 
ruisseau sont de belle terre noire. 

Un second ruisseau est ensuite rencontré, le Ka-M'hala, à ce moment à sec; largeur, 3 mètres; encaisse- 
ment, 4%,50 ; lit rocheux. 

Près du Ka-M'hala, nous constatons, pour la troisième fois depuis le départ de Moliro, que le sol a 
gardé des traces de pluie; il semble done que les premières précipitations atmosphériques, annonciatrices 
de la saison pluvieuse, soient très localisées; plus tard, nous observerons directement cette localisation à 
la fin de la saison des pluies, et nous constaterons que les dernières ondées tombent sous forme de pinceaux 
balayés par le vent et prenant des allures de gerbes d’arrosoir qu'on aurait étalées 
presque en plan. 

A 11h. 50 m., — après un repos de 50 minutes en cours de route, — nous 
franchissons la rivière Di-Lombé, affluent de la Tehôma, comme le Ka-Mpinda 
et le Ka-WMbala; large de 5 mètres, 
profonde de 20 centimètres, la Di- 
Lombé coule à fleur de sol dans 
une argile noire très fertile; son 
cours est marqué, son eau belle et 
claire. 

Sur ses bords se développe le 
village du chef Ki-Topé, où nous 
stoppons, ayant marché pendant 
4 heures 10 minutes, pour faire 
19 /, kilomètres. 

Le village compte 150 huttes et 
est caractérisé par deux grands bomas intérieurs, assez bien conservés; Ki-Topé est un chef noir arabisé, 


Intérieur du boma de Ki-Topé. 


à l’air abruti, en réalité très finaud. 

Nous nous installons dans un de ses appartements, si nous osons appeler ainsi le taudis de choix qu'il 
fait nettoyer (?!) pour nous. à 

A midi le ciel a commencé à se couvrir de cumulus et d’alto-eumulus de plus en plus nombreux; 
à 16 heures, le thermomètre-fronde donne 32,6 à l'air libre, à l’ombre; la nébulosité est T; les cumulus 
prennent des aspects de nimbus; l'air semble lourd, moite, chargé d'électricité; on transpire à sa table de 
travail. 

A 16h. 40 m , quelques gouttes de pluie; vent n° 2 par rafales avec tourbillons de poussière, une poussière 
fine qui pénètre tout. 

Comme j'achève — après la mise au net de l'itinéraire et des notes de la journée — la préparation de 
l'observation du soir, je sens me monter à la tête et me passer à fleur des mains et du visage des bouffées de 
chaleur, caractéristiques d’un peu de déséquilibre fiévreux consécutif à la marche fatigante de ce matin : J'ai fait 
toute l’étape à pied, en levant l'itinéraire, car Michel n’est pas assez remis pour quitter le hamac, et son imbévile 
de boy s’est déclaré malade à la halte de 10 heures; si l’animal avait prévenu au départ, il aurait pu prendre 
mon hamac, qui a marché 3 heures 20 minutes à vide; au moment où je voudrais l'employer pendant la 


6 


So 


dernière heure, le boy trouve bon de se porter malade; si c’eût été mon propre domestique, je l’aurais obligé 
à continuer l'étape pedibus cum jambis, ce qui lui aurait ouvert l’entendement pour l’avenir; comme c’est le boy 
d’un de mes adjoints, celui-ci pourrait trouver que je ne traite pas son domestique assez bien; j’ai done mis le 
malade dans mon machilla (hamac), et ai continué la route par un soleil vertical et une poussière suffocante, 
rendant pénible le levé d'itinéraire. 

De telles marches sont éreintantes et je paye maintenant le surmenage. 

Par compensation, le ciel achevant de se couvrir complètement, l'observation de nuit ne peut se faire, ce 
qui nous permet de nous coucher plus tôt. 

Nous resterons, d’ailleurs, ici, 48 heures. 


Mercredi, 28 septembre 1898. 


Nuit qu'on ne peut qualifier ni de bonne ni de mauvaise. Vers le matin, heureusement, je trouve quelques 
heures de sommeil; la fatigue d'hier a provoqué un léger dérangement intestinal. 

Conférence avec le chef Ki-Tope, à propos de la route à prendre pour gagner d'ici la station de M'pwéto; 
pour le moment, il n'existe qu'une route, qui est la plus courte et la plus facile, mais qui a pour moi l’incon- 
vénient de passer partiellement en territoire anglais. 

Pour ce motif, Je voudrais, au lieu de prendre vers le sud-ouest, tourner au nord-ouest. À cette nouvelle, 
tous mes nyamparah de se récrier, afirmant qu'il n'y à aucune route dans la direction que j'indique, qu'aucun 
d'eux ne pourrait se charger de nous guider, et que, d’ailleurs, le pays étant désert, la caravane ne pourrait se 
ravitailler. 

Mais voici le vieux Ki-Topé qui — les yeux souriant malicieusement — se contente de dire : « N’zila na 
Kapouti m’zinga? » (le sentier de Kapouti canon ?) 

Il faut savoir que le capitaine Jacques était ici connu sous le nom de « Kapouti », et que « Kapouti 
m'zinga » était le nom du capitaine Descamps, lequel avait amené un mxinga (canon) à « Kapouti ». 

Or, au cours de son commandement, le capitaine Descamps avait eu à sévir contre les Arabes de toute 
la région où nous nous trouvons maintenant; il élait arrivé avec un canon et avait suivi, de Ki-Topé à 
M'pwéto, une route aujourd'hui délaissée pour la route anglaise, mais que le vieux Ki-Topé n'avait pas 
oubliée. 

Grâce à cette imformalion, je décide que nous tâcherons de retrouver la même route; toutefois, J'allégerai 
encore la colonne et, à cet effet, je désigne une partie de nos gens qui prendront la voie ordinaire, ne gardant 
avec nous que le personnel sirictement nécessaire; ceci en prévision du manque de villages vers le nord-est, 
donc de la difficulté de se nourrir; au surplus, je veille personnellement à ce que les gens qui m'accompa- 
gneront se munissent de vivres pour quatre jours au moins. 

Ces dispositions prises, je puis faire un bout de promenade dans le village. Une fois de plus, je suis 
frappé du développement des terrains qui furent jadis cultivés ; aujourd'hui encore, d’ailleurs, les cultures sont 
très étendues, et nous trouvons à Ki-Topé beaucoup plus de produits, alimentaires et autres, que dans les villages 
vus jusqu'ici. 

En voici l'énumération : beaux bananiers et beaux papayers dont, malheureusement pour nous, les fruits 
ne sont pas mürs; tabac, chanvre, pourguère (médicinier cathartique), ricin, éponge végétale (Louffa eylin- 
drica), coton, oignons, herbe à déjeuner (ciboulette), piment rouge, haricots divers, aubergines, petites tomates 
cerises, Courges, pourpier sauvage, queue de renard, loubanga, maïs, sorgho, mil, arachides, manioc, ignames, 
patates douces, mioumbou et autres tubercules simili-pommes de terre; enfin, les ficus à étoffe abondent, et 
l’on voit quelques plantes médicinales. 

Parmi ces produits très variés, il en est un dont nous faisors la connaissance pour la première fois, le 
loubanga; c’est une capparidacée, le pedicellaria pentaphylla, dont les feuilles s’emploient dans la soupe et en 
épinards; elles sont très tendres et suffisamment savoureuses, tenant un peu du cresson. C’est un des meilleurs 
légumes qu'il nous a été donné de manger: il devrait se trouver dans tous les jardins de nos stations. 

Que je dise dès maintenant que nous trouvames le loubanga partout le long de notre route d’aller 
et de retour; nous fûmes souvent heureux d'utiliser cette précieuse ressource, mais nous ne la vimes 


po 
employée par aucun autre Européen; le prestige de la boîte de conserve — qu'on se garde si soigneuse- 
ment de consommer en Europe — continue à masquer les avantages naturels d’un pays pourtant vraiment 
favorisé. 

Et qu'on veuille bien noter que la conserve que je condamne depuis toujours — par un exemple 
personnel constant et inlassable — c’est la conserve dont l'Afrique me donne l'équivalent à Pétat frais; ceci 
est particulièrement vrai pour les légumes, les fruits, les viandes et le poisson; il ne s’agit nullement de 
rejeter ces produits alimentaires qui, ici même, sont déjà des conserves; par exemple le beurre, le lard, le 
jambon, les viandes fumées, le fromage, le sucre, la farine, toutes les épices et assaisonnements, ete. 

Des maladroïts — cherchant à masquer le vide de leurs idées — m'ont parfois accusé de prôner la 
suppression de tout envoi de vivres d'Europe. La seule suppression que je prône, c’est l'envoi au Congo des 
imbéciles volontaires ou involontaires. 

Malheureusement, ils auront la vie aussi dure que les histoires à dormir debout qui constituent leur 
bagage intellectuel. 

Chez les Pères Blancs du Tanganika il n’y a, à table, aucun produit européen, sauf parfois un peu de vin; 
tous les voyageurs qui se sont assis à cette table hospitalière des nombreuses missions de Lavigerie, n’ont pu 
que s’incliner devant le fait expérimental et concluant, et se réjouir de manger du vrai pain frais, des pommes 
de terre d'Europe, du jambon et du filet fumé fabriqués sur place, tous les légumes et fruits possible y compris 
des fraises, etc., ete. Je reparlerai de tout cela en détail plus tard. 


Un mot à propos du tabac. Je l'ai signalé à diverses reprises déjà; si petit que soit un village, on peut 
être certain d'y trouver de grands champs de tabac. A Ki-Topé, c’est par hectares qu'on lexploite et, outre 
les champs cultivés à l'extérieur du village, ce dernier est presque nové dans ses parcs de tabac; celui-ci est 
tressé, puis on en forme des enroulements analogues à ceux dits de Lou-Koléla. On peut voir à Tervueren des 
rouleaux de tabac envoyés par nous. Nous avons fumé beaucoup ce tabac, et ne l’avons pas trouvé désagréable; 
même Dardenne en vint à aimer autant le tabac indigène que le tabac que des mains amies nous expédiaient 
d'Europe. 

Quoi qu'il en soit, le tabac me parait pouvoir être iei l’objet d'essais intéressants; pour le moment, tout en 
en faisant une grande consommation personnelle, les indigènes en tirent un produit de commerce se répandant 
au loin en tous sens. 

On fume aussi le chanvre, dans des pipes faites d’un fourneau fixé sur des calebasses ornementées. 

Les noirs connaissent aussi l’usage de priser le tabac, et, ma foi, on comprend qu'ils l’aient trouvé, ne füt-ce 
que pour se débarrasser des poussières qui vous pénètrent par toutes les ouvertures. 

Nous voyons encore à Ki-Topé, — nous venons de le dire, — le piment rouge et l'herbe à déjeuner 
(la ciboulette); cette dernière ne fut vue qu'ici; quant au piment, nous ne l’avions pas encore vu depuis notre 
arrivée à Moliro, et, dans la suite de notre voyage, nous ne le verrons qu’à titre exceptionnel, l’indigène d’iei n’en 
faisant guère usage et se contentant, Comme condiment principal, du sel du pays; on trouve des salines dans la 
partie anglaise de la vallée de la Tchôma ; nous en verrons prochainement à Ka-Sama ; plus tard, dans la plaine 
du Lou-Alaba, puis à Moachia (les plus importantes et les plus célèbres du Ka-Tanga) ; enfin, nous en trouverons 
encore près de la mission de Lou-Saka, dans l’Ou-Roua. 

Comme le tabac le sel est un important produit de transactions indigènes. Même des Européens adroits en 
tireraient un fort joli bénéfice pour leur commerce sur place; l'exemple en est, d’ailleurs, donné depuis long- 
temps par les factoreries anglaises de la Compagnie des Lacs, dans les magasins desquelles j'ai vu, de mes 
propres veux, des centaines de charges de sel indigène, acheté à bon compte sur les points de production, 
et expédié vers le sud du Tanganika et vers le nord du Nyassa, où le produit acquérait une valeur très 
rémunératrice. 

Je reviendrai sur ce point en temps et lieu. 

Le ricin et le pourguère — toujours très beaux — servent à fabriquer une huile de toilette 

Sans que nous ayons pu déterminer pourquoi, nous avons presque toujours trouvé les champs de mil 
entourés de plants de ricin poussant en tige, comme si l’on avait voulu en faire une clôture. 


19 


Le coton, quoiqu'existant partout, n’est cultivé que sur une très faible échelle : chaque village n’en à que 
quelques plants. 

L'arbre à étoffe est le seul spécimen d'essence arborescente planté par les indigènes; ce ficus, très volon- 
taire, est simplement rapporté par boutures qui reprennent invariablement et poussent à la diable; quand le 
noir désire un morceau d’étoffe, il fait à l'arbre deux entailles circulaires, qu'il réunit par une entaille longi- 
tudinale, à profondeur d’écorce; puis il bat l'arbre sur tout son pourtour au moyen d’un maillet spécial, en 
forme de hachette en bois (nous en avons envoyé un à Tervueren), de manière à détacher facilement lécorce; 
malgré ce traitement, l’arbre ne meurt pas; on voit se développer de la section supérieure de l’écorce toute une 
série de racines adventives, qui s’allongent peu à peu sur la partie du tronc mise à nu. 

Une fois détachée en placards, plus ou moins grands selon la taille de l'arbre, l'écorce est encore traitée au 
maillet pour l’assouplir et la débarrasser de tout ce qui n’est pas fibre; on obtient finalement une sorte de feutre 
grossier. 

Cette fabrication d’étoffes de ficus est très développée dans le pays; on ornemente même les étoffes de 
broderies en fibres ainsi qu'on peut le voir par les échantil- 
lons que nous envoyämes au musée de Tervueren. 

Le ficus à étoffe, qui porte une petite figue comestible, 
appartient à la famille des Ficus elastica: il donne un latex 
abondant dont j'ai parlé pendant notre séjour à Moliro. 

Deux mots sur la façon dont les indigènes conservent 
leurs produits de culture. 

Le mode principal de conservation est le grenier, sorte 
de tour cylindrique en torchis, couverte d’un toit conique en 
herbes sèches, souvent mobile, et surélevée à quelques qua- 
rante centimètres du sol au moyen de pilotis. 


On accède à l'intérieur par une échelle formée d’un seul 


k_ 5 montant à entailles, où se pose le pied: si le toit est mobile, 
Lee F Ÿ on ouvre le grenier en faisant basculer ce toit; si les dimen- 
sions du grenier sont plus considérables, le toit devient fixe, 

Pigeonnier et grenier au village de Ki-Topé (1598). et la paroi latérale du grenier est munie d'une petite porte 


fermée par une claie. 

On met dans ces greniers, après siceilé complète, le mais, le mil et le sorgho, qu'on laisse en épis ou que 
l’on à d’abord égrené. 

Ainsi que j'ai eu déjà l’occasion de le signaler, les autres produits de conserve : haricots, arachides, graines 
de courges, pommes de terre douces séchées, tabac, sont emballés dans des bourriches en herbes tressées, 
extéricurement enduiles de terre glaise, les unes affectant la forme de grosses sphères parfaites, les autres de 
longs fuseaux souvent ligaturés Ces sphères et ces fuseaux sont alors pendus entre les branches de quelques 
arbres. 


Notre promenade dans Ki-Topé nous montre encore, comme «monument » à signaler, la nioumba na 
n'zimou (la maison des esprits). 

C’est le plus beau spécimen du genre qu'il nous fut donné de voir. 

Dans la croyance des indigènes, des esprits voyagent constamment dans le pays, et, la nuit, ces esprits 
se reposent dans les villages. Pour se les rendre favorables, chaque village construit un certain nombre 
de maisons des esprits, où ceux-ci peuvent dormir en paix, moyennant quoi ils n’inquiètent pas le village 
hospitalier. 

Ces maisons des esprits ne sont généralement que de minuscules réductions des huttes ordinaires; elles se 
trouvent alors en plus ou moins grand nombre à l'intérieur des villages, et on y place, de temps à autre, une 
calebasse contenant un peu de nourriture. 


> 
NO DE — 


D'autres fois, la maison des esprits est située à l'entrée du village; on lui donne alors un enclos protecteur 
et on l’ornemente plus où moins. 

A Ki-Topé, la nioumba na n’zimou était entretenue avec un soin et une propreté qu'on eût été heureux de 
retrouver dans le village même. 

C'était une sorte d’autel en pierres, sous un buisson vert, avec des étoffes suspendues enÿ draperies, 
du sable blanc formant des arabesques 
sur le sol, le tout bien enclos d’une 
solide haie vive renforcée d’un cercle 
de pierres. 

15 h. 30 m. : roulements sourds 
de tünnerre; nébulosité, 8 : cumulus, 
cumulo-nimbus, nimbus, fracto-cumu- 
lus, fracto-nimbus. 

Il fait abominablement lourd. 

Bientôt les grondements d'orage 
deviennent presque continus, perdus 
au plus profond des cieux. 

A15h.30 m., nébulosité complète, 
sauf en un tout petit coin; quelques 
gouttes de pluie, violentes rafales sou- 
levant d’aveuglants tourbillons d’une 
poussière ténue, fluide, pénétrant tout. 

A 17 heures le vent est tombe. 


L'observation de nuit est rendue 
impossible par les nuages; la lune Maison des esprits au village de Ki-Topé (1598). 


même n’est que vaguement visible der- 
rière l’épais rideau des alto-stratus; après deux heures d'attente près du théodolite mis en station, force est 
de nous aller coucher bredouille; notre séjour iei devra done se prolonger de vingt-quatre heures. 


Jeudi, 29 septembre 1898. 


Vers 6 heures, quelques gouttes de pluie. 

A 6h. 30 m., le thermomètre marque 18°. La nébulosité est 10 (complète) : nimbus, alto-stratus, nimbus 
cumuliformis. 

Mise au courant de l’arriéré des calculs; prise de l'intensité et de l’inclinaison magnétiques. 

Michel taxidermise ; Dardenne crayonne. 

Journée lourde, chargée d'électricité; le vent ne se lève pas au milieu du jour, contrairement à ce qui a été 
observé jusqu'ici; dans la soirée, les éclairs illuminent l'horizon. Tout annonce les pluies prochaines. 


La soirée, quoique nuageuse, permet la prise d’une observation complète (16 étoiles). 


Vendredi, 30 septembre 1898. 


Passé une nuit un peu meilleure. 

Comme je dois encore déterminer la déclinaison, et effectuer les calculs de observation d'hier, nous ne 
quitterons pas Ki-Topé avant demain; je pourrai ainsi être tout à fait au courant, ce qui est indispensable, 
quelque fatigant que soit tout ce travail. 

A Gh. 45 m., le thermomètre marque 19,5. 


> 5 — 


La déclinaison magnétique est fixée avant le déjeuner, afin de profiter d’un moment où le vent est nul 

A 11 heures, quelques gouttes de pluie; rafales sèches; tonnerre s’éloignant rapidement. 

Soirée couverte; avec la lune toutefois les nuages se dissipent un peu au zénith. 

La journée a été consacrée aux caleuls. 

Caractéristiques de Ki-Topé : latitude, — 8°. 20". 13”,62; longitude Est de Greenwich, 299, 307. 47/,70> 
altitude, 1,042 mètres: déclinaison occidentale, 11°. 49 327,00; inclinaison, 36°. 7'. 451,40; intensité hori- 


zontale, 0.1295, 


Samedi, 1° octobre 1898. 


Vers 4 h. 30 m., nous sommes réveillés par une assez forte pluie avec coups de tonnerre pendant une 
demi-heure. À 

A 6 heures le thermomètre indique 20°,5. Nébulosité, 7 : cirro-cumulus, cirro-stratus, cumulus, alto- 
cumulus, nimbus cumuliformis. 

L'orage continue à gronder très sourd vers l’ouest. 

A Th. 15 m., nous quittons Ki-Topé; le soldat qui est en poste à Ki-Topé nous guide pendant quelques 
centaines de mètres, à travers les plantations, et nous amène à un sentier qu’il faut deviner, tant il est peu battu ; 
un noir doit nous guider le plus longtemps possible 

Nous piquons droit dans l’ouest, vers la ligne de hauteurs formant la lisière occidentale de la plaine de la 
Tchôma; après avoir foulé, pendant 1 {/, kilomètre, une terre noire où affleure la roche, on arrive sur un lit 
quasi continu de rocailles et de cailloutis : on dirait que se sont donné ici rendez-vous tous les tailleurs de 
pierre du monde entier. 

Nous cherchons, toutefois, vainement des pierres taillées. 

J'en trouve bien une, qui à la forme classique, mais tellement démangée par l'air et l’eau, qu’on ne 
saurait plus se prononcer. 

Pendant une bonne heure et demie, on marche sur la roche : gravier, éclats, cailloux, grosses roches, 
escalier de géants. 

A noter un tas de pierres fétiche, comme nous en avons signalé un au nord de Moliro-village, le mercredi 
31 août dernier. 

À 9 kilomètres de Ki-Topé, nous stoppons pour prendre un croquis et une photographie d’un site 
pittoresque à plaisir : bien boisé, essences fleuries dont plusieurs non encore vues par nous, énormes roches 
formant dolmen, marmite du diable avec couvercle... 

Puis on reprend la marche à travers un pays beaucoup plus agréable que les bords du Tanganika : arbres 
plus nombreux, plus vigoureux, à feuilles persistantes; beaucoup de simili-pommiers, les uns en fleurs, les 
autres en fruits non encore mürs; des anones du Sénégal ont grandi à plus de 2,50, taille que nous n'avions 
pas vue ailleurs; se montrent aussi des euphorbes-candélabres, des simili-magnolias, des fougères, et de 
nouvelles essences, entre autres une appétissante pomme jaune à noyau de cœur de bœuf, mais qui n’est pas 
comestible; abondance de fleurs dont une très bizarre, que nous qualifions de muguet du Congo; Dardenne la 
dessinera et nous en mettrons dans une tine remplie de terre, afin de les transporter à Mpwéto. 

Brusquement se montre —- nous traversant perpendiculairement — une petite caravane indigène fuyant 
vers le sud. Nos hommes appellent les fuvards, ee qui accélère leur course, déjà rapide; je dois empêcher mes 
gens de se mettre à leur poursuite. 

Il serait pourtant intéressant de connaître quels produits ces gens apportent du Ma-Roungou, pour aller les 
échanger dans les faetoreries anglaises, contre poudre et fusils. 

Mais je n’ai pas mission de faire la police ici, et je dois me contenter de noter qu'il se pratique ici de la 
contrebande ; en voiei d’ailleurs bientôt la preuve, dans le sentier — large de 1 mètre, bien battu, accusant un 
passage continu, — auquel nous arrivons; ce sentier vient droit du nord et pique vers la frontière sud; rarement 
en ai-je vu d'aussi important en Afrique! Ce dont ne se doute certainement pas le soldat en poste à Ki-Topé; à 
moins qu'il ne s’en doute trop bien! 

Autre fuyard devant nous : une gracieuse et légère antilope, tôt hors de portée. 


TENTE 


Le pays continue à rester très beau, pittoresque à plaisir, mouvementé, agréable à parcourir; l'altitude 
s’accentue de plus en plus; aussi transpirons-nous tous les trois abondamment, bien que le soleil ait le bon 
goût de rester voilé. 

Et nous arrivons à la rivière Di-Lombé, d’où nous sommes partis ce matin; rapide, elle chante gaiement 
dans son épais manteau de papyrus. Nous y faisons halte quinze minutes. 

Vers le sud et l'ouest, le ciel se couvre; le tonnerre gronde; heureusement, nous pouvons arriver au 
campement avant la pluie, qui commence à tomber dès que les tentes sont dressées; il est alors 13 h. 45 m. et 
la pluie tombe — légère et rafraichissante — pendant trois quarts d’heure. 

Nous campons sur la rive droite du Ki-Piribié, ruisseau large de 1 mètre à 1",50, assez encaissé, où coule, 
rapide, un filet d’eau claire, profond de 20 centimètres ; en bordure, une superbe galerie de hauts arbres, où 
existe la liane à caoutchouc exploitable, dont je fais recueillir un échantillon. 

En arrivant au camp, nos noirs ont capturé un n’xibisi (Eulacodes Swinderianus), mais dans leur ardeur à 
se le partager, ils ont déchiqueté la bête à n’en plus savoir tirer parti. 

Ils se rattrapent en dévorant une des deux chèvres laitières qui nous suivent depuis M’pwéto; elle est 
morte aujourd’hui, ee qui diminuera fort notre ration journalière de lait frais. 

Le camp d'aujourd'hui est un des plus agréables que nous ayons connus jusqu'ici : dans la Ki-Piribié, nous 
avons mis à « frapper » quelques bouteilles de bière; il fait exquisement frais, au point qu'il faut, à la tombée 
du jour, allumer un bon feu flambant; il faut noter que, depuis Ki-Topé, nous nous sommes élevés, d’une 
facon continue, d'environ 500 mètres; nous sommes à 1,540 mètres d'altitude, et chaque fois que nous 
connaitrons ces altitudes, nous connaîtrons aussi le froid vif des nuitées, exigeant l'allumage de grands 
feux clairs et joyeux. 

N'oublions pas de signaler que la flore s’est modifiée et qu'il nous a été donné de voir aujourd'hui des 
essences nouvelles, parmi lesquelles beaucoup de fleurs. 

A 15 h. 30 m., la température à l'ombre était de 21°; nébulosité, 6 : cumulus, fracto cumulus, nimbus, 
fracto-numbus, cirro-stratus. Vent de 0 à 1. Grondements de tonnerre à grande distance. 

A 18 h. 10 m., le thermomètre marque 19. Vent, 0. Nébulosité, 10. 

A 21 heures, température : 17°,2. 


Dimanche, 2 octobre 1898. 


A 5 h. 30 m., la température est de 13°,5. Nébulosité, 6. Vent, 0. Forte rosée. Départ à 6 h. 45 m. Marche 
de 19 kilomètres dans l’ouest, couverts en 4 heures 40 minutes. 

L’altitude continue à croître et atteint 1,700 mètres vers la fin de l'étape, puis diminue un peu. Etape très 
agréable à travers un pays bien boisé, ayant des allures de vaste verger, sauf une plaine nue, couverte de 
petites termitières ; les fleurs abondent; leur variété amusant fort l’œil du voyageur curieux. Nous recueillons 
plusieurs bulbes, oignons et rhizomes à porter à M’pwéto pour y être mis dans les jardins; Dardenne enrichit 
considérablement ses planches de flore; pour ce, il recueille en route fleurs et plantes qu'il met au frais dans 
des boîtes en fer-blanc où se trouvent des éponges imbibées d’eau; à l'étape, il s’installe à l'ombre et à la 
diable, et peint consciencieusement toute sa récolte. 

Outre les fleurs jolies, la brousse d'aujourd'hui nous fait connaître plusieurs fruits comestibles dont le 
plus marquant est une exquise figue minuscule (les noirs l’appellent sakombi), pas plus grosse qu'un raisin 
violet, laissant suinter une gouttelette de sue cristallin; sa saveur fraiche, sucrée, son fondant, son délicat 
parfum, en font le fruit sauvage le plus agréable que nous ayons jamais eu l’occasion de goûter ; le sakombi ne 
fut trouvé que cette seule fois : il était porté par un petit ficus parasite que nous ne revimes plus jamais. 

En revanche, nous vimes souvent la moukoua, grosse figue non allongée comme celles qui nous arrivent 
fraiches en Belgique, mais aplatie; elle est d’un ton d’abricot très brun, très appétissante; assez compliquée à 
manger parce qu'il faut d'abord débarrasser l’involucre charnu, comestible, des multiples cariopses trop dures 
qui le tapissent intérieurement. Le grand figuier qui donne la moukoua ploie sous l’abondance de ses fruits. 

Nous eûmes aussi aujourd’hui l’occasion de manger le n’sokolobwé, fruit d'un arbre de bonne taille, le 
n'dobé. Le n'sokolobwé est une appétissante drupe de la grosseur d’une double baie de café, se teintant d'une 


tonalité jaune rose sombre, donnant une folle envie d'y mordre à pleines dents ; mais gare si le fruit est encore 
m'bissi (vert)! Son astringence guérira le voyageur trop curieux, de l’envie de renouveler sa connaissance; il 
faut attendre que le fruit tombe de lui-même; alors il est mür, et a pris le teint terreux d’une petite pomme de 
terre jaunâtre ; quand on passe sous des n’dobé ayant commencé à laisser tomber leurs fruits, les noirs se jettent 
dessus avec avidité; pour nous, le fruit nous parait peu appréciable, avec sa pâte de pommade astringente et 
vaguement sucrée qui enrobe un curieux noyau à crête rappelant plus ou moins un gros grain de café. 

A signaler encore dans la brousse l’orseille, l’aloès, l’asperge sauvage. 

Ces zones de fleurs et de fruits sauvages sont un paradis pour les abeïlles, et voici qu'un indicateur de miel 
nous lance son appel insistant, et volète devant nous de branche en branche, jusqu’à l'arbre au haut duquel 
est le précieux nid que le gourmand nous signale; des gens de la caravane restent en arrière pour le recueillir, 
et à l'étape ils nous apportent un beau et bon gâteau de miel appétissant et parfumé. 

Les roches rencontrées aujourd'hui sont les mêmes que celles vues hier; tout le sol est couvert d’un gros 
gravier brun-verdâtre. 

Dans ce pays peu habité, à allures de vaste verger, on s'attend à voir force gibier; en réalité, nous n’en 
rencontrons que peu de traces : au départ du camp, nous avons ramassé un piquant de pore-épie; plus loin, 
ce fut une défense de phacochère; puis se montrent des bouses d’éléphants; près d'un petit ruisseau, la 
Mpondwé, nous relevons assez bien de traces d'antilopes, mais nous ne voyons en tout et pour tout que deux 
des gracieux animaux; en revanche, en plusieurs points, les laisses des fauves (lions, léopards) s'accumulent, 
comme si ces animaux avaient coutume de se grouper en des points choisis, pour y... digérer à l'aise. 

Assez bien de perdreaux rouges et de tourterelles grises. 

Au cours de l’élape, nous recoupons deux sentiers venant du Ma-Roungou et allant en territoire anglais. 

Il est 11 h. 25 m. quand nous stoppons sur la rive gauche de la M'hisa, ruisseau large de 1 mètre, profond 
de 20 centimètres, dont l’eau court limpide et vive sur fond de sable; belle galerie de grands arbres dans 
laquelle nous faisons ouvrir une percée, afin de trouver moyen d'installer nos tables de travail à l'ombre. 

À 18 heures, le thermomètre marque 20°. Vent n° 1. Nébulosité, 3 : stratus et fracto-cumulus. Tonnerre 
au loin dans l’est. 

Soirée d’abord claire et étoilée, se couvrant rapidement de nimbus; de 20 à 21 heures, pluie légère. 


Feux d'herbes illuminant deux points à l'horizon. 


Lundi, 3 octobre 1898. 


= 


A G heures, la température est de 12,5. Vent nul. Nébulosité, 3 : cumulus, fracto-cumulus, strato-cumulus. 

A 6 heures et quelques minutes, le soleil met une frange d’or aux fracto-cumulus, mais ne parvient pas à 
percer le rideau de nuages qui s'étale de plus en plus, si bien et si vite qu'à 7 heures, la nébulosité est 10 (ciel 
entièrement couvert); au loin, vers l’est, le tonnerre gronde de façon persistante toute la journée. 

Au début de la marche notre guide se montre hésitant; le peu de sentier qu'on devine encore est si 
faiblement indiqué qu'au bout d’une heure de marche, dans le nord-ouest, nous nous trouvons dans un 
cul-de-sac, si on peut dire; le sentier a bien nettement disparu. 

On stoppe pour assembler le conseil des capitas ; les points de repère sont inexistants: vers le nord-est, 
l'horizon se barre d'une série de lignes de hauteurs en plusieurs plans: mais dans ces hauteurs il n’est pas de 
pie marquant et, pendant tout un temps, nos gens ne sont pas d'accord sur la direction à prendre; quelques-uns 
(dont le guide) veulent continuer vers l’ouest; d’autres, — dont l'air ouvert et franc me convainc, — assurent 
qu'en nous rabattant vers le nord, nous retrouverons un vieux sentier menant à la vallée de la Lou-Fonzo; ceux 
qui donnent ce renseignement sont originaires de cette vallée et, dès qu'on y arrivera, ils sauront se 
reconnaitre. 

Me ralliant done à leur avis, je fais piquer à travers la brousse, vers le nord-est; lallure du pays est 
toujours celle d’un immense verger inculte, avec d'étroites places herbues (parfois couvertes de petites 
termilières) ; le sol reste partout couvert du même gravier fin qu'hier, gravier qui est le résidu de décomposition 
de la roche caractérisant ce pays, roches qu'on voit aflleurer en gros blocs. 

Nous arrivons dans l’angle de deux ruisseaux, pour lesquels nos gens continuent à nous donner des noms 


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qui ne peuvent plus m'inspirer confiance; il faut franchir lun d'eux, le Ka-Msenga, large seulement de 
1 mètre, mais dont les abords sont marécageux, si bien qu'au moment où je prends mon élan, j’enfonce dans 
la vase et m'étale en pleine eau; instruments et carnet prennent un bain; les ayant ramassés, je grimpe 
lestement la pente de la dépression où coule le Ka-M’senga, et n'arrête pour changer de vêtements; je 
m'aperçois alors que ma montre manque à l'appel; Dardenne dégringole au ruisseau et, par une chance 
miraculeuse, retrouve ma montre dans l’eau, à deux pas du point où défile toute la colonne. Malgré ce bain 
intempestif, tous les instruments : montre, boussole, podomètre, anéroïde, paraissent intacts. 

Encore quelques pas, et nous trouvons le sentier annoncé; il ÿ en a même deux, lun montant dans le 
nord, vers le Ma-Roungou; l’autre piquant dans le nord-ouest; c’est ce dernier que nous prenons; deux 
ruisseaux sont encore traversés, coulant au fond d’étroites et profondes dépressions; traces de cultures sur les 
rives du deuxième. 

Vers le nord-est, se voient plus distinctement les divers plans montagneux, avec, tout en arrière, le 
sommet des monts Ki-Vo’n’zia. D’énormes blocs de roches émergent maintenant de partout, affectant des allures 
de menhirs, de portiques, de lourdes tours; par places, ces roches formes de longues parois sauvages que suit 
forcément le sentier; à un moment donné, on coudoie un profond encaissement encombré de grands arbres; 
en même temps le sol se couvre de débris quartzeux; vers l’ouest, une ligne de hauteurs se dessine, parallèle 
au sentier; nous avons atteint 1,750 mètres d'altitude; les blocs de roches deviennent quasi continus; le terrain 
se mouvemente de plus en plus; parfois le sol est littéralement dallé de dalles monstrueuses; puis des 
murailles énormes semblent barrer la route; mais celle-ci, passant par quelque trouée (vraies poternes étroites 
de ces fortifications naturelles), contourne et recontourne des encaissements en précipices, des vallonnements 
boisés s’enchevêtrant en tous sens; et, dans ce cadre merveilleux de sauvagerie, qui nous laisse émus, dans ce 
cadre digne de l’âge de la pierre, la végétation est forte, les arbres nombreux, variés, vivaces; c’est un site d’une 
écrasante grandeur, auquel, malheureusement, l’eau fait défaut. On voudrait voir des cascatelles ruisseler le 
long de ces rochers abrupts, de ces tas de pierres géantes. 

Quoi qu'il en soit, le pays est devenu plus giboyeux; beaucoup de bouses d’éléphants et une quantité 
étonnante de laisses d’antilopes; quatre ou cinq fois nous voyons fuir de ces gracieuses bêtes. 

A signaler aussi qu'il nous a été donné aujourd’hui de voir des quantités de termitières en formation; 
couleur à part, naturellement, elles ont assez bien l’aspect de hauts bonshommes de neige au moment du dégel; 
la plupart s'élèvent librement; quelques-unes entourent des troncs d'arbres. 

A 15 h. 14 m., nous stoppons dans l’angle de la rivière M'wita et du ruisseau Ka-Missongo; nous avons 
parcouru 24 kilomètres en 6 heures 15 minutes. 

La Mwita, très jolie, est large de 2 mètres, avec 20 centimètres d’eau vive, limpide, sur sable et gravier. 

Aujourd'hui encore, le campement est des plus agréable, frais et ombreux. 

A noter, comme fruits sauvages mangés en cours de route, le ka-songolé et le mou-loungou, deux variétés 
de strychnos existant également dans le Ba-Kongo; dans le sud de l'Afrique, ces fruits se désignent sous le nom 
d’oranges du Cafre. 

Il se confondent d’ailleurs, à distance, avec de superbes oranges, du plus beau jaune d’or. Seulement, leur 
écorce est ligneuse et très dure; la brise-t-on en frappant violemment le fruit contre une roche ou contre un 
arbre, l’on trouve, dans les deux variétés, une masse remplissant complètement le fruit, et qui est formée de 
noyaux entourés d’une pulpe comestible. 

Dans le mou-loungou, cette pulpe est jaune, à aspect de cosmétique, à saveur doucetre, rappelant un peu 
l’aspect et la saveur de l’abricot des herbes (Anona Senegalensis). 

Dans le ka-songolé, la pulpe, abondante et juteuse, est brunâtre, consistante, et d’une saveur acidulée; on à 
l'impression de mordre dans une énorme framboise ferme, qui aurait des noyaux. 

Nous garderons des graines de ka-songolé pour les faire planter à M'pwéto-Station; l'arbre mérite d’être 
cultivé dans les postes européens, ne fût-ce que pour la note riche que donnent ses nombreux fruits d'or vif. 

Enfin, l'étape a été bonne aussi au point de vue de la récolte zoologique; j'ai pris, entre autres bêtes, une 
énorme cigale et, au camp, nous faisons les honneurs d'une boîte spéciale à de gros pucerons blanes, poilus, 
qui sautent très curieusement, ce qui rend leur capture amusante. 

A 18 h. 20 m., la température est de 20°. Vent nul. Nébulosité, 4 à 3. Éclairs au sud-ouest. 

Allumé l'ordinaire et joyeux feu du soir. 


2 gÿ = 


Mardi, 4 octobre 1898. 


A 6 heures le thermomètre marque 16°,8. Vent nul. Nébulosité, 9 : alto-stratus, stratus, cirro-stratus. Pas 
de rosée. 

Départ à 6 h. 55 m.; la marche nous mène nord-ouest; le pays reste très mouvementé et, cette fois, se 
montre riche en eaux presque toujours limpides. 

Le premier ruisseau traversé est le Ka-Lengué, large de 1 mètre, encaissé de 2; eau vive et claire; bientôt 
après le Ka-Koroka, large de 60 centimètres, eau très limpide, courant rapide; puis viennent de suite le 
ruisseau Ma-Zoumba, dont l’eau est stagnante, et le ruisseau Ki-Tou, à sec. 

Ces ruisseaux ont des galeries où se remarquent des phænix, des yuccas, des bambusacées. A un certain 
moment, je cueille et froisse dans les doigts les feuilles d’un arbrisseau, ainsi que j'ai l'habitude de faire pour 
chaque nouvelle essence; aucune odeur ne se dégage d’abord; puis, tout en continuant à marcher, il me 
semble qu’il nous vient des bouffées de parfum, et à plusieurs reprises je demande à mes compagnons de route 
s'ils perçoivent, comme moi, une odeur très fine, très délicate; leur réponse est négative et je demeure fort 
intrigué, quand, portant par hasard la main vers ma figure, je m'aperçois que ladite odeur se dégage des doigts 
qui ont froissé tantôt des feuilles de cannelier, car c’est bien l'odeur du cannelier que je reconnais, et que 
mes adjoints reconnaissent aussi nettement en flairant mes doigts. 

Nous aurons beau, dans l'avenir, cueillir et froisser les feuilles de nombreux arbustes, nous ne 
retrouverons plus cette essence, ce qui me fera regretter de n’être pas retourné sur nos pas. 

Continuant donc à marcher, nous descendons doucement vers un nœud de hauteurs formant un étroit 
goulot, où nous avons à traverser une très belle rivière, que nos gens appellent M’wita, comme celle où nous 
avons campé hier, bien que les deux soient différentes; celle-ci a 8 mètres de large, et roule 30 centimètres 
d’eau limpide sur un lit de roches et de sable; les roches sont des schistes qui venaient de se montrer dens un 
ruisselet à sec; la Mwita, dont le cours est rapide, va à la Lou-Sipou; elle coule vers le sud-ouest, à travers 
une étroite percée bordée de hautes falaises. 

La M'wita franchie, la route s’infléchit vers le nord pour grimper vers un col très élroit, ouvert dans les 
hauteurs qui bordent la rive droite de la M'wita; la montée est rude pour atteindre le fond de ce col, dont la 
coupe transversale affecte la forme d’un V très aigu; le sommet des branches du V, constituées par des parois 
rocheuses abruptes, domine de 150 mètres le fond où passe le sentier. Lorsque nous cessons de monter, 
l’anéroïde marque 1,550 mètres. 

De ce point, l’œil porte à perte de vue sur un pays mouvementé, s’élevant lentement vers le nord. Vers le 
nord-ouest, à l'horizon, se profile la table du mont Ka-Langa, et, plus près de nous, des hauteurs forment un 
angle rappelant la pointe du Ba’n'gou à Ki-M'péssé. 

Plus près encore, la traînée, argentée et verte, de la Lou-Fonzo. 

Pour la première fois depuis notre arrivée sur le territoire de l'Etat, nous avons devant nous une vraie 
rivière et, du coup, nous allons retrouver des populations, ce dont nous n’avons plus vu trace depuis Ki-Topé. 

Du point d'altitude 1,550 mètres, d’où nous venons d’embrasser la vallée de la Lou-Fonzo, le sentier se 
met à dévaler, d’abord de façon très raide, puis plus doucement, s’infléchissant de nouveau vers l’ouest pour 
suivre la ligne de hauteurs qu'on vient de franchir par le col en V aigu; on redescend de 400 mètres jusqu’au 
ruisseau Mo-Loumboa, large de 2 mètres, avec 10 centimètres d’eau stagnante; sur ses rives existent des 
cultures abandonnées par le village Pa-Manda qui à émigré vers le sud. Elles sont suivies d’un massif de 
grèles bambous d'Inde, suivis à leur tour de nouvelles cultures abandonnées; sur le sentier que: nous 
parcourons vient s’en raccorder un autre venant des territoires anglais. 

Nous arrivons en pays habité, car voilà qu'on distingue un filet de fumée sortant d’un bouquet de bois 
proche de nous. Nos capitas se sont reconnus et disent : « Ce sont des gens de Ka-Sompa travaillant aux 
champs ». 

Allons leur dire bonjour, et pour cela quittons le sentier qui mène directement à Ka-Sompa, et faisons un 
peut crochet; grace auquel nous traversons, près de leur confluent avec la Lou-Sipou, deux ruisseaux 
merveilleux, le Ka-Nouëézi et le Zoungou, distants seulement de 300 mètres; le premier est large de 
8 à 10 mètres, avec 20 centimètres d’eau de cristal courant sur roches et sable; le deuxième est large de 
6 mètres, avec aussi 20 centimètres d’eau cristalline, tombant d’une chute de 2 mètres de haut. 


Mo 


Et nous devons traverser également de suite la Lou-Sipou, large de # mètres, avec 50 centimètres d’eau 
superbe courant rapidement sur roches et gravier, pour se jeter dans la Lou-Fonzo, à 300 mètres du point où 
nous la traversons. 

Ce nœud de rivières est d'une beauté végétale indicible, d’une grandeur de vie écrasante; des fûts d’une 
rectitude superbe s’élancent, impeecables flèches géantes, à 40 mètres de hauteur, et vont épanouir leur 
vaste parasol dans la pleine lumière; lianes échevelées, tordues, recroquevillées, parasites redoutables et 
insatiables, frondaisons équivoques, se mêlent et s’étreignent comme si la nature était prise de folie; des 
marantées ont des feuillages étrangement tachetés, mouchetés, marbrés, diaprés comme des peaux d’iguane ou 
de salamandre ; des canna, des aroïdées, des musacées exhibent leurs velours, leurs soies, leurs satins, leurs 
moires qu'irisent des reflets métalliques, des pailletés d’or ou d'argent. 

Des putréfactions de tout un monde de détritus jaillit sans relâche une vie fiévreuse, incoercible! De Ja 
mousse la plus infime, du lichen le plus ténu, en passant par les fougères, jusqu'au flabelliformis gigantesque 
qu’enlacent les orchidées, les vignes sauvages, les figuiers du diable aux racines tentaculaires.…, tout est ivre 
de force, tout vibre dans la confusion des types. 

Et cette exubérance même rapproche et confond les deux règnes organiques : tout iei s’agite, saute, rampe, 
glisse, bourdonne, creuse, ronge, dévore, détruit. 

L’écorce crie, la fleur tombe, la feuille s'envole, le fruit éclate; de l’extrémité naissante du chevelu impal- 
pable des racines les plus profondes, jusqu’au dernier panache que balance la brise, c’est la curée, curée äpre, 
festin qui ne finit pas et toujours recommence. Sur les figuiers aux fruits gorgés de lait, sur les mimosées 
colossales dont le parfum sucre l'air, sur les gommiers et les résiniers qui pleurent de grosses larmes sanglantes, 
errent d'innombrables colonnes de pucerons, de fourmis et surtout de ces termites redoutables dont l’incessant 
travail fait toute cette masse bruissante d’un perpétuel rongement. 

L’œil est ébloui, l'oreille s’emplit de bruits inquiétants et, malgré ses ivresses, le voyageur éprouve une 
sorte de malaise ou de frisson indi- 
cible : il se sent dans le temple d’un 
dieu inconnu. 

Malheureusement, cette merveille 
est localisée, et nous retrouvons de 
suite l'ordinaire brousse basse, sans 
richesse. 

La Lou-Sipou franchie, nous en- 
trons dans le petit village Ka-Sompa 
(10 huttes), en construction; les gens 
sont très accueillants; ce sont, d’ail- 
leurs, des dépendants du chef Ki-Sabi, 
lequel à fourni une bonne partie des 
porteurs qui nous accompagnent. 

Ka-Sompa est superbement bâti 
pour la question d’eau, donc de cul- 
tures. 

Après quelques minutes d'arrêt 
dans ce minuscule village, nous gagnons 
à 2 kilomètres plus loin le point où 
nous camperons, au bord de la Lou- 
Fonzo,à proximité de l’angle de hauteurs Campement dans une forêt de bambous, rive gauche de la Lou-Fonzo. 


rappelant le Ba’n’gou, à Ki-Mpessé. Le 
terrain, très pierreux, est couvert d’une véritable forêt de bambous d'Inde; malheureusement, le feu annuel des 
herbes arrête cette superbe graminée dans ses efforts de croissance, et néanmoins il en est de la grosseur du 
poignet, et de 10 à 12 mètres de haut. 

Si le feu les respectait on aurait là de superbes matériaux; seulement l’indigène, — par ignorance sans 


doute, — en néglige absolument l'emploi. 


Ep 


La Lou-Fonzo a ici 12 mètres de largeur; sa profondeur à la rive est de 1 mètre (je n’ai pas les moyens de 
la prendre au milieu du courant); l’eau, couverte d’une couche de saletés grasses, contraste avec l’eau 
cristalline des affluents que nous avons traversés ce matin; le courant est rapide d'environ 1",95 à la 
seconde. 

Nos noirs nous disent que la Lou-Fonzo va au Lou-Alaba; jusqu'ici nous n’avons pas encore entendu 
prononcer Lou-Apoula. 

Toute l'après-midi, roulements de tonnerre lointains vers le sud-est; de 18 à 19 heures, éclairs fréquents. 

A 18 heures, recu un courrier d'Europe, envoyé de Moliro, et qui, depuis Ki-Topé, nous a suivis littérale- 
ment à la trace. Les gens qui apportent ce courrier ont cueilli en route d'énormes champignons comestibles; 
l’un est une demi-fois plus grand que nos larges chapeaux de feutre; nous en eussions fait un bien beau 
champignon farei s’il n’eût été, par malheur, complètement mangé aux vers. 

Il est intéressant de noter que les champignons s'appellent iei m'hoa, ce qui est le mème nom que le 
m'boua du Ba-Kongo. 

A 90 h. 45 m., le thermomètre marque 21°. Ciel étoilé. 


Mercredi, 5 octobre 1898. 
mes 


Thermomètre à 6 heures : 18°. Vent nul. Nébulosité, T : superbe ciel de cirro-cumulus avec quelques 
cirro-stratus. 

Départ à 7 heures. Étape de 18 kilomètres vers l’ouest, faite en 4 heures 35 minutes, le long de la 
Lou-Fonzo, dont le sentier suit la rive gauche, surplombant, par places, de 10 à 12 mètres la nappe d’eau 
miroitante. 

Pendant les six premiers kilomètres, le terrain reste rocheux; cinq ruisseaux sont traversés; les quatre 
premiers à sec, montrant, dans leurs lits encaissés, d'énormes bancs de conglomérats; sur les dos d'âne qui 
séparent ces ruisseaux, apparaissent des schistes redressés verticalement, puis des roches spongieuses 
(limonites); par places le sol est de bonne terre noire; des rapides obstruent le cours de la Lou-Fonzo, 
qu'ils font impraticable aux pirogues; celles-ci ne sont guère employées que comme moyen de passage; la 
rivière appartient aux erocodiles et aux hippopotames. L'un des ruisseaux s'appelle Ja-Mpengwé, ce qui 
veut dire ruisseau aux singes; à notre passage, plusieurs de ces drôles s’y ébattent au plus haut des grands 
arbres. 

Aux quatre ruisseaux à sec succède le Lo-Pembo, large de 1%,50, vif courant d’eau limpide. 

En sortant de la forêt pittoresque de bambous, nous trouvons une partie boisée suivie d’anciennes 
cultures, à proximité du ruisseau Ka-Héla, à l’eau claire et vive. 

Au delà du Ka-Héla, le sol se parsème de cailloux roulés, puis se couvre à nouveau de n’sengou (bambous), 
bientôt remplacés par un beau sous-bois auquel succèdent des terrains d'anciennes cultures, se développant de 
façon continue jusqu'à Ki-Sabi, soit sur un parcours de 8 kilomètres. 

A mi-étape, la Lou-Fonzo s'écarte un peu du sentier; celui-ci domine une vaste plaine basse s'étendant au 
loin vers le nord et contournée par la falaise rappelant le Baxn'gou, à proximité de laquelle nous avons 
campé hier. 

Ce matin, nous avons suivi ladite falaise pendant trois kilomètres, puis elle s’est redressée vers le nord- 
ouest, se détachant nettement de la rivière, qui continue vers l’ouest, et s’élevant à grande distance dans le 
nord-ouest pour s’infléchir à nouveau dans l’ouest, puis le sud-ouest, rejoindre la Lou-Fonzo un peu en aval 
de Ki-Sabi, et suivre alors la rivière jusqu’à son confluent avec le Lou-Alaba. 

L'altitude de ces hauteurs, au-dessus de la plaine où coule la Lou-Fonzo, paraît varier de 250 à 300 mètres: 
les parois de la falaise sont abruptes et, par places, montrent des murailles verticales ; leur point dominant est 
le pie Ka-Langa, de forme tabulaire, et en saillie de caponnière. 

Je viens de dire que les huit derniers kilomètres de l'étape montrent d'anciens terrains de culture; il faut 
y signaler la rivière Mpondoua, large de 3 mètres, d’eau courante assez claire; puis un passage marécageux 
assez diflicile à franchir, par suite d’un encombrement de végétation folle qui vous aceroche de partout : un 
botaniste aurait là de quoi se délecter pendant des semaines, voire des mois. 


— 95 — 


Pour nous, qui devons passer, nous avons pourtant noté dans la brousse d'aujourd'hui : de nombreux 
champignons comestibles dont nous faisons recueillir une corbeille pour le repas de tantôt; le ki-kounda, 
petit fruit ressemblant à un énorme craquelin (myrtille), sans beaucoup de goût, avec, comme la plupart des 
fruits de la brousse, un trop gros noyau; diverses plantes ornementales, dont deux liliacées et un musa. 

L'une des liliacées s'appelle, de son nom indigène, le pangamabolo; la spathe lie de vin, en forme de 
draperie entourant le spadice est un charme pour PϾil; le pangamabolo rappelle absolument le proleino- 
phallus Rivieri. (Voir tx plinchelen couleurs.) 

Le musa sauvage s'appelle ka-poundou ; il a le port d’un petit bananier; sa tige se termine par une grosse 
fleur non encore ouverte, simulant un véritable régime de bananes, tout petit et très vert. 

Enfin, nous avons rencontré sur notre route plusieurs indigènes, dont l’un était chargé de deux gros 
paquets d’étoffe de fieus; nous leur avons acheté la hache en bois (£i-pamba ou n’salo) qui sert à baltre 
l’écorce-étoffe; cette hache à été envoyée à Tervueren. 

Un peu avant d'arriver au passage marécageux que nous venons de signaler, se voient encore les ruines 
des deux villages Ki-Babila et Mou-Zima, dont les occupants se sont rapprochés du lac Moéro, et dépendent 
aujourd'hui directement de la station de Mpwéto. 

Ath 55 m., nous entrons au village du chef Ki-Sabi (77 huttes) sur la rive gauche du ruisseau N'toumba : 
le chef s'est porté à notre rencontre avee tout un concours de populaire; il nous fait les honneurs de son 
village, qui est très propre et très bien entretenu, formant ainsi un absolu contraste avec l’état dégoutant de 
tous les villages vus jusqu'ici, exception faite pour le village 
du foundi Moumbalanga (entre N’tambala et Ki-Tétéma). 

La hutte principale du chef est circulaire, d’une hau- 
teur et d’un diamètre inusités. Michel en prend une photo- 
graphie et Dardenne un croquis. 

En prévision de notre arrivée, hier, un de nos capites 
nous avait demandé de pouvoir prendre les devants afin de 
prévenir le chef Ki-Sabi ; tout a été nettoyé dans le village 
et on à mis en ordre pour nous une bonne et belle hutte 
rectangulaire très propre, divisée en deux chambres, dont 


l’une à parois à claire-voie, nous servira de salle à manger; 
dans l’autre Michel et Dardenne s’installeront, tandis 
qu'une tente sera dressée pour moi. 

C'est avec beaucoup de plaisir que je constate l’exis- 


tence, à Ki-Sabi, d’un grand pare de papayers, récemment a = — = 


plantés, dont plusieurs portent déjà fruits; des pares Village du chef Ki-Sabi: la hutte du chef. 
d'oignons se voient également dans le village. Aussi, quand (C’est dans cette hutte que se tiennent les assemblées délibératives.) 


le chef Ki-Sabi arrive avec ses présents, je ne manque pas 

de le féliciter de la propreté du village et de la maison pour blancs, ainsi que de l'introduction chez lui des 
papayers et des oignons; j'accentue, d’ailleurs, l'effet de ces félicitations, en les complétant d’une pièce de 
belle étoffe. 

Il ya en poste ici deux soldats Ba’n’gala, qui me demandent de les prendre avec moi pour la durée de 
l'expédition ; je leur réponds que j’arrangerai cela avec le chef de poste de Mpwéto. 

L’après-midi est employée à établir le catalogue d'étoiles pour une observation de nuit. 

A 17 heures, le théodolite est mis en station. Une demi-heure après, l'orage et la pluie approchent: 
grosses gouttes de pluie; il faut enlever l'instrument. Un vrai voile d’eau, de curieuse teinte roussàtre, couvre les 
hauteurs de lest et du nord; sous l'éclairage horizontal du soleil couchant leffet de lumière est très bizarre. 

18 heures : température, 25°; nébulosité, 9; ciel un peu découvert au soleil par des percées d’un bleu 
radieux ; vent nul, puis 1 et 2 irrégulièrement. 

La pluie qui nous atteint tombe à grosses gouttes, lourdes et verticales, heureusement clairsemées, tandis 
que le voile roux suit les hauteurs. 

Vers 20 heures la pluie cesse, puis recommence, avec de violents coups de tonnerre; éclairs à l'est et à 
l’ouest. 


Jeudi, 6 octobre 1898. 


La nuit a élé bonne. 

Nous resterons ici aujourd'hui pour tâcher de prendre ure observation complète, ear la soirée d'hier à 
été tout à fait au diable. 

Soleil dès 6 heures, dans un brouillard intense, sur la Lou-Fonzo, brouillard qui noïit les hauteurs. 

À 7 heures la température est de 18°; nébulosité, 2 à 3 : stratus et cirro-stratus. 

De 8 h. 30 m. à 9 h. 50 m. pris l’inclinaison et l’intensité magnétiques. 

A 11 heures le thermomètre marque 29°,2; vent, 1; nébulosité, 4 à 5 : cumulus, alto et fraeto-cumulus. 

12 heures : le tonnerre gronde à l’est. 

15 heures : température, 28°; vent violent par rafales; l'orage s’est déplacé vers le nord, où tout l'horizon 
se charge de lourds nimbus; nébulosité, 9. 

Pendant une heure ja pluie tombe à grosses gouttes clairsemées, rafraichissant l'atmosphère. 

16 heures : température, 26°; l'orage s’est éloigné vers l’ouest; le ciel s’éclaircit au zénith. 

Avec la tombée de la nuit le ciel se charge d’un voile épais ‘d’alto-stratus, et nous devons encore enlever 


le théodolite sans avoir pu prendre une seule étoile. 


Vendredi, 7 octobre 1898. 


Il nous faut rester ici, car il importe que notre itinéraire soit fixé par un nombre de points suflisants, 
et, depuis Ki-Topé, nous n'avons pas fait le point. C’est pourquoi nous prendrons aujourd’hui, si possible, 
une observation de soleil, pour le cas où la soirée serait encore couverte. 

A 6h. 40 m., le thermomètre marque 19%. Nébulosité, 5 : stratus et cirro-stratus, dans lesquels le soleil 
se montre orange. 

Michel à passé une nuit fiévreuse; toutefois, ayant fait crastinum, il se lève assez remis. 

Quand nous commençons lobservation de soleil tout s'annonce bien, et cinq positions du soleil 
peuvent être prises à l’est; mais, à peine lastre radieux a-tl passé au méridien, le ciel se couvre et il 
devient impossible de reprendre aucune position à l’ouest. Tout ce que nous avons obtenu est la hauteur 
apparente du bord supérieur du soleil au moment où il cesse de monter, grâce à quoi nous aurons une valeur 
de la latitude. 

Cette observation perdue à été très pénible, le soleil étant très voisin du zénith à son passage au méridien; 
de nouveau, je constate l’infériorité de la prise du soleil par les hauteurs correspondantes, dans les régions que 
nous parcourons; outre le peu de certitude de la méthode, — provenant de ce que le soleil passe presque à 
notre zénith en ce moment, — lobservaleur risque chaque fois une sérieuse insolation. 

15 h. 30 m. : température, 31°,3; vent, 1; nébulosité, 8 : cumulus, nimbus cumuli-formis. 

16 heures : orage lointain à l’est; volumineuses gouttes de pluie pendant cinq minutes. De nouveau le 
ciel se couvre de manière à empêcher la préparation d’une observation. Puis, brusquement, après le repas du 
soir, voilà que les nuages se dissipent et que nous pouvons prendre cinq étoiles, ce qui fixe Ki-Sabi. 


Je me couche fiévreux, des suites de lobservalion du soleil, qui n'a à demi insolé. 


Samedi, 8 octobre 1898. 


La nuit à été assez mauvaise pour nous empêcher de nous mettre en route ce matin; il faut tenir compte, en 
effet, de ce que nous devons travailler tout le long du sentier. 

De 17 heures à 17 h. 40 m., nous déterminons la déclinaison magnétique. 

Pendant notre séjour à Ki-Sabi on nous a apporté une telle quantité de miel sauvage que nous avons 
dû finir par le refuser; nous en avons rempli une pleine dame-jeanne, et les récipients nous font défaut 
pour emporter tout ce qui pourrait s’obtenir ici; ce miel, nous l'avons déjà dit, est très parfumé, très 


agréable, 


(a) 


—)o— 


Il nous a été vendu également force vivres variés : légumes, poules, pigeons, chèvres, poisson. D'autre 
part nos chasseurs ont descendu plusieurs pintades. 

Enfin, nous avons acheté un beau et grand pagne en écorce battue, brodé par le moyen d’une fibre claire 
(envoi à Tervueren) ; il y a dans le village assez bien de ficus à étoffes. 

Caractéristiques de Ki-Sabi-village : latitude, —8?. 1". 48,26; longitude Est Greenwich, 29. 6. 30,00; 
altitude, 975 mètres. Déclinaison occidentale, 1%, 3. 45,00; inclinaison, 35°. 39!, 99 00; intensité horizon- 


tale, 0,1281. 


Dimanche, 9 octobre 1898. 


Passé une bonne nuit. Soleil dès 6 heures. Température : 14,8. Vent, 8. Nébulosité, 2 : cirro-stratus, 
cirro-cumulus. 

Départ à 7 h. 10 m. Direction générale de la marche vers le sud-ouest, le long de la Lou-Fonzo; route très 
facile. 

A la sortie de Ki-Sabi nous pouvons voir quantité d'arbres sauvages, écorcés à hauteur d'homme; ce sont 
des arbres à étoffe, différents des ficus cultivés et exploités dans les villages. 

Pendant 1 !/, kilomètre, nous traversons des terrains d'anciennes cultures, puis le sol se couvre de 
cailloutis de quartz ; en même temps, le pays se boise d’essences grêles. 

Traverste d’un étroit ravinement à sec; nouveaux terrains d'anciennes cultures et nous arrivons au ruisseau 
Ki-Zizi, à sec; son lit, large de 4 mètres, encaissé de 2",50 est encombré d'énormes conglomérats quartzeux : 
nous recueillons un échantillon de roche lourde, à cassure métallique, pailletée de points jaunes brillants; nos 
cœurs de chercheurs d’or s’'émeuvent, vainement, car ce n’est que du mica. 

A la Ki-Zizi, nous voyons la Lou-Fonzo et le sentier se rapprocher, en même temps que nous revient la ligne 
de hauteurs qui, en face de Ki-Sabi, avait décrit un vaste demi-cercle vers le nord; ces hauteurs s'appellent 
maintenant Kilima-N'tendé, et leur falaise court vers le sud-ouest, proche la rive droite de la Lou-Fonzo: 
bientôt nous avons à notre gauche une autre ligne de hauteurs, les Kilima-Zandé, précédée de collines 
surbaissées, et courant également vers le sud-ouest, si bien que le dernier tiers de l'étape d'aujourd'hui s'achève 
dans une sorte de large couloir. 

Plusieurs ruisseaux sont traversés : le Ka-Léla, large de 2 mètres, avee 20 centimètres d’eau courante 
limpide; sur ses bords se voient des phœnix et d'anciennes cultures; puis c'est le Ka-Pissia, aux abords 
marécageux, large de 3 mètres, avec 50 centimètres d’eau courante limpide. 

Nous franchissons le Ka-Pissia à son confluent avec la Lou-Fonzo, un peu en amont de rapides qui barrent 
cette dernière, et qui font plus pittoresque encore le cours de la rivière, assez paresseux sous les grands arbres 
qui s’y mirent, arbres parmi lesquels se voient des borassus, des saucissonniers, des mimosées. 

Aux terrains de terre noire bordant le Ka-Pissia succèdent des roches spongieuses, puis des schistes 
redressés presque verticalement, dans lesquels on trouve le ruisseau Mo-Avi, à see en ce moment; après ces 
schistes c’est de nouveau toute une étendue de belle terre noire, avec grands arbres, et un petit ruisseau, 
le Ki-Afoulou, marquant une étroite dépression marécageuse. 

Le sentier continue à suivre la rive droite de la Lou-Fonzo, où s'entendent constamment des rapides. 

A 11h. # m., nous stoppons au ruisseau N'soungwé, large de 2",50, encaissé d'autant. En ce moment, 
on y trouve une nappe d’eau claire, à courant faible, large seulement de 1 mètre, profonde de 10 centimètres. 

Nous avons marché 3 heures 54 minutes pour faire 17 !/, kilomètres. 

[ a existé jadis ici une case pour voyageurs blancs (nous sommes sur la ligne Mpwéto-Mtowa): seuls 
quelques pans de murs en torchis subsistent encore. 

Nous dressons les tentes contre la N'soungwé, dont la superbe galerie nous fournira une ombre épaisse 
et bienfaisante. Dans cette galerie je note d'énormes figuiers à fruits comestibles, les « makoua », déjà 


signalés. 
En cours de route, nous avons mangé un fruit ressemblant fort, comme dimensions et couleur, au 
« ki-kounda » mangé le 5 octobre; le fruit d'aujourd'hui — que le guide appelle aussi ki-kounda — en est 


complètement différent par la feuille de la plante, par le port des grappes de fruits et par le goût de ces derniers; 


beaucoup plus fin que celui des Ki-kounda d'il y a quatre jours; nous trouvons à ceux d’aujourd’hui plutôt un 
goût de raisin. 

12 h. 20 mn. : température, 2%. Vent, nul. Nébulosité, 7 à 8 : cumulus et fracto-cumulus. 

A 13 h. 10 m. commence un passage de sauterelles. Spectacle effrayant. Pour la première fois, je le vois 
dans son plein et puis comprendre pourquoi on l’a appelé «un fléau ». 

Lors de mes deux précédents séjours au Congo je n’avais pas eu l’occasion de voir les sauterelles, du moins 
les sauterelles migratrices, dont les bandes peuvent porter la dévastation avec elles. 

La première fois que je les vis, ce fut sur le Zambèze, le 5 Juin, vers 9 heures et demie; dans les jumelles, 
on distinguait sur la rive droite des vols épais de ces acridiens. 

Les jours suivants nous longions la rive gauche du même fleuve et pümes constater que des milliers et 
des milliers de sauterelles formaient, à la laisse des eaux, un singulier bourrelet quasi continu. 11 se peut qu'un 
passage se füt abattu dans le courant qui, en les portant à la rive, avait donné à celle-ci cette singulière garni- 
ture brune, que ses grouillements faisaient hideuse à voir. 

Aujourd'hui, 9 octobre, l'atmosphère est plus remplie que par la plus violente rafale de neige; mais les 
flocons sont bruns et, au lieu de fondre au soleil, ils l’obscurcissent; sur le sol, les jeux d'ombre font croire au 
passage de colonnes de fumée dense. 

Le bruit des millions, — que dis-je, — des milliards d'ailes, semble le fracas assourdi et lointain de chutes 
d’eau, ou bien encore le bruit de voitures pressées roulant sur le macadam. 

Jasqu'à 15 heures les nuées vivantes passent de l’ouest dans l’est; des groupes épais s’abattent sur 
nous. 

Alerte ! 

Qu'on ferme tout : tentes et caisses! 

Pour les noirs ce parait être une bonne aubaine : grillées ou frites à Fhuile, avec un peu de sel, cela — 
disent-ils — vaut le meilleur poisson ! x 

Je remarque qu'aucun de nos indigènes ne s'inquiète des ravages que pourra causer cette armée d’infi- 
niment pelits; aucune figure soucieuse, aucun propos de regret; rien que le plaisir de la chasse aux 
n'aikés. 

À 1% heures, le vol qui s’est abat sur nous s’'enlève à nouveau et prend, sans hésiter, la direction nord ; 
ce coude à angle droit sur la première direction de vol avait-il une raison d’être? 

Ou bien les bandes de sauterelles sont-elles versatiles comme les foules, et suflit-il d’une sauterelle de 
Panurge pour que toutes suivent? 

Mais voici que de nouvelles nuées arrivent, qui se pressent aussi vers le nord. C’est terrifiant! 

Et sans reläche tombent en pluie dégoûütante les preuves stercorales que l’insatiable bande à bien 
mangé. 

Pour compléter l'agrément que nous procure le passage des n’#ikés, la vie nous est rendue impossible 
— l’après-diner surtout — par une mouchelte, une sorte de maringouin, qui s’obstine à pénétrer dans nos yeux 
larmoyants, nos nez désagréablement chatouillés, nos orcilles méchamment agacées; et les sales bestioles 
piquent plus encore que moustiques altérés. À la tombée du jour, nous pourrions nous penser tous atteints de 


roséole, tant nous avons été harcelés et piqués. 


Lundi, 140 octobre 1898. 


6 heures : le thermomètre, demeuré toute la nuit au plein air, est couvert de rosée et marque 13°. 

Forte rosée partout. Vent nul. Nébulosité, S : cumulus, alto et cirro-cumulus. 

Départ à 6 h. 45 m. 

La N’soungwé franchie nous constatons que nous aurions eu avantage, hier, à venir camper sur la rive 
gauche où existe un superbe sous-bois. 

Marche de 18 kilomètres vers le sud-ouest, couverts en 3 heures 31 minutes, pour atteindre le village 
Ka-Sama, où nous campons. 

Toute l'étape est bien boisée; le nombre d'arbres dont l’industrie pourrait s'emparer est, toutefois, très 


— 97 — 


restreint. On ne voit rien d’exploitable dans la flore : pas de lianes, pas d'essence à cires ou à gommes: bref, 
une brousse claire, gaie, haute, mais sans emploi. 

Beaucoup de fleurs toujours, parmi lesquelles nous distinguons comme nouveauté une plante à bulbe 
donnant une hampe à jolies fleurettes bleues. 

On a la sensation de traverser un vaste verger, et l’on est choqué de ne pas voir plus de gibier; cinq 
ou six fois nous rencontrons des bouses desséchées d’éléphant; pas de traces d’antilopes:; toutefois, à 
9 h. 50 m., en un point où le sentier touche la Lou-Fonzo, nous mettons en fuite une demi-douzaine des légers 
et gracieux animaux, qui étaient probablement à l’aiguade. 

Nombreux indicateurs de miel. 

Beaucoup de roches affleurantes ; cailloutis de quartz partout; sable rouge et petites termitières par places: 
beaucoup de conglomérats, surtout dans le lit de la Lou-Fonzo, qui continue à être barré de rapides; parfois on 
voit les dalles rocheuses se prolonger hors du lit de la rivière. 

La falaise des hauteurs N’tendé suit la rive droite de la Lou-Fonzo jusqu'à hauteur du village Ka-Sama ; 
là elle dévale brusquement tout en s’infléchissant vers le nord. 

Il est 10 h. 16 m., quand nous arrivons au village Ka-Sama (52 huttes en 2 groupes). 

Le village à un aspect malheureux et malpropre; il y sent mauvais. Comme nous ne pouvons pas perdre 
de temps à chercher un autre campe- 
ment, nous nous y installons quand 
même. 

Une bonne place de campement 
eût été trouvée à quelque distance à 
l'est du village, sur le bord de la 
Lou-Fonzo, où existe un merveilleux 
emplacement ombreux; ici, pas 
moyen de trouver un demi-pouce 
d'ombre, et nous devons, pour man- 
ger, installer la table dans une tente, 
ce que nous avions toujours pu éviter 
jusqu’aujourd'hui. 

Il y a bien eu jadis, à Ka-Sama, 
une case pour passagers blancs : elle 
a brülé et n’a pas été reconstruite. 

De Ka-Sama on distingue vers 
l’ouest deux beaux pics, le pic Ka- 


Songo et le pic Mouroumémoulé, qui 
se détachent dans la chaine bordant Lisière orientale du village Ka-Sama (189). 
la rive gauche du Lou-Alaba. 

Au cours de l'étape nous avons trouvé quatre ruisseaux, trois à sec, le quatrième, — le Kôkôssi, — large 
de 3 mètres, encaissé d'autant, avec 20 centimètres d’eau claire courante; près de ce dernier se voient 
d'anciennes cultures en terre noire. 

Ka-Sama-village fait quelque peu le commerce de caoutchoue, et on nous offre en vente 2 à 3 kilogrammes 
de caoutchouc de lianes, assez beau, mais renfermant quelques impuretés, sous forme de débris fibreux 
d’écorce; les boules sont collées lune à l’autre en brochettes; le procédé de coagulation par le bossanga n’est pas 
connu ici. 

Mais la principale industrie du village est la fabrication, ou plutôt le raflinage, du sel par évaporation des 
eaux d’un marais salant, que verrons demain. 

Après-midi employée à la mise au net de l'itinéraire, à la préparation d’une observation pour ce soir et 
à la détermination de l’inclinaison magnétique. 

Le ciel est très beau et l'observation astronomique peut se faire complète par onze étoiles. 

Avec la nuit qui s’avance on distingue de plus en plus la chanson perpétuelle des rapides de la 
Lou-Fonzo. 


Mardi, 114 octobre 1898. 


5h. 30 m. : température, 15°. Vent nul. Nébulosité, 4 à 5 : cirro-cumulus; cirro-stratus ; cumulus. 

De 6 h. 15 m. à 7 h. 25 m., pris la déclinaison et l'intensité magnétiques. 

Il est 8 heures quand nous pouvons nous mettre en marche; nous avons aujourd’hui le soleil exactement 
à notre zénith, aussi l’étape sera dure. 

Au sortir de Ka-Sama et de ses cultures, nous trouvons le marais salant exploité par nos hôtes d'hier; ce 
marais s'étale à 1 kilomètre à l’ouest du village; il affecte la forme d’un croissant assez étroit couvrant une 
couple d'hectares. 

Le fond de cette saline est formé d’une roche étrange, dure, d’un noir gris; on dirait du fer qui, par 
places, serait rouillé ; de longues crevasses, larges de 1 à 3 centimètres, découpent le sol, lui donnant l’aspect 
d’un fer à gaufres aussi irrégulier et tourmenté que possible; peut-être les alvéoles de grandeurs différentes qui 
lui donnent cet aspect sont-elles dues au dégagement des cailloux roulés que contenait le conglomérat sur 
lequel nous nous trouvons 

Entre les parties rocheuses continues de ce sol bizarre existent des bancs de cailloux quartzeux, et des 
parties de terre noire grasse, cédant sous le poids d’un homme et laissant sourdre une belle eau limpide 
chargée de sel à saturation. 

L'eau s’évapore, laissant le sol couvert d’une couche neigeuse de beaux cristaux d’un sel très pur, dont 
nous recueillons un échantillon (se trouvant à Tervueren). 

Le village Ka-Sama exploite son marais à sel en évaporant purement et simplement l’eau qu'il y recueille, 
et aussi en râclant les efflorescences salines à fleur de terre. 

De nombreux oiseaux, surtout des francolins, viennent becqueter les dépôts salins. 

Il y aurait lieu d'installer iei quelques couples noirs, au service de l'État, qui seraient chargés de fabriquer 
le sel toute l’année; le sel obtenu approvisionnerait Mpwéto, Moliro et M'towa, stations qui recevaient encore 
du sel d'Europe au moment où nous prenions les présentes notes. 

Le pays est ici infiniment pittoresque; la Lou-Fonzo, que trahissent le bruit de rapides et un grondement 
de chute, est bordée sur sa rive droite de collines surbaissées formant avant-plan des hauteurs N'tendé; un 
petit village (6 huttes) s’y montre dans un frais bouquet de bananiers; c’est un village de passeurs d’eau. 

L’avant-plan de collines surbaissées se crevasse bientôt pour livrer passage à la Lou-Fonzo qui tombe 
d'environ 3 mètres de hauteur, puis s'infléchit vers le nord-ouest pour gagner le Lou-Alaba, dont nous sommes 
proches, et qui est marqué en position par la ligne de hauteurs de sa rive gauche. 

Enfin, au sud, puis à l’est du sentier, une troisième ligne de hauteurs délimite la vallée, ou plutôt le large 
couloir où serpente le sentier. 

Bientôt celui-ci tourne nettement au sud, abandonnant la Lou-Fonzo pour remonter le Lou-Alaba; au 
coude que fait ainsi le sentier on traverse la rivière Mo-Alala, à sec, large de 4 mètres, encaissée de 3,50, lit 
de gros blocs de conglomérats, de gravier, de gros sable; dans la galerie bordière, des bambous d'Inde, 
toujours grêles; au delà du Mo-Alala on foule un terrain sablonneux; la brousse est devenue beaucoup plus 
claire; partout sur les arbres maigres se voient les galeries de fourmis blanches; l'essence dominante est celle 
des mimosées; à noter aussi l'Anona Senegalensis (malolo du bas Congo, appelé ici mololo), qui atteint 
3 à 4 mètres de hauteur, avec des fruits plus beaux que ceux des arbrisseaux brülés par les feux d'herbes dans 
le bas Congo. À côté de cet abricot des herbes nous avons à signaler aujourd’hui le mampata-m'béya, espèce de 
prune comestible non encore mûre, que nous retrouverons plus tard dans le sud de l’État, et que nous man- 
gerons alors avec plaisir, lui trouvant une curieuse saveur de figue cuite. 

Enfin je fais cueillir, pour repiquage à M'pwéto, des boutures de vigne sauvage à fruits comestibles, le 
manianza; disons, dès maintenant, que nous continuerons à trouver des vignes sauvages, d'espèces diverses, 
au cours de tout le voyage et qu’en certains points leur abondance est frappante. 

Nous faisons maintenant face au sud; sur la rive gauche du Lou-Alaba, se détachent bien nettement les 
pies Ka-Songo et Mouroumomoulé, vus de Ka-Sama; leur altitude au-dessus du fleuve semble être 
respectivement de 300 et 400 mètres; à petite distance à l’est du sentier, court une falaise haute de 
250 mètres au-dessus de nous; entre ces deux lignes de hauteurs, un large couloir où nous circulons, et qui 
me parait soumis aux inondations et aux débordements du Lou-Alaba. 


00 


Les terrains sablonneux ont fait place à un sol de bonne terre noire, très crevassée par dessiccation; à 
notre approche une petite troupe d’antilopes détale vers les hauteurs. 

Nombreux phœnix et hyphènes, surtout dans la galerie du ruisseau Lo-N’goziba, à sec, large de 4 mètres, 
encaissé de 2, dans de larges dalles schisteuses. Il y a ici un point de campement superbe; au surplus, les 
restes d’un village abandonné montrent que le site a été apprécié jadis. 

Les bruits de rapides s’accentuent fortement; l’épaisse et haute galerie bordière nous montre le fleuve 
tout proche, et bientôt, ayant encore traversé un ruisselet à sec, le Ka-M'pongolo, encaissé de 3 mètres dans 
un sol dallé, nous touchons le Lou-Alaba, en un point de sa rive droite où les passants noirs ont ouvert une 
percée dans sa galerie; le fleuve a ici 60 mètres de large; on entend des rapides en amont et en aval; la falaise 
de la rive droite s’est rapprochée du fleuve, presque à le toucher, et les hauteurs de la rive gauche ont 
commencé un mouvement analogue. 

Le site se tourmente à plaisir; nous ne marchons plus que sur la roche et sur d’abondants débris 
rocheux, où vainement cherchons-nous des pierres taillées; des papyrus et des bambous d'Inde caractérisent la 
végétation. 

Deux ruisseaux à sec, le N’zouiba et le Ki-Néma, encaissés de 1,50 à 2 mètres, sont franchis, puis 
commence une montée sur roches, véritable escalade des contreforts projetés par la falaise voisine jusque dans 
le fleuve, qu'on aperçoit en contre-bas; en se retournant vers l’aval on distingue une vaste expansion du fleuve 
avec de nombreuses îles et des rapides signalés par des lignes d’écume; tous nos noirs disent bien Lou-Alaba 
et jamais Lou-Apoula; d’après l’un d’eux, Lou-Apoula est le nom du fleuve avant son entrée dans le Moéro. 

A la rude montée que nous achevons sur roches succède une descente idem, le long de la falaise, à 
laquelle on donne maintenant le nom de Kilima-Mända ; la falaise de la rive gauche est également très proche 
du fleuve, formant avec la falaise Mända un très étroit goulot profondément encaissé, laissant passage 
au Lou-Alaba oriental. 

Ce goulot nous mène en une sorte de carrefour de montagnes, où le Lou-Alaba reçoit, par sa rive droite 
le Moloua, ruisseau large de 4 mè- 
tres, encaissé de 2, dans les dalles de 
schistes, avec 10 centimètres d’eau N A : A 
assez claire, mais quasi stagnante; ne 
nous le traversons et trouvons sur sa = ST ue \Z 
rive gauche le petit village Mou-Téta es RUE 
(16 huttes) avec une case pour pas- . ; 
sagers blancs; cette case comporte 
deux chambres minuscules où, avec 
beaucoup d'artifices, nous parvenons 
à installer nos trois lits de camp. 

La vallée du Moloua est un étroit 
couloir venant de l’est et s’embran- 
chant sur celui du Lou-Alaba, qui 
vient du sud. 

La falaise Mända s’est infléchie 
vers l’est, bordant la rive droite du 


Moloua, dont la rive gauche est RES ESEUTE Done : 
bordée par les monts Pou-N’goua Le pie Kia-M’boa au village Mou-Téta. 


avec le pic Kia-Mhoa. { 

Il est 13 h. 55 m. quand nous stoppons à Mou-Téta; 25 kilomètres ont été effectués en 5 heures 55 minutes; 
nous sommes légèrement esquintés, — si on peut dire, — surtout de la montée et de la descente sur roches 
dans l’étroit goulot du Lou-Alaba, montée et descente faites précisément à l'heure de midi, à un moment où 
nous ne porlions plus ombre, le soleil étant exactement à notre zénith; aussi avons-nous plus que soif, et 
accueillons-nous avec une certaine reconnaissance une création rafraichissante due à Dardenne : ce docteur en 
breuvages invente aujourd’hui la limonade au miel et à l'acide tartrique. 

A 17 heures l'horizon ouest se charge de nuages orageux; sourds roulements lointains. 


— 100 — 


À 17h. 45 m., premier éclair rapproché; vent de tornade. Bientôt, nous sommes dans la tourmente; 
violentes rafales de poussière aveuglante ; coups de tonnerre répétés, dont l’un roule et se répercute pendant 
plus de deux minutes, montre en main; pluie assez forte jusqu’à 21 heures. 

C’est la première averse sérieuse dont nous soyons gratifiés. 


Mercredi, 12 octobre 1898. 


Passé une très mauvaise nuit sans sommeil, suite de la fatigue d'hier. 

6 h. 25 m. : température, 19,5; vent nul; nébulosité, T : stratus, cirro-stratus, alto-cumulus, alto-stratus. 

Départ à 7 heures, vers le sud; nous devons d’abord sortir du carrefour de couloirs étranglés dont jai 
parlé hier ; à la terre noire des plantations de Mou-Téta suceède bientôt la roche, qui reprend tout son empire; 
deux ruisseaux à sec, le Pon’goua et le Zoumboula; un peu à l’est du sentier surplombe le pie Pon’goua (350 à 
400 mètres au-dessus du sentier) ; à l’ouest, on voit le fleuve en contre-bas et, devant nous, au sud, se dresse 
une paroi de grès et de schistes rouges quasi verticale, qu'il faut ascensionner; pour nous, ça sera déjà dur, 
mais si l’on songe à la colonne chargée qui suit et qui va devoir arriver là haut, on ne peut s’empècher de 
rendre une fois de plus justice à ces « sales moricauds », sans lesquels nous ferions ici bien triste mine, ou 
plutôt sans lesquels nous ne ferions en Afrique aucune espèce de mine, puisque nous n°’v serions pas. 

Les schistes, friables, sont redressés à 45° et forment les marches naturelles d’un escalier de géants sur 
lequel nous nous engageons, coupant la montée de repos fréquents; de là-haut de gros singes font dégrin- 
goler vers nous des débris de roche, comme feraient des assiégés se défendant contre l'escalade de leurs 
remparts. 

Enfin, nous voici au haut de la falaise; asseyons-nous pour souffler et contempler le paysage : à nos 
pieds, c’est le carrefour de gorges étroites dont nous venons de sortir; à grande distance, au nord, on découvre 
toute la vallée du Lou-Alaba, dont on suit les détours vers Péperon des monts N’tendé, aux salines de Ka-Sama ; 
le pays, archi-lourmenté, rappelle plus ou moins le bas Congo, de Manyanga vers Vivi; ici aussi, on se 
demande où passe le fleuve. 

Reprenant notre marche nous continuons à monter plus doucement vers un large plateau boisé où se 
dressent de grandes termilières en formation, et beaucoup d’euphorbes-candélabres; le sol rouge, résidu des 
schistes délités, parait très fertile; quand nous cessons de monter nous sommes à 1,320 mètres d'altitude ; 
depuis Mou-Téta, qui est à 940 mètres, nous avons done monté de 380 mètres; maintenant, nous allons redes- 
cendre de façon quasi continue jusqu'au lac Moéro, avec, à notre droite (donc à l’ouest du sentier) une ligne de 
hauteurs où se détache le pie Ka-M'pingui, et qui borde le Lou-Alaba par sa rive droite. 

Toutefois, nous n'irons pas aujourd'hui jusqu'à la station de M'pwéto, pour diverses raisons : 

1° Après la très dure montée de tout à l'heure, les porteurs se sont déclarés très fatigués et ont demandé 
qu'on ne gagne M'pwéto que demain; 

2 Je désire, de mon côté, mettre au courant tout le travail d'itinéraire, et de l’observation de Ka-Sama ; 

3° Il est toujours désagréable d'arriver avec une caravane dans une station après 10 ou 11 heures du matin. 

C’est pourquoi nous stoppons à 9 h. 45 m., après avoir traversé le Ki-Pambala, ruisseau marécageux allant 
au Moéro, près de Mpwéto; le Ki-Pambala, sur la rive gauche duquel se voient d'anciens terrains de culture, 
est large de 3 à 4 mètres, avec 20 centimètres d’eau boueuse stagnante, où vient s’abreuver le gros gibier; nous 
avons eu soin, heureusement, d'apporter de Mou-Téta des dames-jeannes d’eau potable, car nous avions été 
prévenus que nous n’en trouverions plus avant M'pwéto. 

Il a été fait aujourd'hui 12 !/, kilomètres en ? heures 45 minutes. 

Le camp installé, on nous apporte force kasongolé (oranges du Cafre) mürs à point, ainsi qu'un nouveau 
fruit sauvage comestible, le soukissia, baie verte de la grosseur d’une cerise, sessile, un peu aplatie, charnue, 
donnée par un arbrisseau de 1",50 de haut; le fruit n’est pas encore mur. 

Pendant que mes adjoints et moi sommes au travail, nos gens se dispersent dans la brousse, à la chasse 
— ainsi que nous les y mettons chaque jour — de tous les insectes et animaux possible; les bonnes captures 
sont toujours bien récompensées; on nous apporte aujourd’hui quelques spécimens de phasmides, toujours 
curieux. 


— 101 — 


12 h. 40 m. : roulements de tonnerre éloignés vers l’est, se continuant pendant tout l'après-midi. Vent, 
Dares 

17 heures : rafales de tornade sèche. 

18 heures : température, 24°; vent, 2; nébulosité, 6 : cirro-stratus; alto-stratus; nimbus cumulliformis ; 
stratus ; nimbus. 


Jeudi, 13 octobre 1898. 


Excellente nuit fraiche, donc reposante. 

À 5 h. 30 m., le thermomètre marque 19. Vent, 2; nébulosité, 6 à 7 : cumulus; alto-cumulus; nimbus 
cumuliformis. 2 

Départ à 6 h. 30 m.; étape très facile; 14 kilomètres couverts en trois heures dix minutes. Toujours même 
sol d'argile rouge provenant des schistes désagrégés ; à l’est du sentier ligne de hauteurs s’éloignant bientôt à 
grande distance, pour aller former la bordure orientale du lae Moéro; à l’ouest du sentier, les Kilima 
M'pingui, hauteurs tirant leur nom de celui du pie signalé hier, et qui se continuent jusqu'à Mpwéto, où 
elles s’effondrent en une étroite crevasse d’à peine 200 mètres de large, par où s’écoulent les eaux du Moéro. 

Nous pouvons consigner déjà iei une remarque, qui continuera à se vérifier par la suite : en règle absolue, 
les indigènes n’ont pas de nom pour les lignes de hauteurs, mais seulement pour des points remarquables de 
ces lignes, par exemple des saillants, des éperons marqués, 
des pics, ete., et les noms de ces particularités s'étendent 
alors à leur voisinage. 

Au point de vue forestier, nous avons successivement 
du bois-taillis grêle, du bois-taillis ordinaire, une brousse 
grêle. 

Voici un sentier venant du nord-ouest et joignant le 
nôtre; il mène au village Bwiti, situé sur la rive gauche du 
Lou-Alaba. 

Cinq ruisseaux sont franchis, tous à sec, encaissés de 
plusieurs mètres dans les schistes rouges. Près de lun d’eux 
se voit le boma en ruines d’un village abandonné pour manque 
d’eau; ses cultures, également reprises par la brousse, étaient 
en belle terre noire. 

Maintenant nous avons sur notre gauche une énorme 
plaine basse, herbue, dans laquelle le sentier descend un 
moment pour regrimper de suite sur l’avancée des hauteurs 


M'pingui; nous suivons une route désherbée sur 3 mètres de 


large, et voici bientôt venir à nous un Européen, accompagné Sous-lieutenant 
À de deux soldats : c’est M. De H., sous-oflicier, désigné par F. Fromont. 
Lieutenant Chargeoïs. M’towa pour commander lescorte qui nous attend à Mpwéto. 


Nous sommes à moins de 3 kilomètres de cette station, 
et pourtant nous ne distinguons pas le lac, et nous ne le verrions pas sans le secours de M. De H., qui nous 
affirme le voir; et les indigènes disent de même. 

Mais nous avons aujourd'hui un effet de lumière grise très bizarre, et qui donne au lac l’aspect d’une vaste 
plaine d'herbes; il nous faut les jumelles pour distinguer le friselis des vagues. 

A mesure que nous marchons cette illusion d'optique s'évanouit, et le lac se montre bientôt dans toute 
sa majesté, allant se perdre à l'horizon sud, tandis qu’à l’est et à l’ouest des hauteurs fortement découpées 
délimitent ses bords. 

Franchissons encore un ruisseau à sec, le Ki-Bolo, et nous touchons la station, la deuxième de l'État, où 
vont se continuer des travaux analogues à ceux de Moliro. 

Le lieutenant Chargeois (depuis capitaine) et le sous-lieutenant Fromont, deux jeunes gens de belle allure, 


— 102 — 


sont en grande tenue pour nous présenter la troupe en arme; ii est 9 h. 40 m., la journée est belle, le drapeau 
aimé elaque au haut de son mât, les indigènes des environs et les artisans du poste sont réunis en groupes 
curieux pour l’arrivée de ces blanes, à qui il a fallu tant de porteurs, et qui font des choses inconnues. Bref, 
un spectacle vivant et coloré, qui nous impressionne tous vivement et sincèrement. 

Ayant serré la main à nos compatriotes, et salué la troupe raidie dans le présentez armes! je prie 
M. Chargeois de donner congé à tout son monde, ce qu’il fait volontiers; et ce sont des cris de joie assour- 
dissants, des gambades et des cabrioles, des effusions entre les noirs arrivant avec nous et leurs amis et amies 
retrouvés. 

Pendant ce temps, nos hôtes nous conduisent sous la véranda de leur habitation, où nous attend un verre 
de vin. Nous apprenons que M. Maffei est arrivé la veille, mais qu’il a dû se coucher de suite, souffrant 
toujours du foie. 

De bonnes installations nous ont été aménagées, tant pour nous que pour nos approvisionnements 
actuellement réunis au grand complet; il va falloir les vérifier et puis les expédier vers Lofoï. 

Pour aujourd'hui, nous nous occuperons de notre propre caravane, dont toutes les charges sont reprises 
dans l'après-midi. 


CHAPITRE VII. 


Notre escorte. — Visite de chefs noirs. — Erreurs d'orthographe et d'écriture. — Construc- 
tion des observatoires. — Installation des instruments. — Appréhensions concernant le 
recrutement des porteurs. — Mauvais état sanitaire. — Soirées couvertes. — Coup d’æil 
sur la station et ses dépendances. — Tornade. — Intéressantes constatations climaté- 
riques. — Modifications dans notre escorte. — Examen des feuilles du barographe et du 
thermographe. — Tubercules comestibles. — Nécessité de rapatrier M. Maffeï. — 
Mauvais état sanitaire. — Délicat souvenir d'Europe. — Excursion jusqu’à la factorerie 
anglaise de Ki-Engué. — Promenade le long de la rive nord du Moéro. — Départs de 
Ki-Engué. — Coup de collier. — L’eau du Moéro est-elle potable? — Dardenne part en 
avant-garde. — Organisation de convois de pirogues vers le sud du lac. — Série à la 
noire. — Désagréables compagnons de lit. — Lettre d’un officier anglais. — Les 
trombes de mouches Kou’n’gou. — Lettre de Dardenne. — Toujours mauvais état 
sanitaire. — L’oryctérope. — Sauterelles. — Dijiques et puces. — Racontar sinistre. — 
Mauvais esprit des soldats. — Méchante inflammation de ma jambe droite. — Encore 
les sauterelles. — Difficultés dans les recrutements de porteurs. — Chute de grêle. — 
Mal d'oreilles. — A propos des recrutements de porteurs indigènes. — Collection intéres- 
sante. — Départ retardé. — Nouvelles de Dardenne. — Noyade de deux indigènes. — 
Piège à feu. — Glu indigène. - Nouvel an. — Banquet en musique. - Curieux tambour. — 
Soirées couvertes. — Fin de notre séjour à M’pwéto. 


Vendredi, 14 octobre 1898. 


Commencé la vérification des charges arrivées à Mpwéto avant nous. 

Payement des caravanes, ce qui absorbe trois ballots d’étoffe; le payement achevé, je fais faire une distri- 
bulion supplémentaire, ce qui provoque l'enthousiasme général; tous les capitas amènent successivement leurs 
hommes pour me remercier, par une triple salve de battements de mains, et, intérieurement, Je me dis que ce 
contentement général est de bon augure pour nos recrutements futurs. 

Choisi dans notre escorte deux soldats mariés, qui partiront aujourd'hui pour Moliro, en remplacement 
des soldats originaires de l’Équateur que j'ai réquisitionnés à Moliro ; on se rappelle que j'en ai emmené sept: 
si je n’envoie pas d’un seul coup tous leurs remplaçants, c’est que j'estime avantageux de n’envoyer ces soldats 
que par deux à la fois; les autres suivront à quelques jours d'intervalle. 

Une constatation plutôt drôle que j'ai dû faire en recevant aujourd’hui notre escorte (dont la force a été 
fixée à 60 hommes), c’est qu’elle a été composée presque exclusivement de gens mariés... où du moins en 
possession d’une moitié; d’aucuns même avaient deux moitiés, et plusieurs avaient un ou deux pelits gosses : 
ma troupe de 60 hommes arrivait ainsi à me représenter 150 personnes; n’eussé-je eu que cette raison, 
il importait de remplacer le plus de mariés possible par des célibataires, de manière à alléger la colonne 
qui nous accompagnera; il suffira, pour assurer tous les services, qu’il y ait un tiers de soldats en puissance 
d’épouses. 


Reçu les hommages du chef Paramino, un noir à qui les événements de la campagne arabe avaient donné 


= 


une certaine importance; ils étaient deux, Kafindo et Paramino, tenus comme exécuteurs des hautes œuvres 
d’un bandit arabe du nom d’Outourouta, et qu'il fallut réduire par la force; au cours des opérations militaires 
menées contre eux, fut tué le sous-lieutenant De Mol; fut blessé Kafindo, qui mourut plus tard de ses 
blessures; Outourouta s'était enfui en territoire anglais, au sud du Tanganika; enfin, Paramino et un autre 
chef, Niemba Kounda, firent leur soumission. 

Paramino, en visite à M’pwéto Station, avait attendu notre arrivée pour nous saluer avant de retourner 
dans l’Ou-Roua. 

Reçu également la visite du chef Mpwéto, dont le village principal est à une heure du poste, dans la plaine 
qui s'étend au nord du lac. 

Les voyageurs et résidents européens ont pris la très fâcheuse manie de ne faire aucune distinetion entre 
le nom d’un village et le nom de son chef; il en résulte de nombreux désagréments pour le géographe et l’écri- 
vain; l’un de ces désagréments est que tout récit prête aisément à confusion; un autre est qu'au décès d’un 
chef, un même point géographique change de nom, car ou bien le nouveau chef porte un nouveau nom ou 
bien, s’il garde le nom de son prédécesseur, ainsi que cela se présente parfois, il change l'emplacement 
du village principal; de toute façon, l'erreur qui est faite, en désignant un village par le nom du chef, n’est 
compensée par aucune espèce d'avantage. Ceux qui dressent un itinéraire, doivent toujours se faire donner à la 
fois le nom du village (nom de la terre) et le nom du chef, et veiller à assurer ces renseignements en s’efforçant 
d'expliquer clairement ce qu’ils veulent. On éviterait ainsi d’étranges appellations à prétentions géographiques, 
telles, par exemple, que le nom Katanga [en un mot), appliqué à tout le territoire sud-est de l’État indépendant 
du Congo. Le mot Katanga est, en réalité, un nom de chef (nous avons trouvé partout des noirs portant ce 
nom), et il doit s’écrire en deux mots (Ka-Tanga), pour cette raison péremptoire que le préfixe Ka n’est autre 
chose que l’abréviation du mot Kazembé, qui veut dire grand chef-prince, et que Tanga est le nom du grand 
chef ou prince. 

On connaît certains chefs noirs qui s'appellent purement et simplement Kazembé; il y en a un sur le Lou- 
Apoula, en territoire anglais ; un autre à été vu par nous sur le Lou-Alaba. 

Comme c’étaient des chefs très importants, commandant à de grands territoires, on ne les désignait que 
par leur titre, comme on dit chez nous le roi, le prince, sans que confusion puisse se produire. 

Si le chef est de moindre importance, on le désignera par le même titre Kazembé, en y accolant son nom, 
et l’on dira par exemple : Kazembé N’tanda (chef avec qui nous passämes un traité sur la rivière Lou-N’genda, à 
l’ouest de la Kouléchi) ; enfin, si le chef est d'importance secondaire, le mot Kazembé s’abrévie en Ka, et on 
aecole à ce préfixe le nom du chef d'importance secondaire; est ainsi que Ka-Tanga veut dire le petit chef 
Tanga ; les premiers voyageurs, — et particulièrement les missionnaires anglais, — ayant été bien reçus par un 
chef du nom de Tanga, qui possédait des mines de cuivre lui créant une certaine importance, donnèrent 
au pays le nom de royaume de Katanga, comme ils avaient renseigné royaume de M'siri, royaume de 
Lewanika; le moindre chef s'appelait king, C'est-à-dire roi, et nous avons tout un temps suivi les mêmes 
errements, prodiguant les titres de roi et de prince à de vulgaires poivrots de la côte, qu'on amena même en 
Europe avec des honneurs vraiment bien mérités. 

Aujourd'hui, le mot unique Katanga a reçu ses lettres de géographie, et vous verrez qu'on ne débaptisera 
nullement tout ce terrritoire pour l'appeler, par exemple, — puisqu'il est minier, — Nouvel-Hainaut (en deux 
mots); on préférera consacrer à jamais un résultat d'observation erroné dû à des voyageurs non qualifiés au 
point de vue de la géographie exacte. 

Mais j'arrête cette digression qui se pourrait fort prolonger, en me réservant de signaler à leur place 
d’autres hérésies de langage et d'écriture, acceptées avec une parfaite bénévolence, et même patronnées par 
quelques bonnes volontés trop confiantes, grâce auxquelles, par exemple, le mot Mpwéto désigne à la fois une 
station européenne, un village indigène et un chef idem; il est heureux qu’il ne désigne pas aussi une rivière 
comme c’est le cas pour d’autres noms. 

Et je reviens à Mpwéto-Station, y faire une promenade pour choisir l'emplacement de l'observatoire 
météorologique et de l'observatoire astronomique. 

Pluie pendant une demi-heure au milieu de la nuit. 


— 105 — 


Aujourd’hui, est à arrivé Lofoï-Station M. le sous-lieutenant Cerckell, qui a achevé un terme de quatre ans et 
qui rentre en Europe. 


Samedi, 15 octobre 1898. 


Commencé la construction de l'observatoire de météorologie. 

Installé le baromètre à mercure. 

Achevé la vérification et le réemmagasinement des charges. 

Fermé également plusieurs lettres, dont une pour le capitaine Verdick, chef de la zone Ka-Tanga. 

On se souvient qu'à la date du 15 septembre, j'avais écrit à cet officier pour lui annoncer notre 
prochaine arrivée à M’pwéto et lui demander d'envoyer des porteurs prendre nos charges en cette 
station. 

Jai trouvé sa réponse en arrivant ici. Elle accentue l'impression de diflicultés dans le recrutement 
de porteurs, impression que m’avaient donnée MM. Helaers pour Moliro, et Chargeois pour Mpwéto. 


Entre autres choses, le chef de zone à Lofoï m'’écrit : 


« .… de m'étonne que Mpwéto ne puisse pas vous fournir de porteurs. Voici done ce que je vous 
propose : louez la barque de M. Crawford (missionnaire anglais) et faites transporter vos charges jusqu'à 
Ki-Lomba (sud du lae Moéro), où se trouvent un poste noir avec des magasins ; je les ferai prendre en ce 
point. 

« Il serait préférable de ménager les porteurs du Ka-Tanga, si vous voulez en avoir pour les voyages dans 
le pays. 


« C’est la première fois que l’on emploie les indigènes du Ka-Tanga comme porteurs. Il importe done 
d’user de prudence et de patience. 

« Je désirerais m'entendre avec vous pour qu'aucun soldat n’accompagne les caravanes. 

« Je vous souhaite la bienvenue au Ka-Tanga; je fais des vœux pour la bonne réussite de votre 
mission, et vous prie de me considérer, ainsi que mon personnel, comme tout disposé à contribuer à votre 
travail. » 


Je réponds aujourd’hui à cette lettre, en remerciant pour l’aide promise, et en prévenant M. Verdick que 
J'enverrai un de mes adjoints à Ki-Lomba, et je vais traiter avec la mission anglaise de Loanza et la facto- 
rerie anglaise de Ki-Engué pour louer leurs bateaux. Il est entendu également que nos caravanes ne seront pas 
accompagnées de soldats; je partage entièrement à ce point de vue les idées du capitaine Verdick, et voudrais 
que jamais, sous aucun prétexte, des soldats noirs puissent avoir une autorité quelconque en dehors du 
contrôle direct des Européens. 


Température à 18 heures : 26°. 


Dimanche, 16 octobre 1898. 


Consacré toute la journée à installer un bon bureau de travail, car je vais avoir à paperasser ferme. 

Calculé la déclinaison approchée de Mpwéto pour la première mise en station du cercle méridien. 

De son côté, Dardenne transforme un magasin en atelier de peintre; on y fait affluer le jour par un 
procédé radical qui consiste à jeter bas une des parois du magasin. 

L'état sanitaire laisse à désirer : depuis une dizaine de jours, Michel se sent lourd, brisé, sans cœur à la 
besogne, bien que n'ayant pas un instant interrompu son travail; M. Maffei continue à se plaindre du foie et 
est hors de service; personnellement je souffre d’un dérangement d’intestin assez violent; seul, Dardenne 
est intact et attend toujours son premier accroc. 


— 106 — 


Lundi, 17 octobre 1898. 
A 6 heures, nébulosité, 9 : alto-cumulus et strato-cumulus. 
Installé les actimomètres et l’enregistreur solaire; mis en marche le barographe Richard; fixé la 
méridienne approchée sur le terrain, au moyen du magnétomètre Delporte. 
De 10 heures à 11 h. 25 m., déterminé linclinaison magnétique; le vent, qui atteint une force 5, 
empêche de prendre ensuite l'intensité horizontale. 
De 6 à 18 heures, la nébulosité passe de 9 à 2. 


Mardi, 18 octobre 1898. 
Lens 6 COR RRRE 


Installé les instruments de l’abri météorologique. Construit l'observatoire astronomique. 

De $ h. 30 m. à 9 h. 30 m. déterminé l'intensité horizontale; préparé le catalogue des étoiles à 
observer à M'pwéto, à partir de 18 heures, le 18 octobre et jours suivants, et aussi l'observation de la lune qui 
pourra commencer le 21. 
Actinomètre 


d'Arago, à 
boules conjuguées. 


Actinomètre 
de Bellany 


Barographe. 


(à éther). 
(l ! 


Pluviomètre Baromètre Enregistreur Néphoscope. Pluviomètre Support de 
à 80 centimètres à mercure du solaire. posé sur le sol. l’anémomètre, 
du sol. capitaine George. 


M'pwéto-Station : observatoire météorologique. Instruments de plein air et autres. 

Reçu notre premier courrier d'Europe via Mtowa; le paquet est dans un pitoyable état, ce qui n’est 
guère étonnant si on lient compte que nous sommes en saison des pluies et que le transport du courrier via 
M'towa prend près de deux mois de plus que par voie anglaise. 

Notre excellent camarade Michel recoit les palmes d’or de la Couronne, ce qui nous vaut un verre de 
champagne. 


Toute la journée, vent d'intensité 1 à 2. 
La nébulosité, à 7 heures, est 6; à 14 heures, 9; à 17 heures, 4. 


990 


Maxima diurne : 33°,3. 


— 107 — 


Mercredi, 19 octobre 1898. 


Minima nocturne : 21°,8. 

Achevé la construction de l’observatoire astronomique et placé le pilier du cercle méridien, en ayant soin 
de remplir de brique pilée le trou qui recoit ce pilier, comme protection contre les termites qui sont ici aussi 
abondantes qu'à Moliro. 

Réglé les niveaux du cercle méridien par visées sur la ligne d'horizon du lac. 

Installé le néphoscope (miroir à nuages) et les deux pluviomètres, l’un sur le sol, l’autre à 80 centimètres 
de hauteur. 

Journée entièrement couverte, sauf une demi-heure d’éclaireie. 

A 11 h. 50 m., quelques gouttes de pluie; roulements de tonnerre vers l’est, d’abord très éloignés, puis 
se rapprochant et se continuant toute l'après-midi. 

A 17 heures, quelques gouttes de pluie: 

Toute la soirée, orage éloigné dont on ne distingue pas les grondements; les éclairs se déplaçant dans 
le sud du lac, de l’est à l’ouest. 

Observalion impossible. 


Maxima diurne : 299,9. 


Jeudi, 20 octobre 1898. 


Minima nocturne : 200,7. 

Le boy de Michel demande à retourner dans son village, ce qui lui est accordé, le gamin étant toujours 
souffreteux; nous sommes peu favorisés au point de vue de nos serviteurs : pas plus que Moliro (moins même 
que Moliro), Mpwéto ne peut nous fournir ces aides indispensables; nous devons nous contenter de quelques 
gamins employés jusqu'ici à la briqueterie. 

Dans la matinée M. Cerckell part pour Mtowa. 

Le lac est complètement démonté. 

A 13 heures, la vitesse du vent, mesurée à l’'anémomètre de Robinson, est de 3 mètres à la seconde, soit 
10,8 kilomètres à l'heure, petite vitesse des bateaux à vapeur. 

A partir de 13 heures, roulements lointains de tonnerre 

La nébulosité, qui était de 5 à 7 heures, diminue jusqu'à ?, puis augmente et, à [7 h. 20 m., elle atteint 
la valeur 10 (ciel entièrement couvert). 

L'observation du soir est encore au diable 


Durée d’insolation : 82,95. On entend par durée d'insolation le nombre d'heures et de fraction d'heure 
pendant lesquelles le soleil a brillé. 
Maxima diurne : 300,3. 


Vendredi, 21 octobre 1898. 


Minima nocturne : 19°,2. 

À 6 h. 45 m., la nébulosité est 10: alto-stratus et strato-cumulus; en même temps la transparence de l'air 
est si parfaite que toute la côte orientale parait comme découpée à l’emporte-pièce. Cette transparence diminue 
rapidement. 

Michel va mieux ce matin; moi aussi; M. Maffei hors de service. 

iemis au chef de poste de Mpvwéto tout le matériel de notre pauvre prospector, feu William Caisley, ainsi 
que la sonde du regretté De Windt. 

Si le gouvernement central peut nous envoyer un nouveau géologue et un nouveau prospector, ils trouve- 
ront ici ce matériel qui y sera à leur disposition. 


— 108 — 


La station de M'pwélo est de création récente; c’est le lieutenant Maréchal (un des très bons élèves de la 
feue école coloniale) qui fut chargé de l'installer; l’emplacement choisi est très rapproché du goulot d’écoule- 
ment du lac; la station jouit d’une vue superbe sur le Moéro qu'on voit s’éteindre dans l'horizon sud, et sur 
toute la rive orientale, bordée de pittoresques hauteurs; quand l'atmosphère est limpide, on distingue, vers 
le sud et du côté de la côte anglaise, des sortes d’ilotins, qui ne sont que des parties élevées de la rive, 
prenant, à cause de la grande distance, qui ne laisse voir que leur sommet, des allures d’ilots, les uns 
couverts de végétation, les autres rocheux et nus. C’est la visibilité plus ou moins marquée de ces simili-îlots 
qui nous servira à apprécier la transparence de l'air, élément qui intéresse la météorologie scientifique. 

M'pwéto-Station se compose du boma des Européens, du quartier des noirs, de cultures assez développées 
et de jardins légumiers bien situés, en bonne terre noire légère, à proximité du lac. 

Les premières constructions ont dû, naturellement, être érigées en torchis, car il faut bien un abri provi- 
soire, rapidement installé, avant de songer à des constructions plus stables, des bâtiments en brique, par 
exemple, qui demandent beaucoup plus de temps et de travail. I faut dire, d’ailleurs, que — bien que n'étant 


Quartier des Européens. Force publique. 


Travailleurs. Jardins. 
M'pwéto-Station en 1898. 
qu'en pisé — les constructions élevées par M. Maréchal avaient un caractère de solidité et de confort 


marqué, contrastant avec Moliro; la maison principale, entre autres, était bien comprise avec sa très large 
véranda. 

Toutefois, M. Chargeoïis à entrepris avec ardeur l'érection d’un hôtel, dont nous ne voyons pas le souba- 
sement sans une certaine appréhension; ce soubasement, fait d'un encadrement en gros blocs de grès rouge 

8 £ 
{on est au pied de hauteurs où l’on n’a qu'à ramasser autant de blocs qu'on le désire), maintenant un dé en 
terre rapportée, est si vaste que l’on peut craindre en ce qui concerne la toiture à établir pour couvrir une 
une pareille surface. 

Je m'empresse de dire que, quand nous repasserons à M'pwéto, en 1900, nous trouverons le problème 
résolu. 

Pour le moment, MM. Chargeois et Fromont fabriquent force briques cuites, et dirigent activement le tra- 
vail des seicurs de long et des charpentiers indigènes oceupés à confectionner la charpente — très soignée — 
de l'habitation projetée. 

Les installations des soldats et des travailleurs du poste sont confortables, alignées en vastes avenues entre 
le lac et le boma des blancs, et largement séparées l’une de l’autre. 


— 109 — 


Les cultures, comprenant surtout des produits indigènes, sont en rapport, et, chaque semaine, la ration 
est donnée en grande partie en nature : manioc, mais, patates. 

Les jardins pour Européens sont malheureusement pauvres, les semailles n'ayant pas réussi; pourtant il 
s'y trouve des haricots, des salades, des tomates, des aubergines, quelques choux et quelques poireaux, et 
beaucoup d'oignons indigènes; environ un demi-hectare de pommes de terre d'Europe poussant bien et dont 
nous goûterons avant notre départ vers le sud; par malheur, ces plants de pommes de terre auront fort à souf- 
frir d’un méchant puceron blanc qui les fera dépérir. 

Comme fruits, assez bien de bananiers portant peu, quelques papayers et des groseilles du Cap en abon- 
dance; les autres arbres fruitiers sont encore petits et, d’ailleurs, peu nombreux : quelques caféiers dont les 
premiers fleurissent cette année même, des cœurs-de-bœufs, des citronniers, des goyaviers, des barbadines et 
c’est tout. 


Jardin légumier de M'pwéto-Station en 1898. 


L'arbre N’gongo. 


Il y a encore comme essences introduites le faux cotonnier et l’inévitable « lilas de Perse » (en réalité 
jasmin du Cap). 

Les plantes sauvages que nous avons recueillies en route ont été mises en terre et presque toutes ont bien 
repris ; seules les vignes sont mortes; mais nous en découvrons, couvertes de fruits, dans la galerie bordière 
du Moéro, auprès du potager. 

Dans cette galerie, il faut signaler de beaux ambachs, actuellement en fleurs, des figuiers colossaux, et 
aussi un arbre majestueux, le N’yongo où Bo-hongo, qui se couvre d’une multitude de fruits ressemblant en 
ce moment à de grosses amandes vertes. Nous ne ferons que plus tard leur connaissance à maturité, et nous 
trouverons alors à leur faible couche de pulpe acidulée un goût très prononcé de bon cidre. Cette pulpe enrobe 
un gros noyau très dur, renfermant trois amandes tout à fait analogues aux « coconots » par l'aspect, le goût 
et la composition huileuse; ce noyau porte à son sommet un « œil » rappelant celui de la noix de coco. 

Notre promenade à travers les jardins et les cultures de Mpwéto nous mène jusqu'au petit village d'un 
Arabe noir, Ki-Wélé-Wélé, très brave homme, rallié et entièrement dévoué à l'Etat. 


— 110 — 


Ki-Wélé-Wélé est renommé comme fabricant de nattes, pour lesquelles il utilise, — ainsi que les 
indigènes, d’ailleurs, — les fibres d’un palmier borassus. (Nous en avons envoyé à Tervueren.) 

Il nous fait les honneurs de son petit village, où se trouve les kraals pour le gros et le petit bétail de la 
station; il y a là des bêtes à grandes cornes, originaires de l’Ou-Vira (nord du Tanganika); de beaux ânes très 
solides, des chèvres, des moutons à queue grasse et des cochons à l’engraissage; nous voyons aussi le jardinet 
de Ki-Wélé-Wélé, installé près du lac, à l'embouchure d’une petite rivière; dans ce jardinet bien tenu existaient 
de très beaux papayers portant de gros fruits mürs, et aussi des goyaviers, des cœurs-de-bœuf et des 
grenadiers. 

Pour compléter la description du poste, disons de suite qu'on y trouve un grand four à briques, des fosses 
pour scieurs de long, des jardinets à chaque habitation de noir; enfin, 
le poste commande le passage d’eau assuré par pirogues à l'entrée du £ 


goulot d'écoulement du lac, en un point large de 215 mètres; les 
passeurs habitent un petit village sur la rive opposée à la station; ils 
sont chargés d’approvisionner en poisson frais la table de Mpwéto. 

Tout cet ensemble s'embrasse à merveille d’un petit pavillon de 2 $ 
repos, élabli à mi-hauteur des collines au pied desquelles est situé 
le poste; c’est de ce pavillon, d’ailleurs, que Dardenne 
peignilt la toile représentant Mpwélo-Station, et d’après 
laquelle est exécutée la gravure reproduite page 108. 


Troupeau de M'pwéto-Station en 1898. 


Gros hélail, ânes, moutons, chèvres, cochons. 


Comme j'ai parlé légumes, fruits, poisson et bétail, j'achèverai en disant que la table de M'pwéto est bien 
fournie non seulement par les produits de culture et par la basse-cour et les troupeaux du poste, mais par 
les pêcheurs et les chasseurs; les pintades, les oies sauvages, les antilopes, les zèbres, les buffles, les phaco- 
chères paraissent régulièrement à table sous les formes les plus variées. 

La seule chose qui manque pour le moment au poste, c’est la bienfaisance de grands arbres; le quartier 
des blancs est plus nu encore, si possible, que celui de Moliro. Mais, comme dans Carmen, «il n’est pas 
défendu d'attendre, et il est toujours doux d'espérer »; ici, l'espoir se portait sur quelques faux cotonniers 
naissants et sur de jeunes palmiers-élais, apportés de l'Ou-Roua et repiqués depuis peu. Le faux cotonnier 
(Eriodendron anfractuosum) est une bombacée: à Java et à Sumatra on le désigne sous le nom de Fromager. 
Son trone, généralement droit et élancé, est nu jusqu'à une certaine hauteur; puis les branches s’étalent 
horizontalement, en plusieurs étages; le fruit est une grosse capsule renfermant de nombreuses graines 
enveloppées dans le « faux coton », lequel est constitué de filaments brillants et fins comme la soie. Dans le 


— 111 — 


bas Zambèze nous avons constaté que cette « bourre végétale » était très employée pour la confection de 
matelas, oreillers, coussins, ete. 

De plus la graine renferme 20 à 95 p. e. d’une huile utilisable pour la fabrication du savon. 

Jusqu'ici on n’a pas réussi à tisser ou à filer le « faux coton », les filaments en étant trop cassants. 

Signalons enfin que les troncs de « faux cotonniers » ont été employés avantageusement, au milieu du 
siècle dernier, à Java, comme poteaux télégraphiques, et que la « ouate végétale » que donne leriodendron 
est un article d'exportation à Java, Ceylan, dans l'Inde, à la Jamaïque et en Australie; en 1899, Java en a 
exporté plus de mille tonnes. 


L'observation des nuages par le plein soleil.est très pénible. 

À 15 heures roulements de tonnerre lointains à l'Est, se rapprochant à toute vitesse, la tornade ne mettant 
pas trois minutes pour arriver sur nous; la poussière passe par tourbillons épais, aveuglants, remplissant 
les maisons; les toits se soulèvent; les arbres plient. 

L'anémomètre donne comme vitesse du vent 5",50 à la seconde, soit 20,2 à l'heure, vitesse moyenne des 
bateaux à vapeur. 

En une heure il tombe 6 millimètres d’eau. 

Cette tornade donne lieu à des constatations d’un intérêt extrême. 

La première est qu’en dix à douze minutes la température tombe de 28° à 17°,9, soit de 10°; le diagramme 
du barographe montre de façon frappante cette chute brusque. (Voir le tableau inséré entre les pages 112 et 113. 

En second lieu, et contrairement à ce qu'on pourrait attendre subjectivement, le baromètre n’a presque 
pas oscillé; en effet, la pression atmosphérique passe de 680%%,50 à 682 millimètres, pour redescendre 
bientôt à 680%m,50 et continuer sa marche normale. 

La tornade avec pluie à donc été marquée surtout par une chute brusque de la température; nous sommes 
sept Européens en ce moment à Mpwéto, et tous nous nous sentons brusquement saisis par le froid; et, 
bien qu'endossant à la hâte nos paletots, nous demeurons dans un état de malaise pour le restant de la 
journée. 

Et cette sensation désagréable est éprouvée — ïe le répète et jy insiste — par tout le monde; et nous la 
verrons se manifester dans la suite à chaque chute brusque et importante du thermomètre, chutes qui se 
produisent surtout aux tornades accompagnées de pluie. 

Or, nous ne trouvämes aucun palliauif contre la dépression que nous subissions dans ces occasions, bien 
que l’un recourût à la quinine, l’autre à un verre d'alcool, un autre encore à sa fidèle pipe. 

Dès lors, on saisit l'importance du fait que je signale dès maintenant, et l'intérêt qui s'attache pour tous 
à ce que les spécialistes en acclimatement arrivent à en déterminer les causes exactes et, si possible, les 
moyens de les pallier. 

Quant à la faible oscillation de la marée barométrique, elle offre également un intérêt d’un autre genre. 

Dans le Manuel de l’Explorateur, de MM. E. Blim et Rollet de l'Isle, ingénieurs français, on lit : « Dans 
les pays tropicaux, où les ouragans sont fréquents pendant la saison pluvieuse, les baisses énormes qu'enre- 
gistre le baromètre ne subsistent pas longtemps après la fin du phénomène. » 

Les observations de la mission scientifique du Ka-Tanga, dans le sud de l'État du Congo, ne nous 
permettent pas de confirmer cette affirmation, au contraire : pas une seule des tornades qui furent observées 
par nous ici, puis à Lofoi, puis à Lou-Kafou-station, n’influença jamais le baromètre au delà de 1"%,50 plus ou 
moins; de sorte que, dans ces régions, il ne se produisit pas de baisses énormes du baromètre; cette remarque 
est éminemment intéressante au point de vue des nivellements barométriques; voir à ce sujet les premier 
et seizième mémoires de nos observations astronomiques, magnétiques el altimétriques; nous renvoyons à ce 
travail, parce que le côté trop technique de la question ne me permet pas de la développer ici; je dois me 
contenter de la signaler aux intéressés. 

Durée d’'insolation : 31,75. 

Maxima diurne : 29°,8. 

Soirée entièrement couverte; observation impossible. 


— 119 — 


Samedi, 22 octobre 1898. 


Minima nocturne : 199,9. 

Michel à eu de nouveau une mauvaise nuit, mais, dans la journée, il se trouve très bien et peut s'occuper de 
préparer plusieurs objets de collection à expédier prochainement, entre autres un échantillon de tabac indigène, 
qu'une femme du poste coupe aussi mince que tabac à cigarettes. 

M. Maffei doit rester couché : les douleurs du foie ne le quittent pas et, depuis quatre jours, il ne prend 
quasi-rien qu'un peu de bordeaux; il essaye le traitement au calomel contre le point de côté qui ne cesse 
pas. 

Procédé aujourd’hui à la modification de notre escorte; reçu du poste de Mpwéto 14 soldats originaires de 
l’'Équateur, en place d’un même nombre d'Abarambos; j'ai laissé M. Chargeois choisir dans mon détachement 
les hommes qui lui convenaient le mieux, et il s’est empressé de choisir le groupe Abarambo venu, non de 
M'towa, mais de Lofoï, pour compléter à 60 les 45 hommes envoyés de M'towa; ceux-ci sont des Li-Kwangoula 
et des Mongélima, desquels M. Chargeois me dit : « Mauvaises têtes dont on à été trop heureux de se débar- 
rasser! » 

Jeus plus tard la preuve absolue que cette réflexion était exacte. Je ne songe pas à récriminer; j'ai pu mater 
la bande qui ne demandait qu'à mal faire, et dont un des sergents noirs est en prison pour dix ans; mais si les 
choses eussent tourné autrement, si jy avais laissé ma peau (ce qui compte peu), mais celles qui m’étaient 
confiées par centaines, et si j'avais laissé compromettre le prestige de l’État (ce qui compte beaucoup), aurait-on 
fait remonter les responsabilités jusqu’à leur origine première et unique? 

Le jour où tout le monde aura compris qu'il ne peut plus y avoir d'État dans l'État, pourra se marquer 
d’une boule blanche : l'avenir sera clair. 

À 15 h. 30 m., roulements de tonnerre très sourds, très lointains. 

La nébulosité descend de 5 à 3, puis remonte à 7,5; quand nous nous mettons au cercle méridien le ciel 
est quasi complètement couvert, mais nous attendrons jusqu'à ce que dame Phœæbé ait passé au méridien; il se 
pourrait qu'on puisse profiter d'une courte éeclaireie. 

Malheureusement la lune ne peut être prise, el tout ce que nous pouvons faire, vers les 21 heures, est de 


réussir cinq éloiles de latitude et trois d'heure; c’est piètre, mais ça vaut mieux que rien. 


Durée d’insolation : 6,40. 
Maxima diurne : 30°,4. 


Dimanche, 23 octobre 1898. 


Minima nocturne : 19°,5. La nébulosité varie de 6 à #,5, pour remonter à 8. 

A 16 heures, grondements de tonnerre, puis quelques gouttes de pluie. 

Durée d’insolation : 5",6. Vent variant de { à 5. 

Au début de la soirée, les nimbus chargeant le ciel entier font l'observation impossible; vers 21 heures, 
toutefois, le zénith se découvre un peu, et nous pouvons commencer à observer, mais sans pouvoir effectuer une 


observation complète. 


Maxima diurne : 30°,7. 


Lundi, 24 octobre 1898. 


Minima nocturne : 19,4. 

M. Maffei ne va pas mieux. 

Déterminé la différence d'altitude entre la chambre où se trouve le baromètre à mercure et le niveau du lac; 
celte différence est trouvée égale à 30 mètres. 

Changé les feuilles des enregistreurs de température et de pression atmosphérique. 


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La pression se revèle régulière encore, mais moins qu'à Moliro, ce qui est dû vraisemblablement au 
changement de saison (nous avons eu les premières pluies et les premiers orages, on Pa vu par les notes de ces 
derniers jours) ; il y a à remarquer toujours la constance dans la pression. 

Le maxima thermométrique de cette dernière semaine a été de 35°,2 (mercure); le minima, de 17°,8. 
La moyenne de la journée est atteinte une première fois vers 10 à 11 heures, une deuxième fois vers 18 à 19 
heures; le minimum se produit vers à heures, le maximum vers 15 heures. 

Le diagramme du thermographe montre que la température au nord du Moéro, en ce moment de l’année, 
est soumise à une fluctuation quasi incessante dans les deux sens; les périodes d’ascension ou de descente 
régulières sont l'exception; on dirait que la plume de l’enregistreur a des mouvements analogues aux incessants 
tremblements de la pointe d’un barreau magnétique bien équilibré. 

Nous avons signalé la tornade du vendredi 21 octobre et ses conséquences aux points de vue barométrique 
et thermographique. 

A 16 heures, roulements de tonnerre. 

Durée d’insolation : 5",6. 

Nébulosité, variant de 4 à T au cours de la Journée. 

Soirée couverte : observation impossible. 

Maxima diurne : 319,3. 


Mardi, 25 octobre 1898. 


Minima nocturne : 199,1. 

M. Maffeï a mieux dormi, mais les douleurs hépatiques s’accentuent et s'irradient jusqu'à la rate. 
Roulements de tonnerre lointains dans l’après-midi. Vent toute la journée, allant de 0,5 à 2,5. 
Durée d’insolation : 6%,5 de plein soleil, 3 heures de soleil voilé. 

Nébulosité descendant de 6 à 4, pour remonter ensuite à 9. 

Soirée couverte; observation impossible. 

Maxima diurne : 29,8. 


Mercredi, 26 octobre 1898. 


Maxima nocturne : 210,5. 

Quelques gouttes de pluie pendant la nuit, ne donnant rien aux pluviomètres. 

Le chef Mpwéto, sachant que nous sommes des curieux, nous apporte aujourd'hui un tubercule comestible, 
le maloumbwé, analogue de forme et de goût à nos pommes de terre. 

Déjà on nous avait apporté un autre tubercule, le n’komio, plus petit et plus allongé que le maloumbuwe 
et de moins bon goût. 

Reçu de M. Crawford, missionnaire anglais établi à Loanza, territoire de l'Etat du Congo, une lettre me 
faisant connaître qu'il est disposé à nous louer son bateau pour le transport de nos charges au sud du lac 
Moéro; le prix de location sera de 2 yards d’étoffe par charge transportée. 

De 16 à 8 heures, roulements de tonnerre d’abord très éloignés, puis se rapprochant. 


Durée d'insolation : 4,30. 

La nébulosité passe de 10 à 5. 

Maxima diurne : 29°,7. 

Nous pouvons enfin prendre une observation complète (15 étoiles et la lune); quand nous la finissons, 
le ciel est de nouveau entièrement couvert; bien qu'il soit déjà 23 heures, le désir de savoir quels résultats 
donne l’observation me tient à ma table de travail pendant près de deux heures encore; aussi suis-je plus que 
fatigué quand je m’étends sur ma couchette. 


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— 114 — 


Jeudi, 27 octobre 1898. 


Minima nocturne : 19,5. 

Je paye aujourd'hui d’un bon accès de fièvre l'excès de travail d'hier soir. 

Le rapatriement de M. Maffei s'impose pour affection du foie (rechute d'une affection dont cet oflicier à 
souffert à son premier terme). 

Il est décidé que M. Maffei partira aujourd’hui même pour la factorerie anglaise de Ki-Engué, où il attendra 
quelques jours, car je m'y rendrai moi-même pour arranger les conditions de son rapatriement par les soins 
de l’African Lakes Corporation limited. 

Durée d’insolation : 61,1. 

Maxima diurne : 28°,7. 


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Vendredi, 28 octobre 1898. 


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Minima nocturne : 229,5. 

Passé une nuit désagréable; transpiré à outrance, au point de devoir changer de draps. Le matin, je me 
sens inieux, Ce qui me permet d'expédier un volumineux courrier. 

Il arrive aujourd'hui à notre adresse, par voie anglaise, trois tonneaux de dynamite et détonateurs qui 
devaient servir aux recherches de notre « chercheur d’or »; nous n’en pourrions tirer parti nous-mêmes et 
devons les mettre en dépôt au magasin à poudre de la station. À l’arrivée de M. Questiaux, — envoyé pour 
remplacer feu M. Caisley, — il sera constaté que les trois tonneaux en question ne renfermaient que des déto- 
nateurs et de la mèche, mais pas de dynamite, par suite d’une erreur de l’envoyeur. 

La fièvre me tient toute la journée, caractérisée par un beau cas de Xylostomite; sueurs moites désa- 
gréables; inappétence absolue; sommeil introuvable. 


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Durée d’insolation : 4 heures. 
Maxima diurne : 309,5. 


Samedi, 29 octobre 1898. 


A 3 heures (du matin) seulement, j'ai pu fermer l'œil; en revanche, il est 11 heures quand je n’éveille, 
reposé, mais brisé et moulu à plaisir. 

Le minima nocturne à été de 199,3. 

Consacré l’après-diner aux calculs et à l'achèvement du courrier pour l'Europe, Mtowa et Boma. 

De 15 à 16 heures, roulements de tonnerre éloignés d’abord, puis se rapprochant. 

A 16 E. 30 m., quelques gouttes de pluie. 

Durée d'insolation : 8",95. 

Maxima diurne : 51°,1. 

Observation complète par 14 étoiles. 


Dimanche, 30 octobre 1898. 


Minima nocturne : 21°,8. 

Passé de nouveau une nuit infecte; insomnie complète jusqu'à 2 h. 30 m.; puis, quand le sommeil 
commence à venir, voilà que s'élève une violente tornade sèche qui secoue tout, et me tient éveillé jusque 
4 heures. Vers 6 heures, roulements de tonnerre dans le lointain. 

Inutile de dire que je me lève très mal disposé : tête chaude et lourde. 

Michel est également un peu fiévreux. 


— 115 — 


Comme remède, je puis me mettre aux calculs des dernières observalions, car, ainsi que je lai déjà 
dit, des travaux tels que les nôtres doivent, coûte que coûte, être constamment au courant; à 23 heures, la 
chose est faite, et je me couche lesprit tranquille, car les valeurs de longitudes trouvées pour Mpwéto par la 
lune, d’une part, le transport de l’heure depuis Moliro, d'autre part, ne diffèrent que d’une minute d'arc. 


La durée d’insolation a été de 8 heures; le maxima diurne : 299,5. 


Lundi, 31 octobre 1898. 


Minima nocturne : 199,5. La nuit, sans être bonne, à été moins mauvaise pour moi; M. Michel et le sous- 
lieutenant Fromont ne vont pas trop bien; d'autre part, beaucoup de noirs se plaignent du ventre. 

Déterminé la déclinaison magnétique par le magnétomètre Delporte, puis par le théodolite d'Hurli- 
mann. Après quoi, le pied en chêne du 
e rele méridien est enlevé pour être rem- 
placé par un pilier en briques qui servire 
pour les travaux ultérieurs, car nous 
devrons assurer la longitude de Mpwéto 
par de nouvelles observations de culmi- 
nations lunaires; espérons que le temps 
nous sera plus propice. 

Change les feuilles des enregistreurs. 

La marée barométrique se montre 
plus régulière que sur le diagramme de 
la semaine précédente; le diagramme 
relevé aujourd'hui montre moins de 
«tremblé»; pour le reste, mêmes remar- 
ques que pour la semaine précédente. 

Au diagramme thermométrique, le 
tremblé s’est accentué; la tornade sèche 
de la nuit du samedi au dimanche der- 
niers a influencé le diagramme qui ac- 


cuse deux chutes brusques et successives 
chacune de 2°. Le capitaine Chargeois construisant un pilier géodésique 

Vers 11 heures, tonnerre lointain ; à la station de M'pwéto. 
même phénomène vers 17 heures. 

Fait préparer une caravane d’une quinzaine d'hommes de Mpwéto-village, avec lesquels je partirai demain 
pour la factorerie de Ki-Engué, d'où je serai revenu pour prendre encore la lune (deuxième bord) une couple 
de fois. 

Pendant mon absence viendra mon jour de fête; ceci nest rappelé par mon brave Michel qui a 
sournoisement été chargé, au moment de notre départ d'Europe, de trois petits paquets soigneusement ficelés, 
qui ne devaient m'être remis que le 4 novembre. Mais voilà que ce jour-là je ne serai pas à M’pwéto; alors 
Michel m’apporte aujourd’hui les trois petites boîtes, soigneusement soudées, et qui contiennent quelques 
fleurs amies; le long temps déjà écoulé depuis notre départ les à flétries, desséchées, fanées à jamais; mais je 
les vois fraiches encore, sincères et fleurant bon comme les amitiés douces qui ont eu cette adorable pensée, 
pour bercer l'inquiétude de se sentir si loin pour si longtemps encore, inquiétude qui, de temps en temps, 
pince le cœur des plus résolus; et ce pincement pourtant ne va pas sans l’âpre jouissance de savoir que les 
longs exils se payent largement, au retour, de la joie des aimés, comme aussi de la déception des autres; car 
c’est vraiment un plaisir rare que de revenir au pays quand on sait que plus d’un avait compté ne jamais vous 
revoir. 


Durée d’insolation : 6 heures. Maxima diurne : 31°,6. Toute la soirée, temps couvert, tonnerre et éclairs. 


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Mardi, 1* novembre 1898. 


Minima nocturne : 209,7. 

Vers 7 heures, tonnerre éloigné. 

A Th. 45 m., je me mets en route seul pour Ki-Engué; comme je relève de quelques bons accès de fièvre, 
je ne prendrai pas l'itinéraire à l’aller, mais seulement au retour. 

La route, qui s’écarte jusqu'à 1 et 2 kilomètres de la rive nord du Moéro, court dans l’ancien lit du lac, 
devenu la vaste plaine basse, sablonneuse, s'étendant jusqu'à quelque vingt kilomètres au nord du lac 
d'aujourd'hui. 

Cette plaine basse avait été désertée par ses habitants à la suite de l'installation des Arabes esclavagistes à 
la rive nord du Moéro. 

Les porteurs avec lesquels je suis en route en ce moment sont des hommes du village du chef Mpwéto; ce 
chef se trouve installé à une grosse heure au nord-est de la station. 

Sur la route que nous suivons allègrement, ces gens me montrent les emplacements des bomas arabes 
auxquels Jacques et Descamps donnèrent victorieusement l'assaut; ils me disent combien d'hommes furent 
tués de part et d’autre, et comment les Arabes se sauvèrent vers l’est, en territoire anglais, où on les laissa 
tranquilles. 

Ils m’indiquent aussi constamment des groupes de huttes dépendant du chef Mpwéto, et qui, depuis deux 
ans, ont commencé à réoccuper la plaine désertée devant l’envahisseur; depuis M'pwéto-Station, j'ai traversé 
cinq de ces groupes, chacun d’une vingtaine de huttes; j'en ai aperçu d’autres au nord du sentier; chaque fois 
mes porteurs ont dit N’toto na Mpuwélo, « un petit (un dépendant) de Mpwéto », c’est à-dire un groupe 
dépendant du village central où réside le chef de la plaine, le chef Mpwéto. Et, de fait, tous ces groupes qui, 
depuis environ deux ans, repeuplent la plaine reconquise par nos troupes, essaiment du village de M'pwéto et 
en dépendent; et eux-mêmes déclarent leurs terres propriétés de Boula-Matari, puisqu'ils ne sont que des 
sujets du chef M'pwéto, chef reconnu de l'État. 

Depuis 9 heures, le ciel s’est obscurci, le lac est livide, les roulements de tonnerre se répercutent au loin; 
à 11 h. 30 m., l'orage est sur nos têtes; l’averse qui l'accompagne est telle qu'en une heure la plaine 
est submergée, l’eau n'ayant pas d'écoulement. 

C'est le long d’un sentier disparu sous l’eau, que nous arrivons à la rivière Lo-Ao, devant laquelle mes 
gens s’écrient spontanément : « Ici finit la terre de M’pwéto, la terre de Boula-Matari; là (en montrant la rive 
gauche) c’est la terre anglaise ! » 

Nous franchissons cette frontière rationnelle et entrons dans le petit village de Mokakana, qu'une 
heure et demie de pluie d'orage a complètement inondé; les huttes n’émergent de l’eau que grâce à leur 
petit dé de terre abattue. 

Je m'installe dans l’une d'elles, en compagnie de nombreux rats très familiers; le vieux petit chef du 
village est complaisant au possible; on apporte force œufs, poules, farine, arachides. 

De nombreux petits chefs viennent offrir le mirambo (présents de bienvenue). 


Passé l’après-diner à terminer une longue correspondance pour l'Europe. 


Mercredi, 2 novembre 1898. 


Nuit assez fiévreuse. 

Levé à 7 heures, suflisamment reposé pour pouvoir prendre l'itinéraire. 

Au départ de Mokakana, la route (large de 2,50}, pique sud-est; à la bonne terre noire des plantations du 
village succède bientôt le sable, un gros sable avec gravier, dénonçant bien lancienne extension du lac; dans 
ce sable, la marche est lourde et fatigante; partout se montrent des vignes sauvages, des asparaginées, des 
liliacées, des saucissonniers; sur la route circulent en bandes de petites araignées en velours rouge, dont je 
recueille de nombreux spécimens (depuis classés par M. De Pauw). 

Pendant la première partie de l'étape, on ne voit pas le lac, que dérobe un rideau de végétation où 
marquent de superbes saucissonniers; puis, au bout de quarante-cinq minutes, une percée dans une sorte de 


sous-bois nous met au bord du lac, sur une superbe plage qu'envierait la plus favorisée des stations 
balnéaires. 

Il n’est pas 9 heures et le soleil ne pèse pas encore; son éclatante lumière moire la surface des eaux que 
ride à peine une légère brise; des culs-blanes, des chevaliers armés, des aigrettes se promènent le long de la 
laisse du flot qui constamment déferle, repoussant puis ramenant le bourrelet de coquillages que les 
eaux apportent sans trêve, et dont beaucoup prodiguent aux yeux charmés du voyageur leurs délicates nacres 
irisées. 

Maintenant, la route suit le bord de l’eau; même les noirs préfèrent marcher sur la partie du sable bien 
imprégnée d’eau, où la marche est moins fatigante, le sol étant moins meuble. 

Des groupes d'indigènes nous croisent, venant de Ki-Engué; tous sont confiants et nous saluent d'un 
amical bonjour. 

Une pleine heure de marche le long de la grève nous rapproche des collines formant avant-plan à la ligne 
de hauteurs bordant la rive orientale (rive anglaise) du Moéro; ces hauteurs s'appellent ici Mochongo. 

Au moment d'y arriver, le sentier s'écarte un peu du bord de l’eau, pour traverser une partie de bonne 
terre noire, où pâture un troupeau d'une vingtaine de têtes de gros bétail; puis, nous arrivons en pleine rot h: 
(gneiss), sur laquelle on grimpe de quelque 20 mètres pour traverser le gros village Ki-Engué, puis entrer 
dans le boma de la factorerie anglaise du même nom; l'étape a couvert 11 kilomètres en 2 heures 16 minutes. 

Le chef de factorerie, M. Johnstone, au service de PAfrican Lakes Coorporation depuis sept ans, paraît un 
très bon agent, sérieux et actif. 

Entourée d’une palissade bien faite et très régulière, la station est éminemment propre; les bâtiments, 
bien compris, sont bien entretenus. 

Je trouve M. Maffei toujours dans le même état; nous prenons toutes dispositions pour qu'il puisse partir 
demain matin. 

Dans l'après-midi, je puis jeter un coup d'œil de détail sur le poste; c’est avec plaisir que je constate que 
ses constructeurs n’ont pas suivi les ordinaires errements, mais qu'ils ont soigneusement respecté les quelques 
arbres de la brousse qui se trouvaient sur l'emplacement choisi pour y élever la factorerie, du moment qu'il 
n'y avait pas nécessité absolue de les jeter bas; quand auront pris corps et abondante frondaison les arbres 
utiles qui ont été introduits ici, il sera temps encore de sacrifier les autres; beaucoup de fleurs en parterres, 
et, le long de la palissade qui enclôt la factorerie, force plantes grimpantes, entre autres des grenadilles cou- 
vertes de fleurs et de fruits, dont quelques-uns déjà mürs; avec l’autorisation du maitre de céans, je m'octroie 
ces derniers. 

A signaler de jeunes élais venant de Pile Kilwa {sud du lac Moéro). 


Je recueille de la bouche de M Johnstone un certain nombre de renseignements très intéressants à con- 
CE] 
signer : 


De mai à octobre, il souffle un vent régulier du sud, très fort de 8 à 10 heures jusqu'à 17 heures; la direc- 
tion du vent permet de faire, en bateau à voile, la traversée du lac de l’est à l’ouest et vice-versa ; aussi, le trajet 
Ki-Engué—M'pwéto et retour est alors facile. Mais pour se rendre vers le sud du lae, il faut attendre la nuit et 
naviguer soit à la rame, soit à la perche. 

Ce vent s'appelle Ka-Winsa. 

D’octobre à mi-avril peu de vent; on doit alors beaucoup naviguer à la rame et à la perche. 

La factorerie achète par mois une moyenne de 1 !/, à 2 tonnes de caoutchouc de landolphia; M. Johnstone 
dit que ce caoutchouc lui est apporté du sud du lac; iei, il n’y en a pas, non plus que dans toute la plaine au 
nord du Moéro. 

La livre de caoutchouc se paye à l’indigène 4 à 4 t/, pence; le transport jusqu’à Londres coûte à peu près 
autant, ce qui laisse — à la livre de caoutchouc — un bénéfice de 1 !/, à 2 shillings. 

M. Johnstone me confirme que les populations qui avaient fui lors de la domination arabe, reviennent peu 
à peu; ainsi, il y a deux ans, il n’y avait que quelques huttes au nord du lac; maintenant il y en a plus de 
vingt-cinq petits groupes. 

A propos de cet intéressant renseignement, il y a lieu de remarquer que l'agent anglais de Ki-Enguë (qui 
me le fournit) sait très bien ce qui se passe dans la plaine nord Motro, parce qu'il est ici depuis longtemps et 


ASE 


qu’il est souvent hors de chez lui, soit pour chasser, soit pour des recrutements; nos agents, au contraire, 
sont trop peu souvent hors de leurs postes; ainsi, en quittant M'pwéto, j'avais été prévenu que je ne trouverais 
pas, sur la route, de hutte assez bonne pour pouvoir m'y installer, et qu'il me faudrait dresser ma tente; en 
réalité, j'aurais pu m'installer sans tente dans quatre groupes différents, échelonnés sur la route Mpwéto- 
Ki-Engué; et, ainsi que je l’ai signalé, j'ai compté plusieurs autres groupes à proximité de la route. 

Chose à noter, il semble qu'ici, comme dans les autres parties du Congo que j'ai connues, les confédéra- 
tions en grands villages agglomérés ne se reforment pas, la puissance protectrice des Européens les rendant 
inutiles ; toutefois, comme nous l’avons dit, les petits groupes de la plaine nord Moéro reconnaissent l’auto- 
rité du chef Mpwéto et disent : « Nous sommes des »’toto (enfants) de M'pwéto, qui est homme de Boula- 
Matari. » 

Et partout les chefs avec leurs gens sont venus au-devant de moi, les femmes poussant leurs ordinaires 
clameurs de bienvenue. 


On se rappelle qu'à Moliro j'avais tourné le dos à un Anglais mal famé; les renseignements supplémen- 
taires que je recueille sur son compte nous montrent que Je n'ai eu que trop raison; ledit monsieur ne vit 
que d’expédients et est beaucoup moins grand chasseur qu’on le prétendait. 

I y a au Moéro, comme « collector » (fonctionnaire correspondant à nos commissaires de district), un 
diplomate, alors qu'il y faudrait un homme d'action; d’après M. Johnstone, ce qu'il faudrait ici, e’est un 
homme à poigne pour agir vigoureusement contre les diverses colonies arabes qui entravent ici considérable- 
ment le commerce européen, et sont un permanent danger. 

« Tous ces Arabes — me dit le chef de factorerie — sont en continuelles relations entre eux à grande 
distance; et J'ai toujours su par eux, longtemps avant les agents de Mpwéto, ce qui se passait chez les révoltés 
du nord. » 

Toujours d’après M. Johnstone, l’action de la British South Africa Company (B.S. A. C ) n’était guère 
gouvernementale; la puissante compagnie demandait seulement pour le moment, à ses agents de la région des 
lacs, de lui donner le moins possible signe de vie; on faisait acte de présence, se bornant à assurer quelques 
services : routes, courriers et rentrées d'impôts là où c'était possible; aucune action militaire importante. 

Aussi avait-on déjà eu plusieurs fois des déboires avec le chef 


Ka-Zembé du Lou-Apoula, qui se moquait de la compagnie 
comme une girafe d’un faux-col; en revanche, le même 


Ka-Zembé était des plus accueillant à certains aventuriers, 


Tan anika 


venus on ne savait d’où, écumeurs de la brousse, à peine 
dignes de la corde pour les pendre. 

Mais, pour le moment donc, la B. S. A. C. dormait, 
attendant pour s’éveiller la découverte, escomptée, de mines 
exploitables. 


On parle surtout d’or; on cite les places où il a été 


Messe 


constaté, et voici même un intéressant document : c’est une 
carte-esquisse des régions prospectées par M. A..., ingénieur 
anglais; à défaut de plus, elle prouve que ce n’est pas 
d'aujourd'hui que les prospecteurs aflirment avoir trouvé l'or 
_ dans la région des lacs; la carte-esquisse que nous reprodui- 
sons ici date de 1896, soit de six ans déjà. Sa publication n’a 
pas suffi à provoquer l’activité de la B. S. A. C. 
Un malheur de cette inaction actuelle des Européens était de les porter presque tous à l’alcoolisme 
d’abord, à la morphinomanie ensuite. 
Il faut bien tuer le temps, n’est-ce-pas, à défaut pour ceux qui en ont toujours trop, de ne pouvoir le 
vendre à ceux qui n’en ont jamais assez. 


— 119 — 


Jeudi, 3 novembre 1898. 
A 


Pluie nocturne se continuant pendant la matinée. 

A 9 heures, M. Maffei peut prendre la route de l’est, vers l’Europe. Après son départ, je prends la route 
de l’ouest pour regagner Mpwéto. 

A midi, arrivée au village Mokakana, où je retrouve ma hutte en bon ordre; bruyante réception de la 
population, qui apporte quantité d'œufs, plus de 150, qui seront les bienvenus à Mpwéto. 

Avant de quitter la factorerie de Ki- 
Engué, j'y ai fait une commande d’étoffes ; ; 
le ballot de calicots (240 yards) coûte ici 
> livres 5 shellings; il est moins bon et moins 
apprécié des indigènes que notre americani. 

J'ai conclu aussi arrangement pour la 
location du schooner à voiles le Léopold 11 | 
appartenant à la Compagnie des Laes, et qui 
transportera une partie de nos charges au 
sud du lae Moéro, à raison de 5 ‘/, livres par I ASTR \ 
voyage de 70 charges. 


Vendredi, 4 novembre 1898. 


Levé à 5 1/, heures. Temps couvert, 
pluvieux. 

Départ à 6 h. 25 m. Au sortir de Moka- 
kana, on traverse la rivière Lo-Aô, large de 
4 à 5 mètres, avec 40 à 50 centimètres d’eau Le schooner le « Léopold II » sur le lae Moéro (1893). 
claire; on foule une bonne terre noire de 
culture, où se voit une dépression, actuellement à see, se transformant aux pleines pluies en un large cours 
d’eau marécageux appelé Ka-Koma; vers l’amont de cette dépression, des poches d’eau existent toute 
l'année. 

Une marche de 4 kilomètres nous met au village du chef Kazembé; toujours bonne terre noire sous une 
légère couche de sable; les plantations sont belles. 

A l’ouest du village de Kazembé, le sentier se rapproche du lac; au sol de terre noire succède un terrain 
de limonite affleurante, ornementé de hautes euphorbes candélabres; iei se voient les restes du boma de 
Parangwa, Arabe défait et chassé par Kapouti (Jacques); l'endroit était bien choisi, distant de 250 mètres 
seulement du lac qu'on domine d’une douzaine de mètres, Ce serait un bon emplacement pour un poste 
européen. 


De Mokakana jusqu'à ce boma abandonné, la route a gardé la direction est-ouest; maintenant elle 
s’infléchit vers le nord-ouest, traverse une forte dépression à sec et suit la rive du lac à faible distance 
Jusqu'au ruisseau Ki-Bamba; ce ruisseau, à sec en ce moment, est formé par un fort encaissement se 
remplissant d’eau aux pluies, ce qui permet alors aux poissons du lac de remonter dans l'intérieur des terres: 
quand ensuite vient la baisse des eaux, les indigènes ont eu soin d'établir de nombreux barrages pour la 
capture des imprudents. 

Nous sommes toujours sur des affleurements de limonite; le Ki-Bamba franchi, le sentier rapplique dans 
l’ouest jusqu’à M'pwéto; la bonne terre noire de culture se montre de nouveau avec les villages Souka et 
Tchiébélé, situés sur la rive gauche de la Lo’n’ginda, rivière large de 5 mètres, avec 40 centimètres d'eau 
claire, courant marqué, abords inondables; en ce moment de l’année, on traverse la Lo’n’ginda à gué, mais 
à la fin de la saison des pluies, la rivière devient grosse et le passage ne peut plus s’en effectuer qu'en 
pirogue. 

La route traverse encore le village du brave petit chef Ka-Béké, à cheval sur le ruisseau Ou-Bozi, à sec, 


0) — 


puis le village Ka-Basa, pour s'engager dans les premières plantations de Mpwéto-Station, après avoir franchi 
un dernier ruisseau, le Ka-Ficia, à sec. 

Il est 11 ‘/, heures quand nous rentrons à la station, ayant couvert environ 25 kilomètres en quatre heures 
>3 minutes. 

Dès l'après-midi, reprise du travail à Mpwéto. 

Pendant mon absence, M. De H. à recopié les observations météorologiques faites à Moliro ; d'autre 
part, j'ai établi précédemment des copies des courbes barométriques et thermographiques relevées en la même 
station. Maintenant, je vais m'efforcer d’en finir avec le calcul des longitudes. 

De son côté, Michel développe ses plaques et prépare plusieurs caisses de collections qui partiront par la 
voie anglaise. Enfin, Dardenne à aquarellé une cinquantaine de fleurs, et plusieurs sites et scènes sont déjà sur 
toile. 

Nous pourrons faire un important envoi de documents dans quelques semaines. 

Bien que ce coup de collier soit écrasant, je pense qu'il fallait le donner : d’abord, pour suivre la 
recherche d'équilibre des instruments; en second lieu, pour ne pas laisser Bruxelles sous l'impression de 
seules mauvaises nouvelles (mort de De Windt et Caisley, repatriement de M. Maffei); il est bon qu'on sache 


que — si amputée soit-elle en ce moment — la mission n’en est pas moins bien au travail. 


A notre arrivée à M'pwéto-Station, l'eau du Moéro nous avait élé renseignée comme très mauvaise à boire, 
parce que, disait-on, chargée d’impuretés. À Ki-Engué, au contraire, M. Johnstone nous a dit qu'il n’en 
employait pas d’autres, et qu'il évitait même de la filtrer, bien qu'il eût deux filtres à bougies; il craint que 
celles-ci, à la longue, ne se chargent de microbes (je donne, bien entendu, cette opinion sans plus, ne la 
combattant ni ne l’appuyant); il trouve, d’ailleurs, Peau du lac excellente et prend seulement la précaution de 
la laisser déposer quelques heures avant de l’employer, car l’eau contient souvent des corpuscules divers en 
suspension, mais non en décomposition. 

En réalité, on ne voit pas pourquoi l’eau du Moéro ne serait pas une excellente eau potable; le Moéro est 
une véritable mer à écoulement continu, à aération complète et active, à flots limpides; si son eau n’était pas 
bonne, il faudrait désespérer d’en trouver jamais en Afrique. La vérité, c’est qu'il ne fallait pas aller puiser 
Peau à la rive du poste, mais la faire prendre par des pirogues à 1 ou 2 kilomètres en plein lac, en dehors des 
contre-courants et des remous existant au goulot de déversement de cette vaste nappe d’eau, contre-courants 
et remous où s'accumulent et stagnent à la fois les débris charriés d’amont par les eaux et ceux provenant de 
la population noire du poste lui-même. 

Au surplus, personnellement, je n'ai jamais hésité à employer l’eau du Congo en n'importe quel point de 
son cours, du moment qu’elle était prise en plein courant; d’ailleurs, comment font les indigènes? 

Tout ce que peut exiger l'estomac le plus délicat, c’est que l’eau prise ainsi en plein courant du grand 
fleuve, soit filtrée. Il va de soi que si une station, même située sur une importante rivière, dispose d’une 
source, il arrivera le plus souvent que l’eau de cette source sera supérieure à celle de la rivière. 


Préparé l'observation du passage de la lune (2° bord) pour aujourd’hui et pour demain. 

Vers 14 heures, tonnerre lointain. Durée d’insolation : T */, heures. Maxima diurne : 28°,5. 

Observation complète de latitude et d'heure par 13 étoiles: il est 21 heures quand nous nous couchons, 
laissant le cercle méridien sur le pilier en maçonnerie qui a été construit pendant mon excursion à Ki-Engué ; 
nous n’enlevons pas l'instrument pour n’en pas modifier la déviation azimutale (réduite à une très faible 
valeur au début de l'observation), car nous reviendrons à l'appareil de la seconde moitié de la nuit; le chef 
de la grand'garde recoit l’ordre de venir nous réveiller quand la lune sera en un point du ciel que nous 
lui montrons. 


Samedi, 5 novembre 1898. 
D 


A l'heure dite (3 !/, heures), nous sommes avertis; le ciel est convenable, nous pouvons prendre la lune 
avec 6 étoiles ; il est passé à heures quand lopération est achevée; le petit jour se dessine et il ne vaut plus 
la peine de se recoucher. 

Minima nocturne : 219,6. 

Coups de tonnerre lointains deux 
fois dans la journée : à 10 !/, heures et 
à 16 !/, heures. 

Nébulosité passant de 3 (à 6 heures) 
à 8 (18 heures). Maxima diurne : 50°,5. 

Journée de calculs. 


Dimanche, 6 novembre 1898. 


Quand, à 4 heures, la sentinelle 
vient nous éveiller, nous ne pouvons 
que pester contre le lourd manteau de 
nuages qui charge tout le firmament. 
Recouchons-nous bredouille. 

Minima nocturne : 20°,1. 

Rédigé des instructions destinées 
à Dardenne ; notre camarade devra, en 


effet, partir demain avec la barque qui 


arrivera de Ki-Engué; il ira s'installer Indigènes de l’Ou-Roua. 
chez le chef Ki-Lomba, au sud du lac 
Moéro, où il fera la réception de nos approvisionnements, que je lui expédierai d'ici par eau et qu'il réexpédiera 
par terre vers Lofoï. 
Écrit au chef de la zone Ka-Tanga pour lui faire connaitre la chose. 
Enfin préparé l'observation du passage de la lune. 


Durée d’insolation : 5 heures. Maxima diurne : 299, 


Lundi, 7 novembre 1898. 


A 4h. 45 m., nous sommes à l'observatoire; le ciel n’est pas beau, mais peut-être réussirons-nous à pincer 
une fois encore dame Phébé! Vain espoir! La blonde dame passe au méridien, voilée 
d’un voile épais de lourds nuages. 

Encore une observation perdue ! 

Minima nocturne : 209,4. 

Vers 8 h. 30 m., tonnerre éloigné, grondant toute la matinée. 

A 10 h. 20 m. arrive la barque de Ki-Engué apportant la commande que j'avais 
faite à la factorerie des Lacs; on décharge lestement, puis on embarque le premier convoi 
en destination du sud du lac; à 15 h. 30 m. la barque s'éloigne à la rame. 

Recu la visite des chefs La-Lamata et Niemba-Kounda de lOu-Roua: ils sont 
accompagnés d’une suite nombreuse, dont un orchestre de petites flûtes et de tambours: 
curieuses coiffures; allures beaucoup plus expressives que ce que nous avions vu 
jusqu'ici. 


Chef de l’Ou-Roua. 


Depuis huit mois, je m'occupe à régler le demi-chronomètre de temps sidéral ; à notre arrivée à M'pwéto, 
ce demi-chronomètre avait une variation de plus de deux minutes par jour; j'ai ramené cette variation à 
n'être plus aujourd’hui que d’une couple de secondes sur le temps sidéral; reste à voir si cet état se main- 
tiendra. 

Dès maintenant, je dois dire que non, et que le demi-chronomètre ne put jamais fournir d'indications 
acceptables pour des observations de précision. 


Durée d’insolation : 1 heure; la nébulosité a passé lentement de 10 (6 heures) à 8 (18 heures). 
Maxima diurne : 28°,4. 


Mardi, 8 novembre 1898. 


Minima nocturne : 21°. 

Passé une excellente nuit, bien que depuis cinq jours Je sois très agacé d’une écorchure à la main droite 
produite par l'enveloppe en fer-blanc d’une caisse de perles; cette écorchure s’est enflammée; la première 
phalange du médius est maintenant en compote et, forcément, on ne peut toucher à rien sans plus où moins 
froisser la partie blessée. 

Journée de calculs. 

Durée d’insolation : 5 heures. 

Maxima diurne : 509,5. 

Nous faisons ce soir une observation complète de latitude et d'heure, par 12 étoiles, au moyen du théo- 
dolite d’'Hurlimann, afin de comparer les résultats obtenus par cet instrument, moins délicat, avec ceux de 
l’excellent cercle méridien de Secretan. 

La latitude trouvée au théodolite, par cette seule observation, se trouve différer de 15 secondes seulement 
de la valeur déterminée au cercle méridien, ce qui est éminemment satisfaisant, la limite des lectures 
possibles au limbe du théodolite étant précisément de + 15 secondes. Quant à l'heure trouvée par le 
théodolite, elle ne diffère du résultat obtenu par le cercle méridien que de (0,79, résultat entièrement satis- 
faisant. 


Mercredi, 9 novembre 1898. 


Minima nocturne : 209,6. 

Courrier d'Europe arrivant via Moliro. 

Vers 11 heures, coups de tonnerre assez rapprochés, suivis de quelques gouttes de pluie. 
Durée d’insolation : 2,75; la nébulosité a passé de 9 (6 heures) à 6 (18 heures). 
Maxima diurne : 27°,5. 


Jeudi, 10 novembre 1898. 


Minima nocturne : 19,3. 

Vers 5 h. 15 m., violente tornade faisant trembler les maisons: vers 6 heures, pluie légère, donnant 
3], de millimètre d’eau aux udomètres. 

Quatre pirogues, chargées de DS caisses, partent ce matin pour nous vers le sud du lac; pour activer l’éva- 
cuation de nos approvisionnements, j'ai dû faire accord avec les riverains du lac et confier nos charges à 
d’ordinaires pirogues. 

La barque de la mission anglaise de Loanza n’a pu encore être mise à notre disposition, ce qui m'a 
engagé à recourir aux frêles pirogues qui, toutefois, feront, sans accident important, une bonne partie de nos 
transports. 


J'avais songé aussi à faire recruter des porteurs qui auraient effectué une partie des transports par terre; 
mais, après conférence avec les intéressés, il m'a paru plus expéditif de tout transporter par embarcations. 

De nouvelles pirogues, promises pour cette après-midi, n'arrivent pas. 

Durée d’insolation : 4 heures. 

Maxima diurne : 26°,4. 


Vendredi 11 novembre 1898. 


Minima nocturne : 19°,7. 

Mauvaise nuit, sans sommeil. Mes « appartements » ont été envahis par d’audacieux rats; d’autre part, je 
souffre assez bien des plaies envenimées provoquées à la main droite par des déchirures faites, je l'ai déjà dit, 
en manipulant une caisse de perles; ces plaies prennent des allures de sarnes; l'embétant est que ces deux 
bobos sont très mal placés, l’un étant dans le pli du pouce, ce qui m’empêche d'écrire vite, l’autre se trouvant 
sur le médius et me gènant particulièrement dans la manipulation des instruments. 

Courrier de M'towa, arrivant par Moliro. 

Vers 12 heures, quelques gouttes de pluie; vers 15 h. 50 m., même phénomène et coups de tonnerre 
lointains; vers 14 h. 30 m., violente pluie d'orage. 

Durée d’insolation : 0",35; la nébulosité a été complète presque toute la journée. 

Maxima diurne : 25°,2. 

Michel brusquement pris de fièvre dans la soirée. 


Samedi, 12 novembre 1898. 


Minima nocturne : 180,9. 

Michel va mieux ce matin; de mon côté, je me sens fatigué du gros travail de calculs et de mise au net 
des résultats pour envoi à Bruxelles. 

Pluie calme dans la matinée. 

Deux pirogues partent pour le sud du lac. 

Durée d’insolation : 31,70. 

Maxima diurne : 27°. 


Dimanche, 13 novembre 1898. 


Minima nocturne : 19°,2. 

Mauvaise nuit; déjeuner suivi de vomissements. Quelle veine d’avoir l'estomac d’une si grande com- 
plaisance ! 

M. De H., pris de fièvre, doit se coucher. 

Depuis l’aube jusque vers 9 heures, tonnerre lointain. Vers 8 h. 30 m., pluie légère. 

Vers 15 h. 30 m., tonnerre éloigné; vers 17 h. 30 m., de nouveau pluie légère. 

Durée d’insolation : 4,70. 

Maxima diurne : 25°,7. 


Lundi, 14 novembre 1898. 


Minima nocturne : 18°,9. 

De nouveau, la nuit a été mauvaise pour moi; je me lève non reposé. 

Vers 10 h. 30 m., rafales suivies d’une assez forte pluie d'orage; vers 16 h. 30 m., tonnerre lointain. 
Durée d’insolation : 2,75. 

Maxima diurne : 25°,5. 


124 — 


Mardi, 145 novembre 1898. 


Minima nocturne : 18°. 

Nuit plus mauvaise encore que les précédentes; insomnie absolue; levé très mal disposé. 

Comme c’est aujourd’hui la fête onomastique du Roiï-Souverain, ainsi que disent les documents officiels, 
J'ai fait organiser des réjouissances pour les noirs du poste et des environs. Je ne puis malheureusement 
pas y assister, me lrouvant trop mal à l'aise, d'autant que vers 9 heures, je suis pris de vomissements. 
J'essaye de réagir en me mettant au travail, moyen qui m'a souvent réussi; mais bientôt je dois interrompre 
tout calcul et me coucher, secoué d’un violent accès de fièvre froide; il me faut garder le lit toute la journée 
avec trois accès de vomissements bilieux. 

Le soir me trouve un peu mieux. 

Un courrier insignifiant est arrivé aujourd'hui de Mtowa : un paquet de journaux et une lettre adressée à 
M. Michel, mais qui est d’abord allée se promener dans l'Ouellé. 


Durée d’insolation : 51,95. 
Maxima diurne : 289,2. 


Mercredi, 146 novembre 1898. 


Minima nocturne : 199,2. 

La nuit a été assez convenable, quoique mes amis les rats aient avec insistance passé leur temps à ronger 
les cordes de ma couchette. Ces cordes, faut-il dire, sont en peau d’antilope; on les obtient simplement en 
découpant en lanière continue une peau bien séchée, et puis en tordant cette lanière sur elle-même; ces cordes 
sont très solides; elles ont, toutefois, un grave inconvénient; les rats en sont on ne peut plus friands; le 
sommier du lit qui m'attendait à M'pwéto ayant été confectionné au moyen de pareilles cordes, ma couche fut 
bientôt envahie chaque nuit par d'impudents rongeurs que rien ne mettait en fuite : ni le jus de tabac dont je 
fis enduire les cordes, ni la gymnastique continue que j'exécutais chaque nuit pour les assommer à coups de 
babouches, ni — dérision — ia présence de deux chats dans la chambre; je dus finir par réparer mon lit au 
moyen de cordes ordinaires. 

Vers 9 h. 30 m., forte pluie d'orage jusqu'à 11 h. 30 m.; l'orage est zénithal; les pluviomètres accusent 
gomm 5 d'eau. 

Arrivée du schooner de la mission de Loanza, de son nom indigène M'timou wou Imani(?); ce schooner, 
conduit par un capita noir, apporte à la station de Mpwéto un peu de calcaire recueilli dans l’île Kilwa, 
au sud du Moéro; malheureusement, ce calcaire ne convient pas à la fabrication d’une chaux même 
mauvaise. 

En voyant repartir le schooner, qui emporte vers le sud du lac un chargement pour nous, je me dis que 
la navigation sur le Tanganika, comme sur le Moéro, se faisant, en ce moment surtout, à l’aide de grandes 
barques à voiles (daw arabes ou schooners en fer), il y aurait un sérieux avantage à envoyer comme chefs de 
poste à Moliro, Mpwélo et autres stations riveraines, des marins auxquels la voile serait familière. Des 
steamers ont été lancés sur ces grands lacs, mais la navigation à voile s’y pratiquera longtemps encore, si pas 
toujours; il est à espérer que, pour cette dernière, on pourra profiter de l'expérience des capitaines envoyés 
pour la conduite des vapeurs. 


Achevé ce jour le long et délicat calcul des longitudes de Moliro à M'pwéto, et de la reconnaissance à 
l'étang Souzi; achevé aussi Paltimétrie et commencé le travail magnétique. 
Le sous-lieutenant Fromont — qui était la complaisance en personne — recopiera tout ce travail, 


VDS 


tandis que M. De H. recopiera le travail météorologique, le tout devant être envoyé sous peu au gouver- 
nement. 

Michel fait une nouvelle détermination de la différence d'altitude entre la chambre des baromètres et 
anéroïdes et le niveau du lac. 

Vers 15 heures, légère reprise de la pluie. 


Durée d’insolation : À heure. 
Maxima diurne : 24°,1. 


Jeudi, 17 novembre 1898. 


Minima nocturne : 18°. 

La nuit a, une fois de plus, été inclémente pour moi; je m'étais couché fiévreux et il a fallu deux heures et 
demie pour que la transpiration commençat à se reproduire; mais, quand elle apparait, ça va vraiment bien: 
à minuit, sous mes cinq couvertures, je suis dans un bain jeune lurc. Après avoir changé de chemise je 
voudrais bien aussi changer de draps, mais mes galopins de boys ne parviennent pas à en trouver de 
rechange. 

Le jour venu, impossible de me lever. La journée est perdue pour moi. 

M. De H. reste couché toute la journée. 

Vers 10 heures, quelques gouttes de pluie. 

Vers 14h. 30 m., tonnerre lointain. 


Durée d’insolation : 5n,95. 
Maxima diurne : 27°,9. 


Vendredi, 148 novembre 1898. 


Minima nocturne : 189,7. 

Nuit mauvaise. Quelle série à la noire ! Levée, la tête à la fois vide et lourde. 

Vers 8 h. 15 m., pluie légère. 

Reçu une très amicale lettre du capitaine Boileau, cet officier anglais, membre de la commission anglo- 

È allemande de délimitation de la frontière Nyassa-Tanganika, avec lequel (on s’en souviendra) nous avions 
voyagé depuis l'embouchure du Zambèze jusqu’au nord du Nyassa. 

Il m'apprend que les travaux de la commission se sont achevés dans des conditions absolument 
satisfaisantes : « Nous avons (c’est le capitaine Boileau qui parle) travaillé tout à fait indépendamment de nos 
confrères allemands, mais nous avons opéré une jonction à mi-route pour comparer nos résultats; et je suis 
heureux de dire que, sur 100 milles, notre différence en longitude est de 4" (secondes d'arc), et notre 
différence en latitude d'environ 2». 

Et l’officier anglais continue : « Jai pris vraiment plaisir à mon voyage en Afrique, et J'espère, avant 
qu'il soit longtemps, me retrouver de nouveau ici. » 

Ce m'est une satisfaction de consigner pareille appréciation sur l'existence que l'Afrique, comme tout 
pays neuf, peut offrir à qui jouit de facultés d’observateur et de chercheur. 

Michel détermine une troisième valeur de la différence d'altitude entre la chambre du baromètre et le 
niveau du lac; cette troisième valeur reste identique à celles déjà trouvées. 

Après avoir préparé l'observation du passage de la prochaine lune {1° bord), qui pourra commencer le 
20 courant et se répéter jusqu’au 26, je me sens de nouveau abattu. Inappétence complète. 

Durée d’insolation : 21,95. 

Nébulosité variant de 8 (6 heures) à 10 (18 heures). 

Maxima diurne : 26°,5. 


0e 


Samedi, 19 novembre 1898. 


Minima nocturne : 20°. 

Ma nuit a été misérable; insomnie fiévreuse absolue jusqu'à 3 heures. Le jour me trouve accablé d’un 
mal de tête sans nom; impossible de me lever dès 6 heures. 

Dans la matinée, nous avons occasion d'observer un fort curieux phénomène : des éphémères, de leur 
nom indigène koungou, sortent des eaux du Moéro en quantité si colossale que leurs épais nuages simulent, à s’y 
méprendre, de véritables trombes; nous en avions déjà entendu parler sur le lac Nyassa, où le phénomène se 
produit également, tandis qu'il n’a pas été — du moins à notre connaissance — signalé sur le lac Tanganika. 

Aujourd'hui done, dès le matin, une énorme 
masse sombre, dont la forme en nuage se mo- 
difie incessamment, s’avance lentement, venant 
du sud et se déplaçant à la surface des eaux, 
vers la rive nord, avec les allures d’une trombe 
qui aurait giré lentement. 

Cette masse arrive Jusqu'au goulot d’écoule- 
ment du lac, se heurter au cap de hauteurs 
formant la pointe sud-est de ce goulot, ce qui 


provoque la dispersion des bestioles; les koun- 
gou envahissent ainsi nos chambres; étaient 
comme de petits moustiques blancs et verts, 
n'ayant heureusement rien des furieux appétits 
de ces « fauves » en miniature. 

Une curieuse photographie avait pu être 
prise au moment où le nuage ailé arrivait à la 
pointe rocheuse où il allait s’écraser et se dis- 


loquer; ce nuage simule, sur la photographie, 
Nuage de mouches Kou-n'gou sur le lac Moéro. une tache qui ferait bien considérer le cliché 

comme voilé; en réalité, le cliché est parfait et 
montre nettement le noyau très sombre du nuage, dont la densité va en”diminuant de plus en plus vers les 
bords. 


Vers 12 heures tonnerre lointain; une demi-heure plus tard, éclairs et violents coups de tonnerre 
rapprochés. Vers 15 h 30 m., quelques gouttes de pluie. 

Retour du schooner le Léopold IT, parti le 7 au soir avec Dardenne, et arrivé au village Ka-Béça le 19, 
dans laprès-midi. 


Dardenne m'écrit : 


« Je suis arrivé le samedi 12 novembre à 14 h. 30 m., après une traversée des plus calme, sauf une 
tornade qui nous à assaillis le jeudi 10 courant, au petit jour. Déjà le bateau avait été évacué par les soldats 
et leurs femmes, et j'allais faire comme eux, lorsque, monté sur le pont, je constatai que nous n'’étions qu’à 
une soixantaine de mètres de la rive. Ce voyant, je préférai rester sur le bateau jusqu’à la dernière minute, 
plutôt que d'aller me faire mouiller à la rive; je me trouvai bien de cette décision, car, vers 9 heures, le 
temps se remettait au beau et nous pouvions continuer notre route. 

« Les rives du Moéro sont extrêmement monotones : collines peu élevées, boisées, laissant parfois 
apercevoir la roche, de couleur rougeûtre, disposée par couches horizontales qui la font prendre pour des 
murs eyclopéens; à leur base des bouquets d’ambachs, s’avançant plus ou moins dans le lac, rendent 
l’accostage assez dificile. 


191 — 


« À deux endroits plus découverts, par exemple ici, chez le chef Ki-Lomba, les ambachs sont suivis 
d’un marais où l’on enfonce jusqu'au ventre, ce qui a rendu le déchargement assez difficile, et m'a obligé à 
prendre quelques hommes du village pour avoir fini à la nuit. Car le poste noir, ou je suis installé, est très 
éloigné du lac et non contre la rive même, comme je me le figurais. 

« Le soir, j'ai failli avoir comme début un accident très grave; tel quel, il suflit déjà. La cuisine, 
luxueusement composée d’un auvent en paille, situé à quelques mètres de la maison, a pris feu; mon 
pichi (cuisinier), qui a voulu y chercher quelque objet, est arrivé au moment propice : tout lui est tombé 
sur le dos! 

« Les soldats se sont précipités pour le retirer de là. 

« Le pauvre diable est assez fortement brülé au dos et à l'épaule. Je l'ai soigné de mon mieux : lotions à 
l’eau fraiche, puis compresses d'huile (ce qui fait un trou marquant dans mon quart de bouteille d'huile 
d'olive; je n’en avais pas d'autre). Ce matin, le boy vaquait à sa besogne comme si de rien n’était. Épatants, 
ces nègres ! 

« Je devrai élever un hangar, et ferai le légumier prescrit aux environs du poste; près du lac même, il n°v 
faut pas penser. Ici, l’eau est fort mauvaise, et donne un goût vaseux très prononcé à tout ce qu'on en confec- 
tionne. Vous n'aurez pas de trop de vos deux filtres lorsque vous serez ici; si les deux n'étaient pas nécessaires 
à M'pwéto, Je serais enchanté d’en recevoir un, car l’eau est par trop mauvaise. 

« Tout est arrivé en bon état. 

« Pour le moment il pleut. 

« Dans les caisses de perles, celle qui était indiquée pour le pocho (solde des travailleurs et soldats) et le 
service du poste, ne contenait que de toutes petites perles bleues, dont j'ignore la valeur; j'ai ouvert une caisse 
H. A. H. N. n° 557, qui m'avait fourni de grosses perles comme celles que j'ai vu employer déjà et auxquelles 
je suis habitué; j'ai cru pouvoir en agir ainsi, afin de savoir établir mes comptes et aussi pour ne pas me faire 
voler outre mesure. 

« Par le prochain transport, je voudrais bien avoir, si possible, un peu d'encre : ma bouteille se trouvait 
dans ma valise lors de la tornade; or, dans le remue-ménage causé par l'événement, ma valise a dégringolé et ma 
bouteille s’est ouverte, ce qui fait qu'il ne me reste plus qu'un petit fond du noir hHquide, ce qui ne pourra durer 
longtemps. 

« Je vais bien, à part un peu d'asthme après la tornade, ce que j’attribue au bain forcé que j'ai pris à la fin 
de la nuit (alors qu'il faisait encore froid) ; il pleuvait autant dans la cabine que dehors. 

« Espérons que la santé se maintiendra telle qu’elle est. » 

« (Signé) DARDENNE. » 


Dans l'après-midi arrivent en pirogue, venant de Ki-Engué, deux missionnaires protestants de Loanza ; Fun 
d'eux est en proie à un violent accès de fièvre. Tous deux passeront la nuit à la station. 
Durée d’insolation : 4°,50. 


Maxima diurne : 27,5. 


Dimanche, 20 novembre 1898. 


Minima nocturne : 230,5. 

Passé une nuit un peu meilleure. Je me lève, toutefois, fort cotonneux et un peu courbaturé. 

Michel ne va pas bien; M. De H. doit continuer à garder la chambre. 

C'est donc bien l’état sanitaire général qui laisse à désirer, et il est à penser que nous subissons tous 
l'influence d’une même cause déprimante. Il n’est pas impossible que cette cause ait son origine dans la quantité 
d'électricité qui se forme et se dégage chaque jour en cette saison, formation exagérée par la grande hygromé- 
tricité de l'air; personnellement, je ne crois pas fort à l'importance du «microbe » dans ces accès de fièvre qui 


one 


vous prennent et vous lächent de la façon la plus irrégulière, la plus inattendue ; je crois que souvent la fièvre — 
j'entends par là ce qu'on appelle communément de ce nom — est une sorte de déséquilibre, provoqué par une 
modification dans le mouvement du sang : nous sommes un foyer de chaleur, done de mouvement, et si — pour 
une raison quelconque — le mouvement circulatoire normal se modifie, tout se modifie en nous; c’est-à-dire 
que nous nous trouvons en état de déséquilibre mécanique pour un temps plus ou moins long; la seule chose à 
faire alors, à mon sens, est de ne pas entraver l’action de la nature, et de se contenter de se coucher et de se faire 
transpirer, en ne craignant pas de se soumettre de suite à la diète absolue; quant aux médicaments, je tiens 
qu'ils gènent beaucoup plus souvent qu'ils n’aident. 


Retour des pirogues parties le 10 novembre dernier pour le sud du lac; elles ont donc mis deux jours de 
moins que le schooner, pour faire le trajet aller et retour ; l’une des pirogues a été renversée par un hippopotame, 
mais toutes les charges ont pu être repèchcées. 

Comme hier, de nouvelles nuées de « koungou » s'aperçoivent à l'horizon du lac. J'apprends que le noir, 
qui est décidément un être pratique, se fait de l’éphémère « koungou » un régal culinaire. 

Il étend de grandes nattes contre lesquelles les « koungou » viennent s’écraser ; on les ramasse alors pour en 
confectionner, avec de l'huile, des gâteaux que l’on passe au feu, et qui servent d’assaisonnement aux vastes 
écuelles de pâtés de maïs, de sorgho et de manioc. 

Vraiment on est tenté de dire : « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. » 

Vers 15 et 16 heures, tonnerre éloigné. A 17 heures, violent orage, venant du sud=sud-est, et donnant 
aux pluviomètres 40,5 millimètres d'eau. 

Durée d'insolation : 7,75. 

Maxima diurne : 28°,9, 

Nous pouvons prendre une observation complète (la lune et 11 étoiles). 


Lundi, 21 novembre 1898. 


Minima nocturne : 19°,5. 

La nuit à été meilleure pour moi; Michel va couçi couça, souffrant d'une toux nerveuse. 

M. de H. malade, au lit. 

Dans la matinée, on nous apporte un animal que nous voyons pour la première fois; &’est l’'oryetérope du 
Cap, appelé au Transvaal et dans le Sud-africain «cochon de terre ». 

Ce mammifère est une rareté dans le Congo central et, plus généralement, dans l'Afrique intertropicale. 

Au temps de Buffon, on le regardait comme un animal fabuleux; le grand naturaliste contestait même la 
description qu’en avait donnée Kolbe, au commencement du siècle dernier, description qui était pourtant 
complète. 

Lorsque le géologue Cornet signala loryetérope au Ka-Tanga, ses dires ne rencontrèrent qu'une maigre 
‘créance. 

Or Cornet était dans le vrai, ainsi qu'en fait foi l’exemplaire que Michel mit en peau au Moéro, et qui 
peut être vu au Musée de Tervueren; c'était un spécimen tout jeune (deux mois, disaient les indigènes qui 
l’apportèrent) ; il n'avait pas de dents; son allure générale était celle d’un cochon; quatre doigts avec griffes 
énormes aux membres de devant, cinq idem à ceux de derrière; longues oreilles; tête en museau; longue 
langue en bourrelet; queue grosse, ronde et longue se terminant en pointe. (Voir la planche en couleurs.) 

Plus tard, à Lofoï, un second spécimen plus grand fut mis en peau, qui peut aussi être vu à Tervueren. 

L'oryetérope peut atteindre la taille d’un bon cochon; il se terre profondément dans des retraites qu'il 
creuse lui-même; on ne le voit jamais, à moins que de rester de longues heures à l’affüt; les indigènes le 
prennent au piège, au moyen d'énormes lacets tendus à l’entrée des terriers. 


— 129 — 


Avec un autre fourmilier, — celui-ci bien connu dans tout le Congo, — et qui n’est autre que le pangolin 
(Manis temmincki), l'oryctérope vit presque exclusivement de fourmis blanches. 

Et ce misérable infiniment petit qu'est le termite a une importance si considérable dans l’économie des 
régions tropicales, qu'il pourrait avoir provoqué l’évolution de certains types spéciaux d'oiseaux et de 
mammifères. Parmi ces derniers, on peut signaler l’oryctérope et le pangolin. 

Ce point me sembie digne de l’attention des spécialistes. 


Changé les feuilles des enregistreurs. 

Le diagramme de la marée barométrique continue à être régulier dans son allure générale; à remarquer 
que, certains jours, — qui sont précisément les jours de manifestations électriques violentes — la pureté du 
tracé est modifiée par une sorte de tremblé que nous avons déjà signale. 

La température moyenne pour la semaine écoulée a été d'environ 2%, chiffre qui avait caractérisé aussi la 
semaine précédente. 


Durée d’insolation : 4,95. 

Maxima diurne : 259,7. 

Pris une observation d'heure et de culmination lunaire; calculé l'observation avant de me mettre 
au lit. 


Mardi, 22 novembre 1898. 


Minima nocturne : 189,5. 

De 5 à 7 heures, tonnerre éloigné. 

Je me lève la tête lourde du travail d'hier soir. 
Durée d’insolation : 4,10. 

Maxima diurne : 260,2. 

>onne observation de culmination lunaire. 


Mercredi, 23 novembre 1898. 


Minima nocturne : 18°. 

Vers 6 heures, violente pluie d'orage jusqu'à 7 h. 30 m.; forts coups de tonnerre éclatant sur nous. 

Jai eu une nuit satisfaisante. Michel est toujours hors de son assiette, mais ne cesse pas un instant son 
travail. 

Effectué les calculs de l’observation d'hier. 

Expédié cinq pirogues vers le poste de Dardenne. 

Vers 12 et 16 heures, tonnerre lointain. 

De l’ouest sud-ouest, arrivent des bandes de sauterelles; l'air en est criblé; la nécessité de voler long- 
temps au-dessus du lac fait que les acridiens, fatigués, s’abattent dès la rive même du lac; sous leur nombre 
terrifiant, sombre tout ce qui est verdure. 


Durée d'insolation : 2,95. 

Maxima diurne : 25°,8. 

Quoique l'observation de nuit soit génée par les nuages, nous pouvons prendre une observation d'heure 
ct de culmination complète (lune et 22 étoiles). 


— 150 — 


Jeudi, 24 novembre 1898. 


Minima nocturne : 18°,9. 

Ma nuit a été assez bonne; Michel, toussant toujours beaucoup, a fort mal dormi. 

Constatation désagréable de l'existence des djiques, que nous n’avions pas encore vues depuis notre arrivée 
au Congo. 

Nouvelles bandes de sauterelles rejoignant celles d'hier qui sont restées stationnaires dans la plaine, au 
nord du Moéro. 

Calcul de l’observation d'hier. 


Vers 13 heures, 15 h. 30 m. et 18 heures, tonnerre lointain. 
Durée d'insolation : 6,80. 

Maxima diurne : 28°,9. 

Observation de eulmination lunaire, par un ciel très nuageux. 


Vendredi, 25 novembre 1898. 


Minima nocturne : 199,4. 

Bien dormi. Michel va mieux. 

Encore des sauterelles arrivant pressées du sud-ouest et s’abattant dans la plaine nord Moéro, où sont 
toujours celles qui les y ont précédées hier et avant-hier; bientôt toutes les bandes se lèvent ensemble et 
disparaissent vers l’ouest en un redoutable nuage roux. 

Dans quelques jours je recevrai de Dardenne une lettre datée précisément d'aujourd'hui, 25 novembre, 
disant : « J'ai assisté la semaine dernière au passage de nombreux vols de sauterelles se dirigeant vers le nord ; 
il ne s’est guère passé de journée qu'il n’en arrivät, toujours avec ie même bruit. » 

Il semble bien que ce soit les vols du sud du lac qui arrivèrent à Mpwéto les 93, 24 et 25 novembre; 
d’après la lettre de Dardenne, ces bandes auraient mis une semaine pour arriver de Ka-Béça à M'pwéto; cela 
donnerait un déplacement de 25 à 30 kilomètres par Jour. 


Pris pour la quatrième fois la différence d'altitude entre le niveau du lac et la chambre du baromètre. 


Durée d’insolation : 1,50. Vraiment, on n'est pas gâté par le soleil en toute cette période marquée par 
un état sanitaire plutôt inférieur. 

Maxima diurne : 26°,6. 

Observation de nuit impossible; ciel chargé de mammato-cumulus d’un effet des plus pittoresque, mais 
désastreux pour l’astronome. 


Samedi, 26 novembre 1898. 


Minima nocturne : 19°,1. 

La nuit a été bonne pour Michel et pour moi. M. De H. m'apprend qu'il est atteint du ver solitaire. 

Vers 6 et 11 heures, tonnerre lointain. 

Achevé la mise au net des observations astronomiques, magnétiques et altimétriques pour la section 
Moliro-Mpwéto. 

Reçu un courrier d'Europe arrivé via le Nyassa. 

Des noirs apportent un petit échassier blanc à huppe jaunâtre, ressemblant fort à un « grèbe »; c’est 
l’ardeola ralloides. 

Durée d’insolation : 2 heures. 

Maxima diurne : 26°. 

Observation de nuit impossible; nébulosité : 10. 


ip 


Dimanche 27 novembre 1898. 
a — 


Minima nocturne : 19°,5. 

Passé une bonne nuit. 

Nouvelle constatation bien agréable : des puces ont envahi notre logement, apportées sans doute par notre 
chienne « Gipsy », qui, outre sa mignonne personne, à la mauvaise habitude d'introduire ici ses amoureux, 
au grand désespoir de Michel, qui ne parvient pas à porter remède à la situation; à diverses reprises nous lui 
avons conseillé de culotter « Gipsy », mais notre ami a l’âme trop sensible, et quand il a une bonne fois 
sermonné la petite friponne, il la laisse de nouveau se livrer à tous les débordements d’une nature aussi 
expansive que réceptrice. 

Mais ceci nous éloigne tant soit peu de choses sérieuses; et les puces qui commencent à nous harceler 
sont, croyez bien, chose grave; elles et les moustiques, et autres maringouins et sanguinaires bestioles, toujours 
assoiflées, ont la partie belle durant la nuit, car, à tout moment, on se trouve découvert. Aussi quelles 
démangeaisons avec écorchures consécutives! Le diable, c’est que celles-ci pourraient bien tourner à sarnes. 


Une lettre de la mission de Baudouin-Ville au chef de poste de M'pwéto raconte que trois parlementaires 
noirs auraient été envoyés de Ka-Bambaré aux révoltés du Nord; deux auraient été massacrés incontinent, et le 
troisième, seul, renvoyé, après avoir subi d’atroces mutilations (mains, oreilles, nez coupés), pour dire que 
tel était le sort réservé aux blanes et à tous ceux qui leur resteraient fidèles. 

Nous apprendrons plus tard qu’il n’y avait rien de vrai dans cette horrible histoire. 

Vraiment, si sur place des racontars aussi épouvantables peuvent déjà prendre naissance et se colporter, 
on comprend de reste combien tout arrive démesurément grossi en Europe. 

Expédié à Moliro six de nos caisses de vivres; remis le même nombre de caisses également à M'pwéto ; 
ces caisses seront tenues eu dépôt jusqu'au 1° juillet 1899, en prévision de larrivée possible d'agents 
envoyés pour remplacer feus MM. De Windt et Caisley. 


Vers 13 heures, tonnerre lointain. 

Durée d’insolation : 0°,80; nébulosité absolue presque toute la journée. 
Maxima diurne : 26°,8. 

Soirée de pluie; observation impossible. 

Dans la nuit, vers 3 heures, tonnerre lointain. 


Lundi, 28 novembre 1898. 


Minima nocturne : 18°,8. 

Les udomètres accusent 3"%,7 pour Ja nuit. 

Michel va couci coucça; il attribue son état de malaise quasi continu aux émanations de formol, savon 
arsénical et autres produits qu’il doit manipuler constamment pour la préparation des collections animales. 

Le bateau de la mission anglaise revient du sud du laë, et repart aujourd’hui encore après avoir repris 
charges. 

Entre autres choses Dardenne nr'écrit cette fois : « Reçu lettres et journaux. Merei de m'avoir envoyé ces 
derniers, car, tu comprends, l’eau du Moéro aidant, je commençais à avoir envie de... les lire! Mais 
maintenant je vais tout à fait bien, et, je ne sais si Je me fais illusion, mais il me semble que j’engraisse. Merci 
de la demi-bouteille d’absinthe et de la demi-qwetch; merci aussi de la caisse de cigares. Imagine-toi que 
moi, qui fume le cigare une fois tous les 32 du mois, il me prenait quelquefois l'envie, le soir, d'en avoir 
un à déguster. 

« Mon boy brülé va beaucoup mieux; il ne se plaint presque plus, et les plaies se cicatrisent lentement. 


— 1 = 


« Toutes les charges sont bien arrivées, et je m’empresse de les faire remiser, car le ciel se couvre et le 
temps paraît devoir devenir diantrement mauvais. 

« Région extrêmement giboveuse : zèbres, antilopes abondent; beaucoup d’hippos aussi. 

« Le pays est fort beau, en s'éloignant dans la brousse à une assez grande distance du poste; c’est absolu- 
ment le paysage romantique, le vieux parc seigneurial abandonné. Sauf pour nous, qui voyons la différence 
d’essences arborescentes si ressemblantes comme forme et comme port général aux arbres d'Europe, on ne se 
croirait pas en Afrique n’étaient, de loin en loin, les euphorbes qui paraissent énormes sur leurs termitières. 

« Le terrain est très plat; vainement ai-je essayé de trouver une éminence pour voir le lac, dont l’approche 
est rendue très dificile par des marigots boueux, où l’on enfonce parfois jusqu’au ventre, en arrière d’une 
galerie d’ambachs masquant le lac. » 


Vers 17 /2 heures, orage lointain. 
Durée d’insolation : 4,75. 

Maxima diurne : 26°. 

Soirée couverte; observation impossible. 


Mardi, 29 novembre 1898. 


Minima nocturne : 18°,2. Les udomètres accusent 4%%,7 d’eau. La nuit a été bonne, malgré les ébats 
joyeux de nos amis rats, et les promenades louches des mille-pattes; le chat qui me tient compagnie n’en prend 
qu'un souci absolument nul. 


Michel va mieux. 


Vers 13 heures, tonnerre lointain. Durée d’insolation : 5,7. 

Maxima diurne : 260,8. 

La soirée se découvre assez pour permettre une observation complète de l'heure par seize étoiles. Malheu- 
reusement, le calcul, que j'effectue avant de me coucher, fait rejeter lobservation pour discordance trop 
marquée entre les résultats obtenus cercle est et cercle ouest; il est possible que le nivellement de l'instrument 
ait laissé à désirer. 


Mercredi, 30 novembre 1898. 


Minima nocturne : 15°,4. 

Je m'étais couché à 1 heure, ennuyé d’avoir dû rejeter l'observation d'hier; la nuit s’en est ressentie. 

L'état de santé de Michel laisse aussi à désirer; depuis tous ces derniers temps, pour une bonne journée 
mon brave compagnon en à deux mauvaises, et néanmoins il travaille tout le temps. 

À 10 heures, les udomètres donnent 2"®,16. 


A 11h. 30 m., important passage d'oies, volant en ordre {riangulaire composé, et venant de l’ouest—sud- 
ouest. 


Le chef de poste me communique une lettre de son chef de zone disant, entre autres choses : « Le 
Ka-Tanga ne saurait fournir 500 porteurs sans faire fuir toute la population en territoire anglais, d'autant que 
lorsque M. Lemaire quittera Lofoï, il faudra lui procurer des porteurs à nouveau. Déjà les indigènes quittent 
le pays en grand nombre. » 

La même note dominante — vrai leit-motiv des réponses qui me sont faites à propos des recrutements — 
continue done, pessimiste. Chose singulière peut-être, je ne m'en alarme pas, et l’avenir se chargera de 
justifier mon optimisme quand même. 


Maxima diurne : 24,9. 


Je puis prendre une bonne observation d'heure par 15 


étoiles; calculs effectués de suite après l’obser- 
Yalion. 


22498. 


Jeudi, 1 décembre 1898. 


Minima nocturne : 187,9. 

Assez bien dormi en compagnie de légions de rats, dévorant de plus belle les cordes en peau dantilope et 
de chèvre dont est tressé le sommier du lit, qu'il faut réparer d'urgence le matin. 

Terminé les croquis cartographiques au millionième (feuilles Delporte) des itinéraires Moliro-étang Souzi 
et Moliro-Mpwéto. 

Copie de ces croquis est envoyée au chef de poste de Moliro avec les résultats d'observations relatifs aux 
points dépendant de ce poste; mêmes documents sont remis au chef de poste de Mpwéto; ces documents 
seront conservés aux archives des postes intéressés; copie en sera envoyée à M'towa, chef-lieu de la zone. 

Retour des pirogues ayant transporté des charges au poste de Dardenne. 

Extrait d'une lettre de notre ami : « C’est dommage que je n'ai pu ajouter le fourmilier (loryctérope, dont 
J'ai parlé précédemment) à ma collection de croquis en couleurs; ici, J'ai exécuté un certain nombre de 
croquis, mais l’occasion me manque de tirer des sujets intéressants; jai, toutefois, deux échassiers assez 
curieux, pour moi bien entendu, qui ne suis pas encore au courant de la faune du Congo. Peut-être ces deux 
spécimens ne valent-ils pas la peine d’un eroquis! En tout cas, je fais tout ce qui me tombe sous le pinceau : 
il sera toujours temps d'éliminer après. Je jouis en ce moment d’un sale temps. 

« Ce matin, une caravane de 140 charges est partie pour Lofoi, » 


Léger incident : Michel s'étant aperçu que sa chienne, plus amoureuse que jamais, était une fois de plus 
filée vers des aventures louches, avait mis ses boys à la recherche de la « Messaline à quatre pattes », en leur 
criant à diverses reprises : Nenda kamala n'boa mwangou na Wachenü! (Allez reprendre mon chien chez les 
Wachenzi !) 

Il faut savoir que ce mot Wachenzi (Ba-Yanxi du Congo central) a été transformé par d’aucuns en une 
véritable injure; le mot signifie dans leur bouche « espèce de sauvage, homme des bois ». 

Michel ne l'avait employé que dans le sens primitif de « indigènes ». 

Or, le chef de poste a cru devoir le prévenir que les soldats se sont réunis pour protester contre le mot 
Wachenz. 

« I] faut faire attention à ces hommes que vous ne connaissez pas, — ajoute M. Chargeois, — il ne leur en 
faudrait pas plus pour se révolter. » 

Il y avait là évidemment une appréhension plus qu'exagérée, mais confirmant l’impression que j'avais déjà 
éprouvée au sujet du mauvais esprit régnant parmi les soldats noirs. 


A 11 h. 30 m., tonnerre lointain; à 15 h. 45 m., même phénomène avec un peu de pluie. 
Durée d’insolation : 6 heures. 
Maxima diurne : 27°,7. 


Vendredi, 2 décembre 1898. 


Vers 5 heures, tonnerre lointain. 

Minima nocturne : 18,8. Assez bonne nuit; comme compagnie, force puces. Et dire qu'on croit que les 
fauves d'Afrique sont grands! 

MM. Michel et De Harinckx préparent six caisses de collections qui seront expédiées par la voie anglaise. 

Quel dommage que nous ne puissions dans ces caisses emballer toute la vermine qui nous incommode ici! 
On voit sauter les djiques partout; deux fois par jour, il faut se faire examiner soigneusement les pieds par 


— 134 — 


les boys; et chaque fois des djiques sont à extraire à fleur de peau; on les surprend qui commencent leur 


méchant travail de pénétration! 
Ce jour, mes boys n’en prennent pas moins de douze; chez moi, ces misérables bestioles produisent des 


effets particulièrement désastreux : il a fallu en extraire une du pied droit, et il s’en est suivi un petit uleère sous 
l'ongle, d’où gonflement des ganglions de laine. 
Je me couche, très bien disposé à une nuit d’embêtements. 


Durée d’insolation : 8',80. 
Maxima diurne : 28°,3. 


Samedi, 3 décembre 1898. 


Ainsi que je m°y attendais, la nuit a été détestable; peu à peu, la jambe droite s’est enflammée, les 
douleurs ganglionnaires sont aiguisées, et me voilà repris d’une inflammation lymphatique dont j'ai été si 
violemment atteint en 1890, à Lou-Koungou, à la suite d’un accident (jambe froissée par la chute d’une 
caisse). 

Avec le jour, ma jambe se montre rouge et gonflée à éclater; elle est brûlante, et c’est à peine si je puis 
supporter qu'on la touche. 

Naturellement, impossible de me lever; la douleur augmente encore et la fièvre ne me quitte pas. 

Et dire que je comptais terminer aujourd'hui et demain un gros courrier pour l’Europe! Quelle méchante 
blague ! 

Le minima nocturne a été de 189,7. 

De 10 heures à 11 h. 30 m., il pleut; les udomètres marquent 4,75. 

Vers 16 heures, tonnerre lointain. 

Durée d’insolation : 11,80. 

Maxima diurne : 230,8. 


Dimanche, 4 décembre 1898. 


Nuit sans sommeil. La jambe est rouge de la cheville jusqu'au genou: le pied reste indemne ainsi — chose 
curieuse — que la région jadis trouée d’une balle et opérée quatre fois; toutefois, le gonflement des tissus fait 
que des tiraillements se produisent à l’adhérence de la cicatrice. 

Le minima de la nuit a été de 189,8. 

Vers 16 heures, tonnerre lointain. 

Durée d'insolation : 61,50. 

Maxima diurne : 279,9. 

La journée a été pour moi une journée de fièvre et de diète absolue comme hier. 


Lundi, 5 décembre 1898. 


Nuit blanche. L'état de ma jambe ne s'aggrave pas. Il est donc probable qu'une amélioration va suivre, et 
que, dans quelque temps, je serai remis. 

Si je n'étais le chef de l'expédition je prendrais sans doute le chemin du retour; cette affection lym- 
phatique de la jambe me met à la merci du moindre accident au pied; comme chef de bande, je ne puis, 
naturellement, songer à rentrer, à supposer toutefois que pareille idée puisse me venir, quelles que soient les 
circonstances. 

Minima nocturne : 199,1. 

Vers 6 heures, tonnerre lointain. 


see 


Changé les feuilles des enregistreurs; à remarquer un relèvement de 1 1/, millimètre dans la pression 
barométrique ; la moyenne thermométrique n’a été que de 22°,4. 

Passage de sauterelles venant de l'est. 

Fermé six caisses de collections adressées à Bruxelles et qui partiront demain par le bateau de Ki-Engué, 
revenu du sud du lac et rejoignant son port d’attache. 

Parmi ces objets de collection, signalons un échantillon de sel recueilli aux salines 
de Ka-Sama, un estagnon renfermant des crabes du lac Moéro, un échantillon de pierre 
à chaux, une caisse de tabac indigène, un masque de danseur de l'Uu-Roua, etc. En plus, 
trente clichés photographiques dont une demi-douzaine ne se sont plus retrouvés à 
Bruxelles. 

Le masque de danse dont je viens de parler représente une tête d’éléphant; elle 
est sculptée dans un bois très léger; le long de la trompe un jone creux est disposé, 
qui permet au danseur de boire par la dite trompe, ce qui amuse fort tout le 
monde. Ce masque est visible à Tervueren, ainsi qu'un autre simulant une tête de 
bufile. 

Une lettre privée d’Albert-Ville (Mtowa) annonce qu'un détachement de soldats de 
l'Etat a été surpris et massacré par les révoltés, sur la route de Ka-Bambaré. On va 
jusqu’à penser qu'une partie des rebelles du nord pourraient bien descendre vers le sud 
et essayer d'enlever Moliro, Mpwéto et Lofoi, postes vraisemblablement incapables d’une 
défense sérieuse. 


A la grâce de sainte Barbe, ma patronne! 


Dans l'après-midi, il me semble que les douleurs ganglionnaires ont diminué ; 
l’inflammation générale de la jambe parait aussi tendre à diminution; les reins 
restent douloureux, les urines très chargées. Toutefois, j'ai pu rester levé de 


Masque de danse de l’Ou-Roua, 8 à À8 heures 


simulant une tête d’éléphant. 


Essayé de manger; tout me dégoûte. 


Vers 13 heures, coups de tonnerre rapprochés et un peu de pluie (au 16 aux udomètres). 
Durée d’insolation : 38,40. 

Maxima diurne : 27,4. 

Je me couche avec la sensation que je vais aller mieux. 


Mardi, 6 décembre 1898. 


Dormi quelques heures d’un sommeil fiévreux; cauchemars indécis, sueurs. La jambe me fait un peu 
moins mal, bien que l’ulcère du petit doigt de pied ait empiré, et se soit étendu sous l’ongle, lequel tombera 
probablement. 

Minima nocture : 160,8. 

Mon brave Michel m'aide avec le plus grand dévouement; grâce à lui, le bateau de Ki-Engué pourra 
emporter nos six caisses de collections. 

Passage de sauterelles venant de l’est, se posant sur les hauteurs qui bordent la rive occidentale du lac, 
où elles retrouvent les bandes arrivées hier; bientôt elles repartent toutes ensemble vers l’ouest. 

Vers 13 heures, tonnerre lointain. 

Durée d’insolation : 10 heures. 

Maxima diurne : 28°,6. 


— 1356 — 


Mercredi, 7? décembre 1898. 


Insomnie complète. Appétit capricieux. 

Minima nocturne : 18°,9. 

Une lettre du chef des zones Tanganika=—Ka-Tanga me fait connaître qu'il met à ma disposition le sous- 
lieutenant Fromont, un brave et courageux soldat, qui prendra dans notre groupe la place délaissée par 
M. Maffei 

La barque de la mission de Loanza est de retour du poste de Dardenne. 

Vers 10 t/, heures, tonnerre lointain. 

Passage de sauterelles venant du sud-ouest. 

A propos de ces acridiens, le sous-lieutenant Fromont me fournit d’intéressants renseignements 
complétant nos propres observations : à Moliro, en février, novembre et décembre 1896, de nombreux 
passages de sauterelles furent observés : les vols venaient du nord, s’'abattaient dans la baie de Moliro, y 
ravageaient les cultures et la brousse, puis repartaient vers le sud. 

Cette direction nord-sud était vraisemblablement provoquée par la forme du Tanganika, très allongé du 
nord au sud, et trop large, peut-être, pour être traversé par les sauterelles. 

En 1896-1897, les passages à M'pwéto (lac Moéro) furent peu conséquents et ne durèrent que quinze 
jours. 

Dans la dernière moitié de décembre 1897, M. Fromont constata deux passages venant du sud-sud- 
ouest. 

D’après M. Johnstone (agent de la Compagnie des lacs à Ki-Engué), de nombreux et importants vols de 
locusts se produ's‘rent chez lui en 1896, ravageant les cultures, au grand dam des indigènes, lesquels, l’année 
suivante, doublèrent l'étendue de leurs champs de graines. 

1897 fut indemne de sauterelles; les greniers regorgèrent de provisions, et le plus clair résultat en fut que 
les indigènes purent fabriquer tant de pombé qu'ils furent saoûls six mois d’aftilée. 

Maintenant, quels sont les ravages à reprocher iei au n’xikés? 

Il me semble qu'ils sont, et resteront longtemps encore, loin d'atteindre ceux du Pachytylus migratorioides 
{auxquels on devrait bien livrer celui qui forgea un tel vocable!) du nord de l'Afrique. 

D'abord, l’indigène ne m'a pas paru s’en soucier énormément. 

Peut-être, toutefois, cette insouciance est-elle due à la date relativement récente des invasions de sauterelles 
dans le centre africain. 

En effet, c’est, autant que je puis trouver, seulement vers 1893 qu’apparurent les premiers grands vols de 
sauterelles, dont les passages annuels semblent être irréguliers. 

Mais un point semble acquis, réduisant l’importance du fléau : c’est que ni le manioc, ni la pomme de terre 
douce, ni le sorgho ne sont sérieusement attaqués par les sauterelles. 

Dans les cultures de Moliro, ce furent surtout le maïs et les haricots qui furent dévorés, et de ceux-ci il ne 
demeura rien. 

A Mpwéto, — où je notais tout ceci — des bandes s’abattirent dans les champs de manioc et y séjournèrent : 
le manioc demeura intact. 

Quant aux plantations des indigènes, elles ne sont pas plus spécialement recherchées par les sauterelles, 
pour deux raisons : d’abord, elles seraient loin de suftire à la voracité de l'ennemi; ensuite, elles se confondent 
suffisamment avec la brousse qui les entoure pour que les sauterelles ne les distinguent pas facilement; il y a là 
une sorte de mimétisme végétal. 

Naturellement, les bandes peuvent s’abattre sur les points cultivés comme sur tout autre point; mais, si la 
chose arrive avant la tombée du jour, il suflit aux moricaux de tout äge et de tout sexe de battre leurs champs 
à l’aide de longues branches, et de produire le plus de bruit possible, par cris, hurlements, tambourinades, ete., 
pour faire lever les bandes qui reprennent leur vol et vont s’abattre plus loin, dans la brousse. 

Entre-temps, les gens ont eu soin de faire d’amples provisions de la bête qui — je l’ai dit, je crois, 
précédemment, — constitue pour leurs palais une friandise de choix. 

Et le noir n’est pas le seul ennemi du eriquet adulte. 

La gent ailée en fait une consommation considérable: non seulement les oiseaux insectivores, mais les 


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rapaces s’en donnent à bec joie. La grue couronnée se fait remarquer comme destructrice des sauterelles par 
absorption stomacale. 

Et il y a lieu d’observer que la grue couronnée se domestique aisément. 

Il serait difficile de trouver un meilleur hôte pour les jardins : outre sa beauté si remarquable, animal ne 
demande pour sa nourriture qu'une poignée de graines, et il passe son temps à la recherche des insectes, vers el 
larves; et, bien que sa taille puisse faire redouter ses promenades au travers des parcs, il est remarquable qu'il 
s’y meut avec une délicatesse parfaite, n’écrasant aucune plante tout en les débarrassant de leurs parasites. Ce 
serait done un animal à domestiquer dans les stations africaines. Outre ses ennemis vivants, la sauterelle à à 
redouter encore les pluies violentes des régions intertropicales, qui tuent l’animal adulte et noient ses œufs. 

Enfin, les grands feux d'herbes contribuent encore à leur destruction. 

Au total, si les passages des sauterelles dans l’État indépendant du Congo ne doivent pas être sans provoquer 
des appréhensions et des mesures de protection, il semble qu'il ne faille pas s’en alarmer outre mesure, et que 
Jamais le fléau n’atteindra ici les redoutables proportions qu'il a acquises dans le nord de l’Afrique, en Algérie, 
dans le Soudan égyptien, et qui en ont fait une cause de ruines effrayantes. 

Nous recueillimes et expédiàmes de nombreux spécimens de n’zikés. Us semblent être le criquet algérien 
dont j'ai donné une fois — et c’est assez — le méchant nom scientifique 


Abattu aujourd’hui un nombre considérable d’écrilures officielles, fait expédier à Mtowa une partie des 
outils de feu M. Caisley. 

Le bateau de la mission de Loanza arrive du sud, apportant des nouvelles assez pessimistes quant aux 
recrutements de porteurs nécessaires pour venir prendre nos charges au sud du Moro. 


Les lettres du chef de la zone Ka-Tanga disent : 


« C’est la saison des semailles, et il est fort à craindre que nous aurons des difficultés. » (17 novembre 1898.) 


« Nous avons eu beaucoup de peine à recruter le premier convoi de 129 porteurs; aussi il serait bon de 
les payer en très bon tissu. » (21 novembre.) 


« Jusqu'à présent 220 porteurs sont partis d'ici. J’attendrai leur retour pour en envoyer d’autres: il me 
sera impossible d’en envoyer encore plus de 200. Limitez l’envoi ou recrutez le restant au Moéro, comme vous 
le croyez bon; j'ai fait tout mon possible; agir encore serait provoquer la déroute. » (24 novembre.) 


Ces extraits maintenaient persistante la note de la dificulté très sérieuse des recrutements, et cela ne 
répondait pas du tout à ce qu'on était en droit d'attendre du pays d’après les rapports et descriptions auxquels 
il avait donné lieu. 

M. Verdick me suggérait l’idée de limiter nos envois; il oubliait évidemment que nous n'avions pas les 
moyens de sacrifier ainsi quoi que ce fût de nos approvisionnnements. 

Heureusement, toutes nos charges devaient arriver aisément, et tout notre voyage devait s'accomplir dans 
la suite sans qu'une seule charge fût perdue ou abandonnée. 

La vérité fut que nous eûmes toujours trop de porteurs, et qu'il arriva que des chefs vinrent nous trouver 
sur la route pour nous en offrir. 


Durée d’insolation : 6,75. Maxima diurne : 25°,8. 
Passé une bonne nuit. Ma jambe s'améliore très sensiblement. 


Us ee 


Jeudi, 8 décembre 1898. 


Minima nocturne : 20°,7. 

J'ai repris de plus belle la besogne d’écritures. 

A midi et demi, menaces de tornade venant de l’est; roulements de tonnerre assourdis. 

A 12 h. 40 m., les roulements « absolument continus », sans une seconde d'interruption, rappellent à 
plaisir le tonnerre en zinc des théâtres vieux jeu. À 12 h. 45 m., forte pluie entremêlée d’abondants grélons dont 
d’aueuns ont un centimètre et plus de diamètre; cela dure jusqu’à 13 heures; les udomètres accusent 19"",50. 

Le barographe monte de 1 {/, millimètre pour redescendre de 1"%",8 en quelques minutes; le.thermo- 
graphe est tombé brusquement de 27,5 à 21°,8, puis est remonté à 22,5. 

Cette chute de grélons n'avait pas la violence des nôtres, et nos instruments de plein air sortent 
heureusement indemnes de l’aventure. 

Les noirs assurent que la grêle (n'gouba, comme ils disent) — dont la formation est toujours accompagnce 
de phénomènes électriques se manifestant par des roulements ininterrompus de très longue durée — est 
fréquente, et que sa violence peut tuer les hommes surpris dans la brousse. 

Il me semble que mes interlocuteurs confondent les effets du molavio (tonnerre) avec ceux de la grêle. 

Depuis trois ans qu'il est à Mpwéto, M. Fromont a vu de la grêle une seule fois, en décembre 1897. 

M. le lieutenant Chargeois et M. De H. ont eu de la grêle deux fois, au nord du Tanganika. 

Travaillé jusqu'à la nuit noire à la rédaction du courrier pour l'Europe. 


9h 


Durée d’insolation : 3°,50. 
Maxima diurne : 26°. 


Vendredi, 9 décembre 1898. 


Minima nocturne : 17,7. 

La nuit a été assez convenable; continuation du mieux de la jambe; toutefois je ne puis encore supporter 
la position verticale. 

Rédigé trois notes relatives : au tréfilage du cuivre rouge à Moliro; aux hauts-fourneaux entre le sud du 
Tanganika et le nord du Moéro ; enfin, à la vallée de la Lou-Fonzo. 

Michel doit se coucher, l'estomac dérangé. 

Reçu la visite de M. Johnstone, de Ki-Engué, apportant 22 ballots de calicot et 2 sacs de riz du pays. 

M. Johnstone est arrivé en compagnie d’un missionnaire anglais de Loanza; au cours de nos conver- 
sations, ce dernier tend à rapporter divers racontars concernant les faits et gestes des agents de l'État; son 
compagnon lui coupe chaque fois la parole, en lui répondant : « Ce sont des choses que vous n’avez 
qu'entendu dire! » 

Je signale à ce propos, une fois de plus, cette tendance à propager et à exagcrer certains racontars. 


Durée d’insolation : 51,50. 
Maxima diurne : 27,9. 


Samedi, 10 décembre 1898. 


Minima nocturne : 15°,9. 

Passé une bonne nuit. Michel va mieux. 

Pleine journée d’écritures. 

De 13 1}, à 15 !/, heures, tonnerre, d’abord éloigné, puis se rapprochant. À 15 h. 45 m., tornade venant 
du nord, accompagnée de pluie légère et ne durant que quelques minutes. 


Durée d’insolation : 5,70. 
Maxima diurne : 28,5. 


— 139 — 


Dimanche, 11 décembre 1898. 


Minima nocturne : 17°,9. 

Les udomètres donnent 3 millimètres d’eau. 

Vers D et 7 heures, tonnerre lointain. 

La nuit a été mi-bonne mi-mauvaise. Levé la tête lourde. 

Abattu du courrier ofhciel. Rédigé de nouvelles notes traitant des produits : de culture des indigènes: de 
leurs produits d'élevage; des produits utilisables de la brousse; des sauterelles ; de l'élevage du gros et petit 
bétail et des produits de basse-cour dans les stations européennes; des sensations thermiques, etc. 


Durée d’insolation : 21,95. 
Maxima diurne : 26°,6. 


Lundi, 12 décembre 1898. 


Minima nocturne : 19°4. 

La nuit a été bonne; levé bien reposé; la jambe continue à se remettre. 

Changé les feuilles des enregistreurs : régularité ordinaire du diagramme de la pression atmosphérique 
avec le tremblé — déjà signalé — correspondant aux phénomènes électriques ; l’augmentation de pression qui 
avait caractérisé la semaine dernière ne s’est pas maintenue. 

La moyenne thermométrique à été de 23”. 


Durée d’insolation : 2: 50. 
Maxima diurne : 26°. 


Mardi, 143 décembre 1898. 


Minima nocturne : 189,7. 

Je me suis levé avec de sourdes douleurs d'oreille, analogues à la douleur produite par les oreillons. 

Je sais ce que c’est : il s’agit d’un arrêt de l'écoulement normal du cérumen. J'avais souffert du même 
inconvénient lors de mon premier séjour en Afrique, et tenais de M. Hoste, l'excellent missionnaire 
américain de Lou-Koungou, le remède facile et sûr auquel je recours immédiatement; il consiste à verser dans 
l'oreille de l'huile d'olive ou d’arachide, ou de la glycérine, chauffée, à la flamme d’une bougie, dans une petite 
cuillère; après quoi on procède à des injections d’eau tiède savonnée; ce traitement a pour effet de dégager le 
tampon de cérumen solidifié, dont la présence provoque les douleurs; celles-ci cessent comme par enchan- 
tement. 

Reçu un courrier d'Europe arrivé par la voie anglaise; j'y trouve l’annonce de l'envoi de deux pirogues 
démontables en aluminium, ainsi que de Mausers avec munitions pour les Européens de notre mission; ce 
matériel n’était pas prêt au moment où nous avions quitté l’Europe. 

Du sud arrive un courrier d'intérieur avee une lettre du capitaine Verdick, me faisant connaître que les 
indigènes sont très contents de leur payement; il pourra recruter 550 hommes, mais pas plus, car « l’indigène 
n'ayant jamais porté ne s’y prête pas volontiers. Comment, ajoute-t-il, je réussirai à faire apporter notre 
ravitaillement qui suivra, je me le demande ». 

De nouveau, je dois redire qu'aucune de ces continuelles appréhensions au sujet du portage ne devait se 
réaliser, et que nos recrutements de porteurs se firent constamment sans autre difliculté que d'envoyer quelques 
nyamparas les demander aux différents chefs de villages. Non seulement le capitaine Verdick put faire chercher 
son propre ravitaillement, mais il obtint que ces hommes iraient chercher ce ravitaillement au sud du Tanganika : 
et, dans la suite, il put enrôler des hommes qui accompagnèrent le major Gibbons jusqu'au Nil. Qu'on 
se rappelle, d’ailleurs, que nous avons trouvé à Blantyre, dans le Nyassaland, une cinquantaine de noirs venus 
de près de Lofoï, avec le missionnaire anglais Campbell. 


D 


En ce qui nous concerne, je me contentai d'écrire à M. Verdick : 


« La seule chose que je puisse faire pour faciliter votre tâche de recrutement est de vous autoriser 
à augmenter le payement. Vous demandez que les hommes soient payés en bonnes étoffes; ainsi que je vous 
l'ai déjà écrit, je n’ai commandé comme articles d'échanges que des articles demandés par feu M. Brasseur, votre 
ancien chef, pour le deuxième semestre 1897. C’est avec son état de besoins que j'ai établi mes approvisionne- 


ments. 


« Je pense que ce que j'ai de meilleur est le check S. A. W. (Société anonyme de Waerschot), dont vous 
voudrez bien prendre, avant mon arrivée, de quoi payer les porteurs. 
« Si la ration de perles que leur aura donnée M. Dardenne à Ka-Béça n’est pas suflisante, veuillez bien aussi 


SELLES 
PANSEUR A CRILONEA 
nome LPADE LA 


Danse du soir au village Ka-Béea (sud du lac Moéro). 


dédommager les hommes en la complétant en 
même temps que vous ferez le payement; ouvrez 
pour cela autant de caisses qu'il le faudra. 

« Enfin, si les hommes étaient déjà payés, 
mais s'en étaient retournés mécontents chez 
eux, voyez à faire le nécessaire pour leur donner 
l’augmentation de payement que je prévois 
ci-dessus. 

« Je désire, aussi vivement que possible, 
que notre passage ne cause ni troubles ni difli- 
cultés. Je voudrais ne pas devoir tirer une seule 
cartouche, convaincu qu'une caisse de perles 
fait plus — presque toujours — que dix caisses 
de plomb. » 


De son côté, Dardenne m'’éerit : 

« Je travaille le plus que je puis; j'ai même 
commencé une étude curieuse : des dessins 
représentant les différentes danses que j'ai eu 
l'occasion de voir jusqu'ici; la chorégraphie 
nègre, quoi! 


« A part la présence d’une collection intéressante de vers intestinaux, société dont je me serais volontiers 


passé, je vais toujours fort bien. » 


Au reçu de cette lettre, je fais expédier à notre ami un flacon de formol, afin d'y conserver sa « collection 
intéressante », Ne sommes-nous pas ici pour recueillir tous les documents possibles! 


as 


Durée d’insolation : 9,55. 
Maxima diurne : 28,8. 


Mercredi, 14 décembre 1898. 


Minima diurne : 19,7. La nuit a été bonne. 


Les abords de la station sont sous sauterelles, se levant et se remettant sur place; c’est peut-être une 


avant-garde arrivée du nord. 


Le bateau de Ki-Engué nous revient pour effectuer un dernier transport de nos charges vers le sud du lac. 

J'avais compté que nous pourrions partir le 15 décembre pour Lofoi; des retards dans le mouvement des 
barques chargées d’évacuer de Mpwéto tous nos approvisionnements, reculent notre départ; de ce chef, nous 
devrons prendre une ou deux dernières observations d'heure avant de quitter Mpwéto. 


J'écris à M. Crawford pour avoir une fois encore sa barque. 


— 141 — 

Demandé à M. Chargeois de réunir les cent porteurs qu'il nous faudra pour nous mettre en route par terre 
vers le sud. 

Expédié le courrier pour l'Europe à la factorerie de Ki-Engué, qui se charge de le faire parvenir au bureau 
de poste anglais de Ka-Longozi. 

Vers midi tonnerre lointain. Vers 16 heures même phénomène, puis menace d'orage venant du sud 
mais n’arrivant pas sur nous. 

Durée d’insolation : 6,8. 

Maxima diurne : 29°,1. 


Jeudi, 145 décembre 1898. 


Minima nocturne : 19,2. 

Passé une nuit assez convenable; malheureusement, trop souvent coupée de réveils. 

A T {/}, heures, arrivée de M. Johnstone {de Ki-Engué), se rendant à la mission de Loanza pour y passer 
quatre jours de villégiature; il a rencontré en route le courrier que j'avais expédié hier, et l’a ramené 
avec lui; il le reprendra à son retour de Loanza. 

Démonté le baromètre à mercure, qui partira aujourd'hui pour le sud du lac avec les trois caisses 
du cercle méridien; nous travaillerons en route par le théodolite et le magnétomètre Delporte. 

Colonnes de mouches kown’qou à l'horizon du lac. 

Le banc de sauterelles signalé hier est toujours ici, voletant sur place. 

Michel à vainement essayé d’en prendre un instantané. 

Vers 13 heures, tonnerre lointain. Vers 14 h. 15 m., tornade sèche ne durant qu'une dizaine de minutes. 
Vers 16 heures, tonnerre lointain. 

Durée d’insolation : 4,70. 

Maxima diurne : 28°,4. 

Soirée couverte; impossible de prendre l'heure. 

J'ai eu un peu de fièvre dans la journée. 


Vendredi, 16 décembre 1898. 


Minima nocturne : 19,6. La nuit a été meilleure. 

Cinquante porteurs arrivent aujourd’hui; ils camperont ici, en attendant le moment du départ; ils seront 
payés à raison de 10 perles de ration hebdomadaire et de 1 ‘/, brasse d’étoffe pour sept Jours, qu'on marche 
ou non. [ls consentent à nous accompagner jusqu’à Lofoï. 

Établi pour envoi à Boma la copie des feuilles LVII et LXVI du tableau d'assemblage de Delporte. Je n'ose 
envoyer par Boma les registres des diverses observations effectuées à ce jour; la route barrée entre Mtowa et 
Ka-Bambaré offre autant, et peut-être plus de sujets d'alarme, que la conservation des documents par devers 
nous; c’est pourquoi j'ai choisi la voie anglaise pour l’expédition de la copie de ces registres; les originaux 
resteront avec nous; j'ai conditionné le courrier ainsi expédié via le Nyassa-Zambèze, de telle façon qu'il ne 
peut manquer d'arriver en bon état; c’est ce qui se produisit. 


A 15 h. 40 m., les udomètres accusent 16 millimètres d’eau. 

Durée d’insolation : 21,70. 

Maxima diurne : 24°,5. 

Au lieu d’assister au repas du soir, Michel préfère se coucher, se sentant mal à l'aise. 

De mon côté, je suis encore impotent, l’ongle du petit doigt de pied n'étant pas encore tombé. 
Soirée entièrement couverte. 


Samedi, 47 décembre 1898. 


Éveillé à 3 heures, pris d’éternuements qui perdurent pendant trois quarts d'heure. En Europe, on se 
dirait atteint d’influenza 

Michel a passé une très mauvaise nuit; ce matin, notre camarade est absolument réduit. 

Minima nocturne : 17°,7 (ce chiffre n’est pas assuré). 

45 porteurs viennent se joindre aux 50 arrivés hier; il m'en faudra en tout 110, parce qu'il y a assez bien 
de demi-porteurs dans les contingents réunis. 

Le recrutement se fait très aisément. 

A 16 h. 30 m., quelques gouttes de pluie. 


Durée d’insolation : à heures. 
Maxima diurne : 27°,9. 


Dimanche, 18 décembre 1898. 
me 


Minima nocturne : 18°,6. La nuit a été bonne. 

Quoique n'étant pas remis, Michel va mieux. 

L'occasion m'est donnée aujourd'hui de constater l’existence, à la rive du Moéro, de l'Abrus precatorius 
et d’un hibiscus, dont l’indigène tire des cordes excellentes, surtout pour la confection des filets de pêche; cet 
hibiseus est appelé « Ka-boko ». 

Dans la matinée arrive, venant de Lofoi, une caravane de 59 hommes, apportant des charges diverses 
expédiées par M. Verdick, 

Je m’arrange immédiatement avec ces gens pour les garder ici jusqu'à notre prochain départ vers Lofoi, 
où eux-mêmes doivent retourner; de cette façon, je vais pouvoir licencier une partie des 93 noirs déjà réunis 
par M'pwéto. 

D'autre part, M. Verdick nr'écrit qu'il a expédié à Dardenne 550 porteurs, et qu'il en enverra encore 50. 

De sorte qu'après les appréhensions qu'avaient provoquées nos recrutements, voiel que nous en obtenons 
plus que trop. C’est évidemment une bonne note pour le pays. 

M. Johnstone est de retour de Loanza; pris avec lui divers arrangements relatifs à une commande que 
J'avais faite à sa compagnie, en septembre dernier, au moment de quitter Moliro; M. Johnstone n’enverra, dès 
maintenant, les ballots qu'il à en magasin à Ki-Engué et écrira, pour le surplus, à la factorerie de Ki-Touta; 
quand arriveront les 100 ballots que j'avais demandés à Blantyre, ils entreront dans les magasins de Ki-Touta 
et de Ki-Engué. J'aime à signaler la complaisance avec laquelle les agents de la Compagnie des Lacs se prêtèrent 
toujours pour nous à tous les arrangements possibles: ils firent constamment preuve du meilleur esprit 


commercial. 


De 15 à 16 heures, tonnerre lointain. 

Durée d’insolation : 9,70. 

Maxima diurne : 289,6. 

Dans la soirée, Michel se sent de nouveau abattu. De son côté, M. De H., pris de fièvre, a dû garder la 


chambre toute la journée. 


Lundi, 19 décembre 1898. 


Minima nocturne : 19°,4. Pai eu une bonne nuit. 

Michel, lui, est plus rompu, plus courbaturé encore qu'hier. 

Changé les feuilles des enregistreurs. 

La marée barométrique continue à se montrer régulière, se maintenant entre les mêmes extrêmes depuis 


deux mois. 


Au diagramme de la température, on remarque trois chutes brusques : les mercredi 14, jeudi 15 et vendredi 
16 décembre, chutes provoquées par des tornades sèches. 

Moyenne thermométrique de la semaine : 24". 

Écrit à M. Verdick pour lui annoncer notre prochain départ de Mpwéto et le prier de préparer nos 
logements, ainsi que des matériaux de construction pour nos abris, conformément aux indications que je lui 
fournis. 

Deux nouvelles caisses de collections (n® 8 et 9) sont fermées aujourd’hui; nous y joindrons des échantil- 
lons de bois, que M. Chargeois va réunir. 


Nouvel incident dans notre escorte : trois Likwangoulas (race de lOuèllé) étant de garde, avaient volé des 
bretelles de fusil au magasin attenant au corps de garde, et les avaient vendues à des indigènes du territoire 
anglais; des « Équateurs » s’en étant aperçus, annoncèrent leur intention de n'avertir; de là bagarre, d’où 
deux des Equateurs sortent fort mal en point, ayant reçu sur la tête quelques violents coups de houe. 

Mis les trois voleurs au bloc; ils seront renvoyés demain à Mtowa, d’où ils proviennent; d'ici là, J'aurai 
fait établir les procès-verbaux nécessaires à la comparution devant le conseil de guerre de ces trois malandrins, 
dont MM. Chargcois, Fromont et De H. nous disent qu’on les retrouve dans toutes les échauffourées. 


Vers 14 heures, tonnerre lointain. Vers 15 heures, même phénomène se rapprochant et pluie légère. 

Durée d’insolation : 7 heures. 

Maxima diurne : 28°,5. 

Le théodolite est mis en station inutilement, pas une étoile ne se montrant. 

Dans la journée, le calage zénithal de l'instrument avait été déterminé par visées sur la ligne d'horizon 
du lac. 


Mardi, 20 décembre 1898. 


Minima nocturne : 18°,8. Bonne nuit. Michel va mieux également; toutefois, il reste pris d’une sorte de 
torticolis. 

A 9 heures tout l'horizon du lac est obscurci de nuées de mouches kKou'n’you. À 10 h. 50 m., une de ces 
nuées envahit la station; cette mouche minuscule à le corps entier d’un vert glauque, et de petites ailes 
blanches. De loin, sur l’eau, les nuages ont une teinte brun-gris très marquée. Les nuées vues à 9 heures sont 
maintenant arrivées à la rive nord du lac; d’autres nuées, toujours très denses, ont paru à l'horizon sud. 

Vers 11 h. 15 m., tonnerre lointain. Vers 12 h. 50 m., même phénomène; bientôt les coups de tonnerre 
deviennent plus nets; un orage se prépare au nord=nord-est et arrive sur nous, précédé d’une tornade sèche 
passant en rafales irrégulières qui soulèvent d’épais tourbillons de poussière; l’anémomètre donne, comme 
vitesse du vent, jusqu'à 18,8 kilomètres à l’heure. Bientôt la pluie tombe abondamment; on voit serpenter 
de vastes nappes d’eau qui ondulent en tous sens, telles les gigantesques draperies lumineuses de certaines 
aurores polaires. Coups de vent violents, enlevant des objets assez lourds; un de nos bassins en tôle émaillée 
est emporté comme feuille morte. 

Aux premières gouttes d’eau se mariaient de petits grélons, durant que les roulements discontinus du 
tonnerre menaient la sarabande. L'effet de la tornade sur la pression atmosphérique est de la faire passer de 
680 millimètres (à midi) à 681%",50 (à 13 heures), pour redescendre à 678"",50 (à 15 heures), puis remonter 
et reprendre sa marche régulière; la tornade, pourtant violente, n'avait donc influencé le baromètre que de 
+ 1,50. En revanche, le thermomètre tombe brusquement de 98° 1/, à 19° !/,, soit de 9; nous nous sentons, 


l'A 


d'autre part, saisis par un refroidissement brusque et, une fois de plus, nous constatons que ces chutes 


brusques de température sont désagréables, et tendent à provoquer un état fiévreux; c’est ce qu’éprouvent 
Michel, Fromont, et celui qui rédige ces notes. 

Vers 14 h. 30 m., le tonnerre ne s'entend plus qu’au loin; un peu de pluie continue à tomber. 

Les udomètres ont recueilli 12 millimètres d’eau. 

Durée d’insolation : 5!,80. 

Maxima diurne : 280,5. 


Mercredi, 21 décembre 1898. 


Minima nocturne : 17,92. 

Mauvaise nuit, avec réveils trop fréquents. Je me lève la tête lourde. Michel également est souffrant. 

M. Chargeois achève d'installer, sur la ligne méridienne déterminée par nos observations, une longue 
pierre plate, qui reçoit en son centre une tige verticale formée par un levier en fer, destinée à marquer chaque 
jour le midi vrai; comme nous sommes précisément aujourd'hui au solstice d'hiver, nous réalisons les 
meilleures conditions pour déterminer la longueur d'ombre minima de ce gnomon, ce qui nous fournit un 
intéressant contrôle de la précision avec laquelle la méridienne a été tracée. 

Une caisse d'échantillons de bois (caisse n° 10) est fermée aujourd’hui; elle emportera des échantillons de 
Mninga et de Mparamousi (Sterculia cordifolia ?). 


Vers 16 h. 20 m., quelques gouttes de pluie. 

Durée d’insolation : 2,70. 

Maxima diurne : 27°,5. De tout le jour, la nébulosité n’est pas descendue en-dessous de 8. 
Soirée couverte; observation impossible. 


Jeudi, 22 décembre 1898. 


Minima nocturne : 19. 

La nuit à été un peu plus clémente, Que l’insomnie est done une méchante chose! Michel va beaucoup 
mieux. 

Depuis plusieurs jours, nous attendons le bateau de la mission anglaise, formellement promis par ses 
propriétaires; mais ceux-ci semblent croire que nous avons, comme eux, du temps à perdre, et la barque 
continue à ne pas se montrer. 

Recu de Ki-Engué 19 ballots de calicot en suite de l’arrangement conclu avec M. Johnstone. 

Reçu également un courrier d'Europe, faisant marquer la journée d’une boule blanche, car ce courrier 
m'annonce la création, enfin réalisée, de la Villa coloniale, pour laquelle je n'étais heurté à de si étranges et 
si inattendues résistances. Il y à encore cependant bien d’autres choses à édifier si nous voulons faire de bonne 
colonisation, par exemple une école coloniale sans laquelle nous demeurerons toujours très er dessous de ce 
que nous pourrions donner. Ne pas voir encore pareille création est déconcertant et attristant, d'une part, et 
très menaçant, d'autre part, pour l’avenir de la colonie; celle-ci n’a déjà que trop douloureusement pâti 
des inexpériences aujourd’hui évitables. 


Expédié vers Ki-Engué les caisses de collections 8, 9 et 10. Entre autres choses, elles contiennent des 
échantillons de cordes en fibres de Ka-boko et d’aloës, des nattes fabriquées au moyen des feuilles d’un raphia, 
par les indigènes des alentours ; une dépouille complète d’oryetérope ; des échantillons de bois. 

Vers 15 heures, tonnerre lointain, suivi d’un peu de pluie. 

Durée d’insolation : 5,60. 

Maxima diurne : 27°,3. 


De nouveau, la soirée est couverte et l’observation impossible. 


Vendredi, 23 décembre 1898. 


Minima nocturne : 18°,8. Les udomètres accusent 3,31. 

Michel va bien; de mon côté, je puis à peine marcher, les blessures du pied n'étant pas encore cicatrisées. 

Et toujours pas de bateau. C’est enrageant! 

Vers 15 heures, tonnerre d’abord lointain, se rapprochant ensuite; forte pluie donnant 8 millimètres aux 
pluviomètres. Durée d'insolation : 3",8. 


Maxima diurne : 27°,9. La nébulosité continue à être très forte; soirée couverte; observation impossible. 


Samedi, 24 décembre 1898. 


Minima nocturne : 15°,6. 

Expédié à Loanza-mission un courrier express pour demander si l’on ne peut faire un léger effort pour 
m'envoyer la barque, ainsi qu'il à été formellement promis depuis longtemps. 

Nouveau désagrément : un jeune chat, plus sauvage que domestique, m'a allongé un joli coup de griffe sur 
le dessus de fa main gauche; par malheur, déjà cette main était quelque peu endommagée des suites 
d’une torgnole donnée à un moricaud; il s'ensuit une inflammation bien conditionnée avec douleurs lanci- 
nantes Jusqu'au coude. 

Vers 15 heures, tonnerre lointain; légère précipitation atmosphérique ne donnant rien aux udomètres. 

Durée d'insolation : # heures. 

Maxima diurne : 27°,7. La nébulosité est restée supérieure à 8. Soirée couverte; impossible d'observer quoi 
que ce soit. 


Dimanche, 25 décembre 1898. 


Minima de la nuit : 19. 

Je fête la Noël dans mon lit, l'inflammation douloureuse de la main gauche m’ayant empêché de fermer 
l’œil un seul instant. 

Reçu un mot de Dardenne, qui va bien, et attend toujours le premier baiser de dame fièvre. 

De la mission de Loanza, en réponse à mon courrier, j'apprends que le bateau n’est rentré qu'hier et qu'il 
arrivera aujourd'hui à M'pwéto. 

Vers 12 heures, tonnerre lointain et pluie légère (2 millimètres aux pluviomètres). 
Durée d’insolation : 0°,80. Nébulosité quasi absolue toute la journée. 
Maxima diurne : 25°,7. Soirée couverte; observation impossible. 


Lundi, 26 décembre 1898. 


Minima nocturne : 18°. 

Enlevé les feuilles des enregistreurs. 

L'examen du diagramme des températures révèle presque chaque jour, entre 12 heures et 17 heures, une 
chute brusque, plus ou moins forte, de la température, correspondant à de la pluie ou à des menaces d'orage. 
Une règle semble se dégager des constatations analogues que nous avons faites déjà à diverses reprises, c’est 
que «toute précipitation atmosphérique s'accompagne d’une chute très marquée de la température, celle-ci 
pouvant tomber de 10° et plus en moins d’un quart d'heure ». 

La moyenne de la température pour cette dernière semaine a été de 22°,60. 

Tous les instruments de météorologie sont remis en caisse pour être expédiés demain vers le poste 
de Dardenne. 

Nous attendons inutilement la barque annoncée. 


10 


Employons le retard mis à notre départ à confectionner une nouvelle caisse de collections (n° 11), 
qui pourra encore être expédiée d’iei avant que nous-mêmes nous mettions en route. 

Michel prépare aujourd'hui un bel échassier à plumage multicolore, que mon boy à tiré sur les bords 
du lac; l'oiseau s'appelle fraôwili, de son nom indigène. 


Mardi, 27 décembre 1898. 


Malgré la promesse de ces bons missionnaires anglais, qui avaient annoncé leur bateau pour avant-hier, 
dimanche, c’est seulement aujourd’hui, à 9 heures, que nous le voyons accoster; le nyampara noir qui le mène 
prétend qu'il n’a pu arriver hier, parce que le vent l'avait rejeté vers l’est. 

On charge de suite et, vers 16 heures, le bateau peut repartir. 

A 15 heures, le bateau de Ki-Engué rentre du sud; Dardenne me fait connaître qu'il à été ennuyé 
par des points de côté qui l’obligeaient à passer la nuit accroupi dans sa chaise longue, le nez sur les genoux, en 
chien de fusil. 

« Je n'étais peut-être pas très élégant, ajoute Pierrot, mais j'ai pu dormir, ce qui était le principal. Quand 
ça me prend le jour, je suis bien forcé de me courber un peu, et je dois avoir un faux air de fée Carabosse. En 
tout cas, Ça ne me change pas le caractère; je ne me fais pas de bile (ceci n’est nullement une figure), et quand 


j'ai trop difhieile à peindre debout, je m'assieds, voilà tout! 


« Je n'ai ni poivre, ni noix de muscade, ni curry.…, bref, aucune épice. Je m'en étais bien aperçu 
dès le premier jour, et, cependant je n'ai pas songé à l'écrire. C’est idiot, diras-tu! C'est aussi mon avis. 

« N'ayant pas de formol, J'avais commencé à mettre des insectes dans une bouteille avec — pour 
les conserver — une dose d’iodoforme. Au bout de quinze Jours, plus personne ne voulait ouvrir la bouteille, et 
je dus la faire jeter à grande distance du camp; de peur que, si on la cassait par accident, il ne demeurât plus un 
être vivant à 1 kilomètre à la ronde. » 


A ces lignes, dénotant que notre ami a le moral excellent — ce qui me réjouit fort — succèdent des 
indications relatives à la conservation des tableaux que nous avons déjà envoyés à Bruxelles. 


Je remets au chef de poste de Mpwéto une tente à double toit, un lit de campement, une cantine réglemen- 
taire, 3 ballots de calicot. 

Ce nouveau dépôt, — joint aux outils de feu M. Caisley, notre prospector, et aux six caisses de vivres 
remises précédemment à M. Chargeois, — est fait en prévision de l’arrivée possible d’un nouveau prospector, 
qui trouvera ainsi de suite tout ce qui lui serait nécessaire pour se mettre au travail sans retard, et nous 
rejoindre à Lofoi. 

Pautorise M. Chargeoïs à ouvrir un des trois ballots de calicot pour le payement des courriers qu'il aura 
éventuellement à envoyer pour le service spécial de notre mission. 

Jai remis, d'autre part, à M. Chargeois un pluviomètre avec éprouvette graduée, et un psychromètre à 
aspiration de Hassmann. 

Soirée couverte; observation impossible. 


Mercredi, 28 décembre 1898. 


Nuit couçi-couça; je suis repris des mêmes transpirations nocturnes qu'à Moliro; impossible en me 
couchant de supporter même une unique couverture. Pourtant il ne fait pas trop chaud. 

Lorsque je commence à sommeiller, le refroidissement se produit, et quand il se fait assez sentir pour 
m'obliger à tirer la couverture sur moi, il est trop tard; j'ai pris froid et suis fichu pour le reste de la nuit. 


— 1AT — 


La journée est marquée par un pénible événement : un de nos soldats avait été envoyé au petit village 
M'pounja, à environ une heure de marche en aval du poste, pour chercher une pirogue avec laquelle MM. Michel 
et Fromont comptaient descendre jusqu'aux premiers violents rapides du Lou-Alaba, en aval de sa sortie du Moéro. 

La pirogue demandée, pagayée par trois hommes plus le soldat, remontait vers la station, lorsqu'un coup 
de vent la fit chavirer dans les rapides auprès desquels se trouve le village Mpounja; le soldat et un des indi- 
gènes purent être sauvés, mais les deux autres, emportés par le courant, furent noyés. 

Le chef du village vient exposer l'accident; tout ce que nous pouvons faire est de l’indemniser par un bon 
lot d'étoftes variées, nous conformant ainsi aux coutumes du pays. 

Michel et Fromont renoncent à leur excursion; et je ne puis m'empêcher de pàälir quelque peu en songeant 
que l'accident aurait pu se produire quand les deux Européens se seraient trouvés dans la barque! Alors, 
vraiment, C'était mon expédition bien au diable, et il ne me restait plus qu’à disparaitre aussi. 

Et pourtant la terrible éventualité n’a tenu qu’à un cheveu. 


En ses trois voyages, la barque des missionnaires aura transporté 195 charges, plus 21 soldats et femmes. 
Dont coût : 12 livres 18 shillings. 

La soirée est plus couverte que jamais; pendant des heures, nous attendons en vain une éelaircie; 11 faut 
finir par enlever une fois de plus l'instrument, sans résultats. 


Jeudi, 29 décembre 1898. 


Avant de me mettre au lit, jai trop écrivaillé; aussi ai-je « joui» d’une nuit surexcitée, pleine de cauchemars. 

Voilà trois nuits de suite que des fauves viennent rôder ici; M. Chargeois prétend qu'avant-hier il à 
nettement perçu des rugissements de lion. 

Chaque nuit l’une ou l’autre sentinelle lâche un coup de feu. Ne tirent-elles pas sur leur ombre? 

On m'assure, toutefois, que des chacals pénètrent dans la cuisine pour en eniever les quartiers de viande 
qui y pendent. 

De nouveau, la soirée est trop couverte pour 
que l'heure puisse être prise aux étoiles. 


Vendredi, 30 décembre 1898. 


Trop lu hier soir; j'ai mis la main sur la 
Philosophie scientifique de Girard; ce diable de 
bouquin est si prenant qu'une fois de plus je ne 
parviens pas à le lâcher avant de l'avoir relu jus- 
qu'au bout, quitte à oublier qu'il est l'heure de 
dormir. É 

Deux nouveaux coups de feu pendantlanuit: 
c’est une hyène qui s’est fait pincer à un piège à 
feu installé par M. Chargeois; on l’achève d’un 
second coup de fusil. 

Ce piège est un simple couloir étroit formé 
de deux rangées de rondins très solides et bien Piège à feu à M'pwéto : hyène tachetée. 
fixés dans le sol; ce couloir est ouvert sur l’une 
de ses faces étroites; de grosses pierres lui forment un toit qui empêche le fauve de prendre, de dessus, l'appat 
disposé à l’intérieur du couloir; à cet appât est fixée une cordelette attachée, d'autre part, à la gâchette d'un 
fusil à piston bien et dûment chargé d’une double charge. L'animal, attiré par l'odeur du morceau de viande 


qui forme appät, ne peut y atteindre qu'en s’engageant dans le couloir par la seule ouverture étroite laissée à 
sa disposition. Ce piège fonctionne à merveille; tout au plus faut-il parfois achever la bête lorsqu'elle n’est 
pas demeurée net sur le coup. 


Encore une soirée couverte. 


Samedi, 31 décembre 1898. 
D 


Passé une nuit excellente. Michel un peu fiévreux. 

Dans la matinée, aidé de MM. Chargeois et Fromont, je prends à la stadia la largeur du Lou-Alaba, 
au goulot de sortie du Motro; elle est trouvée de 215 mètres au point où s'effectue le passage d’eau 
par pirogues. 

M. Chargeoïs à terminé la construction d’un joli pilier géodésique en maçon- 
nerie à la chaux; l’altitude indiquée par la photographie doit être portée à 
1,002 mètres. 


SI BORNE GÉODÉSIQU 


KA-TANG ut 
n | LoN6:28:52. 55,54 
È LATS 8°29:32/70 D 
ALTÉ 976 mètres 


M'PWETO: 1898 


res 


Au début de notre séjour à M'pwéto, des gamins nous avaient apporté des 
oiseaux pris à la glu. Leur ayant fait chercher un des engins, ils apportèrent une 
baguette entourée d’un enroulement hélicoïdal d'une substance très visqueuse, 
se laissant étirer sans se rompre. Ce produit, nous disait-on, était fourni par 
un grand arbre, dont les enfants ne connaissaient qu'un exemplaire, 
assez loin au nord de la station, près du Lou-Alaba. Malgré leur 
promesse de m'aller cueillir une branche de cet arbre et de 
n'apporter une potée de glu, je n'avais plus entendu 
parler de rien. 

Aujourd'hui seulement on m’apporte le latex et 
les branches de Parbre à glu. 

Cet arbre s'appelle ma tou’ n'doua; le latex s’ap- 
pelle wilimbo, et la glu molambo. 

Un estagnon fut rempli de wilimbo pour expé- 
dition à Bruxelles (visible à Tervueren). 

Le ma'toundoua est un ficus atteignant de grandes dimensions; il est fort répandu dans la plaine au 
nord de Moéro; les feuilles, quasi circulaires, ont 15 à 20 centimètres .de diamètre, et sont à pétiole et 
nervures pubescents; face supérieure vert sombre; face inférieure d’un vert très jaune, avec les neriures 
principales fortement en saillie et de couleur jaune-brun un peu verdàtre; feuilles alternes; bourgeon 
terminal. 

Nous ne vimes pas de fleurs. 

Le fruit est une petite figue de la grosseur d’une noisette, à involucre pubescent; ce fruit, sessile, est 
appliqué à même les branches, à l’aisselle des feuilles. 

Toutes les parties de l'arbre sont gorgées d’un latex abondant, dont on recueille aisément plusieurs litres 
en quelques heures. 

Ayant mis à coaguler dans une soucoupe, à l'air libre, une certaine quantité de wilümbo, j'obtins, par 
simple évaporation, une gomme s’agglutinant très bien. 

Après double lavage à l’eau bouillante, il resta une masse très élastique, se laissant étendre en voile, puis 
reprenant sa forme première. 


Abandonnée 24 heures à elle-même, cette boule — si élastique à la sortie du lavage à l’eau chaude — 
durcit et devint beaucoup moins maniable. 

Le produit s'était alors rapproché des cires; comme celles-ci, il se coupait nettement au couteau. fl 
s'attachait fortement aux mains, mais s’en détachait facilement et complètement, sans laisser aux doigts le 
léger enduit qu'y laisse le caoutchouc de commerce, enduit dont on à souvent peine à se débarrasser. 

Quoi qu’il en soit de cette gomme, elle nous parut assez intéressante pour nous porter à faire un envoi de 
latex non coagulé, et de latex coagulé simplement par évaporation à l’air libre. 


Et l'an 1898 se termine par une soirée plus couverte encore que ces derniers jours. Devant cette persis- 
tance de la nébulosité nocturne, il est probable que nous devrons renoncer à prendre encore directement 
l'heure stellaire avant de quitter M'pwéto; heureusement, nous pourrons avoir confiance dans nos chrono- 
mètres, car leur comparaison journalière révèle une marche tout à fait régulière. 


Dimanche, 1° janvier 1899. 
a —_—_—_—]_—__—_————…—_——_—_——— 


Le jour de l’an nous trouve très dispos. Michel va fort bien; il fera sans doute prudemment de se sur- 
veiller à la mise en peau des animaux; il ne serait pas impossible qu'il subisse chaque fois un commencement 
d'intoxication par l’arsenie. 

Quelques gouttes de pluie dans la matinée. 


Pour fêter le jour de l’an, il y aura banquet monstre. 


Ci le menu : 
POTAGE PRINTANIER 


CANARD AUX NAVETS 
HARICOTS VERTS À LA CREME 
GIGUE DE ZÈBRE, CHOUX VERTS 
MACARONI À LA WALLONNE 
BORDEAUX (2 BOUTEILLES), CHAMPAGNE (1 BOUTEILLE), COGNAC (1/4 BOUTEILLE) 
CAFÉ, CIGARES. 


Et nous dinons en musique ! Orchestre de Ba-Séras, grosse population habitant la vallée du Lou-Boulé, 
à deux jours et plus au sud-ouest de M’pwéto. Ces braves gens sont venus à la station sous la conduite de leur 
cheï et du soldat en poste chez eux; ils ont apporté un peu d'ivoire, du caoutchoue, du 
miel, de l'huile de palme. 

Leur musique (?) est l’ordinaire mélopée, tantôt trainante, tantôt emballée, de la 
plupart des nègres; la leur, toutefois, est caractérisée par de curieux effets de tambour, 
un tambour dont le son se prolonge en vibrations, grâce à un dispositif que nous voyons 
pour la première fois et qui est dû, vraisemblablement, à quelque esprit observateur de 
la tribu. 

Voici en quoi il consiste : le tambour des Ba-Séras porte latéralement, et près de 
la face recouverte de peau (une jolie peau d’iguane), une sorte de petite cheminée de 
2 centimètres de diamètre, en saillie également de 2 centimètres; cette cheminée est 
placée normalement à la paroi latérale au tambour et est fermée, à sa base intérieure, 
par une membrane blanche vibrante, qui n’est autre chose que l'enveloppe des sacs 
d'œufs des grandes araignées si communes au Congo. 


Coupe d’un tambour 
Ba-Séra. 


Ce dispositif produit un son analogue à celui du mirliton; un coup sec sur la peau d'iguane donne une 
résonance dont les vibrations, très marquées et très prolongées, sont des plus caractéristiques, et — chose à 


— 150 — 3 


noter — d'un effet musical fort agréable. Même nous nous demandämes si quelqu'un de nos facteurs 
d'instruments de musique n'aurait pas intérêt à connaître ce dispositif du tambour des Ba-Séras pour 
l'appliquer, ou du moins l'essayer, à nos divers types de caisses de résonance. 

Un tel tambour est visible au musée de Tervueren; malheureusement, la membrane vibrante est déchirée. 
A remarquer la tête sculptée au-dessus de la cheminée de vibration. 


a * + 


D’avoir fêté copieusement le nouvel an fait que deux de nos camarades préfèrent ne pas assister au repas 
du soir. 

A 20 h. 30 m., le piège à feu fonctionne; 
on se précipite; à la lumière falote de torches 
de paille on suit une traînée de sang, et voici 
bientôt, affalé dans les hautes herbes, un léopard 
qu'achèvent deux coups de feu. L'animal est 
vieux, décharné, d’une maigreur effrayante; il 
est liltéralement caparaçonné de tiques. 


*X 
X © * 


Ciel couvert; observation impossible. 


Lundi, 2 janvier 1899. 


La nuit a été bonne pour tout le monde. 

Pluie de 8 à 12 heures. 

Reçu un courrier de M'towa, mais sans cor- 
respondance d'Europe ni de Boma, la route de Piège à feu à M'pwéto : léopard. 
Ka-Bambaré étant toujours barrée. 


A la tombée du jour, le théodolite est, comme chaque soir, mis en station, et nous en réglons le niveau; 
vainement, attendons-nous jusqu'à 22 heures, tout le ciel reste bondé de lourds nuages noirs. 


Mardi, 3 janvier 1899. | 


Nuit et matinée pluvieuses. 

Depuis une dizaine de jours, la pluie est beaucoup plus fréquente. 

Nuages de mouches kow n'qou. 

De 15 à 1$ heures, la pluie recommence avec, pendant une demi-heure, tornade venant du sud-ouest. 
Observation de nuit impossible : ciel d'encre. 


Mercredi, 4 janvier 1899. 


A 8 heures, le pluviomètre accuse 220 centimètres cubes, ce qui correspond à 28 millimètres de 
pluie. 

Reçu un courrier d'Europe vid le Zambèze et le Nyassa; le service des courriers par la voie anglaise est 
copieux, régulier et rapide. 


# 
# 


evse 


— 151 — 


Longue ecauserie avec Wa-Baya, capita du groupe de porteurs venus de Lofoï, et qui doivent repartir avec 
nous; les renseignements qu'il me fournit me permettent d'établir un projet de gîtes d'étapes. 


Dans l'après-midi meurt subitement la femme d’un soldat de la station; se trouvant dans un champ de 
manioc, elle était tombée comme une masse; d’abord on avait cru à une syncope, mais en vain j'essaye 
la respiration artificielle, les inhalations d’ammoniaque, les injections d’éther; la mort a fait son œuvre! 
Et bientôt le quartier des noirs se remplit de lamentations. C'était une jeune femme, fraîche et assez jolie; son 
mari est au désespoir. 

Chose à consigner, il n’y avait pas de cimetière pour noirs à Mpwéto-Station, pour cette raison 
péremptoire que, depuis deux ans et demi, il ne s’y est produit qu’un seul décès d’indigène. 


A la tombée du jour, nous voici de nouveau en observation; le ciel a une tendance à se découvrir, mais 
en une heure nous arrivons à prendre une seule étoile, puis le ciel se recouvre entièrement. Quelle guigne! 


Jeudi, 5 janvier 1899. 


Passé une très bonne nuit. Michel aussi va très bien. 
La journée s'annonce belle : plein soleil dès 6 heures. 
Mis le théodolite en station à 17 heures; à 18 heures, pluie, soirée couverte. 


Vendredi, 6 janvier 1899. 


Assez bonne nuit. 

On nous apporte un gros panier de champignons comestibles : l'ordinaire agaric que nous connaissons et 
apprécions fort de longue date, et une espèce nouvelle pour nous, de teinte orange vif, avec dessus rose; goût 
très délicat. 

A 17 heures commence un orage avec pluie, qui se prolonge pendant presque toute la nuit. 

Désespérant de réussir à prendre une dernière fois l'heure à Mpwéto, je décide que nous commencerons 
dès demain à évacuer la station; l'avant-garde ira nous attendre au premier gîte d'étape, où nous arriverons 
nous-mêmes après-demain. 


Samedi, 7 janvier 1899. 


La nuit a été assez bonne. 

Matinée employée à charger l'avant-garde de notre colonne de départ vers le sud du Moéro; à 10 heures, 
cette avant-garde, sous les ordres du sergent De H., traverse le Lou-Alaba oriental pour gagner le village de 
Niemba-Kounda, où elle nous attendra. 


L’avant-garde partie, nous expédions des courriers vers Mtowa et vers Bruxelles par voie anglaise; 
à ce dernier, est joint un nouvel ensemble de documents, parmi lesquels je signalerai : 


1° Le registre des observations météorologiques faites à Mpwéto, du lundi 5 décembre au lundi 
26 décembre 1898; 


— 459 — 


9% Trois feuilles hebdomadaires du barographe et du thermographe, relevées à Mpwéto, du 5 au 
26 décembre 1898 ; 

3° 91 bandes de l’enregistreur solaire, caractérisant Mpwéto-Station, du 5 au 26 décembre 1898; 

% L'inventaire des einq caisses de collections, numérotées 8, 9, 10, 11 et 12; une note sur quelques-uns 
de ces objets de collection ; 

5° Une note formant supplément à des notes diverses envoyées avee le précédent rapport au 
gouvernement. 


Je pouvais aussi, dans ce courrier, constater que notre état sanitaire était aussi bon en ce moment qu'il 
avait été précaire un mois auparavant. Dardenne nr'écrivait qu'il était en pleine santé et en plein travail; 
MM. Michel, Fromont, De H. et moi-même étions en bonne santé et heureux d’être à la veille de nous mettre 
en route vers le sud. 

Avec ce courrier, nous expédions également, par la voie anglaise, les deux caisses de collections numé- 
rotées 11 et 12. 

La caisse n° 11 renfermait un estagnon du latex servant aux indigènes à préparer la glu dont j'ai parlé 
précédemment; un échantillon de gomme préparée par nous au moyen du même latex; un estagnon d'alcool 
préparé à la station de M’pwéto, à l’aide du « pombé ». 

On sait que le « pombé » est une bière indigène faite au moyen de sorgho et de mil. 

L’alambic employé à Mpwéto, au moment de notre séjour, était aussi primitif que le produit qu'il servait 
à distiller. 

Un pot en terre était posé sur feu nu; on y versait le pombé; on coiffait d’un chapeau formé d’un 
bassin en cuivre de provenance arabe, qu’on lutait soigneusement à l'argile. 

Latéralement, un tuyau en bambou s’ajustait, d’une part à la partie supérieure de ee chapeau en cuivre, 
de l’autre au goulot d’un cruchon en terre cuite (ayant contenu du hasselt ou du schiedam); ce cruchon était 
constamment arrosé d’eau fraiche par le distillateur noir. 

Il fallait 5 pots de pombé, d'environ 10 litres chacun, pour obtenir 5 litres à la première passe. 

Ces 5 litres, à la repasse, laissaient 1 litre d’un produit pouvant servir aux collections zoologiques. 

La caisse n° 12 renfermait un échantillon de grès rouge de M'pwéto, el un tambour Ba-Séra. 


Nous congédions aujourd'hui le dernier des gamins que nous avions engagés à Moliro, et qui, selon la 
promesse faite, ne devaient pas nous suivre au delà de Mpwétlo. 


J'apprends qu'il existe, dans le Tanganika et le Moéro, des sangsues (moussoundou), employées par les 
médicastres noirs. 

Ce renseignement m'est fourni à l’occasion d’un cas pathologique triste et curieux que présente un soldat 
du poste; cet homme paraissait souffrir ou d’un bubon ou d’une grosseur herniaire; on lui appliqua des 
sangsues ; la grosseur creva et l’on constata que l'intestin déchiré faisait saillie, laissant s’écouler les matières 
digérées. 

Depuis deux mois, l’homme vit ainsi. 

Javais vu un cas analogue en Belgique, à l'hôpital Saint-Pierre, que je visitais avec le docteur Thiriar. 

Il est décidé que l’homme sera envoyé à Baudouin-Ville, où il trouvera des médecins houssas à la 
mission. 


— 153 — 


eu trois jeunes éléphants ; son successeur en eut également plusieurs; ces animaux vivaient trois à quatre mois, 


A la causerie du soir, M. Chargeois nous conte qu'étant en poste dans l'Ou-Vira (nord du Tanganika,, 1] a 


puis mouraient dès qu'on voulait passer du régime lacté à un autre régime. 


Une fois encore, le théodolite est mis en station, sans plus de résultats que depuis trois semaines : soirée 
de pluie et d'orage. 


Danse au village arabisé du chef Ki-Wélé-Wélé, à M'pwéto-Station, 


Les danseurs et danseuses sont peinturlurés de blanc et de rouge. 


CHAPITRE VIII. 


Départ de M’pwéto-Station. — Étape pittoresque. — Vue sur le lac Moéro. — Le village de 
Niemba-Kounda. — Visite d’un fauve. — Le pays devient riche au point de vue de la 
végétation. — Grandes cultures indigènes. — La mission protestante de Loanza. — 
Le cottage du capitaine Weatherley-Poulett. — Bonnes nouvelles au sujet des recru- 
tements de porteurs à Lofoï. — Belle journée. — Pays pittoresque et fertile. — 
Échappées sur le Moéro. — Campement à la Mo-Lombé. — Soirée d'observation 
pénible. — La pluie. — Les infiniments petits. — Marche dans l’eau. — Sauterelles. — 
Campement à la Lou-Salala. — Curieuses toiles d'araignées. — Continuation de la 
marche en un pays pittoresque. — Percées sur le Moéro. — On aperçoit l’île Kilwa. — 
Arrivée au village du chef Mo-Banga. — Richesses florales. — Séjour chez Mo-Banga. — 
Journées d'observations et de calculs. — Réception de nombreux chefs. — Pays des 
plaines. — La rivière Ki-Tété. — Traces de gros gibier. — Arrivée au camp de 
Mo-Linga. — L'île Kilwa. — Frontière à rectifier. — Émotion aurifère! — Arbre intéres- 
sant. — Pénible soirée d'observation. — Sale compagnie. — Fin de la plaine rocailleuse. — 
Halo. — Arrivée au poste dit de Ki-Lomba. 


Dimanche, 8 janvier 1899. 


De bon matin, avant le déjeuner, s'organise la caravane de départ, qui s’en va de suite effectuer le passage 
d’eau. 

A 8 h. 20 m., nous saluons une dernière fois la garde de police, et gagnons le Lou-Alaba oriental par un 
chemin sablonneux que j'ai fait empierrer ces derniers jours; on met 13 minutes de la station au passage 
des pirogues, où nous devons attendre que la queue de la colonne ait achevé de traverser. 

A 8 h. 50 m., nous prenons pied sur l’autre rive et abordons une de ces jolies grimpettes particulières 
aux «grand'routes » africaines. 

A notre gauche, sur la pente même qui dévale pour se perdre en pointe au coin du goulot du Moéro, se 
voit un boma qui avait été élevé en prévision d'une marche possible des révoltés sur M'pwéto. 

Le sentier court à peu près à mi-distance du lac d'une part, du Lou-Alaba oriental de l’autre; les deux 
nappes d’eau ne sont séparées ici que par une très étroite langue de terre, large d'environ 3 kilomètres; c’est 
une avancée de schistes rouges formant presqu'ile et simulant un étroit plateau bien boisé; le site serait 
superbe pour s’y fortifier; même une histoire se raconte d’un chef indigène qui, tarabusté par feu M'siri, avait 
songé à s'installer dans cette presqu'ile, en la coupant d’un chenal, qu'il aurait fait creuser en la partie la plus 
étroite, où existe d'ailleurs précisément une dépression naturelle donnant, à un certain moment, l'illusion que 
la jonetion existe. 

Pourquoi ce de Lesseps noir a-t-il renoncé à ce beau projet? A-t-il toutefois jamais vécu! 

Pendant trois kilomètres on suit le Lou-Alaba oriental qui, dans cette partie initiale de son cours, s’en 
retourne droit dans le sud et vient se briser, en éeumant de colère, dans un chaudron, d’où il ressort vers le 


— 155 — 


nord-est, pour s’infléchir bientôt vers le nord; le bruit des rapides, qui s'était enflé au fur et à mesure de notre 
approche, diminue bientôt, puis s'éteint : nous avons dépassé le chaudron et continuons à monter sur roches; 
à 1 Kilomètre à peine à notre gauche, le Moéro; nous marchons sur une sorte d’avancée des hauteurs qui courent 
nord-sud, à quelques kilomètres à l’ouest du sentier. Une coupe est-ouest, dans le terrain, montrerait trois 
plans : à l’est, le niveau du lac; à l’ouest, le sommet des hauteurs; entre les deux, une terrasse sur laquelle 
nous nous trouvons; le sentier y court quasi en ligne droite; il est vrai qu’il est tout ce qui reste d’une 
route large de 4 à 6 mètres, tracée ïadis par le chef de poste de M'pwéto, route aujourd'hui reprise par la 
brousse. 

Maintenant, le sentier s’écarte un peu du Moéro, jusqu’à trois kilomètres environ ; on foule successivement 
des parties rocheuses, puis un sol argileux avec un peu de sable; plusieurs passages boisés sont pittoresques et 
agréables au voyageur. 

Pendant les 15 à 16 premiers kilomètres de l'étape, on s'élève d'environ 200 mètres, sans traverser ni ruis- 
seau, ni encaissement, ni dépression ; après quoi on rencontre une succession de ruisselets et d’encaissements 
gardant les eaux de pluie. 

A signaler le ruisseau Mou-Talaba, sur roches, large de 2 mètres avec 20 centimètres d’eau courante, 
laiteuse (peut-être à cause des pluies). Sur sa rive droite, un boma abandonné; l’emplacement était autrefois 
occupé par le chef Koundja, lequel s’est porté un peu au sud. C’est chez lui que nous aurons le gite d'étape 
d'aujourd'hui. 

Au sortir de ce boma en ruines, le sentier traverse un passage marécageux aux pluies, et qui borde un 
ruisseau sur grosses roches dévalant vers le pied du pie Kou-n’dapilia, dressé entre le sentier et le lac; puis, par 
une descente raide sur dalles schisieuses, on touche à la rivière Ki-Sendjé, dont le lit, large de 10 mètres, est 
creusé dans les schistes; en ce moment, la nappe d’eau de la Ki-Sendjé a 3 mètres de large, 20 centimètres 
d’eau à courant très rapide. 

De suite on remonte une assez longue et dure montée; il fait chaud et on tire, je erois, la langue, quand, 
brusquement, nous tombons en plein gros d’une armée de fourmis rousses éparpillée en tirailleurs ; essouflés 
déjà par la montée, il faut prendre le pas de course, et croyez que c’est, en ce moment, plutôt dur, vu la raideur 
de la rampe. 

Pour nous payer de cette alerte, voici que, brusquement, se découvre tout le lac; et la vue est si grandiose- 
ment belle qu'on comprend l'émotion qui étreignit tous les découvreurs des grands lacs africains : on ne sent 
plus la fatigue, on ne sait plus que l’on transpire sous des vêtements que la pluie, par trois fois déjà aujourd’hui, 
a détrempés; on ne songe plus aux continuelles obsessions qui hantent la tête d’un chef d'expédition; on 
regarde seulement, avidement, les veux très grands, pour y mettre plus de choses, l’admirable panorama, 
l’indéfinie nappe d’eau, dominée par nous de plus de 200 mètres, allant s’éteindre à l'horizon sud, tandis que 
sa rive orientale (la rive anglaise) se déroule avec son arrière-plan de montagnes, qu'on croirait peintes par 
quelque artiste chargé d’enluminer un beau livre de contes d’orient; au zénith le lourd soleil, très haut dans 
un ciel tout bleu, lavé de frais jusqu’à ce que, tantôt, il se noireisse à nouveau de lourds nimbus que la rafale 
roulera furieusement dans le crépitement de la foudre; alors le calme miroir d'argent fondu aura disparu ; à sa 
place, des vagues courtes, démontées, d’un mauvais ton gris plombé de malheur, se presseront comme si les 
caux voulaient sortir de leur cuve profonde, escalader la muraille rocheuse et balayer les pauvres gens qui, avec 
les bêtes, se seront réfugiés les uns dans leurs huttes basses, les autres dans leurs terriers. 

Marchons. 

Encore un village, dont le chef (Mapaïa) à émigré, pour s'installer en aval de M'pwéto, aux premiers rapides 
du Lou-Alaba oriental. Les cultures de cet ancien village ont été reprises par la brousse, mais certaines plantes 
ont lutté victorieusement contre elle, et, fièrement, s’épanouissent, très vigoureuses : ricins, canna edulis, 
amarantes queue de renard, et surtout plusieurs exemplaires du véritable ficus elastica. 

L'emplacement abandonné par Mapaïa était excellent pour les cultures; aussi a-t-il été repris par un autre 
chef, Niemba-Kounda, qui, me dit-on, est venu de l’Ou-Roua. 

Il est 14h. 5 m. quand nous entrons dans son village, ayant couvert 25 kilomètres en 5 heures 25 minutes, 
et avec plaisir. 

Nous sommes par quelques 1,250 mètres d'altitude, dominant de près de 300 mètres le niveau du lac, 
qu'on aperçoit à environ 2 kilomètres vers l’est. 


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Des huttes très convenables, mêmes coquettes, ont été préparées pour nous, ear le plus souvent possible 
nous logerons dans des huttes indigènes, pour des raisons que j'ai dites précédemment : gain de temps, 
conservation des tentes, ete. Bientôt, je puis m'installer devant ma petite table et mettre au propre l'itinéraire 
d'aujourd'hui. 

Au cours de l'étape, nous avons noté dans la brousse, comme spécimens de la faune : de nombreuses 
sauterelles; comme spécimens de la flore : beaucoup d’aloès; quelques euphorbes candélabres; des ficus 
elastica; le bel arbre paramouwési (dont nous avons expédié des échantillons de Mpwéto); l'amomum citratum ; 
le ka-méné à rhizome comestible, auquel on recourt en temps de disette. 

Cette plante est très curieuse : au sortir de terre, avec sa spathe et son spadice, elle affecte des allures de 
gouet; continuant à se développer, elle atteint 1",50 de haut, avec de larges feuilles aussi irrégulièrement 
découpée que possibles, et une tige succulente très aqueuse. 

D’après le docteur De Wildeman (du Jardin botanique de Bruxelles), il s'agit de lanchomanes qiganteus. 

Les plantations du village de Niemba-Kounda sont en bon terrain argileux, gras et fertile, où les cultures 
sont superbes. 

Le chef nous offre 12 poules, # paniers de farine et 2 paniers de haricots verts à manger en princesses; 
cela lui vaut 15 brasses d’étoite. 

D'autre part, le camarade Chargeois nous a donné, pour le voyage jusqu'à Lofoï, un des chasseurs noirs 
de son poste; il nous apporte aujourd'hui deux pintades. 

Comme nous avons emporté ce matin un cuissot de jeune zèbre et un filet idem rôtis à point, nous 
expédions les deux pintades à la mission de Loanza, que nous traverserons demain. 

Enfin, on nous apporte encore un bel oiseau vivant, appelé par les indigènes « toba »; c'est une outarde 
de la grosseur d’un faisan. 

Si j'ajoute que nous avons avec nous deux chèvres laitières, on pensera que nous étions loin de la 
misère. 

A 17h. 50 m., du bout de l'horizon nord-ouest, accourt avec furie un ouragan, qui transforme en lac 
supérieur le plateau de Niemba-Kounda. Sauve qui peut! 

I faut voir le cuisinier, ses aides et leur matériel là-dedans! 

Et dire qu'ils arrivent tout de même à nous faire à souper! 

La soirée couverte nous empêche de prendre le point. Nous nous rattraperons l'an prochain, au 
retour. 


Lundi, 9 janvier 1899. 


Vers 3 h. 15 m., émoi dans le village : cris, appels effrayés dans la nuit noire. 

C'est un fauve — un terrible fauve! — qui est venu, en plein milieu des huttes, enlever une de nos deux 
chèvres laitières; le petit chef Ka-Béké (le très brave qui nous avait déjà servi avec ses hommes entre Moliro et 
M'pwéto) a donné lalarme, et l’on s’est mis à la poursuite du voleur, à qui on à pu faire lâcher sa proie; 
malheureusement, celle-ci avait eu le crâne ouvert d’un coup de dent, et avait été éventrée de la pointe du 
sternum jusqu'à la queue. 

A peine nous sommes-nous recouchés, nouvelle alerte avec des cris d'homme qu’on égorge : un des gardes 
de nuit prétend que le « fauve » est revenu, — ce serait un léopard, — et a voulu enlever la chèvre morte qu’on 
avait suspendue sous la véranda d’une hulte; mais ledit garde s’est cramponné à la chèvre et le léopard a de 
nouveau déguerpi, en emportant, toutefois, le « Loba » que nous avions gardé vivant dans l’espoir de l’amener 
jusqu’au poste de Dardenne, afin d’en faire prendre un croquis en couleurs. 

À 6 heures, le thermomètre marque 17°; le ciel est couvert et menaçant. 

A 6h. 35 m., la pluie commence à tomber; heureusement, elle ne dure qu’une demi-heure. 

À T heures tout est en ordre de marche, et nous pouvons nous mettre en route; la brousse étant trempée 
comme une éponge, nous avons la sensation de marcher avec de l’eau jusqu'aux genoux. 

Au sortir de Niemba-Kounda le sentier fait un coude très marqué vers l’ouest, correspondant à un 
cap identique du Moéro, pour reprendre ensuite la direction sud=—sud-ouest, après avoir traversé le 


ruisseau N'senfwé, large de 8 à 10 mètres, avec 20 centimètres d’eau, courant rapidement sur larges 
dalles. 

Sur la rive droite de la N’senfwé se voient des terrains d'anciennes cultures, où subsistent encore des 
bananiers et des plants énormes de manioc, enchevétrés de brousse. Puis c’est la rivière Mou’n’tt-Mouné, 
large de 6 à S mètres, avec 25 centimètres d’eau, courant rapidement sur roches; sur sa rive gauche, un 
village abandonné; entre ce dernier et le lac de grands borassus mettent leur superbe plumet. 

L’impression que nous avons éprouvée hier, quant à la richesse du sol arable, s’accentue aujourd'hui, et 
nous constatons avec plaisir que le pays est infiniment mieux habillé que ce que nous avons vu depuis le nord 
du Nyassa. 

Bien que la forêt tropicale n'existe nullement ici, la région n’en est pas moins constamment bien boisée 
et, pendant toute l'étape, nous foulons un sol argileux, gras, riche, coupé de plusieurs rivières pittoresques, 
à allure de torrents pendant les pluies; profondément encaissées, ces rivières roulent, rapides, sur de larges 
dalles plates, disposées en escaliers; leur traversée par les quelques 200 noirs de notre caravane est infiniment 
pittoresque, dans un cadre très sauvage. Tout le pays est — ou à été — en cultures. Là où l’on a abandonné les 
anciens champs, le manioe à poussé à même la brousse, et ses plants — hauts de 2,50 et plus — dominent 
souvent les essences basses, le tout s’entremélant vigoureusement. 

Le ricin, les bananiers se montrent aussi à l'abandon. 

Remarque de nouveau avec grand intérêt le « ficus elastica », dont nous trouvons une douzaine d’exem- 
plaires très vivaces sur la route. Ces exemplaires sont à l’état de « buissons » — sauf lun qui à 2 mètres de 
hauteur environ — parce qu'ils ont été coupés, voici six à sept mois, pour élargir la route à 6 mètres : travail 
inutile; la brousse à très vite repris tous ses droits. 

Le ficus elastica s'appelle « Ki-lemba », et les indigènes savent parfaitement qu'il est producteur de bon 
caoutchouc. 

Je note encore dans la brousse : l'arbre que nous avons dénommé «€ pommier-néflier d'Afrique » (Rhapto- 
petalum coriaceum) ; lamomum citralum à profusion; le m'filou; l'anona senegalensis. l'orseille, fort belle et très 
longue; quantité de fougères; abondance de champignons comestibles; des bambusacées grèles; des arbres 
dont l'écorce est utilisée comme étofte. 

L'itinéraire d'aujourd'hui traverse trois anciens emplacements de villages : leurs habitants sont allés se 
grouper au \oisinage immédiat de la mission anglaise de Loanza, dont les approches s’annoncent par des 
cultures très étendues. 

Je note : manioc, mais, courges, sorgho, haricots variés, parmi lesquels le haricot de terre (voandzeia 
sublerranea), arachides, piti-pili, patates douces, ignames, mioumbou, chanvre, tabac, bananiers, coton, ricin, 
pourguère, sésame, borassus. 

Il y a aussi le « bouba », papillionacée dont le suc sert à stupéfier le poisson. 

Et voici la mission brusquement découverte du bord de la terrasse sur laquelle court notre route qui va, 
maintenant, dégringoler de quelques 130 mètres pour gagner le fond d’un cirque enclos de collines, où s'étale 
très coquette l'installation des protestants anglais. 

La vue sur la mission et ses abords est superbe : partout des huttes bien construites et bien plantées au 
milieu d'énormes cultures variées; toute la brousse a été défrichée d’une façon ordonnancée. 

Au delà de la mission, on voit s’étager le cottage du capitaine Weatherley-Poulett. 

Le lac d’une part, la ligne des hauteurs qui, d'autre part, forme une ceinture boisée à ces instailations 
modèles, produisent un contraste des plus heureux. 

Nos yeux s'étant rassasiés de ce spectacle réconfortant, nous commençons à descendre vers la mission, par 
une pente très raide; franchissons le ruisselet Ki-Pämpé, large seulement de 2 mètres avec un filet d’eau claire 
sur grosses roches,et voici venir à nous un fort groupe d'Européens : MM. Pommerov, Andersen, Wilson, Mac 
Lacklaen, Hawkins, Higgins, entourés d’un formidable état-major de moricauds de tout âge, les uns sérieux et 
gais, ayant fait toilette à notre intention ; d’autres, gambadant, tels des singes; de partout, les femmes hurlent 
leur ordinaire salut. 

M. Crawford, le chef de la mission, est absent depuis déjà trois semaines. 

Nous sommes présentés à M" Crawford (doctoresse en médecine, chirurgie et accouchements), ainsi qu'à 
Mn Andersen, Mac Lacklaen et Hawkins. 


Nous profitons de notre arrêt à la mission pour fixer en espèces le coût de la location de la barque qui 
a fait un partie de nos transports. 

Un copieux lunch a été préparé en prévision de notre arrivée, ct c’est bien appétissant ces tartes, ces 
gâteaux, ces viandes froides si proprement servies, ces bananes, ces ananas. 

Mais, désireux de ne pas encombrer la mission de notre bande un peu turbulente, j'ai décidé que nous 
pousserions aujourd'hui jusqu’à l’installation de M. Weatherley-Poulett, à une heure au delà de la mission. 

C’est pourquoi nous n'acceptons qu'une tasse de thé, un quartier de tarte et une tranche d’ananas. En vain 
insiste-t-on de la façon la plus charmante; nous sommes stoïques et prenons congé de toutes ces bonnes choses 
en même temps que de nos hôtes, lesquels nous donnent gentiment un pas de conduite. 

Ce coin de Loanza est une merveille : les habitations — pourtant en pisé et en chaume seulement — sont 
riantes, gaies, propres, bien et copieusement meublées; il fait ici very confortable, et l’on comprend que les 
missionnaires y soient heureux. 

Me Crawford a un bébé de quelques mois. 

Les mariés sont à envier. 

Mais pourquoi n’avons-nous pas vu la jeune dame noire de la mission, la femme du missionnaire noir 
Higgins? 

La mission a des quantités d’ananas (assez pelits et rougeâtres), de bananes, de papayes, de grenadilles, de 
citrons, de groscilles du Cap, etc. 

Le troupeau de gros bétail compte 60 têtes. 

La mission tire son nom de la rivière Loanza, large de 2 à 6 mètres, avec 20 centimètres d’eau claire courant 
rapide sur lit de roches ; les missionnaires ont construit sur leur rivière un pont long de 25 mètres, très utile au 
moment des débordements. 

A la mission, le lac fait un nouveau crochet dans l’ouest ; crochet qu’imite le sentier jusqu'à l'installation du 
capitaine Weatherley, sur la rive droite de la Kita, ruisseau de 2 à 2,50 de large avec 20 centimètres d’eau 
limpide sur cascatelles. 

Pendant la dernière partie de la marche nous faisons lever force sauterelles. 

L'étape a été de 19 kilomètres, couverts en # heures 10 minutes. 

M. Weatherley est malheureusement absent. Néanmoins, connaissant de longue date toute son amabilité et 
qu'il nous en voudrait d'avoir évité de loger chez lui, nous nous installons dans une partie de ses dépendances. 

Le capitaine Weatherley-Poulett est un ancien oflicier anglais, très riche, dit-on, venu ici par dégoût de 
notre vie de conventions stupides. 

Il chasse et travaille à la reconnaissance géographique du pays. 

A environ une heure au sud-ouest de la mission de Loanza, il a eréé un village modèle. 

Ayant habité l'Égypte, il y a appris l'importance des rigoles d'irrigation et de drainage; aussi le sol de son 
collage est-il soigneusement drainé par un système complet de rigoles à l'air libre. 

Le propriétaire est absent depuis neuf à dix mois, en excursion au Bangwélo, dont il est allé accomplir pour 
la deuxième fois la cireumnavigation. 

A la suite d’une note envoyée par lui à la Société de géographie de Londres, ses dires auraient été contestés 
par M. Crawford, le missionnaire de Loanza. 

Sans hésiter, le capitaine Weatherley s’en est alors retourné recommencer ses constatations. Je dois à la 
vérité de déclarer qu'au point de vue scientifique, la valeur de M: Crawford (et de tous ses adjoints) était — quand 
nous les connûmes — tout entière à faire. Il est au moins original qu'à Londres on ait eru pouvoir mettre ses 
dires en opposition avec ceux du capitaine Weatherley. 

Quoi qu'il en soit, nous voiei donc chez un hôte que nous ne verrons forcément pas. 

Bien que sa propre demeure soit large ouverte, nous nous contentons de quelques huttes formant 
dépendances de la maison principale. 

L'installation de Kita comporte, outre cette maison principale, construite en pisé, toute une série de 
huttes, 59 rectangulaires et 87 circulaires, en tout 146, séparées par des pares, où je note divers légumes, des 
cotonniers, des tournesols, des ignias et d’autres fleurs. 

Chaque hutle, avec ses parcs, est entourée de clôtures basses en jones recroisés, transformant ce site en 
un nouveau labyrinthe. 


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Devant la maison européenne, une large place, au sol bien battu, où le propriétaire Joue au croquet avec 
ses noirs. 
Enfin, le troupeau compte 18 têtes de gros bétail, 20 chèvres et 50 moutons. 


A 14h. 45 m., averse diluvienne avec orage violent; le temps n’est plus de s'installer en plein air: aussi 
sommes-nous heureux de pouvoir dresser nos tables dans un grand chimbèque sombre. 

La saison des pluies en ces régions est certainement caractérisée tout autrement que dans la région des 
cataractes (région de Matadi à Léopold-Ville) ; ou plutôt elle n’est pas caractérisée du tout : il pleut à n'importe 
quel moment du jour et de la nuit, et, depuis quelque temps, il pleut chaque jour. 


Quelques petits chefs ont apporté œufs, poules, farine. Les indigènes continuent à n'avoir, comme 
animaux domestiques, que la poule, le pigeon et quelques vilains chiens ; parfois un gros canard. 

Voici maintenant un soultani, qui s'intitule chef de tout le pays depuis M'pwéto jusqu'au sud du lac 
Moéro ; il apporte force farine, poules, poisson fumé. 

Ca devient une ruine! Je prends les poules et un peu de poisson fumé, disant à cet important soultani que 
nous avons reçu hier et aujourd’hui trop de farine pour que Je puisse encore en accepter, n'ayant plus 
d'hommes pour la porter. 


Jusqu'ici, le remontage et la comparaison des chronomètres se faisaient le matin, avant de nous mettre 
en roule. 

Ce système n’est pas avantageux; il vaut mieux procéder à ces opérations à 16 heures, quand on est bien 
installé à l'étape; on prend ainsi mieux son temps que dans le brouhaha forcé du lever du campement. 

Soirée couverte : observation impossible. 

Reçu aujourd’hui une lettre du capitaine Verdick, chef de la zone Ka-Tanga; il m’annonce qu'il a expédié 
en tout 650 porteurs au sud du lac. 

Ce chiffre montre péremptoirement que j'avais raison de ne pas m'alarmier aux lettres parlant des 
dificultés du recrutement. 

M. Verdick m'envoie aussi un plan de sa station en y désignant les locaux qu'il nous destine; il à 
dû élever d'urgence plusieurs constructions, le poste étant quasi en ruines lorsqu'il le reprit. 


Mardi, 10 janvier 1899. 


Passé une excellente et reposante nuitée. À 5 h. 35 m., le thermomètre marque 18°,5. 

La journée s’annonce bien et tiendra ce qu’elle promet. La marche est un vrai plaisir; vers 9 heures, le 
soleil se décide à pointer de temps en temps. Juste ce qu'il faut pour nous être agréable. 

De façon générale, le sentier court sud-ouest, à mi-distance entre le lac à l’est et la bordure de hauteurs 
qui se dresse à quelque distance à l’ouest, distance qui varie de 200 mètres à 3 kilomètres. Cette bordure de 
hauteurs domine d’une centaine de mètres la terrasse sur laquelle nous marchons et qui est, elle, à S0 mètres 
environ au-dessus du lac. 

Par places, cette terrasse est profondément coupée par des rivières ordinairement à sec, mais qui, 
aux pluies, se transforment en torrents. 

Partout, un sol argileux riche : les remarquables cultures confinant à l'établissement du capitaine 
Weatherley, la brousse souvent trop dense sur le sentier même, les emplacements d'anciennes cultures 


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des villages qui se sont portés contre la mission de Loanza, font foi de la fertilité du pays; après ce 
que nous avons vu depuis trois jours, nous n’accepterons plus qu'en souriant les allégations relatives au 
manque de vivres pour noirs et aux disettes dans ces régions; si des blan°s y ont cru, ils se sont laissé mettre 
dedans. 

Au départ de chez M. Weatherley, on traverse de suite un petit village de 14 huttes, suivi de la Masanza, 
ruisseau large de 2 à 3 mètres, avec 20 centimètres d’eau courant sur roches en cascatelles. 

Grands défrichements et nombreuses cultures en argile noire, grasse; puis nouvelle rivière, la Lou-[laa, 
large de 8 à 10 mètres, avec 25 centimètres d’eau laiteuse, à courant rapide, sur un lit d'énormes roches. 

A la rive droite de la Lou-Ilaa, forte grimpette menant à un ancien village d’où on découvre la 
nappe du Moéro. 

Anciennes cultures très étendues, à proximité d’un ruisseau à sec. 

Maintenant les ruissaux à sec se succèdent de facon quasi ininterrompue; une végétation désordonnte 
encombre le sentier, et voici un beau paysage en sous-bois, avec de grands arbres parasols. 

De nouveau le lac est visible; et toujours des ruisseaux à sec. 

On fait lever des sauterelles un peu avant d'arriver à la N’konsolwé, rivière large de 8 mètres avec 
25 centimètres d’eau courant très vivement sur roches en escaliers. 

Puis recommencent les dépressions à sec, montrant les larges dalles rocheuses ; parfois un filet d’eau ; le 
sentier suit, en ce moment, une ligne à mi-pente entre la bordure de hauteurs à l’ouest et le lac à 
l'est; le sous-bois esttrès beau, mais on y remarque peu d'arbres d'utilisation économique. 

Au delà de cette portion de la route, nous entrons en plaine soumise aux inondalions; de larges dalles de 
schistes micacés affleurent; la fin de la plaine prend des allures de beau verger à herbe courte. 

Voici la Mou-Chachi, large de 6 à 8 mètres, avec 20 centimètres d’eau courant sur larges dalles rocheuses. 

Passé la Mou-Chachi, le lac, qui avait disparu, redevient visible, et sa vue charme l’œil; nous sommes en 
un point à allures marécageuses, l'écoulement des eaux de pluie se faisant lentement; par places, l’eau stagne 
complètement; le pays garde l'allure d’un vaste verger ; l'herbe est courte et drue; courte veut dire ici de 40 à 
50 centimètres de hauteur. 

On continue à voir le Mocéro, et l’on arrive à d'anciennes cultures, bientôt suivies d’une forte descente 
menant à la rivière Molombé, large de 6 à 10 mètres, avec 30 centimètres d’eau très vive sur larges dalles de 
mica-schistes; au bord de l’eau, des bouses d’éléphants et des excréments de crocodiles disparaissent sous des 
nuces de papillons variés, où le filet de Michel jette un émoi plutôt justifié. 

Nous remontons en soufflant la forte pente de la rive droite, et campons au village abandonné de 
Ka-Loulwa, où notre installation fait lever un nuage de criquets. 

les h 35m. 


; nous avons fait 24 kilomètres. 

Au cours de l'étape, nous avons pu remarquer à diverses reprises le ficus elastica dont, en particulier, un 
bel exemplaire montre des cicatrices révélant qu'il à été saigné par son latex; noté aussi le man’ganza, 
superbe et robuste vigne, à feuilles énormes, à belles grappes fournies. Cette vigne se tient sans appui; elle à 
des allures d’arbuste; son fruit est comestible; malheureusement, nous n’en trouvons pas qui soient arrivés à 
malurité. 

Champignons comestibles de deux espèces; moungombo, plante basse à fruit rouge comestible, non 
encore mür; mowsolé, belle et bonne figue comestible; sd'n'+a, strychnos à fruit doux, plusieurs fois signalé ; 
lemban’zxao (poire d’éléphant\, gardénia observé dans le bas Congo; saucissonnier et lissochilus; tels sont les 
produits observés dans la brousse aujourd'hui. 

Les termitières continuent à être rares. 


Une poignée de piquants de porc-épic est ramassée sur le sentier. 


Comme, à la tombée du jour, le ciel parait se découvrir, le théodolite est mis en station à 17 h. 30 m. 
La soirée devient effectivement superbe, étoilée à plaisir, et pourtant nous travaillons depuis 18 h. 45 m. 
Jusqu'à 22 heures passées, sans pouvoir arriver à une observation complète; il doit y avoir une bande de 


cirrus précisément suivant le méridien, car je ne puis avoir les étoiles de première et de deuxième grandeurs 
qu'en cachant complètement les fils ; dès qu’on éclaire ceux-ci l’astre devient invisible. 

Toute cette soirée, où je pointe plus de trente-cinq étoiles, en faisant de violents et longs efforts d’accom- 
modation de l’œil, me fatigue à l'extrême. 

Nous prenons notre diner par bribes et morceaux, entre deux étoiles, vers 21 heures. 

A 22 heures et quelques minutes, au moment où s’amènent quelques étoiles de première et de deuxième 
grandeurs, le ciel se couvre brusquement. 

Nous gagnons nos couchettes sous des menaces de tornade. 


Mercredi, 41 janvier 1899. 


A minuit, l’orage à commencé à gronder au loin; puis la pluie s’est mise à tomber calme, légère, ne 
cessant que vers 8 heures. 

À Th. 20 m., le thermomètre de plein air marque 18°,5. 

Nous resterons ici aujourd’hui pour prendre une observation complète de magnétisme et effectuer les calculs 
de l'observation d'hier. 

Toutefois, le sergent De H. partira avec une partie de la colonne et ira installer deux abris à la rivière 
Lou-Salala, prochain gîte d'étape. 

L'observation magnétique est faite au milieu du jour; pendant la détermination de l’inclinaison et de 
l'intensité, l’orage s'entend à distance; un coup de tonnerre unique, isolé, éclate au-dessus de nous. 

Vers 15 heures, un peu de pluie. 

Nos noirs sont à la Chasse aux insectes pour Michel. 

De son côté, M. Fromont pousse jusqu'au lac, qui est à 45 minutes du camp; en route, il fait filer plusieurs 
antilopes. 

La température, au cours de cette journée grise, ne dépasse pas 24°; à 18 heures, elle est retombée à 20°; 
il fait frais. 

La soirée est couverte, ce qui m'empêche de faire une seconde fois le point. 


Jeudi, 12 janvier 1899. 


A 6 h. 20 m., température : 189,2. Il pleut. 

Pendant la nuit, le vent à soufflé violemment; dans les tentes, ce temps produit toujours une mauvaise 
sensation, rendue plus inquiétante encore par les mouvements et les bruits du monde des infiniment petits. 
Qui en donnera une idée? L’aiguière que le boy a déposée à l’entrée de notre tente se couvre de minuscules 
escargots; la brousse où l’on à déblayé le coin du campement s’agite et vit sous le vol court et silencieux de 
mouchettes impalpables autant qu'innombrables; éteint-on la bougie qui, seule, éclaire notre petit groupe 
réuni avant l’heure du coucher, on voit s’allumer de toutes parts les fugitives phosphorescences des capri- 
cieuses lucioles; dans la nuit d'encre on ronge partout, partout; méchante musique trop peu berceuse au 
voyageur énervé. 

Muis le jour, une fois encore, est revenu, blafard, avec une pluie câline, persistante, rendant peu agréable 
le démontage des tentes; mauvaise affaire pour ceux qui doivent porter celles-ci, dont le poids est singulièrc- 
ment augmenté. Le temps est trop gris, le ciel trop bas pour nous laisser espérer une éclaircie; à T h. 55 m., 
nous nous décidons à nous mettre en route; l'étape demande 5 heures 40 minutes, pendant lesquelles la pluie 
ne cesse de tomber que pendant environ une demi-heure. 

Direction générale : sud—sud-ouest pendant 23 !/, kilomètres. 

Le sentier est bon, sauf que, à cause de sa forme en rigole et de la pluie persistante, nous marchons de 
facon continue dans 10 centimètres d’eau ; nous traversons les rivières sans recourir à l’aide des porteurs, car 
elles ne contiennent guère plus d’eau que le sentier. 

Au départ du camp, l'étape s’'amorce par la traversée d’une belle plaine horizontale, à terre noire, longue 

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de 2 kilomètres; aflleurent ensuite de larges dalles de schistes, où se montrent l’un sur l’autre trois 
ruisseaux; celui du milieu à 4 à 5 mètres de large avec 20 centimètres d’eau courant rapidement sur cascatelles ; 
beau sous-bois, où l’on franchit successivement quatre ruisseaux à sec où n'ayant qu'un filet d’eau dû aux 
pluies. 

Pendant cette première partie de l'étape, le sentier s'est rapproché des hauteurs ouest; maintenant, il s’en 
éloigne progressivement, pour entrer dans une plaine boisée, d’où le lac s'aperçoit à 3 ou 4 kilomètres à 
travers des percées d'arbres; le sentier est un peu en pente; nous semblons nous porter sur le lac. 

Tout est archi-garni de sauterelles; archi-garni, c’est-à-dire que ces vilaines bêtes se superposent sur les 
herbes du pied au sommet des tiges. 

Franchissons le Niala (4 mètres de large, 20 centimètres d’eau), suivi d’une étroite dépression à see, au delà 
laquelle on revoit le lae, distant d’une couple de kilomètres. 

Notre sentier recoupe ici des sentes d’hippopotames; puis vient le ruisseau Ki-Teau, large de 8 à 15 mètres, 
avec 20 centimètres d’eau sur dalles plates, bientôt suivi de la Ki-Péchi, large de 8 mètres, profonde de 
60 centimètres, eaux très vive. 

Au delà de la Ki-Péchi, nous foulons des schistes redressés verticalement, et entrons dans une plaine 
herbue, coupée d’un ruisselet à sec, auquel succède la rivière Mou-Kouba; on y arrive par une forte descente 
sur roches; la rivière a une largeur totale de 15 à 18 mètres, mais la nappe d’eau, profonde seulement de 
20 centimètres, n'est large que de 3 mètres; la rivière franchie, on remonte une grimpette marquée, du haut 
de laquelle on a, sur la rivière en contre-bas, un coup d'œil très pittoresque; et la plaine herbue recom- 
mence, garnie de nombreux makoussous (pommiers-néfliers), pendant que la falaise de l'ouest commence 
à s'éloigner pour disparaitre bientôt à nos veux, de par les mouvements du terrain, la plaine étant en dos d’âne. 

Encore un ruisseau, le Ka-Milimba, large de # à 5 mètres, dans un lit d'argile, avec 25 centimètres d’eau 
quasi stagnante; la plaine encore, venant s’éteindre à la lisière d’un beau sous-bois où nous entrons pour trouver 
la rivière Lou-Salala et notre gite d'étape. 

Comme à la rivière Mou-Kouba, il faut ici dégringoler une forte pente pour atteindre le lit de la Lou-Salala, 
lequel lit a 10 à 15 mètres de large; l2 nappe d’eau n’a que 2 à 3 mètres, avec 15 centimètres de profondeur; 
elle coule rapide sur larges dalles de schistes. 

Pris une photographie du site; malheureusement, elle ne donnera rien de bon. 

Au haut de la remontée à la rive droite, nous trouvons le campement installé par M. De H.; il comprend 
trois huttes du moment : une pour les bagages; une, minuscule, où M. De H. s’est installé; une troisième, 
assez spacieuse pour que nous puissions y installer à létroit des lits des trois autres Européens, la salle à 
manger el ma table de travail. Les toits de ces huttes, élevées en quelques heures, étant naturellement plutôt 
perméables, nous les recouvrons des doubles toits des tentes. 

Heureux d’être arrivés, car lever l'itinéraire dans la pluie continue peut être tenu pour une corvée sans 
grand charme. 


L'étape d'aujourd'hui à continué à nous montrer un fort beau pays : belle et puissante végétation; les 
intervalles entre deux ruisseaux consécutifs constituent de superbes plaines à herbe assez basse, avec des 
quantités de fruits sauvages; parmi ceux-ci nous en goûtons un nouveau, le « mo-songwa », qui est une sorte 
de pomme-cerise très Juteuse et rafraichissante. 

A diverses reprises, nous avons piétiné un véritable lit de sauterelles ; &’est le moment des amours de la 
salle bête; aussi ne voit-on que des couples dans une position non équivoque, aussi grotesque qu'immobile : Le 
mâle (de couleur jaunâtre) est cramponné sur le dos de la femelle, mais son arrière-train s’infléchit de facon à se 
renverser sous le ventre de la femelle qui, elle, est de couleur noirâtre. 

A noter aussi les énormes toiles d’araignées qui barrent partout le sentier; notre avant-garde a pourtant 
passé ici hier; ces toiles, à peu près circulaires, ayant parfois plus de 1 mètre de diamètre, s’attachent à de 
hautes branches d'arbres, le centre de la toile étant distant des points d'attache de # et jusqu’à 5 mètres; 


ce sont, dans leur genre, des constructions gigantesques; déjà hier nous avons recueilli de nombreux spécimens 


ere 
de l’araignée qui les tisse; c’est une bête étrange par sa carapace tourmentée, dure, qu'on dirait faite de 


porcelaine ou d’émail aux couleurs vives et variées. 


La pluie continue avec quelques moments de répit; soirée couverte, humide, maussade! Rien à faire qu'à 
griller de multiples pipes à l'entrée de notre hutte, près d’un feu qui paraît lui-même s’embéter d’être dans 
l'eau. 

La pluie, ah! la sale affaire! En voilà un réel ennui de l'Afrique non occupée! Maïs qui le croira? La pluie, 
c’est pas des serpents, des crocodiles, des lions, des sauvages emplumés et sanguinaires! Alors ça ne peut pas 
ètre une vilaine affaire! 

Le diable m'emporte! Vivent les serpents, les crocos, les lions et les sauvages tant redoutés... dans les 
légendes des voyageurs ! Et à bas la pluie! A bas! A bas! 


Vendredi, 13 janvier 1899. 


Assez mal dormi. 

A 5 h. 45 m., le thermomètre fronde marque 18°,5; il pleut légèrement; pluie ironique, pas méchante, mais 
agaçante, agaçante, agaçante! 

Au départ du camp, €’est d’abord une plaine herbeuse garnie de nombreux arbres; le sol est d’argile noire; 
ayant marché pendant ? kilomètres, on découvre le lac distant d’une lieue; la plaine se rétrécit alors de manière 
à former un couloir large de 800 mètres, courant entre deux lisières boisées; on fait lever sur places de 
nombreuses sauterelles; en arrivant à l’extrémité du couloir, on revoit le Moéro et sa rive orientale; sur la 
nappe d'eru tranquille girent lentement de nombreux nuages de mouches kown'gou, dont j'ai parlé durant le 
séjour à Mpwéto. Le sentier s’est glissé sous bois; il franchit un ruisselet de 1 mètre de large, creusé dans 
l'argile et ne servant qu’à lécoulement des eaux de pluie. Une percée vers le sud découvre l’île Kilwa, qui 
marque le sud du Moéro; puis le sous-bois recommence; voici, sur le sentier, des laisses de fauve; et, de 
nouveau, vue sur Pile Kilwa, maintenant entièrement visible; un moment le sol d'argile fait place à un 
afleurement de larges dalles de schistes et de blocs de limonite; un lit de ruisseau s’y dessine avec de l’eau 
stagnante; mais la roche disparaît de suite sous un manteau de terre noire, caractérisant une belle et large plaine 
dont l'herbe a 60 centimètres de hauteur; quelques arbres corrigent la nudité du site; on voit encore le lac 
avant d'entrer dans une étroite bande boisée au sortir de laquelle on découvre la rive orientale du Moéro et l’île 
Kilwa. 

Les parties de plaines et de sous-bois se succèdent jusqu’à la rivière Ka-Toka, large de 6 mètres, avec 
10 centimètres d’eau sur dalles; la Ka-Toka franchie, on court en plaine pendant 3 kilomètres; après quoi on 
entre sous bois et bientôt l’on descend sur roches jusqu’au lit de la Lou-Ambaji, rivière large de 10 mètres, 
avec 40 centimètres d’eau sur dalles; sur la rive droite de cette rivière on traverse une partie d’une densité 
extrême de végétation où les fougères abondent; un moment encore l’île Kilwa est en vue, puis la plaine se 
boise. 

Il est 11 heures; la pluie tombe légère. 

Brusquement réapparaissent les hauteurs de l’ouest, que nous avions perdues de vue pendant l'étape d'hier; 
le sentier semble maintenant nous porter droit sur le lac; la vue et d’une grandeur sauvage ; toute l'ile Kilwa 
est bien à découvert; la côte du lac que nous suivons décrit une courbe prononcée vers le sud un peu est, puis 
repique dans le sud. 

Nous sommes arrivés au bord d’une descente sur roches qui va, une fois de plus, mettre nos jarrets à 
l'épreuve; entré la terrasse que nous quittons et le cirque bas où nous allons prendre pied, la différence 
d'altitude est d’une centaine de mètres; la descente se fait sur d'énormes blocs de roches; toute le sentier est 
couvert de bouse d’éléphants. La descente achevée, on se trouve en terrain plat, soumis aux inondations lorsque 
les eaux du lac sont hautes; la terre est une argile noire, très grasse; la végétation est follement dense; l'air est 


pre 


lourd des odeurs fortes des plantes et du sol; de beaux saucissonniers, chamarrés de plantes grimpantes, 
forment de formidables dômes de verdure, où se jouent de nombreuses perruches vertes. 

Et partout les sauterelles, en telles quantités, qu’elles constituent un revêtement continu à cette végétation 
folle; des banc de roseaux ne montrent plus que les chaumes : tout ce qui est feuille a été dévoré. 

Après 2 kilomètres parcourus sur ce sol en travail de végétation désordonnée, nous arrivons au ruisseau 
Ka-Bouzi, large de 2",50, encaissé d'autant, et sur lequel le chef Mo-Banga, — dont le village est tout proche, — 
a jeté un petit pont, en prévision de notre arrivée. 

Voici, d’ailleurs, ledit Mo-Banga, s’avançant à notre rencontre avec le drapeau de l'État; c’est un petit 
bonhomme, à l’air timide, qui nous fait de son mieux les honneurs de son village, situé sur la rive droite de 
la Ka-Banzi, aussi près du Moéro, — le lac nourricier, — que le permettait la laisse des hautes eaux. 

Le village, qui ne compte que 20 huttes, s’adonne surtout à la pêche; et celle-ci doit être des plus 
fructueuse, à en juger par la quantité de poisson fumé et frais qu'on voit circuler. 

Il est midi et quart quand nous stoppons; l’étape a couvert 26 kilomètres; route jolie, facile, à travers 
une région qui continue la bonne impression ressentie depuis notre départ de Mpwéto. 

On peut remarquer que nous avons traversé moins de rivières et de ruisseaux qu'hier; ce fait provient de 
ce que les kou’n’déloungou se sont rejetés à plus grande distance vers l’ouest, et qu'entre eux et le sentier existe 
une dépression tourmentée. 

A propos du mot kou’n'déloungou, je l'ai entendu aujourd'hui pour la première fois; comme je demandais 
le nom des hauteurs qui, vers 11 heures, avaient réapparu à l’ouest et à l'horizon sud, le chef Wabaya de Lofoï, 
— qui nous accompagne — me donna d’abord un premier nom; en mème temps un soldat du poste de Lofoi 
prononcçait le mot kou’n'déloungou ; comme j'insiste, on déclare ne pas connaître le nom de ces montagnes. 

Depuis Mpwéto, à toutes mes interrogations sur le nom des hauteurs qui couraient à l’ouest du sentier, il 
n'a été fait qu'une réponse : « Nous ne savons pas! » 

Il faut noter que le soldat qui a prononcé le mot kouw’n'déloungou est originaire de la côte; il est ici depuis 
plusieurs années, et cest de la bouche des blanes qu'il a pris cette appellation que les indigènes semblent 
ignorer. 

La flore a été caractérisée aujourd’hui par de nombreux pommiers-néfliers, paramouési, nioumbou (arbre à 
étoffe), toutes essences déjà bien connues; en outre, nous notons le mown'yjomba ou myrtille-corail comestible ; 
le n'gongo, qui est le m'fingwa du bas Congo, strychnos que J'ai dénommé jadis « prune des herbes »; ici 
l’arbuste du bas Congo est devenu un arbre énorme; J'ai déjà eu l’occasion de signaler une différence analogue 
pour l’anona senegalensis (malolo), qu'on voit ici en grands arbres, alors qu'il est toujours petit et rabougri 
dans le bas Congo. 

Vu aussi deux espèces de m’filou, et énormément de protéas en fleurs; enfin, il faut noter à part un 
arbre énorme du nom de fehikissi, dont le fruit est une sorte de drupe sèche, s’ouvrant en trois lobes, dont 
chacun contient une graine de la grosseur et de la forme d'un bon grain de café; exocarpe rouge avec une 
tache noire; on fait sécher au soleil l’amande intérieure et on en extrait une huile employée comme huile de 
toilette. 


Nous nous sommes installés dans deux méchantes maisons en pisé, destinées aux passagers européens; un 
soldat noir, marié, esten poste en ce minuscule village. 

Bientôt, le chef Mobanga apporte l'ordinaire cadeau : poules, œufs, farine, haricots, un panier de poissons 
fumés et un paquet d’une trentaine de silures frais. 

Petit incident dans l’après-diner : le soldat en poste à Mo-Banga étant parti ce matin, pour aller chercher 
quelques chefs de villages proches de Mo-Banga, sa femme est seule ici ;.peu après notre arrivée, elle constate 
qu'on lui a dérobé un panier de viande d'hippopotame fumée; elle vient se plaindre chez moi ; une perquisition 
rapidement faite amène la découverte de la viande volée, dans une hutte occupée par un de nos nyamparas et 
ses hommes; ledit nyampara sera frappé d’une retenue de deux brasses d’étoffe: lui et ses hommes sont 
fortement hués par le reste de la caravane. 


La soirée est entièrement couverte; impossible de faire le point. 


— 165 — 
Samedi, 44 janvier 1899. 


Nous resterons ici aujourd'hui; il importe de fixer notre position astronomiquement. 

M. De H. prendra les devants et ira construire, à la rivière Ki-Tété, les abris pour l’étape prochaine. 

Préparé le catalogue d'étoiles pour une observation de nuit. 

De 9 h. 15 m. à 10 heures, déterminé la déclinaison magnétique par le théodolite d'Hurlimann. 

A 10 heures, nous commençons une observation du soleil par les hauteurs correspondantes; six pointés 
peuvent être effectués avant midi vrai; le passage au méridien permet une observation de hauteur cercle 
à l’est; puis des nuages empêchent la prise de l’astre cercle à l’ouest dans les quatre positions suivantes ; seuls, 
les deux derniers pointés peuvent encore être faits. 

Cette longue observation du soleil, pour arriver à un médiocre résultat, sans contrôle, a, comme 
principal effet, de me frapper d’une demi-insolation. Depuis longtemps, je m'étais juré de ne plus 
recommencer cette méchante opération, qui consiste à observer le soleil quasi zénithal. J'ai eu grand tort 
d'oublier mon serment; pendant l'observation même j'ai été pris d'accès de vomissements; l'observation finie, 
je dois me mettre sur mon lit pendant une couple d'heures; je puis ensuite recevoir les chefs N'gwéna 
de Mokissima et N'gongo de Molobanga; le premier village est à trois heures, le second à une journée de 
marche d'ici; ces roitelets offrent huit poules, du miel, de la farine. : 

Après eux, se présente le chef Kiaka dont le village est sur la rivière Ki-Tété : il apporte deux poules, du 
miel, de la farine. 

Les boys, qui ont charge de fondre les gâteaux afin d’en extraire le miel, sont assaillis par d’épais essaims 
d'abeilles dont l’arrivée est annoncée de loin par un bourdonnement intense; heureusement ces abeilles 
ne piquent pas; nos gens se défendent tant bien que mal au moyen de torches d'herbes sèches enflammtées; on 
est obligé d’évacuer dans un champ de canne à sucre tous les récipients contenant ou ayant contenu du miel. 

De 16 h. 15 m. à 17 h. 20 m., détermination de l’inclinaison magnétique et de l’intensité horizontale. 

A 17 heures, reçu un courrier d'Europe ne comprenant qu'un paquet de journaux, arrivé par la 
voie anglaise en moins de trois mois. 

A 18 heures, le thermomètre marque 22'; la soirée s'annonce belle; nous nous mettons en station pour 
une observation dans laquelle nous réussissons à prendre 16 étoiles. 


Dimanche, 15 janvier 1899. 


Mauvaise nuit : puces et moustiques plus hargneux que jamais. 

Désirant mettre toute la besogne au courant avant de pousser plus loin, je décide que nous passerons encore 
cette journée à Mo-Banga. 

À 6 h. 40 m., le thermomètre marque 19. 

Reçu de bon matin le chef N'djéla Ka-Béké de Diongo; ce chef est de race Ba-Séra, et dépend d'un 
grand chef installé sur la rivière Lou-Boulé, à l’ouest des Kou’n’déloungou, grand chef que nous visiterons à 
notre retour. Le chef N’djéla est accompagné d’autres chefs ; ils apportent du miel, de la farine, des poules: ils 
disent qu'ils habitent une colline appelée Ka-Penga-Miloundou. D’après eux, les hauteurs que nous avons à 
l’ouest de Mo-Banga s’appelleraient Moëla. 

Voici encore un chef, le nommé Tehôla, du village M'pakissanga, sur la Lou-Fila; il se dit de race 
Ba-Chila; 11 offre un panier de farine, deux énormes paniers de poissons fumés et quarante gros silures frais. 

Je prie ceux qui veulent bien me lire de m'accorder le droit de noter scrupuleusement toutes ces choses; 
elles sont les caractéristiques de notre reconnaissance, car elles montrent l’exact état du pays au point de vue 
de ses habitants, de sa densité de population, des produits de culture, d'élevage, de pêche, de chasse, etc. 
En un mot, je pense que tout ce que nous avons observé doit être ici consigné, si nous voulons rester 
fidèles à notre programme, qui est de faire connaître l’objectil que nous devons étudier, par des faits, non 
par des interprétations ou des généralisations théoriques. 


— 166 — 


Pendant dix heures consécutives je travaille aux calculs de l'observation d'hier, avec l’agrément de 
devoir recommencer toute la feuille d'heure. 

Comme le résultat ne me paraît pas suflisamment assuré, nous nous remettons à une observation de 
nuit, par une soirée d’une beauté indicible; nous prenons 20 étoiles; jamais le ciel n’a été si clair depuis 
notre arrivée, en septembre dernier; dans la constellation du Bélier, le champ du théodolite renferme 
à un moment donné un groupe de sept étoiles très distinctes, ce qui m'empêche de saisir celle qui devrait être 
mise sous les fils. : 

Inutile de dire, qu'après cette journée de calculs continus et de longue observation, je suis parfaitement 
abruti; au lieu de diner, je me couche avec dame fièvre, compagne aussi brûlante que génante. 

Dans la journée, le camarade Fromont a construit une butte géodésique en terre; nous ne disposions ni 
de blocs de roches, ni de blocs de termitières. 


Lundi, 16 janvier 1899. 


Nuit mauvaise, naturellement. 

A 6 heures le thermomètre marque 20°. De l'orage s'entend vers le nord-est; un peu de pluie est tombée 
avant 6 heures; toutefois le ciel a des éclaircies ; nous partirons donc aujourd'hui. 

Michel lèvera l'itinéraire, car je ne suis pas remis de ma journée d'hier. Le sentier file d’abord droit dans 
le sud, sans s'éloigner du lac, qui reste invisible; nous foulons un sol de sable qui fut jadis le lit du Moéro, et 
qui se recouvre encore lorsque les eaux sont hautes; la végétation est d’abord une brousse basse très dense, 
sans grands arbres; puis la brousse devient plus haute; à la fin de la partie sablonneuse se montrent des 
dattiers sauvages. 

Je note aussi l'A brus precatorius et le Sansevieria ceylindrica, qui s'appelle iei Moukongue, et est très employé 
par l’indigène en guise de ligatures pour tout usage. 

Le sentier franchit une dépression à sec, large de 5 à 6 mètres, bordée de hautes herbes et d’une brousse 
très dense, où dominent des bouquets d’acacias nains et de mimosas épineux. 

De nouveau on foule un sol de sable le long d’une plaine herbue, habillée de grands arbres, et l’on 
traverse la rivière Ka-Boumbalanga, large de 4 à T mètres; au delà de cette rivière la brousse devient haute 
avec de grands arbres; puis revient la plaine, sablonneuse, herbue, à brousse basse; dattiers sauvages, près de 
la rivière Ma-Sama, large de 4 à 5 mètres, avec 10 à 30 centimètres d’eau, et une galerie aborescente. 

On commence à approcher de l'ile Kilwa, qui est visible d'un point où le sentier touche presque le lac, 
pour s’en éloigner ensuite, puis y revenir résolument à la fin de l'étape. 

On marche à travers une plaine à sol argilo-sablonneux, herbue, avec des arbres clairplantés ; la marche est 
d’une facilité absolue. 

Entre le sentier et le lac voici un beau borassus isolé, se dressant en un point de terre noire grasse; et 
toujours la plaine herbue, jusqu'à la rivière Ki-Tété, où j'avais prescrit à M. De H. de construire des abris; 
rien de pareil n'ayant été fait, et la pluie devenant imminente, nous pousserons jusqu’au point où s’est portée 
notre avant-garde. 

La Ki-Tété est large de 4 à 8 mètres; son courant est rapide, coupé de violents remous, dans lesquels on 
voit sauter sans relâche quantité de gros poissons; mes hommes m’avertissent que la rivière abonde en 
crocodiles ; elle se franchit à l’aide d’un pont sur chevalets, construit et entretenu par les indigènes. 

Au delà de la Ki-Tété continue à s’étaler la plaine herbue, mal habillée d'arbres clairsemés; le sentier 
s’infléchit très légèrement vers l’est; à un certain moment la forme du terrain, en même temps que l’existence 
de rideaux d'arbres, limitent la vue à l’ouest comme à l’est; mais bientôt on se trouve devant une plaine basse, 
herbue et nue, où rien n'arrête la vue vers l’est; l’île Kilwa se montre très proche. 

Maintenant le sentier apparaît piétiné tout du long par le gros gibier (zèbres, antilopes, ete.) ; laisses de 
fauves à diverses reprises. 

Le sol est rocailleux, avec de nombreux affleurements de limonite et une couche de sable rougeûtre; herbe 
basse, arbres rabougris. 

Il serait fort inutile de songer à faire pousser ici aucune espèce de moisson. 


A 19h. 40 m., nous rallions le camp de Mo-Linga, où, depuis notre passage, a été élevé un poste très 
improprement appelé « poste de Kilwa ». 

Je dis très improprement, parce que Kilwa est une ile anglaise située dans le Moro, eu face du poste en 
question ; le nom indigène du point où nous arrivons est Mo-Linga, bien connu et renseigné sur plusieurs cartes 
dressées par les agents de l’État; on se demande en vain pourquoi 
on ne l'aurait pas gardé. 

Quoi qu'il en soit, ledit point Mo-Linga avait été occupé momen- 
tanément, en avril-mai 1898, par un agent détaché de la station de 
Lofoi, pour recevoir l’approvisionnement de la zone Ka-Tanga, 
approvisionnement arrivant par la voie anglaise, et convoyé par 
eau depuis la factorerie de Ki-Engué, au nord du Moéro. 

A la suite de cette occupation momentanée de Mo-Linga, il SV 
trouvait encore quelques méchantes constructions délabrées, où 
nous nous installons tant bien que mal, surtout mal; ces construe- 
tions tombent en ruines, à 200 mètres du lac, qu'elles dominent 
d'environ 16 mètres. 

L'étape d'aujourd'hui a été de 26 !/, kilomètres. 

Ne l’estimant pas trop longue, M. De H. avait brülé Ki-Téte, 
où je lui avais prescrit de construire des abris. 


La méridienne approchée est tracée et le théodolite mis en L'ile Kilwa, vue du poste de Molinga 
station; malheureusement, la soirée reste couverte, avec un peu (sud du lac Moéro). 


de pluie. 
Nous avions eu de la pluie pendant la dernière partie de l'étape, de 11 h. 15 m. jusqu'à l'arrivée à 
Mo-Linga. 


Mardi, 17 janvier 1899. 


Passé une bonne nuit; je me lève bien repose. 

À 6 heures le thermomètre marque 19°. 

Nous passerons la journée ici, avec le désir d’avoir une bonne soirée; je voudrais naturellement faire le 
point de Mo-Linga, où M. le lieutenant Cerckell doit revenir dans quelques jours installer un poste de blancs: cet 
officier s’est fait précéder d’un haoussa, qui à mission de mander iei les gens du chef Ki-Lomba, afin 
de nettoyer le terrain. 

C'est au village du chef Ki-Lomba, où nous arriverons demain, qu'est installé le camarade Dardenne. 
M. De H. s'y portera aujourd’hui, muni d'instructions écrites relatives à la préparation des logements et de 
matériaux pour un observatoire-abri du moment. 

Les cartes que J'ai avec moi mettent l'ile Kilwa exactement au milieu du Moéro, à égale distance de ses 
deux rives. 

Or, de Mo-Linga, qui est un des points de notre rive le plus proche de l'ile, on distingue celle-ci très 
nettement, tandis qu'on n’aperçoit pas la rive orientale du lac. 

Ïl me parut intéressant de déterminer l’exacte position des deux pointes de l'ile vues de Mo-Linga. 

Nous nous mimes donc à cette détermination, sous l’œil de sentinelles invisibles qui nous surveillaient de 
l'ile Kilwa, et que décelait seul le mince filet de fumée de leur feu. 

« Ce sont des gens de N’soudi qui nous observent », dirent nos noirs; N’soudi est un chef noir arabisé 
occupant l'ile Kilwa, et dont je reparlerai plus loin. 


— 168 — 


A la rive de Mo-Linga, encombrée d'énormes blocs de roches, nous choisimes deux points A et B, où le 
théodolite pouvait être mis en station sur de larges dalles de grès brun-rouge; la distance A B, mesurée 
à la stadia, fut trouvée égale à 210",527; les deux points dont il fallait fixer la distance étaient les extré- 
mités C et D de la position de l’ile vue de Mo-Linga; à cet effet, les angles 
à la base des deux triangles A BC, A B D, furent déterminés, et le 
calcul fournit en chiffres ronds les valeurs suivantes : pour B G (sensi- 
blement égal à À C), 7 kilomètres; pour A D (sensiblement égal à B D), 
15 1/, kilomètres; enfin, C D est égal à 12 1/, kilomètres. Les points 
extrèmes de l’île, visés de A et B, n'étant pas rigoureusement les mêmes, 
les chiffres ci-dessus ne sont qu'approximatifs, à 200 à 500 mètres près; 
cette approximation est ici plus que suflisante, car ce que je désirais 
fixer, c’est ce fait que l'ile Kilwa est beaucoup plus près de la rive ocei- 
dentale du Moéro que de sa rive orientale, et que, de ce chef, comme 
des autres, cette île aurait dù nous revenir au lieu d’être attribuée à 
l'Angleterre. 

De Mo-Linga (rive occidentale), on ne distingue pas la rive 
Ds orientale du lac, sauf vers le nord—nord-est. 

Or le traité qui détermine la frontière anglo-congolaise dans 
le Moéro, dit que « la ligne frontière Joindra le point où le Lou- 
Apoula entre dans le Moéro, au point où il en sort, en déviant 


toutefois vers le sud du lac (il aurait fallu dire vers l’ouest) de façon à laisser l’ile de Kilwa à la Grande- 
Bretagne ». 

Ce texte — élaboré sur une carte évidemment erronée — fait passer la ligne frontière devant Mo-Linga, 
à 3 !/, kilomètres de la rive occidentale et à plus de 35 kilomètres de la rive orientale. 

Les indigènes ne font pas le trajet en pirogues directement entre la rive occidentale et la rive orientale, ni 
même entre l’ile Kilwa et la côte orientale : la distance est trop grande pour le danger couru; ils partent de la 
pointe sud-est de l’île vers la pointe Ki-Soumpi, qui forme un cap à la rive sud du lae, près de embouchure du 
Lou-Apoula; de là ils remontent la rive orientale, ou bien prennent la voie de terre (renseignements fournis par 
le capitaine Verdick). 

Jusqu'au moment de notre arrivée à Mo-Linga, les autorités anglaises s'étaient complètement désintéressées 
de Pile Kilwa et des arabisés qui l’occupent, à cause de la trop grande difficulté d'accéder de la rive orientale à 
l'ile, avec les moyens de navigation très restreints qu'elles possédaient alors. 

D'ailleurs, les arabisés occupant Kilwa étaient sans importance au point de vue anglais. 

En revanche, l'État du Congo n’a que des ennuis de l'existence, tout proche de son territoire, d’une île ne 
lui appartenant pas et dont les propriétaires ne peuvent encore faire la police et ne la feront vraisemblablement 
jamais, tant l’île Kilwa est en dehors de la zone d’action de la rive orientale. 

En 1899, l'ile Kilwa était occupée par l’arabisé N'Soudi, successeur de Simba, allié aux Arabes esclava- 
gistes, et attaqué jadis dans son île par les troupes de l’État, avant la délimitation de frontière. 

Kilwa était tout naturellement un foyer de contrebande; N’Soudi était en relations constantes avec 
les riverains congolais; même un chef important de notre rive était soupçonné de vouloir se substituer 
à N’Soudi dans le commandement et l’occupation de l'ile, et ce afin de se soustraire à toute autorité 
européenne, 

Il y a même à craindre de voir s'établir dans l'ile Kilwa un de ces écumeurs blancs de la brousse sud- 
africaine, gens de sac et de corde, dont le seul sort devrait être d’être branchés haut et court. 

Ces constatations justifient amplement la conclusion suivante : l’État du Congo a seul des ennuis par suite 
de l'attribution de l’île Kilwa à l'Angleterre, qui ne saurait tirer aucun parti de l’île, ni même la surveiller 
convenablement. 

L'erreur du tracé actuel de la frontière est due purement et simplement à ce qu’il a été déterminé par des 
diplomates ayant sous les yeux des cartes fantaisistes, dans lesquelles le Moéro, considéré comme expansion 
du Lou-Alaba, se présentait symétriquement à l’est et à l’ouest de la ligne joignant l'entrée du Lou-Alaba dans 
le Moéro, à sa sortie, près de M'pwéto; l'ile Kilwa était représentée en une position telle qu’en déviant un 


” 


Ltat dx Congo 


60 


peu vers l’ouest la ligne de symétrie que nous venons de dire, on laissait l'ile à la Grande-Bretagne. 

Voici, à gauche de la page, un croquis montrant comment on se représentait la topographie du Moéro. 
Dans ee croquis, la ligne en traits interrompus marque la frontière qui aurait été ration- 

nelle si ledit croquis avait été autre chose qu'une fantaisie de voyageur en froid avec la carto- 

graphie même approchée, 

La réalité est que le Moéro se présente comme dans le croquis donné à droite de la page. à 
Un seul coup d'œil comparatif met en relief indiscutable — je parle pour les 2 

gens de bonne foi — que l’ile Kilwa aurait dû revenir à la rive occidentale au lieu 


È d’être attribuée à la rive orientale. 

RS Il ne peut être contesté que ce point demande une rectification de 

frontière, question qui ne se serait jamais posée si les voyageurs chargés 

Ÿ d'apporter la carte de cette région avaient été des cartographes de quelque \ 4 

è valeur, ce dont il n’était pas difficile de s'assurer. lei encore, nous voyons Le 
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à quels mécomptes on doit fatalement se heurter quand on refuse de #4] | 777) Ÿ 

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donner à l'objectif purement géographique la valeur capitale qu’il com- 


porte. 


Pendant notre travail de triangulation il nous arriva une grosse émotion. 

Étant en station à l'extrémité B de notre base, je vois mon aide-observateur Michel se 
pencher brusquement et examiner, avec une extrème attention, la roche sur laquelle nous 
avions dû disposer l'instrument, roche sur laquelle apparaissaient de nombreuses et brillantes parcelles 
métalliques Nos lectures d’angles étant achevées, l'instrument put être enlevé, et nous voilà à deux, à genoux 
sur le roc, et regardant de près ces parcelles qui brillent comme or; à l’aide d’un canif on les enlève; elles 
sont minces, minces | 

Nous les montrons aux noirs qui sont près de nous, en leur prescrivant d’en recueillir le plus possible. 
Pendant ce temps nous nous portons sur un autre bloc de roche; mais ici rien, rien de rien. tout d’abord! 

Puis brusquement voilà que les mêmes parcelles brillantes se montrent aussi, de plus en plus nombreuses : 
par places elles forment des traîinées. Nous nous regardons absolument intrigués, et tout à coup Michel se 
souvient qu'il a des clous en cuivre à ses souliers de marche!!! Lesquels clous avaient mis complaisamment 
des parcelles d’or (!) minces, minces, brillantes, brillantes, sur les roches grenues! 

Deréchef, nous n’avions pas trouvé le précieux métal! 
Ce qui ne nous empêcha nullement de diner d’un fameux appétit! 


Pendant que nous sommes à table sous un arbre superbe {un Mwémwé-Dousséwo), une pintade se lève 
lourdement d’un bouquet de buissons bas, proche de nous; on va voir et on trouve un nid de quinze œufs, que 
je ne laisse pas enlever. 

Le Mwémuwé-Doussèwo, le bel arbre que je viens de dire, montre un trone excessivement rugueux, couvert 
d'énormes loupes très proéminentes ; ses feuilles sont jaunätres, collant aux doigts qu’elles teignent en jaune: 
mises à macérer dans un bassin d’eau et exposées pendant une journte au soleil, elles abandonnèrent une 
curieuse et belle gomme blanche, qui se rassembla dans le fond du bassin. 

Les indigènes tirent de cet arbre une médecine employée contre les maux de ventre : ils prennent des 
fragments d'écorce qu'ils écrasent dans l’eau; puis ils font chauffer cette décoction et l’ingurgitent sans plus. 

A quelque temps de là, je prescrivis par lettre à M. le lieutenant Cerekell de porter toute son attention sur 
cet arbre, et de reprendre l'expérience de production de la gomme blanche par simple macération dans 
l’eau pure. 

M. Cerckell ne parvint pas à isoler la gomme ; ayant fait bouillir le mélange, il obtint, après refroidissement, 
un liquide brun clair où toute trace de gomme avait disparu. 

Il peut être de quelque intérêt, pour ceux qui sont sur place actuellement, de s'occuper du Hwémwe- 
Dousséwo. 


Soirée d'observation détestable. Après avoir pris péniblement quelques étoiles, je puis obtenir une 
zénithale et rectifier la déviation. Puis l’observation continue dans des conditions pénibles : étoiles difficiles à 
prendre dans un ciel perpétuellement variable; commencement de pluie obligeant à couvrir lPinstrument; 
reprise de l'observation, qui dure jusqu’à 23 heures. 

Il a fallu effectuer 41 pointés d'étoiles pour obtenir une observation complète de latitude et d'heure par 
15 étoiles. 

En Europe, on aflirme que les jours se suivent et ne se ressemblent pas; en Afrique, il devenait naturel 
que ce phénomène s’appliquät aux nuits. Bonsoir! 


Mercredi, 18 janvier 1899. 


Excellemment mal dormi : mon lit est bourré de la vermine des tiques. 

A 5 h. 40 m., le thermomètre marque 18° !/,. 

Avant de lever le camp nous procédons à la détermination des trois composantes magnétiques. 

Départ à 8 h. 25 m. Direction générale sud un peu ouest, pendant les 14 kilomètres de l'étape. Le sentier 
suit la rive du Moéro à peu de distance; un rideau d'arbres ne laisse voir le lac et l’île Kilwa qu'à deux ou trois 
reprises. 

On achève de parcourir la facile plaine d'hier, avec son sol de grosses roches spongieuses affleurantes 
(limonite), une herbe basse, une couche de terre végétale de faible épaisseur; il ne faut attendre ici aucun 
avenir de cultures; il semble même que si l’on pouvait obtenir ici quelques produits du sol, les indigènes 
n'auraient pas manqué de s’y installer depuis que l'État les a assurés contre les anciennes razzias arabes; ils 
auraient iei l’eau du lac et ses innombrables poissons; si, depuis Mo-Banga, la rive est si peu peuplée, c’est qu’en 
réalité elle se prête peu aux cultures. 

Vers le milieu de l'étape on distingue vers le sud-ouest la ligne de hauteurs qui a formé jadis les bords immé 
diats du lac, lequel, en se retirant, a laissé à see tout un vaste cirque, que nous traverserons en gagnant Lofoï. 

Voici un camp indigène entouré d'une barrière faite de branches épineuses ; c’est, disent nos gens, un point 
où à campé le Capitaine Weatherley, en route vers le Bangwélo. 

Le sol est maintenant parsemé de sable blanc; parfois une maigre ligne d'arbres coupe la plaine, qui se 
pare aussi de quelques borassus, dattiers sauvages et euphorbes candélabres. 

Vers la fin de l’étape le manteau herbeux est un peu plus dense. 

Un peu avant 11 heures, superbe halo complet dans un ciel merveilleux : au zénith, voile ténu et transparent 
de cirrus en spirales ; à l'horizon, cumulus isolés flottant légèrement; fond d’un bleu intense. 

A 11 h. 15 m., nous sommes au poste noir de Ki-Lomba, où Dardenne était venu s'installer en novembre 
dernier; Pierrot est, naturellement, enchanté de nous voir arriver et de reprendre sa place de colonne. 

Le poste dont il a été «le chef » se compose d’une simili-maison en torchis, d’un hangar et d’une euisine 
en plein vent, le tout sur dalles de limonite; entre ée point et le lac s'étend une plaine herbue, basse, sans 
arbres, inondable, et dont le sol est fait d’une légère couche d'argile recouvrant un épais dépôt de sable. 

Deux tentes, et un abri supplémentaire à construire, compléteront nos installations. 

Dès notre arrivée on commence la construction de l'observatoire où seront faites une série d'observations 
de culminations lunaires. Cette construction est rendue difficile par la nature résistante du sol, laquelle, d'autre 
part, assurera une stabilité parfaite des instruments. 

Pendant que mes adjoints sont occupés à cette besogne, j’effectue les calculs préparatoires à l'observation 
de la lune. 

Et comme une prise de culmination est chose importante, nous nous passons de déjeuner, grâce à quoi, 
à 17 h. 30 m., l'observatoire est terminé, le cercle méridien mis en place dans l’axe d’une percée méridiennne 
longue de 200 mètres. Quand l'instrument est orienté, nivelé et pointé, il n’y a plus que cinq minutes pour le 
passage de la lune; ce qui serait très satisfaisant si, après la prise de ce bel astre, le ciel ne se couvrait si 
complètement que je dois me résoudre à enlever l'instrument. 

Après le repas du soir, — le deuxième de cette journée, — le ciel, très capricieux à l'époque où nous 
sommes, se découvre partiellement; nous reprenons l'observation aussi précaire que longue. 


CHAPITRE IX. 


Séjour au poste dit de « Ki-Lomba ». — Mauvaises soirées. — Visites de chefs. — 
Négligence orthographique. — Abondance de provisions culinaires. — Palabre ami- 
cale. — Pléthore de porteurs. — Coiffure de femme favorite. — Dispute de nègres. — 
Morsure de scorpion. — Arrivée d’un nouveau géologue et d’un nouveau prospector. — 
Reconnaissance géologique de la vailée de la Lou-Fonzo. — Pêches miraculeuses. — 
Psychologie négre. — Toujours les mauvaises soirées. — Toujours le mauvais 
temps. — Les ambachs. — Reconnaïssance de la rive par M. Michel. — Considérations 
relatives à une station à créer au sud du Moéro. — Le « Dawa » du chasseur noir. — 
Terminologie indigène. — Nouvelles de M'Pwéto. — Du choix des stations. — Visite de 
deux envoyés de N’Soudi. — Utilisation de l’ambach. — Nouvelles diverses. — État 
sanitaire déplorable. — Mauvaises dispositions de notre escorte. — Cucurbitacées 
comestibles. — Un chasseur d’éléphants. — Encore la vermine. — De H. échaudé. 
— Fin du séjour à Ka-Béça. — Préparatifs de départ vers Lofoï. — Envoi de la 
caisse de collections n° 13. — Départ de l’avant-garde. — La rivière Ka-Béça et la rive 
du Moéro. — A propos des anciens lits de lacs asséchés. 


Jeudi, 19 janvier 1899. 


Passé une abominable nuit, en compagnie d’une abondante vermine d'infectes tiques. C’est à la maison de 
Mo-Linga que nous avons pris cette saleté; elle y pullule; toute notre literie en a été envahie; cela remplace 
supérieurement les puces de Mpwéto, et me rappelle de façon cuisante plus d’un hôtel renommé de certaines 
grandes villes de Belgique et de France. 

Pendant la nuit, je prends quinze tiques dans mes draps; le matin, j'en recueille un nouveau contingent: 
le malheur est que des femelles pleines ont éparpillé leur abondante progéniture dans nos matelas el 
couvertures ; une nombreuse corvée de moricauds est mise à la chasse de ces abominables bestioles. 

A 8 heures s’amène un groupe de chefs conduits par Ki-Lomba; cest chez ce dernier que nous nous 
trouvons pour le moment; son village est à 250 mètres du poste; le nom de ce village est Ka-Béça, qui est 
aussi le nom d’une petite rivière qui y passe, et dont l'existence nous sera révélée plus tard comme je le dirai 
en temps et lieu ; les Européens ont donné au village le nom de son chef, erreur commise si souvent, ainsi que 
je lai signalé à diverses reprises. De plus, les agents de l'État du Congo ont écrit le nom comme ils le 
trouvèrent dans les cartes anglaises, c’est-à-dire sous la forme Chilomba, avec le c dur, mais ils n’eurent 
garde de manquer de le prononcer à la française, avec le ch doux, qu'ils transformèrent même en {ch, ce qui 
leur faisait appeler le village du nom fantaisiste et inexistant de Tchilomba, assez différent, n'est-ce pas, 
du véritable nom Ka-Bécça. 

Le chef Li-Lomba arrive done accompagné des nommés Mou-Koubé, Ka-Mpongué, Ka-Chobwé, Ka-Hindo, 
Sénami. 

Mou-Koubé et Ka-M'pongué sont les seconds de Ki-Lomba ; Ka-Chobwé et Ka-Hindo viennent du village 


Mou-Kibondo, à quatre ou cinq jours de pirogues à l’est sud-est de Ka-Béça; enfin Sénami est installé à un jour 
à l’ouest de Ka-Béça ; c’est un arabisé noir se qualifiant de Mo’n'gwana, c’est-à-dire « homme libre conquérant, 
venu de Zanzibar ». 

Sénami à eu jadis maille à partir avec les troupes de l'État; il s’est ensuite soumis et est muni 
d’un bout de papier, signé Brasseur, qui le recommande à la bienveillance des Européens. 

Tout ce monde est porteur du cadeau coutumier; même le caporal famba-[lamba, le chef de poste de 
Ka-Béça, présente aussi son salam. 

À eux tous ils déposent devant nous : 20 poules, 5 pigeons, 1 mouton, 1 chèvre, 2 charges de poissons 
fumés, 2 charges de poissons frais, 14 œufs, 13 paniers de farine. 

Dardenne contemple cette abondance avec un profond étonnement : depuis son installation à Ka-Bécça, 
en novembre dernier, il avait eu toutes les peines du monde à obtenir de temps en temps un poulet; il avait 
perdu tout à fait le goût des œufs et avait dû se nourrir presque exclusivement de poisson, lui qui n’en 
raffole pas. Aussi avait-il cru prudent de m'envoyer un mot à M'pwéto, pour me dire qu'il y aurait lieu pour 
nous d’emporter de cette station force volailles, chèvres et moutons, pour arriver au sud du Moéro, où rien de 
pareil n'existait. 

Nous n’en avions rien fait naturellement; ce qui restait des cadeaux reçus le long de la route, joint à ce 
qu'on nous apportait aujourd'hui, assurait pour quelque temps le service de la table. 

Jexplique aux chefs le but de notre mission; mon désir est de leur inspirer confiance ; et longuement je 
recommence les explications, exhibant les dessins de Dardenne, dans lesquels ils reconnaissent leurs oiseaux, 
leurs poissons, leurs plantes, leurs paysages; je leur dis que nous étudions les pierres, la terre, les eaux, les 
arbres; que nous faisons des mokandes (papiers écrits et dessins) représentant le pays, les villages et les 
gens..., ete, ete.; Michel apporte ses flacons où s’enroulent et se mélent serpents, lézards, caméléons, 
grenouilles, scorpions, chenilles. ; il leur déplie les cornets à papillons et à coléoptères ; il déploie les peaux 
préparées pour l'envoi en Europe. 

« Nous allons, dis-je ensuite, rester ici une dizaine de jours, pendant lesquels nos chasseurs iront à la 
recherche de tous les animaux possibles; vous nous les verrez préparer pour être expédiés à Mpoutou (Europe); 
si vous-mêmes où vos gens nous apportez des bêtes quelconques, nous les achèterons toutes. » 

Tel est le sujet de notre palabre; j’insiste sur le fait que partout où nous irons nous agirons de même; mes 
auditeurs sont pleinement satisfaits, ainsi que nous en aurons la preuve par les relations continues qui vont 
s'établir entre notre camp et les indigènes venant de trois, quatre et cinq jours de distance. 

Déjà aujourd'hui, MM. Fromont et De H., qui ont charge d'acheter les vivres, triplent notre basse-cour; 
Dardenne aflirme n'avoir jamais vu autant de poules ensemble de sa vie; on nous vend les œufs par dou- 
zaines; et, chose précieuse, outre les ordinaires légumes indigènes, patates douces, ignames, courges, 


haricots, champignons, on nous apporte du riz du pays et plusieurs corbeilles d'oignons. 


Quant au poisson, Cest par charges entières qu'il est offert en vente. 

Reçu de Lofoi un courrier par lequel M. Verdick m'envoie l’état justificatif des dépenses qui a faites pour 
le compte de notre mission; il me fait aussi connaître que 171 des porteurs qu'il avait envoyés pour nous 
à Ka-Béça sont entrés à vide; au lieu de la pénurie de porteurs redoutée par les intéressés, il y avait done eu 
pléthore marquée. 

Conformément à ce que je lui avais écrit, M. Verdick à dit à ces 171 porteurs qu'ils seraient indemnisés à 
mon arrivée à Lofoï. 

Le chef de la zone Ka-Tanga à aussi la prévoyance de faire préparer pour nous les moustiquaires spéciales 
que réclame la station de Lofoï, le poste le plus moustiqueux de tout le Congo. 

Répondu de suite à M. Verdick que nous sommes bien daccord. 


L'après-midi est employé au caleul de lobservation d'hier; Michel à installé son atelier de taxidermie ; 
Fromont fait établir à 500 mètres du camp des latrines pour blancs el pour noirs, précaution indispensable en 
cas de séjour assez prolongé comme va être le nôtre à Ka-Béça; les chasseurs noirs se sont mis en campagne, 
pleins d’ardeur, car les environs sont réputés très giboyeux ; Dardenne, Dardenne lui-même, qui ne sait pas trop 
bien si un fusil se tient par le canon ou par la poignée, a tué un zèbre et vu un lion... avant notre arrivée! 

Bref, tout est pour le mieux! 

La journée est ensoleillée à plaisir; mais, avec la tombée de la nuit, le firmament se voile, et il devient 
impossible de prendre la lune qui passe au méridien, pudiquement enveloppée du plus sombre et impénétrable 
manteau. 

A 20 h. 30 m., le ciel se découvre suffisamment pour que nous puissions saisir 11 étoiles 


Vendredi, 20 janvier 1899. 


Assez bien dormi. 

A 6 !/, heures, le thermomètre marque 19 1/, degrés; à 7 h. 30 m., la température n’a monté que de {' 

Matinée de calculs. 

Visite du chef Mo-Limba, du village Lou-Sékilo, apportant deux poules et douze paniers de farine. 

Le chef Mo-Limba est un ami intime de Dardenne, lequel à aquarellé la favorite de Mo-Limba sous toutes 
ses faces ; en sa qualité de favorite, ladite belle porte une coiffure vraiment originale, dont la confection demande 
plusieurs mois ; on à pu en juger lors de l'exposition des œuvres de Dardenne au Cerele artistique de Bruxelles, 
en juin dernier. (Voir là planche en couleurs.) 

Nos collections s’augmentent aujourd'hui d’un bel oiseau de la famille des cacatoès, oiseau pour lequel les 
indigènes n'ont pas de nom. 

Recueilli aussi un superbe coquillage à intérieur de nacre rose, gros comme le poing, avec une quantité de 
tout petits œufs. 

Ces animaux sont visibles à Tervueren. 

La tombée du jour amène encore un ciel couvert; il faut 28 pointés pour obtenir 11 étoiles et la lune. 

Le maximum thermométrique a été de 26° 3/,. À minuit, le thermomètre marque 22°. 


Samedi, 21 janvier 1899. 


——_—————————"——__————…— 


Passé une bonne nuit, bien que n'ayant terminé l'observation d'hier qu'à 25 heures. 
A 6%/, heures, le thermomètre marque 21°. 
Matinée de calculs. 


Dispute au couteau entre nos boys et le gamin qui nous sert de cuisinier depuis Moliro, un curieux gosse 
répondant au nom de Ki-Toumbou, toujours gai, d’un dévouement et d'une fidélité inaltérables; ennuyé par 
tous les autres boys qui se sont liguëés contre lui, Ki-Toumbou à joué du couteau; enquête à laquelle je me 
livre est en sa faveur et me force à intervenir contre mon boy personnel, Ie nommé Djôti, ce serviteur engagé à 
Blantyre (Nyassaland), et qui, jusqu'ici, m'avait toujours très bien servi. En le prenant à mes gages, je lui avais 
spontanément déclaré qu'il ne recevrait jamais la courbache, mais que, si j'avais à me plaindre gravement de lui, 
Je le congédierais immédiatement. Comme aujourd'hui, il accueille fort mal les observations que je lui fais et 
refuse de m'obéir, je le fais empoigner par quatre soldats contre lesquels il se rebiffe avec une véritable fureur ; 
lorsqu'il est maté, je le fais relâcher en le prévenant que s’il ne se tient coi, je devrai sévir plus rigoureusement. 
Je dois, en effet, maintenant que nous sommes dans la brousse, être impitoyable pour tout acte de désobéis- 
sance au chef de la colonne. A peine reläché le boy redevient insolent; il est empoigné de nouveau, et un coup 
de fouet, un seul et unique, lui est appliqué; je lui déclare alors qu'il n’est dorénavant plus à mon service; son 
compte va être réglé séance tenante; après quoi il redeviendra pour moi un noir quelconque contre lequel je 
ferai sévir aussi durement qu'il le faudra. 


Le boy Djôti reçoit donc de suite son payement en étoftes; il est maintenant libre de s’en retourner chez 
lui; avec lui partira le boy de Michel, également recruté dans le Nyassaland, et auquel j'avais promis de ne 
jamais le séparer de Djôti. 

L’oreille basse, nos gens se retirent à l'écart. 

Pour nous &’est un gros ennui, car notre domesticité était, déjà avec eux, fort rudimentaire. 

Je remplace Djôti dans mon service par Ki-Toumbou; un soldat servira Michel jusqu'à Lofoi, où nous 
trouverons peut-être de l’aide. 

Le service de la cuisine est assuré par ce qu'on appellerait ici un demi-cuisinier ; C’est un des deux boys 
de Fromont, qui remplacera Ki-Toumbou auprès du cuisinier en chef, qui — c’est vraiment un jour de 
déveine — se fait piquer au poignet par un scorpion, en manipulant le bois mort de ses fourneaux, si j'ose 
ainsi parler; il arrive hurlant à la mort; on lui plonge la main dans une solution de permanganate de potasse, 
en lui aflirmant que cette médecine guérit toutes les piqures de tous les scorpions du monde; le patient cesse 
de hurler et, la suggestion aidant, oublie de mourir, ainsi qu'il s’y attendait. 


Un courrier de Mpwéto n'apporte une lettre du lieutenant Chargeois, n'annonçant que deux blanes sont 
arrivés pour me joindre, en remplacement des regrettés De Windt et Caisley; ce sont MM. Kemper Voss, 
ingénieur-géologue, né au Natal (Afrique du Sud), de parents anglais, et Louis Questiaux, prospector, un 
Anversois, ayant passé cinq ans et demi au Transvaal. Tous deux viennent de Johannisburg, où ils travaillaient 
aux mines d'or. Ils sont arrivés à M’pwéto, où ils ont rencontré M. Cerckell (retour de MTowa vers le sud du 
Moéro), qui leur à donné, au sujet des terrains au nord de Mpwéto, des renseignements les incitant à pousser 
une reconnaissance au moins jusqu'à Mou-Téta, à un jour au nord de Mpwéto. 

D’après lesdits renseignements, MM. Voss et Questiaux auraient cru à des formations aurifères, et ils se 
sont mis en route pour aller s’en assurer. 

On se souviendra que j'avais remis à M. Chargeois un important lot d'outils variés apportés par notre 
premier prospector, M. Caisley. 

A ce que m'écrit le chef de poste de Mpwéto, notre nouveau prospector ne leur voit pas d'emploi, du 
moins à la plupart; il n’enlèvera donc de M’pwéto que ce qui lui sera vraiment nécessaire. 

La lettre de M. Chargeois me fait rédiger de suite une série de lettres qui partiront encore aujourd'hui vers 
Mpwéto. 

La première est adressée à M. Crawford, le missionnaire de Loanza, à qui j’envoie 19 livres 18 shillings, 
payement des trois voyages faits pour nous par le bateau à voiles de sa mission. Je demande, d'autre part, à 
M. Crawford, de bien vouloir me fournir tous renseignements possibles sur les populations avec lesquelles 
il est en contact : densité, mœurs, coutumes, occupations, croyances, aptitudes, légendes, etc., etc. 
M. Crawford me répondra en me promettant l'envoi de nombreux documents et renseignements... que 
J'attends encore ! 

La deuxième lettre est pour M. Chargcoiïs, à qui je demande d’expédier d'urgence à MM. Voss et Questiaux 
des instructions jointes à ma lettre. 

La troisième missive est pour ces deux messieurs, dont l’arrivée ne m'a été annoncée par aucune espèce de 
document ofliciel; à la rigueur je n'aurais même pas à les recevoir! Il va sans dire que &’est le contraire que je 
fais, en leur souhaitant la bienvenue; après quoi ma lettre leur dit tout l'intérêt que présente, au point de vue 
géologique, la vallée de la Lou-Fonzo, que nous avions suivie à la fin de notre voyage entre le Tanganika-sud et 
le Moéro-nord. 

Je prescris à mes nouveaux adjoints de se porter jusque Ki-Sabi, à trois jours au nord-est de Mpwéto, et 
d'y prendre tout le temps nécessaire à une reconnaissance complète de la région; inutile qu'ils cherchent à nous 
rattraper le plus vite possible; comme nous séjournerons assez longtemps à Lofoï, c’est là que je leur donne 
rendez-vous dans deux mois; d'ici là, ils auront à se mettre à leur besogne spéciale qui sera facilitée par la 
copie, que je leur envoie, de l'itinéraire à grande échelle dressé par nous entre Ki-Sabi et M'pwéto; cette copie 
est faite par le sous-lieutenant Fromont, pendant que j'abats moi-même ces diverses missives. 


ie 


J'autorise encore MM. Voss et Questiaux à louer la barque de la mission de Loanza, pour faire le trajet 
Loanza—Ka-Béça; le prix de location devra rester compris entre 5 à 8 shillings par jour; il leur est loisible, 
toutefois, de faire le voyage complètement par terre, s'ils trouvent la chose préférable. 

A propos de l’arrivée de MM. Voss et Questiaux, destinés à prendre la place de feu le D° De Windt 
et Caisley, j'attirerai l'attention sur la rapidité avec laquelle s'était opéré ce remplacement; cest dans Ja 
nuit du 9 au 10 août derniers qu'avait eu lieu l’horrible accident, où avaient péri nos deux amis; et à la 
mi-janvier suivante, soit en cinq mois, le gouvernement de l'État du Congo, à Bruxelles, prévenu par dépéche, 
avait pu faire recruter à Johannisburg un nouveau géologue et un nouveau prospector, et les amener sur le 
terrain d'opérations de la mission scientifique du Ka-Tanga. 

Comme notre mission devait dépasser de six mois le temps d'action que lui assignaient ses instructions, il 
en résulte que les reconnaissances de géologie et de prospectage furent effectuées pendant la durée prévue par 
le gouvernement; d'autre part, la seule portion de notre itinéraire non couverte par ces reconnaissances 
spéciales est la portion Moliro—Ki-Sabi, équivalente au vingtième environ de notre itinéraire total. 

Cette constatation répond aux bons esprits qui, à l’annonce de la mort de De Windt et Caisley, avaient 
déclaré que la mission scientifique du Ka-Tanga était au diable! Elle en est revenue et ne demande qu'à y 
retourner ! 

Enfin, j'écris encore une quatrième lettre à l'adresse de M. le lieutenant Cerckell, à qui je signalais que 
nous avions laissé à Mo-Linga, — où il compte élever son poste, — un piquet indiquant le point dont nous 
avons fixé les coordonnées astronomiques; je le prie de remplacer ce piquet par un pilier en maconnerie, ou 
par une grosse roche à moitie enfoncée en terre, ou enfin par une butte quelconque faute de mieux. 

Pattire aussi l’attention de M. Cerekell sur le nom indigène de son poste, qui est Mo-Linga et non Kilwa, ce 
second nom étant le nom de l’ile anglaise ; il devra noter aussi que le village où nous campons en ce moment 
s'appelle Ka-Béca et non Tchi-Lomba, ainsi que nous lPavons entendu appeler erronément par les blancs 
de l'État, depuis notre arrivée à M'pwéto. 

Enfin, je prie encore M. Cerckell de reprendre nos essais sur l'arbre Muwémwé-Dousséwo, qui existe à 
Mo-Linga, et dont j'ai parlé précédemment avec quelques détails. 

Tout ce courrier est fermé assez à temps pour que les deux hommes qui vont le porter puissent encore 
partir aujourd’hui avant la tombée du soir; d’ailleurs il y a lune; ils pourront donc fournir une bonne étape 
de nuit : il importe que ma lettre à MM. Voss et Questiaux les touche le plus tôt possible. 

La soirée s'annonce d’abord favorable, mais quand, à 19 heures, je mets Pœil à loculaire, voici que le 
temps se brouille, et tout ce que nous pouvons faire est d’avoir la lune et trois étoiles ; le ciel devient unifor- 
mément noir; inutilement restons-nous en station jusqu'à 23 heures, dans l'espoir, déçu, de saisir encore 
quelque étoile. 

Quand je rentre dans ma chambre, jy trouve le boy Djôti qui, selon qu'il en avait coutume, a tout préparé 
et attends les ordres comme si rien ne s'était passé ce matin. 

Je lui montre la porte; il file sans mot dire! 

Passé une assez bonne nuit. 


Dimanche, 22 janvier 1899. 


Michel ne va qu'à moitié; les autres sont ingambes. 

Matinée de calculs. Écrit à M. Verdick pour lui annoncer l’arrivée de MM. Voss et Questiaux, et le prier de 
modifier en conséquence les préparatifs qu'il fait pour nous loger. 

Un indigène apporte un curieux rongeur dénommé Fouko; test une sorte de taupe grise dont les 
incisives longues et redoutables font saillie entre les lèvres (visible à Tervueren). {Voir là planche en couleurs.) 

Reçu la visite du chef Ki-Sito, du village Mou-Kabanga, sur le Moéro, à une demi-journée de pirogue 
de Ka-Bécça; ce chef apporte deux énormes paniers de poissons fumés et une corbeille de farine. La quantité de 
poissons que prennent, en ce moment de l’année, les riverains de cette partie du lac, est inouie, le mot 
n’est pas trop fort; notre caravane s’en donne... jusque-là ! On prend surtout deux espèces de poissons : des 
silures et un poisson ressemblant à notre carpe; ces deux espèces sont très huileuses; aussi l'indigène 


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en retire-t-il une huile comestible. La pêche se fait au moyen de nasses dormantes, de filets, et aussi au 
harpon ; nous avons rapporté un de ces instruments, remis aux collections de Tervueren. 
Dans la journée, le boy Djôti — qui ne se décide pas à s’en aller — vient me trouver dans ma chambre : 
« Maître, dit-il, laisse-moi reprendre mon service; tu as toujours été content de moi et moi de toi; hier, 
J'avais bu du pombé; tu pourras me faire donner le fouet, mais je demande seulement de n’être pas frappé 
devant tout le monde; tu me feras punir, s’il le faut, dans ta chambre, sans que personne le voie. » 


Curieux mélange de fierté et de résignation ! Mais je ne puis reprendre le boy repentant, sans provoquer 
parmi le reste de nos gens une impression que je dois à tout prix éviter : l'impression qu'on peut m'avoir 
manqué de respect sans être puni sévèrement; si Je reprenais le boy, les noirs qui marchent avec moi considé- 
reraient que j'ai manqué de fermeté; ils aecepteraient mal que j'aie pu pardonner, surtout que mon 
intérèt personnel est en jeu. 

Si précieux que me soient les services de Djôti, si sincère que puisse être son repentir, notre prestige sur 
ceux que nous menons exige que la décision prise hier à son égard reçoive son exécution. 

C’est ce que je lui dis doucement; et le garcon pleure, puis s’en va! Nous ne nous verrons plus jamais ! 

Petit drame, pour tout autre que pour moi! 


Soirée infecle; orage, ciel bourré de cumulus et de mammalo-cumulus; pluie. 
Jusqu'à 23 heures nous attendons une éclaircie qui ne vient pas; nous gagnons finalement nos couchettes 


où nous berce mal un orage furieux. 


Lundi, 23 janvier 1899. 


Assez bien dormi. 

A 6 heures, le thermomètre marque 19°3/,. 

Journée de calculs. 

De 15 heures à 15 h. 45 m., pris, au magnétomètre Delporte, la déclinaison et l’inclinaison; le vent s'étant 
alors levé, nous devons remettre à plus tard la détermination de intensité. 

La soirée s'annonce d’abord fort mauvaise, puis s'améliore; je puis prendre très bien quelques étoiles; 


après quoi, tout se gàle de nouveau, et &’est avec peine que je puis obtenir la lune en finissant lobservation. 


Mardi, 24 janvier 1899. 


Mauvaise nuit. 

À 6 h. 15 m., le thermomètre marque 21°. 

Dardenne, qui avait été repris d'asthme avant notre arrivée à Ka-Béça, tousse actuellement beaucoup. 

Le sous-lieutenant Fromont, — qui répond très intelligemment à tout ce que je demande de lui, — est 
envoyé à la rive du lac pour y ouvrir une percée dans la belle galerie d’ambachs qui borde cette rive; on sait 
que l’ambach (Herminiera elaphroxylon) est tellement tendre, qu’on tranche d’un seul coup de machette des 
arbres de 12 centimètres de diamètre ; quelques coups de machette abattent des troncs de 25 à 30 centimètres 
de diamètre; M. Fromont ouvrira une bande d’une centaine de mètres de longueur, afin que j'essaye d'y 
mesurer une base pour trianguler à nouveau l’île Kilwa. 

En ce moment de l’année la rive proprement dite du Moéro est difficile d'accès par terre; du poste de 
Ka-Béça, qui est distant d'environ 2 kilomètres du lac, celui-ci ne se voit pas; seule la ligne d’ambachs barre 
l'horizon; les pluies ont provoqué la formation de lagunes, et, pour arriver au lac, il faut se faire porter 
presque tout le temps; à son arrivée, en novembre, Dardenne avait trouvé un point d’abordage tout préparé, 


TT ES 


où le chef Ki-Lomba et le caporal lamba-lamba avaient eu lexcellente idée de construire une sorte de pier en 
troncs d’ambachs. 

C’est là que M. Fromont ira ouvrir la percée. 

De son côté M. Michel reconnaitra par eau, en détails, la rive entre l’abordage de Ka-Béca et celui 
de Mo-Linga, afin de déterminer s’il n’y aurait pas un meilleur point d'accès, car ni Mo-Linga, ni Ka-Béca ne 
conviennent pour une installation européenne. 

À 10 h. 30 m., arrive M. Cerckell, venant me consulter sur l'emplacement du poste qu'il doit fonder. 

Déjà j'avais trouvé que Mo-Linga était détestable au point de vue de la rive, qui n’est que roches où le flot 
déferle constamment; choisir un pareil port, c’est vouloir crever toute embarcation qui s’y amarrerait. 

De plus il ne s’y trouve pas un seul indigène; il n'y a comme eau potable que l’eau du lac, chargée de 
matières organiques qui la colorent fortement et lui donnent une saveur lourde, fade, nausteuse; cela provient 
de ce que le Moéro forme ici une vaste anse sans courant marqué; le courant épurateur du Lou-Apoula se fait 
sentir à l’est de l’ile Kilwa. 

Il y a encore — et je l'ai déjà signalé — que le sol de Mo-Linga et de ses alentours laisse affleurer partout 
les larges dalles de limonite; l'herbe même v reste basse; il n’y a pas dix arbres pouvant donner des matériaux 
de construction à demi passables; et tout essai de cultures — autre qu’un potager dans un bas-fond près de la 


rive — est condamné d'avance. 

D'autre part, toute surveillance de l'ile Kilwa est illusoire. 

Enfin, au point de vue du ravitaillement du Ka-Tanga, s'installer à Mo-Linga c’est réduire le trajet 
par eau (qui peut se faire au moins jusque Ka-Bécça), pour augmenter le trajet par terre. Or, l’avantage général 
serait que les approvisionnements du Ka-Tanga fussent amenés par eau le plus loin possible dans le 
Lou-Apoula, et de là dirigés vers le chef-lieu de la zone Ka-Tanga par une route à déterminer, qui peut 
être beaucoup plus courte et surtout meilleure que la route Ka-Béça—Lofoï, où nous trouverons prochainement 
les plus rudes et plus difficiles montées et descentes que nous aurons rencontrées jusque-là. 

En résumé rien ne justifie, à mon avis, la création d’un poste européen en face de l'ile Kilwa; un 
pareil poste ne fera que coûter inutilement et créer des ennuis. 

M. Verdick, de qui relève le lieutenant Cerckell, a écrit à ce dernier de se placer entre Ka-Béça et 
l'embouchure du Lou-Apoula; cela vaudrait déjà mieux que le point de Mo-Linga. 

Mais, à mon sens, le nouveau poste devrait être installé dans le Lou-Apoula, vers ses premiers rapides, 
c’est-à-dire jusqu'au point extrème que peuvent atteindre les embarcations venant du lac. 

Ainsi que je viens de le dire, ce serait là la meilleure solution au point de vue du ravitaillement du 
Ka-Tanga qui — de Mpwéto ou de Ki-Engué — pourrait se faire par baleinières ou pirogues du nord 
du Moéro, ou envoyées du nouveau poste même. 

En second lieu, on occuperait une partie de frontière où vont bientôt s’installer nos voisins. 

En troisième lieu, on y aurait de meilleure eau potable; ici, il faut boire une eau colorée et d’odeur trop 
marquée, même si l’on envoie des pirogues puiser l’eau à grande distance de la rive, ce que nous faisons faire 
chaque jour. 

En quatrième lieu, il est infiniment probable qu'on trouverait dans le Lou-Apoula un meilleur 
emplacement de cultures de rapport. (J’entends parler ici tout spécialement du caoutchouc qui pourrait être 
planté sous les espèces du Ficus elastica, existant déjà dans les villages.) 

En cinquième lieu, enfin, on pourrait peut-être, — par une reconnaissance plus détaillée que celles faites 
Jusqu'ici, — trouver un affluent de gauche du Lou-Apoula qui serait navigable aux pirogues, ne füt-ce qu'une 
partie de l’année, et qui pourrait dès lors être employé pour le ravitaillement du Ka-Tanga. 

Il n’est pas inopportun que je mentionne ici que les instructions gouvernementales dont j'étais porteur 
disaient : « La mission scientifique du Ka-Tanga n'aura à jouer aucune espèce de rôle politique, sauf le 
long de la frontière méridionale et dans les régions qui confinent aux lacs Moéro et Bengwélo. » 

La création du nouveau poste dont était chargé M. Cerckell ayant évidemment un côté politique, je ne crus 
pas devoir éconduire cet officier qui venait me consulter à ce sujet; j'eus soin seulement de lui spécifier que 
jentendais ne lui donner mes avis et considérations qu’à titre purement officieux, sans qu'il puisse s’y référer 
auprès de ses chefs immédiats. 

C’est dans ces conditions que je fis connaître à M. Cerckell les réflexions que je viens d'émettre, en 

12 


= 18 


l’engageant à les méditer à son aise, ce qui lui était facile, car il se proposait de passer toute la journée avec 
nous, et de ne s’en retourner à Mo-Linga que demain matin. 


Je serai fort curieux de voir si le poste central de Lofoi justifie réellement son existence. Il me semble 
que ce poste pourrait avantageusement se déplacer vers le sud-est pour occuper un point frontière. 

J'avais espéré pouvoir pousser une pointe jusqu'à Tehafounlougouta, ou plus exactement Mou-Kibondo, 
village du chef Ka-Chobwé, à l'embouchure du Lou-Apoula; ce chef, on se le rappellera, nous a fait visite Jeudi 
- dernier, et d’après ses renseignements, il m'aurait fallu huit à dix jours pour pousser jusque dans le Lou- 
Apoula; j'aurais pu exécuter ce projet si, depuis huit jours que nous somme ici, nous avions eu de bonnes 
soirées ; or, je n'ai pas encore pu prendre une vraiment belle observation d'heure. 

Dans ces conditions, je ne pourrais me rendre au Lou-Apoula qu’en sacrifiant la prise de la prochaine 
lune à Lofoi; mais ce serait retarder trop l'exécution de litinéraire Mpwéto-Lofoi, que je désire envoyer en 
Europe avant d'entreprendre une nouvelle section. 

Nous renoneerons done pour le moment au Lou-Apoula; plus tard peut-être pourrons-nous, en partant de 
Lofoï, nous porter aux chutes Johnston; les circonstances nous guideront. 


En rentrant de la reconnaissance de la rive entre Ka-Béça et Mo-Linga, M. Michel me fait connaître que les 
deux meilleurs points d'accessibilité à la rive qu'il ait trouvés, sont situés l’un près de l’autre, et à peu près 
exactement à mi-distance entre Ka-Béça et Mo-Linga. 

En l’un de ces points, sa pirogue à pu arriver jusqu'à 250 mètres de la laisse extrême des eaux; pour 
atteindre cette ligne limite, M. Michel à dû se faire porter pendant 100 mètres environ, sur lesquels il y avait 
25 centimètres de profondeur d’eau; après quoi, il a continué à pied sur 150 mètres de terrain détrempe. 

Cette bande de 250 mètres, entre le point accessible en ce moment aux pirogues et la laisse des plus hautes 
eaux, est couverte de hautes herbes et se termine à un rideau d'arbres qui marque précisément la limite des 
hautes eaux, limite où émergent quelques grosses roches. - 

Un second point d'abordage, situé un peu au nord du premier, se montra supérieur en ce sens que la bande 
herbue et détrempée, séparant la terre ferme du point où peuvent arriver les pirogues, n’était plus que de 
75 mètres de large; ici encore, la laisse des eaux est marquée par quelques grosses roches, et par une bordure 
d'arbres profonde de T5 mètres, à l’ouest de laquelle s'étend la plaine traversée par le sentier que nous avons 
suivi pour arriver de Mo-Linga à Ka-Béça. 

De ces deux points de meilleur abordage on voit très bien l'ile Kilwa; ces points seraient supérieurs à 
Mo-Linga et à Ka-Béca, tout en laissant aussi à désirer. 

Mais les raisons multiples que j'ai énumérées tantôt condamnent suffisamment toute cette portion de la 
rive du Moéro au point de vue de la création d’un poste ne douane et de surveillance. 


Depuis quelque temps notre chasseur noir rentrait régulièrement bredouille; la nuit dernière, il a fait dawa, 
c'est-à-dire qu'il à très sérieusement accompli quelque rite secret de magie... noire, &’est le cas de le dire. 

Et voici qu'il nous revient à la tombée du jour avec deux pintades et une petite antilope. 

De leur côté les indigènes nous ont apporté deux chevaliers armés et un superbe oiseau d’eau que nous 
voyons pour la première fois; nom indigène : moganga. Dardenne en prend une aquarelle; demain, Michel 
mettra l’oiseau en peau. (A voir à Tervueren.) 

Le nom indigène du chevalier armé est : ga’ n’ganza-golé-golé, qui me parait onomatopique. 


— 179 — 


Un autre nom indigène, moins agréable, venu à notre connaissance aujourd'hui, est celui de Æi-ondué, 
qui désigne une tique spéciale s’attaquant à l’homme; elle se plait dans les huttes; c’est elle que nous avons 
prise en telles masses à notre passage à Mo-Linga. 

Comme nos provisions de bouche sont largement assurées, je puis donner à M. Cerkell, pour commencer 
son futur troupeau, un bouc, une chèvre (la chèvre laitière que nous avions emmenée de Mpwélo) et un 
mouton. 

Soirée détestable ; orage superbe de violence; nuées bibliques; pluie diluvienne; toute la Iyre. Impossible 
de faire une observation. 


Reçu dans la soirée un courrier de M'pwéto. M. Chargeois, homme prudent autant qu'actif, m'avise que 
si le séjour de MM. Voss et Questiaux doit se prolonger à Mpwéto, il n'aura pas assez des deux ballots d’étoffe 
que je lui ai laissés pour couvrir les dépenses occasionnées pour notre mission. 

Une autre lettre du même oflicier — qui s'empressa toujours de me tenir au courant de tout ce qui pouvait 
nous être utile — me dit que MM. Voss et Questiaux sont très vivement intéressés par les formations qu'ils ont 
trouvées à Mou-Téta, formations qui se rapprochent beaucoup de celles de Johannisburg. 

De leur côté MM. Voss et Questiaux m’annoncent leur arrivée; en particulier M. Voss me demande de lui 
envoyer les divers instruments que je dois posséder pour les travaux du géologue; il nr’écrit que le consul qui 
l’a engagé à Joannisburg l’a prévenu que nous étions munis de tout ce dont lui, M. Voss, aurait besoin, 
comme boussole, éclimètre, goniomètre, anéroïde, niveau, thermomètres pour le sol, etc., etc. 

Nous avions emporté tout cela d'Europe, mais tout à été englouti dans le Tanganika, lors de l’accident qui 
nous à pris De Windt et Caisley. 

Vraiment, notre nouveau géologue aurait été élémentairement prudent en emportant, de Johannisburg 
ou de Prétoria, tous les instruments qu'il me demande aujourd'hui; tout ce qui aurait pu arriver, c'est que 
nous les eussions possédés en double; cela eut sans doute été moins malheureux que de ne pas les avoir du 
tout. 

Heureusement je pourrai lui donner une boussole, un anéroïde, une montre, qui sont les plus importants 
instruments dont il aura besoin; d'autre part, M. Voss utilisera naturellement l'itinéraire que je lève person- 
nellement. 

Je répondrai demain à ce courrier. 


Mercredi, 25 janvier 1899. 


Les indigènes prennent un gros plaisir à nous apporter chaque jour quelque nouvel animal; aujour- 
d'hui, tout au matin, c’est un lougo-n’qué, bel échassier blane à long bec jaune (à voir à Tervueren!. 

Avant de prendre congé de nous pour regagner Mo-Linga, M. Cerckell m'expose encore les raisons qui, 
selon lui, font ce point très avantageux pour le poste qu'il doit fonder. 

Il ne croit pas qu'on puisse s'installer dans le Lou-Apoula : il y fait marécageux ; l’eau ne doit pas y être 
meilleure qu'ici (!?); il y a beaucoup de rapides (!?!); il n’y aurait pas de bons terrains de culture (1?! 
enfin, on doit se méfier du redoutable Kazembé du Lou-Apoula, un chef très agressif, installé en territoire 
anglais (!?!). Comme je n'ai donné à M. Cerckell qu'un avis purement ofhicieux, je n’estime pas utile d'y 
revenir. 

Je regrette, à part moi, que le choix des stations soit encore abandonné à des fonctionnaires manquant, 
forcément, de la majeure partie des nombreux éléments d'appréciation devant guider dans le choix si 
important des points à occuper par l’Européen : le fonctionnaire qui est sur place est souvent un agent 
inférieur, dont le mérite principal se réduit à de la bonne volonté, parfois à de la mauvaise; le fonctionnaire 
dont il relève, et qui, lui, a sa résidence à des semaines ou des mois de distance du point où l’on doit ériger 
le nouveau poste, doit, si intelligent et si averti et si documenté qu'il soit, se contenter purement et simplement 


1 = 


des considérations que lui transmet son subordonné, et, malheureusement aussi, de croquis cartographiques 
déplorables. 

Aussi n’y a-t-il pas une station sur vingt au Congo qui n’ait, depuis sa création, ou complètement disparu 
ou subi les modifications les plus profondes. Pour m’en tenir à la région où nous nous trouvons en ce moment, 
j'ai dit déjà comment Moliro devrait être changé; M’pwéto est en transformation pour la deuxième fois depuis 
les trois ans qu'il est créé, et, pour bien faire, son emplacement devrait changer radicalement, si la frontière le 
permettait encore; Mo-Linga sera inutile; si on le construit, on l’abandonnera très vite, car il provoquer: 
plus d’ennuis qu'il ne rendra de services ; et quand nous serons à Lofoï, nous assisterons aux derniers jours de 
ce poste, occupé pendant dix ans, et qui ne laissera rien, absolument rien, derrière lui; la vérité est qu'il 
aurait fallu, dès la première année, déguerpir joyeusement de Lofoï; en dix ans, on s’est avisé de déplacer le 
poste de 1 {/, kilomètre; M. Verdick prépare un déplacement de 40 kilomètres, vers le sud; nous en reparlerons 
en temps et lieu. 

Et ce que je constate pour ces quatre postes pourrait se dire pour presque tous les autres : il 
faudrait, certes, que l'avenir mène à de meilleures solutions; et cela « pourra être » si la carte suffisamment 
détaillée, et surtout «exacte », du Congo est dressée par des géographes, qui seuls sont capables de mener 
à bien cette tâche si importante. Jamais on ne répétera assez que l'établissement d’une carte exacte, à grande 
échelle, est le premier élément, l'élément capital de la mise en valeur normale d’un pays quelconque : avec ce 
document, et avec lui seulement, on saura choisir du premier coup les points à occuper curopéennement; on 
fixera l’importance de l'occupation d’un point en particulier; on en dressera le plan de voicrie, on en 
déterminera le type de bâtiments, ete., etc. Les tracés de routes, de chemins de fer, ete., seront faits 
sur la représentalion des réalités; et ainsi on solutionnera à coup sûr ces importants problèmes. Et je 
ne parle pas de tous les inconvénients de nature politique, non plus que des ennuis de frontière, qui 
seront enfin écartés. 

Mais je reviens au poste de Mo-Linga. 

M. Cerckell à reçu comme instructions de construire en briques. 

Toujours le prejugé de la brique, sans l'accompagner de la chaux, de la tuile, d'une bonne charpente et 
d’un plancher où au moins d'un carrelage. 

Construire comme font les Pères blancs du Tanganika est chose superbe : ces bons ouvriers ont 
élevé des constructions entièrement semblables à nos constructions d'Europe. 

Mais se sont-ils contentés de la brique, de la seule brique? Ils ont, n'est-ce pas, fabriqué une 
excellente chaux; ils ont fabriqué de belles et bonnes tuiles, une charpente et un mobilier finis, des 
carreaux et mème une sorte de ciment. Leurs fondations vont chercher le sol stable, Jusqu'à 8 mètres de 
profondeur. 

Mais construire en briques des murailles que l’on recouvre d’un vilain toit en herbes, est simplement 
dépenser beaucoup de temps et d'argent. On comprendrait une maison en pisé avec un toit en tuiles; 
je parle de bonnes tuiles, non de ce qu'on à qualifié plus d'une fois de ce nom, fort improprement; je 
parle de tuiles permettant de faire nne toiture imperméable, non de pseudo-tuiles qu'il faut bientôt 
remplacer par un toit de chaume. 

Une maison en pisé avec un toit en bonnes tuiles serait un progrès; mais avoir des murs en briques sans 
mortier, sous un toit d'herbes, ne constitue qu'un avantage quasi nul et qui ne compense nullement la 
dépense. 

On dit bien que les bâtiments sont plus durables et que c'est un grand avantage pour une station d’avenir. 

Les postes que j'ai vus jusqu'ici ne sont pas des stations d'avenir; et quand on aura trouvé ces stations 
d'avenir, 1l sera temps encore d'y élever des constructions coûteuses en briques, mortier, tuiles et carreaux. 

Mais en des postes destinés à une durée éphémère, il suftit d'élever des maisonnettes en pisé, paille, 
bambous, raphias, ete.; ces maisonnettes se renouvelleraient aisément et à bon compte. 

Et comme conclusion à ces remarques, je suis plus que jamais partisan des constructions démontables à 
charpente métallique et à remplissage en planches fabriquées sur place. 


— 181 — 


Répondu aux lettres de MM. Chargeois, Voss et Questiaux, pour confirmer les instructions que je leur 
avais envoyées le 21 janvier. 

La soirée aujourd’hui s'annonce belle; aussi nous sommes tôt en station et pouvons prendre une bonne et 
très complète observation par 30 étoiles et la lune; lobservation dure jusqu’à minuit. 


Jeudi, 26 janvier, 1899. 


Assez mal dormi. À 6 h. 15 m., le thermomètre marque 19 1/,. 

Pleine journée de caleuls. 

A 15 h. 30 m., forte pluie. 

A 16 h. 30 m., visite des nommés Ki-Foula et Sensélé, nyamparas de N'Soudi, l’arabisé noir de Pile Kilwa : 
ils viennent offrir le salam de leur maitre, savoir : une chèvre, du riz et des oignons. [ls disent que N’Soudi est 
le meilleur ami du blanc. 

Je leur remets pour cet excellent ami un peu de sucre, de confiture, de thé et de savon, ainsi que quelques 
bougies; en plus les ordinaires étoffes, perles et autres objets, jusqu'à l’équivalence du cadeau qu'ils ont 
apporté. 

Pour eux-mêmes ces noirs ambassadeurs reçoivent un cuissot de zèbre, notre chasseur noir nous ayant 
tué aujourd'hui un de ces excellents animaux. 


De nouveau, la soirée est entièrement couverte. 


Dans la journée, Fromont a dû se coucher, pris de lassitude, de crampes dans les jambes et de douleurs 
rhénales. 


Vendredi, 27 janvier 1899. 


Je me lève les reins fatigués; Michel est également courbaturé; Fromont va un peu mieux mais ne 
pourrait quitter sa couchette. Les autres essayent de vaquer à leurs occupations. 

Michel photographie les deux envoyés de N’Soudi au moment où ils vont partir. Puis mon brave adjoint 
doit gagner son lit. 

A midi, je sens une vague répulsion pour le déjeuner, auquel je n’en fais pas moins grandement honneur : 
c’est que paraît à table un filet de zèbre étonnant. 

Hélas ! la gourmandise est toujours punie. Dans l'après-midi, je sens mijoter la fièvre, Sannonçant par de 
méchantes et brusques bouffées de chaleur; l'estomac est lourd; recourons à l’ipéca, qui répond complètement 
à ce que je lui demande. 

Est-ce la contagion de l'exemple? Voilà M. De H. qui demande à pouvoir garder la chambre. 

Avec Dardenne, nous ne sommes plus que deux sur pied. 

Les envoyés de N’Soudi, partis ce matin, nous envoient dans l'après-midi deux quartiers de zèbre; 
ils ont profité de leur venue sur le continent (!) pour se payer une partie de chasse, qui a été fructueuse. 


dE] 


Jécris à M. Cerckell que J'ai reçu deux envoyés de N'Soudi avec quelques présents. Il peut être 
intéressant pour lui de connaître cette démarche amicale! envoie également à Mo-Linga la chèvre que 
m'avaient amenée lesdits envoyés. 

Ma lettre appelle l'attention de M. Cerckell sur l’utilisation des ambachs dans les constructions 
européennes. M. Fromont les à employés à M'pwélo et, d’après lui, l’ambach n’est pas attaqué par les 


— 182 — 


termites, charancons et autres destructeurs; seulement il se pourrit très vite si on le plante en terre; il peut 
donner très facilement de bons éléments pour former des cloisons, des plafonds, un revêtement intérieur 
complet sous chevrons, ete.; malgré la forme en tronc de cône du trone de l’ambach, il est possible 
d'en obtenir, sans autre outil qu'une machette, des planclies pouvant avoir 2 mètres à 2",50 de long sur 
30 centimètres de large: en donnant à ces planches des épaisseurs de 2, 3 et 4 centimètres, il n’est pas 
impossible qu'on obtienne un bon élément pour constituer les cloisons d’une maison ordinaire. 

Nous n'avons pas le temps de procéder nous-mêmes à une expérience à ce sujet, en faisant élever iei une 
petite construction. 

C’est pourquoi je m'adresse à M. Cerckell, pour qu'il fasse des essais dans le sens que je lui indique et dans 
tout autre que lui suggéreront ses propres réflexions, par exemple la fabrication de tables, tabourets, 
étagères, ete. 

Je prie M. Cerckell de bien vouloir me faire connaître le résultat de ses essais dès qu'il les aura 
commençés, ensuite trois mois, six mois et neuf mois après. 


Il y a à Ka-Béça quelques parcs légumicrs créés par Dardenne; en cherchant bien, nous y avons trouvé de 
quoi confectionner une salade de laitue jeune; ce n’est pas tout, il y reste, en outre, quelques oignons, carottes 
et laitues minuscules. On se souviendra que nous avons apporté d'Europe des paquets de semences hâtives ; 
quand Dardenne avait été envoyé au sud du Moéro, je lui avais remis un pareil paquet, en lui prescrivant de 
se faire un jardinet. 

Je signale à M. Cerckell qu'il pourrait nous envoyer un homme à qui nous remeltrions les jeunes 
légumes de ce jardinet, afin qu'il les repique à Mo-Linga. 

Enfin, je communique à M. Cerckell les coordonnées astronomiques de Ka-Béça; comme il a celles de 
M'pwéto, il pourra rectifier de suite sur ses croquis cartographiques la position de la rive occidentale du Moéro, 
qui se déplace très sensiblement vers l’ouest. 


Reçu un courrier de Mtowa; pas de lettre de Boma, ni d'Europe, la route de Ka-Bambaré étant toujours 
fermée. 

Le camarade Hecq m'annonce l’imminente arrivée à Mtowa de la mission de M. Mohun, chargée de 
construire une ligne télégraphique entre M'towa et Ka-Songo. 

Reçu aussi une lettre de M. Mackenzie, l’aimable agent de la Compagnie des Lacs à Ki-Touta (sud du 
Tanganika) ; il m'annonce que les deux embarcations en aluminium qui doivent me rejoindre sont arrivées au 
nord du Nyassa, mais que les porteurs manqueront pour les envoyer de suite; M. Mackenzie me demande 
comment 11 devra s’y prendre pour me faire parvenir ces embarcations, lorsqu'elles pourront arriver chez lui. 
Je lui réponds en lui faisant connaître quels arrangements J'ai pris à ce sujet avec M. Johnstone, de la factorerie 
de Ki-Engué, avant de quitter le nord du Moéro: il sufira à la factorerie de Ki-Touta d’expédier à celle de 
Ki-Engué tout ce qui arrivera pour nous : Ki-Engué expédiera ensuite au sud du Motro, où les envois seront 
enlevés par les soins du Ka-Tanga. 


Avec l'après-midi qui s'avance je me sens devenir de plus en plus cotonneux; et finalement je dois me 
coucher. 

Ainsi Dardenne reste seul debout. le crois que la forte et constante hygrométricité qui caractérise Ka-Béça, 
à ce moment de l’année, est pour beaucoup dans la dépression qui nous accable; Dardenne étant ici depuis deux 
mois et demi, à vraisemblablement subi un acelimatement suflisant et résiste, alors que nous sommes tous sur 
le flane; à nous voir ainsi prostrés, un esprit prévenu où méfiant se demanderait si nous ne sommes pas 


empoisonnés; avec un peu d'affolement, un pareil esprit inquiet en viendrait vite à accuser son cuisinier et à le 
faire condamner à mort. : 

Mais nous ne connaissons que trop bien tous ces symptômes, et, si douloureux qu’ils soient, nous savons 
qu'ils passeront plus où moins rapidement. 

Le terrible, pour mon compte personnel, est que mon malheureux cerveau est littéralement surexcité et 
que tout sommeil m'est impossible.- 

Je passe une abominable nuit, à me retourner sans répit : sueurs, nausées, vomissements de bile épaisse, 
urines noires; de quoi s’effrayer vraiment si tout cela ne n'était archi-connu et familier. C’est égal, c’est dur. 

Et l'accès actuel me semble plus pénible : le cercle qui n'écrase les tempes me fait trop mal. 

Maigre consolation relative : le ciel est resté lourd de noirs nuages; toute observation était impossible. 

Le maximum thermométrique a été de 26° 1/,. 


Samedi, 28 janvier 1899. 


Triste journée; tout le monde malade, sauf Fromont, qui est remis et peut assurer le service courant. 

MM. Michel et De H. doivent garder le lit : mal aux reins, courbature, maux de tête, fatigue dans les jambes. 

Le brave Michel a le courage de se lever aux heures d'observation du thermomètre. 

Dardenne souffre d'asthme, trop pour pouvoir travailler. 

Pour moi, je ne vaux pas tripette ; le moindre mouvement me ferait bien gémuir, tant la douleur des reins 
est inexorable. 

J'essaye de la chaise longue, mais n°y puis tenir qu'une heure; il me faut regagner l’étroite couchette où me 
visite trop rarement messire Morphée. 


Au dehors, M. Fromont a mis l’es- 
corte au peloton de punition, à la suite 
des faits que voici : la ration hebdoma- 
daire s'était donnée jusqu'ici en grosses 
perles; celles-ci étant épuisées dans les 
caisses que nous avons à Ka-Béça, il a 
été ouvert une caisse de petites perles; 
les Monghelimas et les Likwangoulas 
avaient accepté tout naturellement ces 
perles nouvelles, quand un des soldats 
équateurs s’avisa de leur dire que ces 
perles ne valaient rien, ce qui était 
absolument inexact; de là essais de 
récriminations auxquelles Fromont 
coupe court en faisant sonner le ras- 
semblement et en mettant les mécon- 
tents au peloton de punition pendant 
deux heures; ma flemme de fiévreux 
est bercée de : « Portez, armes! Sur 
l'épaule droite, armes! Sur l'épaule 
gauche, armes! Portez, armes! » 


Je ne suis pas en état de me lever Notre escorte : inspection d'armes à Ka-Béca. 
pour admonester nos soldats: je le (Devant le front de la troupe, femmes et enfants de soldats.) 


ferai plus tard. 
A 18 heures, pris une perle d’opium : pas d'effet. À 20 heures, nouvelle dose d’opium, ce qui me procure 
un soulagement de courte durée. 
Le maximum thermométrique de la journée a été de 25° 1/ 
Soirée couverte, sombre; pas une étoile à voir. 


Dimanche, 29 janvier 1899. 


Décidément mon accès de fièvre est plus tenace que je l’espérais. Je me sens veule au dernier des points et 
continue à souffrir beaucoup des reins; toutefois la tête se dégage. 

Thermomètre à 6 heures : 21°. 

Une lettre du chef de poste de M’pwéto m’apprend que M. Voss est à la mission de Loanza et M. Questiaux 
à Mou-Téta; mes instructions leur ont été transmises. 

A une demande de M. Chargeoïs, je réponds qu’il pourra employer, pour les dépenses oecasionnées par 
MM. Voss et Questiaux, 837 yards de calicot, que je lui avais remis, avant mon départ de M'pwéto, en vue de 
payer trois semaines de salaire à ceux des porteurs qui m’accompagnent et qui ont été recrutés à Mpvwéto. 
J'avais remis ce payement à M. Chargeois pour éviter de le transporter à Lofoï; comme l’arrivée de mes deux 
nouveaux agents à Mpwéto exige que j’envoie les étoffes nécessaires à leur entretien, le mieux est de mettre 
à leur disposition les étoffes laissées en dépôt pour le payement des porteurs ; je payerai ceux-ei complètement 
à Lofoi. 


Je passe une très mauvaise journée; diète absolue. 

A 17 heures, double dose d’opium; pas d’effet; à 20 heures, nouvelle dose; nuit de sueurs, d'hallueina- 
tions; des millions de chiffres passent en sarabande, des intégrales dressées en liberté tourbillonnent devant 
mes pauvres yeux fatigués. 

L'opium me reproduit iei le même effet que j'en avais éprouvé pendant mon séjour à l'Équateur (1890 
à 1893) : il me paralyse l’estomac. 

Mes campagnons se remettent. 

Soirée de nuages ; observation impossible. 

Maxima diurne : 26°. 


Lundi, 30 janvier 1899. 


Vanné à la cinquième puissance. 
Michel, Fromont et De H., qui allaient mieux hier, sont de nouveau repincés. 
A 6 h. 45 m. le thermomètre marque 21° 1/,. 


Je me lève comme je puis et fais réunir les soldats pour leur laver la tête à propos de l'incident d’avant- 
hier. 

« Etes-vous assez bêtes pour croire que je n'ai pas payé les petites perles que vous refusiez, tout 
comme J'ai payé les grosses qui vous plaisent? 

« Quand j'ai acheté en Europe, non seulement ces grosses et ces petites perles, mais les étoffes, les 
couteaux, les miroirs, les grelots, les chapeaux, les parapluies et tout ce que j'ai apporté avec moi, est-ce que 
je devais venir seulement au Tanganika et au Moéro, qui sont connus, ou bien ne devais-je pas aller 
aussi au Ka-Tanga, au Lou-Alaba, au Kassaï et dans tout un pays que nul parmi vous ne connaît plus que moi? 

« Où est le malin de votre bande qui nous dira ce qui plaira aux gens du lac Di-Lolo, où nous 
n’arriverons que dans huit ou neuf mois? Quelles marchandises auront le plus de succès, done le plus de 
valeur, dans les différents pays où nous devons aller tous ensemble? 

« Qui à dû se préoccuper de cela? Est-ce vous qui n'aurez qu'à dépenser ce que moi j'ai dû acheter 
à Mpoutou et amener ici? 

« Si je n'avais apporté que des grosses perles, qui sait si les indigènes en auraient toujours et partout 
voulu ! 

« Comprenez-vous alors, têtes de pierre, qu'il m'a fallu prendre des approvisionnements variés ? 


— 185 — 


« Mais, petites ou grosses, mes perles ne sont-elles pas pour mes soldats, pour mes porteurs, pour 
tous ceux qui me suivront? 

« Il faut donc que vous soyez les premiers à employer pour le mieux ces approvisionnements. 

« Est-ce entendu? » 

— « Oui », est la réponse. 

— « Ai-je menti? » 

— « Non! non! » 

— « Rompez les rangs! Marche! » 


Et voilà encore une palabre arrangée par quelques raisonnements simplicistes à la portée de ces 
intellects. 

Le calme est rétabli, mais il faudra avoir l'œil sur ces gens-là, qui comptent et supputent ce que 
contiennent nos magasins, et mesurent à cela leur fidélité. 

Tout ce que je vais pouvoir faire de ma journée va être de m'étendre dans ma chaise longue et de 
recueillir quelques renseignements autour de moi. 

Et voici d’abord un moricaud qui nous apporte des cucurbitacées comestibles; il en à de trois espèces: 
l’une est le n’katouwé, fruit jaune et plat comme nos citrouilles; le deuxième est le bassoungou, jaune 
également, mais oblong, ainsi que nos courges à la moelle. Le bassoungou est haut de 30 à 35 centimètres; le 
n'hatouwé est large d'autant; ces deux fruits fournissent un excellent potage; enfin, la troisième espèce 
est le £i-pimbi, d’un beau vert à lignes jaunâtres, beaucoup plus petit que les deux autres, allongé comme 
le bassoungou, et se mangeant en concombre. 


Un bout de promenade de convalescent me montre partout un gazouillement de jaunes sauterelles. 

Et je tombe sur notre chasseur noir; faisons-le causer. 

Oui, mais c'est qu'il est sourd comme un pot, et l’on doit lui hurler dans l'oreille les questions que 
je lui fais poser. 

C’est un vieux serviteur que nous à complaisamment prêté la station de Mpwéto; il est renommé comme 
chasseur d’éléphants et autres grosses bêtes. 

Car n’est pas chasseur d’éléphants qui veut! Aussi les braves à tous crins — vous allez voir que c’est le cas 
de le dire — se reconnaissent-ils à des emblèmes spéciaux : d’abord ils portent au bras, au-dessus du coude, 
des entailles formant deux séries de lignes parallèles tracées par le travers du bras; ces entailles sont enduites 
d’un certain filtre fabriqué à l’aide de produits de la brousse; ensuite, à chaque éléphant tué, le chasseur 
noir se confectionne soit un bracelet, fait d’un morceau de la corne du pied de la bête tuée, soit, plus 
simplement, un bracelet fait d’un crin de la queue. 

L'homme porte ainsi les marques visibles de son courage et de son adresse; et ces marques sont 
appréciées au moins à l’égal de la plume de faisan ou de coq de bruyère dont s’adorne le couvre-chef des 
nemrods européens. 

J'ai dit déjà que le chasseur d’éléphants qui nous accompagne est sourd comme un pol; nous avons aussi 
dans notre colonne un sourd-muet. Cette constatation offre un certain intérêt, car il révèle que nous sommes 
parmi les populations qui n'ont plus la coutume barbare de se débarrasser de leurs infirmes. 


À midi, j’essaye une tasse de bouillon : infecte! d’une tasse de soupe ordinaire : infecte! Je fais faire une 
assiette de mulligatawny soup, qui est une soupe au curry capable d’emporter une gueule de canon ! Elle me 
paraît aussi infecte et aussi fade que les autres. 

Cest l'effet de l’opium. Que faire, sinon attendre! 

Je dois demander du feu et m°y flamber la plante des pieds tant j'ai froid. 


— 186 — 


À 18 heures, nouvel essai nutritif : je prends avec plaisir deux tasses de soupe légère et quelques 
tranches de ki-pimbi (le concombre indigène signalé tantôt). 

A 19 heures, vomissements. 

La grosse nouvelle que notre brave petite chienne Gipsy à de nouveau mis bas (trois rejetons) n’est pas 
assez émouvante pour me secouer. 

Insomnie complète et douloureuse. Pas un quart d'heure d’assoupissement. Et pourtant j'aurai fort besoin 
d’être dispos ! 

Je n’ose continuer à recourir à l’opium, étant complètement à jeun depuis plus de quatre jours. 


Mardi, 31 janvier 1899. 
EE — 


Pour comble de plaisir la vermine prise à la maison de Mo-Linga, et dont nous nous pensions déli- 
vrés, à reparu; je la retrouve ce matin dans mes essuie-mains et dans mon peignoir de bain. Délicieuse 
peste ! 

A 6h. 30 m., le thermomètre marque 20° °/,. 

Manger m'est impossible; toutefois un vague mieux se manifeste, annonciateur du prochain rctapage. 

Michel, qui a commencé à aller mieux hier, peut se mettre à table, puis allumer sa fidèle bouffarde. 

En revanche, Fromont, qui allait également mieux hier, doit de nouveau garder la chambre aujourd’hui. 

De H., qui avait dû se coucher hier dans l’après-diner, va assez bien pour pouvoir se lever. Mais le 
malheur le guette tout particulièrement : un boy, qui verse de l’eau bouillante dans la théière, a la suprême 
adresse d’en arroser en même temps les pieds de De H.; à entendre le blessé hurler, on croirait que ses 
pieds sont cuits à point; heureusement, le pied droit n’est que légèrement atteint, le gauche étant brûlé 
au coup-de-pied, sur une étendue grande comme le quart de la main : pansement à l'huile et chaise 
longue. 

A midi, je m'administre une tasse de soupe, deux bouchées de pigeon, autant de patates douces, 
avec un verre de vin coupé d'eau : il y à exactement quatre jours et quelques heures que je n'ai rien 
ingurgité 

Deux heures après : vomissements. J'ai retrouvé lexquise sensation de ma gastrite de l'Équateur: je passe 
une heure à me tordre sous les crampes d'estomac. 

Le soir venu, j'essaye d’une tasse de soupe; Michel ne mange rien. 

Soirée couverte : observation impossible 

Par bonheur, je trouve un peu de sommeil, malencontreusement interrompu par un commencement 
d'incendie de notre campement : on peut heureusement le circonserire à la hutte où le feu s’est déclaré, puis 
s’aller recoucher. 


Mercredi 1‘ février 1899. 


Je me sens un peu reposé; depuis vendredi soir, je n'ai rien (absolument rien, au sens le plus étendu du 
mot) mangé; pourtint je ne me sens aucun appétit. 

Michel rechute et doit garder le lit, brisé, moulu de partout. 

Fromont est debout, mais reste sous le coup de la bile; il est hors de service dans la journée. 

Je procède seul à la détermination de l'intensité horizontale, qui n'avait pu être prise le lundi 93 janvier, 
à cause du vent. 

Le soir, l'état du ciel permet une observation d'heure, dans laquelle le brave Fromont, quoique malade, 
me sert d'aide dévoué et intelligent. 

Bien que le ciel paraisse bon, la lunette du cercle méridien, qui prend les sixièmes et septièmes 
grandeurs, atteint difiicilement aujourd'hui les cinquièmes; il doit v avoir, le long du méridien, un voile 
de cirrus ; on voit les faibles grandeurs, mais à condition de masquer l'éclairage des fils. 


Jeudi, 2 février 1899. 
D, 


Passé une meilleure nuit, quoique toujours sous le coup de cette méchante influenza, qui nous à 
touchés tous. 

Michel reste très pris; le moral semble un peu démonté. 

Fromont va mieux. 

On dirait qu'un accès de spleen déprime tout mon petit monde : il est vrai que le site et le temps 
s’y prêtent trop bien. 

Mais ici, comme partout, après la pluie vient le beau temps! Attendons-le. 

Calculé l'observation d'hier, ce qui me permet de commencer le calcul des longitudes entre M’pwéto el 
Ka-Béça. 

Notre chasseur noir tire un zèbre. 

Reçu une lettre du capitaine Verdick, relative aux logements et installations qu'il a préparés très 
obligeamment pour nous. Il me demande de hâter notre arrivée, car il importe qu'il se rende au Lou-Alaba, 
où le chef insoumis Mouloumou-Niama vient encore d'attaquer le chef reconnu Kazembé et de blesser un soldat 
en poste chez ce dernier. 


Vendredi, 3 février 1899. 


Assez bien dormi. 

Michel va mieux. Fromont va très bien. De H. est repincé de la fièvre. 

Continuation des calculs de longitude. 

Reçu de M. Cerckell une lettre m'annonçant l’arrivée du schooner le Léopold 11, avec 50 charges de 
calicot pour ma mission. La même barque apporte un maigre courrier d'Europe, dans lequel un paquet de 
Petits Bleus du mois d'août. 

Ca n’est pas un record! ou plutôt ç’en est un! 

Répondu à la lettre reçue hier de M. Verdick : je hâterai ma marche le plus possible; malheureu- 
sement, l’état du ciel m'a mis en retard et je ne puis laisser des frous dans mon travail de cartographie 
astronomique. Je préviens aussi M. Verdick de larrivée des 50 ballots, qui vont être expédiés de suite sur 
Loloï. 


Samedi, 4 février 1899. 


Nuit coucçi-couça. La tète reste plutôt faible. 

Michel n’a pas dormi; néanmoins il continue à aller mieux. M. De H. est levé. 

Vu l’arrivée des charges expédiées par la factorerie de Ki-Engué, j'ai dû faire mander aux environs 
de nouveaux porteurs; dès qu'ils arriveront, nous nous mettrons en route. 

Jemploie une partie de ceux que j'ai sous la main à constituer une caravane qui enlève 46 ballots de 
calicot, et part aujourd’hui pour Lofoi. 

Nettoyé le cercle méridien et reconstitué les caisses d'instruments pour le départ. 

Construit une butte au point de station. 

Une lettre de M. Cerckell nous apprend que cet oflicier était parti en pirogue pour le Lou-Apoula, 
suivant l’avis que je lui avais donné à titre oflicieux; mais il n’a pas dépassé Ki-Chité, à l'embouchure de 
la rivière, et est revenu malade; il se croit atteint de dysenterie. 

Un sous-officier noir arrive de M'towa pour faire partie de mon escorte; c’est un Equateur, du nom de 
Bando, qu'une lettre du camarade Hecq me recommande chaudement : « Il ne paye pas de mine, dit la 
lettre, mais il n’a pas froid aux yeux, et l’on peut compter sur lui dans les moments critiques. » 


— 188 — 


Dimanche, 5 février 1899. 


Bien dormi, ce qui ne m'était plus arrivé depuis longtemps. Aussi, suis-je debout le premier, avant 
6 heures, bien reposé. 

Il fait froid, un mauvais froid humide. 

M. De H. reste au lit, fiévreux; je crois que cet agent se remettrait plus vite, s’il savait s’astreindre à une 
diète de vingt-quatre heures; malheureusement, il appartient à l’école qui afirme qu’il faut nourrir la 
fièvre ! 

Quoi qu'il en soit, il est intéressant de noter que, personnellement, je m'abstiens complètement de 
quinine, antipyrine, ete., tandis que mes adjoints y recourent en quantité plus ou moins considérable; M. De H. 
surtout absorbe beaucoup de médicaments. 

Michel et Fromont ferment une caisse de collections (caisse n° 13), qui part pour Mpwéto, d’où elle sera 
expédiée à Bruxelles par la voie anglaise. Cette nouvelle caisse-comprend : un estagnon d'insectes variés, deux 
boîtes de lépidoptères, une boîte renfermant un ibis (Tantalus ibis) et un chevalier-armé (Lobivanellus senegalus 
Lin.) mis en peau. 

Le reste des animaux préparés à Ka-Béça sera expédié de Lofoi; nous ne disposons ici que d’une seule 
caisse que nous avions apportée de M’pwéto, précisément en vue de l'emploi que nous en faisons. 

Les porteurs de la caisse n° 13 emportent aussi notre courrier : lettres privées et lettres officielles. 

Une lettre de M. Chargeois lui rappelle qu’il nous a promis de préparer une ou deux peaux de zèbre pour 
envoi à Bruxelles; si elles sont prètes, il pourra les expédier par voie anglaise, au nom de notre mission, qui à 
un compte ouvert à l’African Lakes Corporation. 

D'autre part, j’envoie à M. Cerckell les coordonnées astronomiques de Mo-Banga, Mo-Linga et Ka-Béça; je 
fais remettre au même un demi-ballot de calicot pour couvrir les frais extraordinaires que lui occasionnera 
l'envoi éventuel de courriers spéciaux ou de porteurs à notre adresse; à ces courriers et porteurs, il devra être 
spécifié chaque fois que leur payement sera effectué à Lofoï. 

Enfin, je prescris à M. Cerckell de toujours envoyer à M'towa copie des lettres et des documents qu'il 
recevra de notre mission. 


Lundi, 6 février 1899. 


Assez mauvaise nuit. Dardenne tousse beaucoup. De H. va mieux. Ce dernier partira aujourd'hui pour 
préparer notre installation au village Mou-Koubé, à deux heures et demie de marche d'ici. 

C’est là que nous irons loger demain, tandis que M. De H se portera à la rivière Ka-Toula, deuxième gîte 
d'étape, où il construira des abris et où il nous attendra. 

Les porteurs que j'ai fait chercher sont promis pour aujourd'hui; je compte done bien pouvoir partir 
demain. 

L'avant-garde partie, nous emploierons la journée à aller trianguler lile Kilwa; du moins je vais essayer 
de le faire, car, au rapport de M. Fromont, il ne sera pas possible de mettre le théodolite en station. 

Du point où nous logeons, au débareadère construit pour l’arrivée de Dardenne, il y a 2/, kilomètres, 
exactement. 

Pour arriver au lac, il faut traverser le lit de la Ka-Béca, élargi en lagune par les pluies; chose 
curieuse, ni Dardenne, ni Michel, ni Fromont (qui tous trois ont été à diverses reprises de notre campement 
au lac) n'avaient constaté l'existence de cette rivière. 

Depuis notre arrivée ici on va quérir notre eau potable en pirogues à grande distance de la rive du lae, 
tandis que nous n’aurions eu qu'à prendre l’eau de la rivière en amont du village du chef Ki-Lomba. 

C’est la rivière qui a donné son nom au village de ce chef. 

En nous rendant aujourd'hui au lac, nous devons nous faire porter dans les parties sous eau; or, en 
dépassant le village, nous trouvons une première bande inondée, large de 600 mètres et profonde de 20 à 75 
centimètres ; la limpidité de l’eau et son courant marqué me frappent; ceci n’est pas l’eau du lac; j’interroge et 
j'apprends que nous sommes dans le lit de la Ka-Béça, formant lagune à cause des pluies. 


! 189 — 


Nous continuons vers le lac en foulant une terre noire entièrement grasse, ancien Hit du lac, aujour- 
d'hui asséché. 

On a accoutumé de dire que les anciens fonds de lacs du centre africain, avec leur sol de terre noire, 
«doivent» être d’une fertilité prodigieuse. Gela est passé à l’état d’axiome. Mais en considérant ce que 
je vois ici, et en me rappelant ce que j'ai vu au nord de Moéro, je me demande si cet axiome ne mérite pas le 
sort des axiomes de la mathématique, c’est-à-dire une condamnation à mort, sans appel. 

Nous sommes ici en plein ancien lit du Moéro, et la terre est bien la fameuse terre noire, à grande profon- 
deur. Mais qui dira que le pays est fertile, alors que le sol n’est guère habillé que d'herbes souvent basses 
et de quelques arbres rabougris ? 

Au nord du Moéro, il n'y avait également qu'une végétation maigre dans les parties non cultivées 
de l’ancien lit du Moéro ; en revanche, la végétation, — comme nous l'avons signalé, — était très puis- 
sante sur la terrasse que nous avons suivie entre M'pwéto et Mo-Banga. 

Dans le cirque de Mo-Banga même, nous avons trouvé une poussée folle de végétation, mais localisée 
et suivie bientôt de l’interminable plaine, pauvre de végétation, s'étendant entre Mo-Banga et Ka-Bécça, et 
à propos de laquelle nous avons dit qu'il ne fallait pas songer à la mettre en grandes cultures. 

Devant ces constatations, le fait, pour un pays donné, d’être une ancienne cuve lacustre, ne sufhil 
pas à assurer sa fertilité; ce fait n’est qu'un facteur d’une cause complexe, et la vérité est qu'une cuve 
lacustre asséchée peut présenter plus d’un point infertile. 

Mais nous voici arrivés à la rive du lac! Devant nous l’île Kilwa qui, d'ici, parait très basse; vers le sud du 
lac, on ne voit pas la rive, sauf vers le sud-est, où se distingue une pointe basse, qui est la pointe de 
Ki-Soumpi. La rive anglaise est naturellement totalement invisible. 

Quelques pirogues de pêcheurs sont à la rive; elles sont les plus misérables embarcations que nous ayons 
encore vues. C’est le moment de l’année où l’on pêche le plus; partout, sur la surface du lac, se voient des 
flotteurs indiquant des nattes dormantes. Des huttes du moment abritent des moricauds, occupés toute 
la journée à fumer le poisson qu'apportent les misérables barques. 

Le débarcadère en troncs d’ambachs, que Dardenne avait trouvé en excellent état à son arrivée au début 
de la saison des pluies, est maintenant dans l’eau; aussi, sous la poussée du flot, s'est-il complètement 
disloqué ; l’ensemble flotte, et il faut se mettre trois fois sur le ventre pour faire 20 mètres le long de 
cet ouvrage d'art nègre; il serait plus qu'absurde de risquer notre théodolite dans cette aventure; nous nous 
contenterons donc de la triangulation faite à Mo-Linga. 

En rentrant-au camp, nous trouvons 20-porteurs arrivés des environs. Nous partirons demain. 


CHAPITRE Xe 


Départ de Ka-Béça. — Les villages de Mou-Koubé et de Bondo. — Marche inutile. — Pluie. — 
Étape du village Bondo à la rivière Ka-Toula. — Villages abandonnés. — La pluie. — 
Triste sort d’un gros serpent. — Offre spontanée de porteurs. — Étape de la Ka-Toula 
au village Wamola. -- Le chef Mou-Kobé, le village Lou-Banga, la rivière Lou-Foukwé. 


— Inondations. — Le vieux chef Kia-N’sambalé. — Humidité des soirées. — Fièvre. — 
Départ de Wamola. — On continue à marcher dans l’ancien lit du Moéro. — Abondance 
de mille-pattes. — Le village Pa-Windé. — Visite de sept chefs. — Renseignements 


intéressants. — La mouche tsé-tsé. — Écumeurs de la brousse. — Séjour à Pa-Windé. 
— Arrivée d’une caissette oubliée au Nyassa. — Départ de Pa-Windé. — Les chutes de 
la Lou-Alala. — Le pays se mouvemente. — Campement à la rivière N'toungwé. — Une 
chute de 100 mètres de haut. — Campement à la Ka-Boula-M’pakati. — Abondance 
d'eaux limpides. — Visite de chef. — Il fait froid. — Pauvreté de la faune. — Fougères 
arborescentes. — Énormes termitières. — Éponges. — Pays de sources. — Point 
d'altitude maximum. — Nous entrons dans le bassin de la Lou-Fira. — Températures 
basses — La rivière Ka-Sanga. — Pays très tourmenté. — Camp à la rivière Diassa. 
— Arrivée au bord de la falaise occidentale des Kou-N'déloungou. — Vue sur la vallée 
basse de la Lou-Fira. — Descente le long d'un sentier de cocagne. — Camp à la Lou- 


» 


Kalowéchi. — Arrivée à Lofoï-Station. — La musique du poste. — Pays inondé. 


Mardi, 7 février 1899. 


La nuit a été bonne. N'est-ce pas une chose remarquable que nous retrouvons toujours bon pied, bon œil 
dès qu'arrive le moment de se mettre en route? 

Deux porteurs seulement sont encore arrivés après les vingt d'hier. Jen aurais voulu quelques-uns 
de plus; nous allons modifier rapidement les charges. 

A 8 h. 20 m., la caravane est chargée ; tout est en ordre; nous pouvons partir. 

C’est avec un plaisir sans mélange que nous quittons ce méchant point, où nous avons tous été plus ou 
moins malades. 

Direction de marche : ouest un peu sud, le long de la Ka-Béça; cette rivière a un lit peu marqué et, 
comme je l'ai dit hier, elle déborde aux premières pluies et forme, entre le village et le lac, une sorte de lagune. 

Le chef Ki-Lomba, paré de ses plus beaux atours, a tenu à nous accompagner tant que nous serions sur 
ses domaines. 

Nous marchons dans l’ancien lit du lac, et ce que nous y voyons confirme les remarques que je faisais hier 
à propos de la fertilité des anciennes cuvettes lacustres aujourd’hui asséchées. 

Car vraiment qui dira — je le répète intentionnellement — que ce pays et ce sol du sud du Moéro sont 
beaux et fertiles? Presque partout pourtant le sol est de terre noire grasse. Mais ce même sol, en général, 
ne s’est couvert que d'herbes courtes et d'arbres rabougris. Par places, toutefois, la végétation arborescente 


—- 191 — 


s’envigore, et le voyageur en reçoit une impression agréable ; il lui semble parcourir alors un vaste verger-pare: 
les ilots de verdure sur termitières parsèment la perpétuelle plaine à horizon borné; des dattiers sauvages, des 
mimosas, des saucissonniers (Kigelia œæthiopica), des euphorbes candélabres, une belle centaurée rouge 
forment les traits saillants de la végétation. 

Par percées s'aperçoit la ligne de hauteurs de l’ouest. À mes questions concernant le nom de ces 
montagnes, le chef Ki-Lomba répond invariablement en me désignant une hauteur vers laquelle nous 
marchons, et qu'il dénomme Xa-Kolé Kilima. 

Je constate — et j'ai déjà fait cette constatation précédemment — que les indigènes n’ont pas de nom pour 
la continuité des hauteurs, pour leur ensemble, mais seulement pour un certain nombre de points marquants : 
pics, saillants, indentations, ete. 

Le chef Ki-Lomba ne prononce pas une seule fois Le nom de Kou-n’déloungou. 

Après avoir suivi la Ka-Béça à quelque distance pendant environ 8 kilomètres, notre sentier la traverse en 
un point où elle offre en ce moment deux bras; celui de l’est est large de 60 mètres; le second, distant d'une 
trentaine de mètres du premier, a 6 mètres de large. 

Le premier bras se passe en partie sur un mauvais pont en ruine, en partie à gué; courant insensible: lit 
encombré de jones, roseaux, nénuphars, ete. 

La Ka-Béça franchie, nous trouvons de suite un affluent large de 6 mètres, profond de 40 centimètres : 
courant insensible; roseaux, Jones, pistia-stratiotes, ele. 

Le terrain avoisinant est soumis aux inondations ; les eaux de pluie n’y ont guère d'écoulement. 

Nous entrons de suite dans les cultures du village Mou-Koubé; c’est en ce village que j'avais prescrit à 
M. De H. de préparer nos logements. 

Pour arriver au village, nous devons franchir la rivière Ka-n’Kilou, affluent de la Ka-Béça : eau stagnante, 
largeur 12 mètres; se passe sur un bon pont indigène. 

Et nous entrons à Mou-Koubé, qui se développe sur un sol de terre noire, légère, où les cultures sont très 
vivaces. 

Les indigènes nous disent que le blane d'avant-garde ne s’est pas arrèté ici, mais à continué sa 
route. 

Croyant que M. De H. aura construit des abris un peu plus loin, je fais continuer la marche. 

Nous piquons maintenant dans le sud, et laissons bientôt à notre gauche le village Bondo, dépendance de 
Mou-Koubé. De grands arbres clairsemés, de la famille des acacias, marquent ce point, dont les abords sont en 
ce moment marécageux ; boue noire, grasse; eau stagnante. 

Ce caractère stagnant de toutes les eaux montre bien que nous sommes dans l’ancien lit du Moéro. 

M. De H. ne s'étant pas arrêté non plus à Bondo, nous continuons à marcher pendant 40 minutes. Ne 
trouvant rien des abris espérés, j'interroge nos gens, qui déclarent que nous ne trouverons plus de ruisseau 
avant deux nouvelles heures de marche. 

Comme le temps se couvre et que la pluie s'annonce proche, je fais rétrograder jusqu’à Bondo, où nous 
trouvons des huttes permettant de mettre les caisses d'instruments à l'abri de suite. Car c’est pour nous une 
question de vie ou de mort que de leur éviter les terribles ondées de la saison des pluies. 

Il est 11 h. 15 m, quand nous rentrons à Bondo, ayant marché 1 heure 20 minutes inutilement, parce que 
notre avant-garde n’a pas suivi mes prescriptions. 

Bien nous en a pris de revenir sur nos pas : de 16 à 17 heures, la pluie fait rage, contre laquelle du moins 
ici tout mon monde peut s’abriter. 

Il n’est pas mauvais, pour apprécier les services rendus par les nègres aux blancs voyageant dans ces 
pays neufs, de faire remarquer que si ces blanes sont abrités par leurs tentes, les noirs n’ont vraiment rien 
— quand on campe dans la brousse — pour se protéger contre ces ondées diluviennes; parfois la pluie com- 
mence dès l’arrivée à l'étape : les nègres se hâtent de dresser les tentes; l’Européen peut alors changer de 
vètements et narguer le mauvais temps, la tornade et le tonnerre; mais ses centaines de serviteurs noirs sont 
là, dans la persistante cataracte céleste qui, des fois, tombe la nuit entière. 

Serrés les uns contre les autres, sous leurs minces couvertures tôt transformées en éponges, les pauvres 
gens grelottent, dans l’impossibilité d'allumer les ordinaires et nécessaires feux de bois mort! 

Souvent, trop souvent, mon cœur s'est serré dans mon impuissance à modifier cet état de choses. C'est 


199 — 


pourquoi j'ai loujours cherché — aux temps de pluie — à loger dans les villages, quitte à y être personnel- 
lement ennuyé par la vermine, mais ayant du moins cette satisfaction d’épargner une dure épreuve, une 
longue et réelle souffrance, aux misérables êtres dont le seul dévouement nous à permis de mener à bien 
notre mission. 

Je suis de ceux qui exigent du noir l’obéissance absolue, parce que je me considère comme pouvant être 
son tuteur. Mais on me laissera certes signaler de tout cœur combien de reconnaissance j'ai à ces braves bêtes. 
Jamais je n’ai hésité à appliquer les corrections et punitions nécessaires, mais on me laissera dire que j'en ai 
souffert, et je souhaite, je souhaite sincèrement que tous ceux qui ont à conduire des noirs sachent toujours 
que la sévérité doit avoir pour compagnes la bonté et la Justice. 


Un courrier nous joint à Bondo; lettres d'Europe et aussi une lettre de Ki-Touta, par laquelle M. Mac- 
kenzie, de la Compagnie des lacs, me fait savoir que nos caisses de collections ont été expédiées vers 
Bruxelles. 

D'autre part, M. Questiaux me fait connaitre que les trois barils que j'avais reçus à M’pwéto comme conte- 
nant de la dynamite et des détonateurs, ne contiennent en réalité que de la mèche fumante et des détonateurs; 
la dynamite manque totalement. 

Les indigènes nous apportent beaucoup de vivres; le village Bondo a ses huttes disséminées dans de 
grandes et belles plantations : manioc, mais, courges énormes, concombres, arachides, haricots, chanvre, 
tabac, coton, patates douces, loubanga, ricin, ete., ete. 

Comme animaux domestiques, des poules et de très beaux pigeons. 

De Ka-Béça à Bondo, on compte 11 !/, kilomètres. 


Mercredi, 8 février 1899. 


Soleil dès 6 h. 15 m. Le thermomètre marque 17° 1/,. 

Départ à 7 h. 5 m. Au sortir de Bondo, on palauge d’abord dans la partie marécageuse signalée hier. On 
traverse alors la Ka-Loulwé, affluent de la Ka-Bécça; largeur # mètres, profondeur 40 centimètres; eau boueuse 
quasi stagnante. 

Sur la rive droite de ce ruisseau se montrent des sentes d’éléphants, à l’orée d’un sous-bois où se voient 
de hautes termitières; de-ci de-là, quelques bambusacées de petite taille. 

sientôt le sous-bois s’interrompt un moment, faisant place à la plaine de Ki-Mikombo, herbue avec 
quelques arbres rabougris. Et le sous-bois recommence, avec un sol d'argile sablonneuse et, par places, des 
affleurements de limonite. 

Le sous-bois est pittoresque, mais, au point de vue économique, rien ne s’y remarque : pas une liane, pas 
une essence exploitable; nous goûtons seulement un fruit très agréable, qui est une véritable myrtille, du nom 
de bou-m'bouchi-m'bouchi. 

Vu aussi le n’toundoulou (amomum citratum), dont le jus coagule le caoutchouc. 

Une légère descente mène au ruisseau Ka-Milimka, afluent direct du Moéro : largeur 4 mètres; profondeur 
25 centimètres; eau stagnante boueuse. 

Sur la rive droite affleurent les éternelles limonites, auxquelles succède une argile sablonneuse nourrissant 
une brousse qui rappelle fort celle de la région des cataractes (bas Congo), avec herbes plus basses et arbres 
plus développés. 

Toute vie animale paraît inexistante ici. 

On n'entend ni un appel d'oiseau, ni un ronflement de coléoptère, ni un susurrement d’insecte, ni un 
crissement de fourmi; rien qui dénote l'ordinaire activité organique de ces pays habituellement en travail 
fiévreux. 

Au sous-bois a succédé la vallée Ki-Mipini, soumise aux inondations à la saison des pluies. 


193 — 


A la lisière de cette plaine nous laissons, sur notre gauche, le boma abandonné de Fancien village 
Mou-Jofia, au delà duquel se présente une partie de terre noire avec hautes herbes et futaie serrée encombrant 
un sol marécageux où abondent les jones, les cycadées, ete. 

C’est la bande bordière de la rive gauche de la Ka-Toula. 

La Ka-Toula, sur laquelle existe un pont indigène, est un affluent de la Lou-Foukwé (que nous 
verrons demain); elle à 6 mètres de large avec 80 centimètres d’eau quasi stagnante. 

C'est ici que j'avais prescrit à M. De H. de nous attendre, après avoir construit les abris du deuxième gite 
d'étape. 

Pas plus iei qu'à Mou-Koubé mes instructions n'ont été suivies; l'avant-garde a continué sa route sans 
qu'aucun abri ait été élevé. 

Et le ciel est bas à toucher nos têtes; les nuages vont crever. Vite on débrousse, on dresse une 
tente; à peine est-elle debout, tous les piquets n'étant même pas fichés en terre, que la débàäcle céleste 
se produit; heureusement, les instruments sont abrités ; dès lors tout est bien. 

Dans la pluie qui balaye le camp, on dresse péniblement deux autres tentes; enveloppés dans nos imper- 
méables nous attendons que la rafale s’apaise; les cuisiniers arrivent à nous servir une tasse de thé, puis une 
assiette de soupe Stoeffer. Ces soupes Sioefler sont vraiment une excellente conserve, et elles nous ont rendu 
de nombreux et constants services. En station, on en doit éviter l'emploi autant que de toutes les conserves de 
viande et de légume et s’efforcer de ne consommer que des vivres frais; mais en route elles sont une précieuse 
et agréable ressource. 

La pluie cingle de plus belle; allumons la pipe consolatrice. 

Brusquement, des noirs se jettent vers la tente où nous nous tenons cois, et empoignent un serpent long de 
3 mètres, gros comme le bras, qui s’'amenait sournoisement vers les intrus que nous étions. 

En un tour de main le reptile est solidement saisi derrière la nuque, ce qui l’oblige à ouvrir une très 
méchante gueule; c’est ce que veulent ceux qui l’ont capturé et qui, par le moyen d’un tranchant de hache, lui 
font subir une bien vilaine opération, qui consiste à lui râcler les crochets de la denture, opération après 
laquelle la bête devient plus qu'inoffensive ; on peut alors, tout à laise, la dépouiller de sa peau, qui enrichira 
nos collections; les noirs se partagent la chair. 

A 16 heures, deux chefs indigènes, avertis de notre passage, viennent nous dire bonjour; ce sont les 
nommés Mwana Ka-Longa, de Ki-Tambo, et Mou-Koupa, de Ki-Foungou, qui sont deux villages sur la Ka-Toula: 
ils apportent le coutumier présent de poules, farine et œufs. 

Chose intéressante : ils offrent spontanément des porteurs pour n'accompagner jusque Lofoi. Cette 
offre spontanée me réjouit fort; elle indique que notre réputation dans le pays est aussi bonne que possible: 
c’est du meilleur augure pour lavenir. 

Maintenant la pluie a cessé; l'observation du soir est préparée à tout hasard. 

La soirée tend à s’éclaircir; le théodolite est mis en station; malheureusement, à peine lPobscurité 
s’accentue-t-elle, laissant pointer les premières étoiles, que le ciel se recouvre et, quand j'ai pu prendre trois 
étoiles du Taureau, il me devient impossible d’encore rien saisir. 

Pendant une demi-heure, nous guettons la moindre éclaireie méridienne; le ciel finit par être d’un 
noir d'encre. Plus rien à faire! Et avec celà des moustiques! 


Jeudi, 9 février 1899. 


Départ à 7 heures. 

Nous sortons de suite de la bande boisée qui borde la Ka-Toula, et dans laquelle nous avons établi 
notre campement hier; les grands arbres disparaissent, ne laissant qu'une brousse basse qui se maintient 
jusqu'à l'emplacement du village abandonné Ki-Bombo-m’koto; ce village dépendait du chef Mou-Yofia, 
dont, hier, nous avions déjà vu un premier village également abandonné; ce chef a quitté le territoire de l'Etat 
pour aller se joindre au fameux Ka-Zembé, du Lou-Apoula. 

Ki-Bombo-m'koto, dont le sol est marécageux, est maintenant repris par la brousse: mais les cultures 
n’ont pu encore être étouffées : bananiers, ricins, pourguères (en indigène Ki-Tondomono), cotonniers, se 

13 


UE 


montrent nombreux et vigoureux, sous l’enlacement d’une végétation folle de parasites qui grimpent, 
s'enroulent, se tordent, se vrillent, agrippent les moindres ramilles. 

Jusqu'à ce point abandonné, le sentier a suivi, à peu de distance, la Ka-Toula; au sud-est du village 
déserté la Ka-Toula rencontre la Lou-Foukvwé venant du sud; les deux rivières coulent ici dans une plaine 
basse herbue. 

Encore d'anciennes cultures au delà desquelles les grands arbres reparaissent ([mimosées et acacias). 

Le sentier se bifurque : vers le sud-est un embranchement va au village du chef Mou-Koupa, dont 
nous avons eu la visite hier; nous suivons l’embranchement sud et arrivons au ruisseau Ki-Oulou-wôma, 
large de 1 à 3 mètres, avec 10 centimètres d’eau stagnante; va à la Lou-Foukwe. 

Ici nous attend le chef Mou-Kobé du village Lou-Banga ; il s’est porté à notre rencontre avec sa bande de 
tambourinaires et de chanteurs. 

Le sentier court maintenant parallèlement à la Lou-Foukwé et traverse successivement deux vallées 
herbues, la Ka-Louilwa et la Ka-Bapa, qui sont sous eau aux fortes pluies; des bandes boisées séparent ces 


vallées. 
En approchant du village Lou-Banga, on voit réapparaître vers l’ouest la ligne des hauteurs, qui semble 
affaissée. 


À 9 h. 45 m., nous entrons dans le boma du chef Mou-Kobé (un quasi homonyme du Mou-Koubé vu le 
jour de notre départ de Ka-Béça). 

Le village de Lou-Banga, où nous stoppons pendant un quart d'heure, est situé sur la rive gauche de la 
Lou-Foukwé; il compte 107 huttes; nombreux ficus à étoffe; bananiers (pas de fruits); quelques papayers, 
pois-cajan, tournesols, chanvre, etc. 
A remarquer aussi « le fétiche des 
chasseurs d’éléphants » placé sous 
un petit toit d'herbes au haut de 
deux piquets. 

De Lou-Banga part un sentier 
aboutissant, en deux jours de mar- 
che, au lac Moéro, fortement au 
sud-est de Ka-Béça. 

Il y a ici en poste un soldat noir 
avee sa smala; il à approprié sa 
(Fes CE ll maison pour nous, mais, malgré les 
VMS ; instances du chef Mou-Kobé, nous 
KALEP continuons notre route vers le vil- 
lage suivant, où Mou-Kobé viendra 
apporter son cadeau. 

Le « fétiche des chasseurs d’éléphants » dans le village Lou-Banga (1899). A 10 heures la colonne se remet 
en route. 


Au sortir de Lou-Banga, on traverse la Lou-Foukwé sur un très beau pont; la rivière, large de 
10 à 12 mètres, est ici encaissée de 4 mètres; courant rapide; elle doit être navigable aux pirogues en 
ce moment de l’année, car il n’y à pas de chutes d'ici au lac. Ses deux rives sont occupées par d'énormes 
plantations, s'étendant à plus d’un kilomètre et demi du village. 

Mais la marche est devenue fatigante du fait des nombreuses parties de terrain sous eau à la suite des fortes 
pluies de ces derniers jours; la première bande inondée est large de 600 pas; l’eau n’y stagne pas, mais coule 
vers le sud. 

Vient ensuite une large partie de cultures (beaucoup d’arachides) suivie du ruisseau Ki-Chiba qui a 
débordé sur ses deux rives, ce qui oblige à faire 1,000 pas dans l’eau; ici encore l’eau de l’inondation coule 
vers le lit de la Ki-Chiba qui va à la Lou-Foukwé. 

Les deux ruisseaux qui suivent, savoir le Ka-Baramba et le Ka-Touba, coulent vers l’est pour aller se jeter 
dans la Ka-Tofia; le second, le Ka-Touba, offre deux bras au point où le sentier le franchit; lit à fleur de sol : 
en aval du sentier cascatelles sur grosses roches schisteuses. 


19 — 


On franchit encore deux zones inondées, l’une de 200, l’autre de 600 pas, et l’on est à la Ka-Tofia, rivière 
large de 4 mètres, encaissée d'autant, qu'on franchit sur un bon pont indigène, pour trouver de suite les deux 
bomas du village Wamôla, chef Kia-n’sambalé. 

Il est 19 h. 55 m.; nous avons parcouru 93 !/, kilomètres. 


L'étape d'aujourd'hui nous à paru plus dure qu'à l'ordinaire, d'autant 
qu'elle à été allongée d’une grasse heure par les difficultés de la marche dans 
le terrain marécageux, où complètement inondé, que le sentier a suivi entre 
Lou-Banga et Wamôla. 

Ainsi que je l’ai dit, les eaux d'inondation n'étaient pas stagnantes ; elles 
avaient, au contraire, un courant marqué; il n’est donc pas impossible qu'on 
puisse saigner ce pays par de larges fossés d'écoulement dont le tracé 
pourrait être déterminé au début de la saison sèche, lorsque ne sub- 
sisteraient plus que les derniers vestiges des inondations, indiquant 
les lignes les plus basses suivant lesquelles on aurait à creuser les 
fossés vers la Lou-Foukwé et la Ka-Tofia. Un pareil travail suppose 
évidemment qu'on veuille s'établir dans ce pays, et y faire de grandes 
cultures, ce à quoi le terrain commence à se mieux prêter. 

Le village de Wamôla — je l'ai dit tantôt — se compose de deux 
bomas, enfermant l'un 31 huttes, l’autre 28. La palissade, très haute, 
de ces bomas disparait sous une superbe 
draperie de plantes grimpantes, parmi 
lesquelles plusieurs eucurbitacées; des 
plantes de manioc, hautes de 4 à 5 mètres, 
renforcent la palissade. 

Nous nous installons dans les huttes 
du plus grand boma. 

Le chef Kia-n’sambalé est le plus vieux 
nègre que Michel et moi ayons jamais vu; 
sa peau est devenue écailleuse et toute 
plissée; ses yeux s’enfoncent profondé- Le pont sur la rivière Ka-Tofia, au village 
ent sous des arcades sourcilières curieu- Wamôla (1599). 
sement proéminentes; il ne parle plus 
que difiicilement. Mais il a voulu venir me serrer la main; il est conduit par son 
fils, un beau gars à bonne figure ouverte. Je fais asseoir le vieillard dans ma chaise 
longue et nous entamons une causette amicale, que je prelonge à dessein, comme 


marque de déférence. I m'a apporté trois pots de miel et six paniers de farine; je 
4 lui fais remettre un gros cadeau. 
De la bouche de Kia-n’sambalé et de celle de son fils j'ai recueilli les ren- 


seignements suivants : la Ka-Tofia descend des hauteurs de l'ouest; à deux jours 
en amont de Wamola, elle présente une chute d'environ 3 mètres; entre ces chutes 
et Wamôla on trouve le village Ka-Wa’n’galala, chefs Mwana Ka-Limo et 
Ka-Foufougéni; la Ka-Tofia se jette dans la Lou-Alala, à une journée de 
Wamôla (la journée de marche indigène est de six heures bien comptées): 
la Lou-Alala va elle-même à la Ki-Foukoula et cette dernière au Lou-Apoula ; 
la Ki-Foukoula et la Lou-Alala sont plus où moins accessibles aux pirogues, 
mais leur cours est obstrué par la végétation. La Ka-Tofia abonde en petit 
poisson blanc; elle est indemne du hideux crocodile. 
Le vieux chef Kia-n’sambalé. De Wamôla partent deux sentiers allant au Lou-Apoula : l’un pique vers 
le nord-est et aboutit à Tchafoulougouta (trois Jours de marche indigène en 
passant par Lou-Banga et Ki-Chité); l’autre pique vers le sud, puis l’est, passe par Pa-Windé (où nous 
logerons en quittant Wamôla), et aboutit à Ki-Lembwé-Lembwé {six jours de marche). 


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Mes interlocuteurs m'aflirment qu'on ne trouve pas de caoutchouc; cela coincide avec nos propres obser- 
vations directes. Parmi les produits de culture qu'ils me citent, je signalerai la canne à sucre. 


Après l'audience accordée au vieux Kia-n’sambalé, je reçois un groupe de chefs, savoir : 


Mou-Kobé (de Lou-Banga), qui offre 1 bouc, 

8 paniers de farine, 
7 œufs: 
Ki-Tchoumona, du village Ki-Mamba, sur la Lou-Alala, qui offre 4 paniers de farine; 
Ka-N’sou, du village Lomami, également sur la Lou-Alala, qui offre . 5 poules, 


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paniers de farine. 

Le chef Ki-Lomba (de Ka-Béça) — qui nous a si complaisamment accompagnés ct guidés jusqu'ici — 
vient m'annoncer qu'il n’est plus sur ses terres et qu'il cède le pas à Kia-n’sambalé; il m'offre, comme cadeau 
d'adieu, un énorme panier de poisson fumé. 


Nous avons rejoint ici notre avant-garde que j'avais arrètée par un courrier expédié hier de la Ka-Toula. 

Comme je demande à M. De H. pour quels motifs il n’a pas préparé les logements à Mou-Koubé et à la 
Ka-Toula, cet agent me répond candidement qu'il ne connait pas le pays et qu'il n’a pas su quand il se trouvait 
chez Mou-Koubé, ni à la Ka-Toula. Les instructions écrites remises à M. De H. spécifiant que le village du chef 
Mou-Koubé était à environ trois heures de Ka-Béça, 11 était impossible de se tromper sur le premier gite 
d'étape, même sans connaître le pays, que nous voyons, d’ailleurs, pour la première fois, et dont nous n’avons 
pas de cartes. Déjà, entre Mo-Banga et Mo-Linga, M. De H. avait commis la même faute de ne pas élever 
d'abris à la rivière Ki-Tété, ainsi que je lui avais prescrit de le faire. 

En revanche, ici, à Wamôla, où nous pouvons disposer des huttes du village, notre avant-garde a 
construit d'inutiles abris. 

Cette facon de me seconder reçoit les suites qu’elle mérite. 


La soirée s'annonce belle; à 20 h. 45 m. (temps vrai), je puis prendre les premières étoiles; malheu- 
reusement le ciel se couvre peu à peu du nord vers le sud; toutefois je parviens à obtenir une observation 
complète dans les quatre positions de la lunette. 

L'observation est rendue désagréable par la condensation d’un brouillard intense; l'instrument se couvre 
d’une buée en gouttelettes; le papier du carnet d’annotations est absolument détrempé. 

Depuis que nous avons dégringolé, à Mo-Banga, dans la cuvette laissée à sec par le retrait des eaux du 
Moéro, nous avons eu chaque soir cette humidité considérable; je pense que la forte hygrométrieité de toute 
cette région est pour beaucoup dans la cause totale de notre mauvais état sanitaire. 

Nous nous protégeons autant que possible contre cette humidité pénétrante en faisant allumer chaque soir 
un grand feu clair. 

Pour aujourd'hui, dès que l'observation astronomique est poussée aussi loin que le permet le ciel, 
je me couche avec le frisson trop connu; depuis midi, d’ailleurs, je ne me sentais pas bien. 


Vendredi, 10 février 1899. 


Nuit infecte; mal de tête violent; vomissements de bile noire, gluante. Pouah! 
Impossible de me lever. J'ai voulu prendre une tasse de café : elle s’en retourne comme elle était venue. 
Nous resterons ici aujourd’hui. 

La journée se passe, pour moi, dans un demi-sommeil, plus fatigant que l’état de veille. 


Michel reçoit à ma place les chefs Mwana Ka-Limo et Ka-Foufougéni du village Ka-Wa’n’galala, dont j'ai 


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parlé hier ; ils apportent trois paniers de manioc, deux paquets de 
mais, un pot de miel, un régime de grandes bananes (non mûres). 

Nous constatons l'existence ici de bambous d'Inde utilisables. 

Passé une nuit plutôt déplorable; deux fois je dois ‘changer 
de linge, tant les sueurs sont abondantes. Et, avec cela, une 
xylostomite aiguë, à croire que j'ai guindaillé huit jours et huit 
nuits d’afilée. Wamôla abonde en moustiques, ce qui est un fameux 
facteur de désagrément. 

De tout quoi il résulte que je me lève en mauvaises dispo- 
sitions; mais Je ne puis raler l'observation magnétique; Jv pro- 
cède de 8 h. 40 m. à 10 h. 55 m. 

Je puis ensuite me mettre aux calculs. 

Le premier village où nous camperons est Pa-Windé, chef 
Ka-Pwassa; des envoyés de ce chef arrivent aujourd’hui se mettre 
à notre disposition. 

Une promenade dans les deux bomas de Wamôla ne nous 
révèle rien de bien marquant; signalons, toutefois, que chaque 
village continue à avoir sa ou ses maisonneltes de n’zimou (esprits) ; 
souvent elles sont huchées à 3 mètres de hauteur sur des perches 
fourchues. 


Samedi, 11 février 1899. Fétiche au village Wamôla (1599). 
EE, 


Insomnie absolue. Levé très mal disposé. 

Rossé le boy qui a fait mon lit avee un seul drap. 

À Gh. 15 m., le thermomètre marque 16° 1/,. 

Départ à 7 h.5 m. Direction de marche : sud, légèrement ouest. 

La fertilité de la bande riveraine de la Ka-Tofia est indiquée par la hauteur des herbes, et le déve- 
loppement des arbres en un terrain argilo-sablonneux ; cette bande est large d'environ 2 kilomètres, puis 
l’hberbe devient de plus en plus maigre, les arbres restant de belle taille un moment encore, pour être peu 
à peu remplacés par des essences grèles, dont le tronc n'atteint qu'exceptionnellement un diamètre de 
20 centimètres. 

Puis le sol se parsème de cailloutis de limonite annonçant de proches affleurements de cette roche si 
commune dans le pays; en effet, les voici se présentant d’abord en énormes blocs isolés, puis formant par 
places un véritable dallage; en même temps la hauteur des arbres a considérablement diminué. 

Vers le huitième kilomètre de l’étape le sentier atteint une plaine basse herbue soumise aux inonda- 
tions, et dont le thalweg est occupé par le lit de la Ma-Kola, affluent de la Ka-Tofia; ce lit, à fleur de 
sol, encombré de jones et d'herbes, à actuellement 150 pas de large et 20 centimètres d’eau à courant 
insensible. 

Les abords de la Ma-Kola sont en ce moment marécageux, particulièrement sur la rive droite, où se voient 
de grands arbres. 

Réapparaissent les limonites, qui émergent pendant environ 3 kilomètres, jusqu'au voisinage du 
ruisseau Ka-Koudi, affluent de la Lou-Alala, offrant le même caractère que la Ma-Kola, c’est-à-dire un lit à 
fleur de sol, dans une dépression inondée en ce moment sur 400 mètres de large; dans cette dépression, 
quelques rares arbres rabougris. 

Encore un petit temps de marche et le pays se couvre de futaie moyenne; le terrain est maintenant très 
sablonneux ; bientôt la futaie devient haute et l’on descend au ruisseau Ki-Pia, large de 2 mètres, encaissé de 
2,50 : eau boueuse, courant marqué vers la Lou-Alala. 

La Ki-Pia se franchit sur un pont; elle est immédiatement suivie d’un autre ruisseau, la Ka-N'doua, allant 
aussi à la Lou-Alala. Les arbres de la brousse disparaissent ici sous les enveloppements de plantes grimpantes, 


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et l’étape se termine à midi au village Pa-Windé, qui se développe sur la rive gauche de la Lou-Alala, large de 
19 mètres, encaissée de 4, avec un courant très marqué; la Lou-Alala est très poissonneuse et crocodileuse. 

Nous avons fait 21 kilomètres 3/, en 4 heures 41 minutes de marche effective. 

Cette étape a continué à se développer en terrain quasi horizontal, dans l’ancien lit du lac, qui semble 
venir mourir ici, ainsi que nous le constaterons en quittant Pa-Windé et en marchant dans l’ouest. 

Le chemin est rendu désagréable en ce moment de l’année par les parties inondées; l'allure générale du 
pays ne se modifie pas : c’est toujours la même brousse à arbres plus ou moins hauts; les herbes ont tantôt 
jusqu'à 1",50, tantôt seulement 30 à 40 centimètres; de grandes termitières se montrent couvertes de 
végétation, savoir : de nombreux aloès largement étalés, deux variétés de sanséviéria, des euphorbes- 
candélabres, des ficus parasites aux racines ramifiées à l'extrême, s'étendant en tentacules sur d’aucunes 
termitières. 

Chose bien intrigante : ces diverses essences ne se voient que sur les termitières, à fort peu d’exceptions 
près. À quoi serait bien due cette particularité que j'ai notée à diverses reprises depuis le Tanganika? 

On ne rencontre presque plus de fleurs; les bouffées de parfums — caractéristiques de certains sites 
parcourus précédemment — sont devenues très rares. 

Les essences exploitables ne se sont toujours pas montrées; même nous ne voyons plus le ficus élastica 
signalé à diverses reprises au départ de Mpwéto. Un seul fruit comestible a été noté dans la brousse : 
le mampata-mbéya, non encore mür, et que j'ai signalé déjà avant l’arrivée à Mpweéto. 

Au point de vue roches, j'ai signalé l'abondance des limonites. 

Faune pauvre; je n’ai à enregistrer aujourd'hui que le fait d’avoir rencontré, à de nombreuses ones. le 
long du sentier, des groupes de jeunes mille-pattes (150 à 200 environ par groupe), grouillant sur place; on 
dirait qu'ils viennent d'être mis au monde, mais on ne voit pas trace de l'animal générateur. 

Pa-Windé, gîte d'étape, est un village profondément dégoûtant; les huttes y ont à peine le tiers d’aire de 
celles des autres villages; leur porte est si étroite que force nous est de les faire élargir pour que nos malles 
puissent entrer. Les cultures sont très développées: on y a conservé assez bien de grands arbres, beaux 
mimosas-parasols où jacassent de nombreux oiseaux; les délicates tourterelles abondent. 

Deux doubles toits de tente sont dressés dans le prolongement lun de l’autre, ee qui nous fournit un 
agréable abri. 

A 16 heures se présente un important groupe de chefs, parés de leurs plus beaux habits; je note, parmi 
leurs ornements, des scarabées montés en colliers et en bracelets. (Nous nous en sommes procurés pour 
Tervueren.) 


Nos visiteurs sont : 


Ka-Pwassa et Tanda-Jambo, du village Pa-Windé, où nous logeons ; 

Sünga, de Ki-Oungwa (village à cinq heures d'ici, sur la Lou-Alala) ; 

M'hayo, de Ka-Monga (village à six heures d'ici, sur la Lou-Issé) ; 

N’gando et Lou-N’doula, du village Ka-Polobwé (ce village n’est pas situé sur un cours d’eau; il possède 
des puits d’eau potable); 

Enfin, Ki-Embé-N'ganga, de Ki-Lou-m'boulwa (village sur la rivière Ka-N’zofou, à un jour de pirogue du 
confluent de cette rivière avec le Lou-Apoula). (Voir la photographie page 199 

Ces chefs offrent, à eux tous : 2 boucs {dont la taille est presque double de ce que nous avons vu 
depuis le Tanganika), 35 poules, 20 paniers de farine, 8 paniers de maïs, à pots de miel, 2 pots de pombhé. 

Cette abondance de vivres est la bienvenue, car pendant les huit jours que nous doit prendre la 
traversée des Kou-n’déloungou, nous ne devons plus rencontrer un seul village. 

Je recueille quelques renseignements intéressants : d'ici au village Tchafoulougouta (sur la Lou-Apoula), 
il y à trois à quatre jours de marche, selon la hauteur des eaux, car on traverse des terrains inondés; 
d'ici à Ka-Lembwé-Lembwé, on compte six étapes : le premier jour, on loge chez M'hayo; le troisième, chez 
N'eando; le quatrième, chez Ki-Embé-N’ganga; le cinquième, chez Ka-Lokoto (de race Ba-Louchi); enfin, le 
sixième jour, on arrive au Lou-Apoula, en un point que peuvent atteindre les pirogues venant du lae, lesquelles 
peuvent remonter encore la grande rivière à deux jours plus en amont, Jusque chez le chef Ka-Loulwa, 
en passant par Ka-Chiba. 


199 — 


Le chef Ka-Lembwé-Lembwé a quitté notre territoire pour passer chez Ka-Zembé du Lou-Apoula 
(rive droite). 

Ces renseignements sont éminemment suggestifs, si on se souvient de ce que j'ai dit à propos du nouveau 
poste à créer au sud du Moéro; pour de multiples raisons J'ai déconseillé l'emplacement de Mo-Linga (impro- 
prement appelé Kilwa), et exprimé l'avis que le nouveau poste devrait être installé dans le Lou-Apoula méme. 


Ce que j'apprends aujourd’hui de la bouche des nombreux chefs que J'ai énumérés tantôt, ne peut 
que confirmer cet avis; car il en découle : 


1° Que les embarcations du Moéro peuvent remonter le Lou-Apoula pendant plusieurs jours; 
9 Que le pays est beaucoup plus peuplé que les régions vues par nous depuis Mpwéto ; 

3° Que les affluents de gauche du Lou-Apoula sont praticables par les pirogues; 

4 Que les vivres indigènes sont abondants. 


DRE MAN AL rS a « 


- Groupe de chefs au village Pa-Windé (sud du lac Moéro). 


Notre entretien avec les chefs réunis à Pa-Windé roula naturellement sur le but de notre voyage; et ce fut 
au cours de cet entretien que j’entendis pour la première fois parler de la mouche tsétsé; voiei comment : 
pour faire saisir autant que possible par nos interlocuteurs ce que nous venions voir dans le pays, je leur 
exhibais les gravures d’un certain nombre d'ouvrages, en leur répétant que nous voulions aussi faire des 
mokandes de tout ce qui existait ici; parmi ces ouvrages figurait le superbe livre de sir Harry Johnston, 
British Central Africa, où se voient des dessins représentant la tsétsé; aussi bien que je le pouvais, j'avais fait 
expliquer qu’il s'agissait d’une mouche dont la piqüre tuait les n’gombés (gros bétail). 

Je rappellerai que, depuis notre arrivée au Tanganika, et pendant toute notre marche jusqu'à Pa-Windé, 
nous n'avions vu aucun village possédant du gros bétail ; mais ici nous n’étions guère éloignés de la région du 
haut Lou-Apoula, où le gros bétail domestique commence à se voir dans les principaux villages, de sorte que 
mes interlocuteurs m’entendaient mieux. 


— 200 — 


Aussi mirent-ils sans hésiter un nom sur la mouche dont je leur parlais, qu’ils appelèrent Ki-Zembé (dia- 
leetes Wa-Bemba et Ba-Chira). 

J'attire l'attention sur le préfixe Ki, pour une remarque que j'aurai l’occasion de faire dans la suite de 
notre voyage. 

Nos gens nous disent que ladite mouche Ki-Zembé existe sur le Lou-Apoula, mais qu'elle ne tue rien 
du tout. 

Cette affirmation, fort inattendue après la redoutable et légendaire réputation faite à la tsétsé, devait se 
confirmer constamment au cours de notre voyage; et je ne crois pas inutile de signaler de suite aux intéressés 
qu'ils trouveront dans la quatrième livraison (année 1900) du Bulletin de lu Société royale de Géographie 
d'Anvers, une note synthétisant nos observations et remarques au sujet de la mouche tsétsé, observations et 
remarques dont l’importante conclusion est : « Il semble qu'en ce qui concerne les territoires de l’État indé- 
pendant du Congo, il n’y a pas à redouter la mouche tsétsé dans la question de l'élevage du gros bétail. » 


Durant notre long entretien avec les chefs venus du Lou-Apoula, J'ai eu la sensation que j'avais devant 
moi de très braves gens, infiniment pacifiques, qu'il serait très facile de bien gouverner. Ce qui ne veut pas 
dire qu'ils se laisseront exploiter par des Européens sans tergogne; malheureusement le haut Lou-Apoula 
commençait déjà alors à être envahi par des écumeurs de la brousse, rebuts blancs de l'Afrique australe, 
arrivés dans le pays on ne sait trop comment. 

La séance levée, je puis préparer l'observation du soir qui, malheureusement, ne peut se faire, le ciel 
étant complètement couvert. 

Je gagne ma couchette, mal en point et sous le coup de la fièvre. 


Lundi, 13 février 1899. 


Mauvaise nuit très agitée. Je ne puis me lever. 

A 6 h. 30 m. le thermomètre marque 17,4. 

Nous passerons la journée à Pa-Windé. Toutefois, M. De H. prendra les devants et ira construire des abris 
à la rivière N'toungwé. 

A 1% heures je puis me tenir debout et prendre quelque vague nourriture. 


Dans l’après-midi arrive un courrier du nord, porteur d'une eaissette à nous expédiée par M. Gibbs, 
l’aimable directeur de l’African Lakes Corporation; cette caissette est accompagnée d’une lettre : 


« Cher monsieur, 


« Je vous fais envoyer un colis contenant une caissette d'instruments scientifiques, trouvée à l'abandon à 
notre station de Fort-Johnston; cette caissette ne porte aeune marque, mais, ayant reconnu un fragment 
d’étiquette avec une partie du nom du regretté D° De Windi, je suis certain que cette caissette appartient à votre 
expédition. Veuillez remarquer que le délai assez long que nous avons mis à vous envoyer celte caissette ne 
nous est pas imputable, vu l'absence de marques sur la caissette. 

« Espérant que vous êtes en bonne santé, etc. » 


Par cette lettre on aura un exemple du soin que mit toujours African Lakes Corporation à assurer le 
service de notre mission ; d’autres voyageurs ont eu à se plaindre de cette société; il est Juste que Je reconnaisse 
que nous n’eûmes qu'à nous en louer. 

Car combien d'Européens, trouvant ainsi un colis oublié par des gens qu'ils ne reverraient vraisemblable 
ment jamais plus, se seraient préoccupés de le leur faire parvenir? On me dira que si, au lieu d'instruments 
scientifiques, la caissette avait contenu des liquides absorbables, nous aurions eu moins de chance de rentrer 


Do {en 


en possession de notre bien. À en juger par plusieurs exemples qui me furent personnels à mes débuts en 
Afrique, je crois volontiers que l'agent inférieur qui trouva notre caissette n'aurait pas songé à la faire parvenir 
à son directeur. 

Quoi qu'il en soit, la caissette qui nous parvenait aujourd'hui était bien pour nous; une petite plaque en 
cuivre indiquait qu'elle avait été fournie par M. Paul Altmann, de Berlin; elle contenait des réactifs divers, un 
chalumeau, des creusets, etc., pour les essais minéralogiques. 

Cette caissette avait été évidemment oubliée par notre regretté compagnon, qui ne s'en était pas aperçu 
plus tard, puisqu'il ne me l'avait pas signalé. 

Elle viendra fort à point à M. Voss, notre nouveau géologue. 


°[) 


Une fois de plus la soirée s'annonce très couverte; J'ai néanmoins mis l'instrument en station {il s'agit 
du théodolite que, pour bien faire, on doit disposer avant que l'obscurité soit venue); bien m'en à pris, car, 
vers 20 heures, nous pouvons commencer l'observation, qui s'achève très complète, par 14 étoiles. 

Le maximum thermométrique d'aujourd'hui a été de 290. 

Les lectures de l’anéroïde 501 n’ont montré aucune variation de la pression atmosphérique de 6 h. 30 m. à 
17 heures ; l'examen de Pinstrument me laisse à penser que la chape de laiguille pourrait bien toucher légère- 
ment le bord le l'œilleton qui lui livre passage dans le cadran. 

Nous verrons ce qui en est demain. 


Mardi, 14 février 1899. 


A 6h. 10 m., température : 1591/,. 

Jai joui de quelques heures de sommeil. Aussi suis-je levé en meilleur état; nous nous mettons de suite 
à la détermination des trois composantes magnétiques, ce qui dure de 6 h. 15 m. à 8 heures. Pendant que 
Michel et moi procédons à cette détermination, M. Fromont reçoit le chef Sanangui, du village Ki-Téchi (sur 
la rivière Ka-Sékikamo), affluent de la Lou-lssé qui se jette dans le Lou-Apoula; ce chef apporte 5 poules, 
6 paniers de farine, 1 panier d'oignons. 

Départ à 8 h. 25 m. Le bon chef Ka-Pwassa, un vieillard à longue barbe noire, nous guide avec 
empressement. D'ici à Lofoi, ainsi que je l'ai déjà dit, nous ne trouverons plus de villages ; aussi la colonne 
a-t-elle fait des provisions pour une semaine. 

Notre marche s’infléchit vers le sud-ouest, le long de la Lou-Alala; nous commençons aujourd’hui à 
ascensionner les hauteurs du formidable massif des kou-n’déloungou. 

L'occasion va être propice pour surveiller l’anéroide 501. 

Au sortir de Pa-Windé le sentier franchit le pont du ruisseau Ka-Liboumba, large de 2 mètres à 2",50: 
encaissement, 2? mètres; 20 centimètres d’eau boueuse courante. La rive droite de ce ruisseau est bordée de 
grands acacias et de mimosas formant la lisière d’une plaine herbue, à terre noire très grasse; au delà 
se voient quelques huttes en ruines au milieu de cultures variées et étendues, reprises par la brousse: 
les anciens occupants se sont installés à Pa-Windé même; le sol devient sablonneux; on commence à 
distinguer un bruit de chutes, à gauche, vers l’amont de la Lou-Alala; ce sont les Pagafounzo dia mabuwe, 
chutes hautes de 1 mètre; à leur hauteur, le sentier court dans un beau sous-boïs, le sol se parsème de 
cailloux roulés et de blocs de conglomérats quartzeux ; à gauche du sentier s’amorce, dans des schistes, une 
dépression à see, et l’on arrive au ruisseau Ka-N’sono, large de 1",50, avee 10 centimètres d’eau assez claire, 
dégringolant en cascatelles jusqu’à la Lou-Alala; le lit du ruisseau est formé de cailloux roulés. 

Toute la verdure est couverte de jeunes sauterelles. 

3ientôt de nouvelles chutes sont entendues, auxquelles on arrive vers le septième kilomètre de l'étape: ce 
sont les très pittoresques chutes Lopembé. (Voir la planche en couleurs.) 


Le sentier passe à quelques centaines de pas de ces chutes, où la Lou-Alala se divise en deux bras: le bras 


__ 902 — 


nord, qui est le plus étroit, est large de 10 à 12 mètres, avec une hauteur totale de chute de 10 mètres : la 
tombée des eaux se fait en escaliers de larges dalles rocheuses naturelles; le second bras est large de 
40 mètres : l’eau y fait deux sauts, l’un de 1 mètre, l’autre de 4 mètres; entre les deux bras, un étroit 
ilot rocheux garni de grands arbres et d’une exubérante végétation. 

L'eau est assez claire; des nasses dorment dans les pierres au pied des chutes ; nous laissons à Dardenne 
le temps de prendre de suffisants croquis; en même temps Michel influence deux plaques; le site est 
délicieux. 

La rive droite de la Lou-Alala est bordée à faible distance par une faible ligne de hauteurs où se 
dégagent deux pitons dénommés Niangelé et Ka-Songo. 

Nous regagnons le sentier et traversons de suite le ruisseau Ki-Kolé, large de 2 mètres, avec 20 centimètres 
d’eau sans courant; le Ki-Kolé franchi, nous nous rapprochons d’une autre ligne de hauteurs, faisant, sur la 
rive gauche de la Lou-Alala, le pendant de la ligne que nous venons de signaler à droite. 

Nous arrivons jusqu'à quelques cents mètres de cette seconde ligne, à un angle de laquelle se profile le 
piton Ki-Longo, à hauteur du ruisseau Mou-N’toumbwa, large de 2 mètres avec 20 centimètres d’eau boueuse 
sans courant. 

A partir du piton Ki-Longo le sentier se maintient parallèle à la ligne de hauteurs; voici le ruisseau 
Mou-Nagéna, large de 2 mètres, encaissé de 50 centimètres, avec 30 centimètres d’eau sans courant; il 
est bientôt suivi d’un passage marécageux sur une centaine de pas; après quoi le pays se couvre de futaie 
moyenne jusqu'au ruisseau Ma-Pella, qui est à sec; maintenant la ligne de hauteurs, que nous laissons à notre 
droite, s’infléchit un peu vers l’ouest, en un point marqué par le piton Ki-Loungou (remarquer la quasi 
homonymie avec le pic précédent); le sentier suit ce mouvement à travers une région herbue, à arbres 
rabougris; puis se montrent des bambous grèles, et nous sommes à la rivière Ka-Louloué, large de 3 mètres, 
encaissée de 3 à 4 mètres, avec 25 centimètres d’eau; sur sa rive droite se développe une bande de futaie basse, 
et bientôt le sentier descend sur un affleurement de roches schisteuses jusqu'à la rivière N'toungwé, 
large de 7 à 8 mètres, encaissée de 2, avec 1,50 d’eau claire à courant marqué vers la Lou-Alala; la N'toungwé 
se passe sur pont. 

Sa rive droite offre l’aspeet d’une plaine marécageuse au sortir de laquelle nous trouvons les installations 
préparées par l'avant-garde. 

Il est 13 heures; nous avons parcouru 15 kilomètres. 


Nous sommes sortis de l’ancienne cuve du Moéro; de Pa-Windé aux chutes Lo-Pembé, l’anéroide 501 
n'avail indiqué aucune variation dans la pression; il était dès lors évident que l’aiguille était entravée dans son 
libre mouvement; je dévissai donc la glace de l'instrument pour dégager l'axe de ladite aiguille qui, ainsi qu'il 
m'avait semblé hier, touchait légèrement le bord du trou central du cadran; l’antroïde reprit alors son 
mouvement régulier. Toutefois nous devrons, pour aujourd'hui, renoncer à tirer parti des indications 
de l'instrument, son erreur constante ne nous étant plus connue. 

A 15 heures, forte averse d'orage avec gros grèlons. 

L'observation astronomique est préparée au camp de la N'toungwé; malheureusement, une fois de plus, 
le ciel est d'encre; vers 21 h. 15 m. seulement, je parviens à saisir trois étoiles; c’est tout ce qui se laisse 
prendre. 


Mercredi, 15 février 1899. 


Passé une nuit frigide; mal dormi. À 6 heures, le thermomètre marque 17°. Nous nous levons avec 
la pluie; obligés de stopper pour voir venir. 

A Th. 45 m., nous pouvons donner le signal du départ. 

Direction générale : ouest 25° nord. Les anéroïdes 501 et 502 seront observés simultanément pendant la 
marche aujourd’hui. 

La ligne de hauteurs que nous avons suivie hier s’infléchit vers le nord, formant la falaise orientale de 
l’indentation de la N’toungwé, celle-ci venant du nord. 


— 903 — 


Au départ du camp nous traversons un sous-bois à essences gréles, à herbe courte, rappelant le plateau 
entre le Nyassa-nord et le Tanganika-sud : nombreux pommiers-néfliers (Rhaplopetalum coriaceum) et 
simili-magnolias (en réalité une protéacée). 

A quelques kilomètres dans l’ouest, on aperçoit de temps en temps, à travers les arbres, le pie Ki-Wéwa- 
walamba, sur lequel nous piquons en droiture. 

Traversons le ruisseau Ka-Samba-Lembo, large de 1,50 avec 15 centimètres d’eau laiteuse; lit de 
schistes; va à la N’toungwé. 

Ce ruisseau dépassé, on monte franchement; vers le sud-ouest bruit de chutes; cest la Bi-Yéwé, 
disent les guides; deux dépressions à sec, dans des schistes rouges se délitant, se réunissent un peu au nord 
du sentier qui les franchit, et forment la Ka-Kamitéto, allant à la N’toungwé. 

Du point où nous sommes arrivés l'œil porte à grande distance vers le nord, sur un pays fortement 
ondulé; des creux de ces ondulations déscendent les affluents de la rive occidentale du Moéro; dans cette 
direction nord se trouvent quelques villages dépendant du chef Mou-Kobé. 

Et nous arrivons au pied du piton Ki-Wéwa-walamba, dominant un ruisseau du même nom, que le 
sentier franchit; ce ruisseau à { à 2 mètres de large, 20 centimètres d’eau laiteuse, courant sur roches vers la 
N'toungwé ; les eaux qui ruissellent du pic, en temps de pluie, se sont creusé un lit de torrent habituellement 
à sec. 

Le sentier en rampe continue nous mène à un plateau boisé, en forme de coupole à grand rayon 
de courbure. 

Au point culminant de cette simili-coupole, le guide nous montre une pierre plate disposée sur le sentier, 
et qu'il appelle Kawékomono ; il nous donne à son sujet des explications auxquelles je ne comprends malheu- 
reusement rien. 

Maintenant le sentier redescend doucement; vers le sud on revoit une ligne de hauteurs parallèles 
au sentier, vue déjà avant d'arriver au haut du plateau en coupole; en même temps la superbe chute de la 
rivière Ka-Boula-Mpakati, d'une hauteur d'environ 100 mètres, se montre bien à découvert dans l’ouest; notre 
sentier semble s’y porter; mais le voici qui bientôt dégringole, franchit un ruisselet, longe un profond ravin 
s'encussant à notre gauche, et nous amène à la Mou-M’pachi, belle rivière large de 8 à 10 mètres, encaissée 
de 2%,50, avec 50 centimètres d’eau limpide, courant sur rochers vers la Lou-Alala. La Mou-Mpachi 
(ou Pachi tout court) qui se franchit sur un beau pont, est parée d’une merveilleuse galerie arbores- 
cente; nous nous arrètons un moment sur le pont pour emplir nos yeux de cette élégance végétale; il n’est, 
d’ailleurs, pas mauvais que nous respirions avant d'aborder la montée continue sur roches qui va nous 
mener au gîte d'étape; les roches que nous gravissons sont des schistes rouges se délitant; le pays est 
habillé de futaie moyenne; à notre gauche s'enfonce le ravin où tombe la Ka-Boula-Mpakati: c’est la 
pente de ce ravin que nous ascensionnons en longeant la jolie rivière, large de 1 à 2 mètres, avec 
20 centimètres d’eau limpide courant vivement sur roches, puis effectuant un saut de 100 mètres pour s'unir à 
la Mou-M'pachi. 

La rive droite de la Ka-Boula-M'pakati est bordée, à faible distance, par une ligne de hauteurs à direc- 
tion E-W; sur la rive gauche le sentier trouve maintenant un sol de sable et franchit un ruisseau de 1 mètre de 
large, avee 10 centimètres d’eau claire courant sur roches. C’est dans l’angle de ce ruisseau et de la Ka-Boula- 
M’pakati que nous stoppons à 11 h. 20 m., ayant parcouru seulement 11 !/, kilomètres, pendant lesquels nous 
nous sommes élevés de 500 mètres; cette étape, quoique courte, a été assez fatigante, du chef des montées 
et descentes continuelles, le long desquelles les lectures simultanées des deux anéroïdes ont montré que le 501 
a repris une marche régulière. 

On dresse les abris, et nous faisons préparer quelque extra pour le diner, aux fins de fêter à la Belge 
le début de notre onzième mois de voyage. 

Ainsi que je viens de le dire, nous sommes installés dans l'angle de la Ka-Boula-M'pakati et d’un gentil 
ruisselet qui s’y jette à corps perdu; nous nous réjouissons d’avoir enfin de bonne, d'excellente eau. Depuis 
Mpwéto nous n'avons guère eu qu’une eau détestable, lourde, chargée de matières organiques, mauvaise pure, 
mauvaise filtrée, mauvaise en thé ou en café. Quelle terrible tare pour le pays! 

3ien qu'on nous ait avertis à Pa-Windé que nous ne verrions âme qui vive sur les Kou-n’déloungou, voici 
pourtant venir aujourd’hui le chef Ki-Toungou, du village Ki-Langui; ce brave homme s'était présenté ce 


204 — 


> 


matin au camp de la N’loungwé au moment où je donnais le signal du départ; Je l’avais prié de pousser 
jusqu'au nouveau gite d'étape, ce qu'il à fait; il apporte trois paniers de farine et trois poules. Le chef 
Ki-Toungou était jadis installé sur la rivière Lou-Issé avec le chef Sananguï, celui-là qui était venu nous saluer 
à Pa-Windé, le mardi 14, au matin. Aujourd’hui Ki-Toungou est installé pour son compte au ruisselet 
Ka-Samba-Limbo, que nous avons franchi au départ du dernier campement. 

D’après les renseignements que me fournit le chef Ki-Toungou, — renseignements corroborés par les 
guides que m'a donnés Ka-Pwassa, — les gens de Pa-Windé, Wamôla, Lou-Banga, etc., sont des Ba-Lamotwas 
reconnaissant comme grand chef le chef Mou-Founga, du village Sô’n’ta, sur la Lou-Ichi. Ce renseignement 
concorde avee ceux qui n'avaient été donnés à Mo-Banga. 

Il n’y a pas de sentier allant directement du point où nous campons aujourd'hui au village Sô’n’ta 
{ou Pa-N’sô’n’ta), parce que la région à parcourir est absolument déserte, ou, plus exaetement, inoccupée 
par les indigènes. Pour se rendre à Sô’n’ta, il faut d’abord marcher vers l’ouest, par la route que nous 
suivons précisément, Jusqu'au village Ka-Sanga (au nord de Lofoï}; là on trouve un sentier piquant vers 

= le nord, le long de la falaise occidentale des Kou’n’déloungou. (Voir à ce propos la première feuille de 
la carte au millionième, en quatre couleurs, donnant notre itinéraire, carte qu'on peut se procurer en 
librairie.) 

Mes interlocuteurs m’assurent encore qu'ici il n’y a pas de caoutchouc; chez les Ba-Lamotwas du nord il Y 
en a et il est exploité; le long de la route d'aujourd'hui aucune plante à caoutchoue n’a été vue, bien que très 
probablement quelques lianes puissent exister dans les galeries des rivières. 

Ces renseignements indiquent qu’au point de vue de l’achat du caoutchouc, ce n’est pas à la rive du Moéro 
qu'il faut s'installer, mais à l’ouest des Kou-n'déloungou, par exemple à proximité du village du grand ehef 
Mou-Founga. 

Disons à son sujet qu'il existe un deuxième grand chef Ba-Lamotwa, que le missionnaire anglais Crawford 
a réussi à attirer à la mission de Loanza; ce deuxième chef est reconnu des quelques milliers d’indigènes 
groupés autour de cette mission. 


De 17 heures à 17 h. 45 m., pluie; à 18 heures, double arc-en-ciel incomplet. 

La soirée, d’abord entièrement couverte, se nettoie peu à peu. Deux fois j'ai dù enlever le théodolite de 
son trépied, la pluie commençant à tomber; enfin nous pouvons nous mettre en observation. 

Dans la position cercle Est G étoiles se prennent très bien; puis voilà que le firmament recommence à se 
barbouiller de bandes de cirrus ondulés et, dans la position cercle Ouest, l'observation est plus dure; toutefois 
nous arrivons à prendre encore 7 étoiles, ce qui complète la soirée à merveille. 

I fait un froid intense; il est vrai que nous sommes à 1,520 mètres d'altitude et qu'il fait humide; aussi 
le feu flambe-t-il plus vivement que jamais. 


J'ai reçu aujourd’hui un courrier venant de Mpwéto; M. Questiaux m'envoie un dessin en couleurs d’un 
silure pêché dans le Moéro, et que, pense-t-il, nous n'avons pas encore dans nos collections. 


Jeudi, 16 février 1899. 


Vent violent toute la nuit; pluies par rafales. À 6 h. 30 m., le thermomètre marque 15° !/,. 

La pluie nous empêche de procéder à l'observation du magnétisme. 

Nous resterons ici aujourd'hui, ce qui me permettra de mettre au courant les calculs des dernières 
observations, et de faire le magnétisme quand la pluie aura cessé. 

M. De H. partira en avant-garde et ira élever des abris à la rivière Ka-N’gwéchi. 

Le soleil demeure invisible; il fait si froid et si humide que, de la journée, nous ne quittons pas nos 
manteaux dont les cols sont frileusement relevés: de plus, un énorme brasier flambe toute la journée. 


= /oÿ5 


La pluie avant pris fin, nous délerminons les trois composantes magnétiques; Fopération dure de 
11 heures à 12 h. 50 m. 

Je puis abattre force calculs ; encore une journée aussi bien remplie, et je serai au courant pour l’arrivée 
à Lofoi. 

Pendant un temps de repos je fais un bout de promenade autour du camp; vers l’est, on découvre toute 
la vallée du Lou-Apoula, avec la ligne de hauteurs de sa rive orientale, ligne qui se prolonge le long du Moéro, 
passe par Ki-Engué et continue vers le nord pour se fondre dans le plateau du Ma-Roungou; le point où 
nous campons appartient à la ligne de hauteurs occidentale aboutissant à M'pwéto, et continuant ensuite vers 
le nord. 

Nos hommes se sont dispersés aux alentours du camp; dans ce site boisé ils trouvent diverses ressources: 
entre autres ils détachent de grands pans d’étorce dont ils se font des étoffes et aussi de curieux plats; pour 
ce dernier usage ils enlèvent de préférence la calotte des loupes des grands arbres, ce qui leur fournit des 
assiettes toutes prêtes. 

Le chef Wa-Baya (de Lofoi) m'apporte une branche de landolphia avec une petite boule de latex coagulé: 
il à cueilli cette branche près de la Ka-Boula-M'pakati. Je lui demande s’il y à beaucoup de plantes pareilles : 
« Non, répond-il, je n’ai vu que celle-là ». 


Michel, Dardenne et Fromont sont pris de flux du ventre. 
Le maximum thermométrique de la journée a été de 23° 1/,. 


Vendredi, 17 février 1899. 


À 6 heures, le thermomètre marque 16°/,. 

Départ à T heures. Direction générale de la marche : ouest 10° sud. A l'heure où nous quittons le cam- 
pement la vue vers l’est et le nord-est est intéressante : des nuées de buée laiteuse marquent le cours des 
rivières, des parties inondées et surtout du Lou-Apoula et de ses expansions; on se laisserait presque aller à 
croire que c’est le Moéro qu'on voit et non le Lou-Apoula, taut ces buées laiteuses forment une vaste surface 
horizontale. 

Au départ du camp nous montons sur un sol de belle argile rouge; pendant une bonne lieue lallure de 
la brousse est très caractéristique; une essence domine, un méchant acacia grèle; de temps en temps un arbre 
à tronc convenable et parfois un bel arbre très ramifié et feuillu. Herbe courte. On ne voit plus lAnona sénéga- 
lensis, ni le m'filou, ni l’orange du Cafre (strychnos), ni les diverses vignes. 

Un peu d’orseille pour laquelle les indigènes n’ont pas de nom; quantité de rhaptopetallum formant, par 
places, de simili grands vergers, avec leurs troncs hauts seulement de 2",50 à 3 mètres, très rapprochés, 
confondant leurs couronnes qui s’étalent toutes fleuries d'abondantes fleurs jaunes, grasses ; nom indigène : 
m'panguwua. 

On passe dans un silence de mort, que ne rompt aucun eri d'animal, aueun vol d'oiseau ou de 
papillon. 

Et l’on arrive ainsi à la descente du ruisseau Ki-Matété, large de 1 mètre, encaissé de 3",50, avec 20 centi- 
mètres d’eau claire, courant sur cascatelles, vers la Bi-Yéwé; dans la galerie de ce ruisseau se détachent de 
superbes fougères arborescentes, les premières que je voie au Congo. 

Sur la rive gauche du Ki-Matété existent d'anciennes cultures, établies jadis par un dépendant de 
Ka-Pivassa. 

Au delà du Ki-Matété on remonte légèrement, par le travers d’une plaine herbue, sans arbres, à terre 
noire grasse, plaine à laquelle succède une partie de sous-bois; ensuite le sentier descend au ruisseau 
Ma-Pembwé, large de 1 mètre, encaissé de 3, avec 20 centimètres d’eau claire allant à la Bi-Yéwé: quantité de 
fougères. 


= = 


On remonte de suite pour entrer dans un beau sous-bois, où se remarquent d'énormes termitières, les 
plus hautes et les plus larges que j’aie encore jamais vues; bientôt on redescend lentement jusqu’au ruisseau 
A-zén'gœwé, large de 1 mètre, encaissé de 2, avec 20 centimètres d’eau très limpide, roulant vivement, sur 
cascatelles, vers la Bi-Yéwé. 

Nouvelle montée, mais pour descendre de suite au Ki-Ma, filet d’eau claire allant à la Bi-Yéwé; entre les 
deux derniers ruisseaux ont été vues des traces d’éléphant. 

La Ki-Ma franchie on monte et l’on arrive en plaine herbue; quelques arbustes; vers le sud le pays se 
découvre; la ligne d'horizon est sans mouvement, ce qui est naturel, car nous approchons du point d'altitude 
maximum des Kou-n’déloungou. è 

Le sol est parsemé de quartzites roulés où brillent comme or des parcelles de mica jaune. 

On descend vers la Bi-Yéwé, large seulement de 75 centimètres à 1",50, encaissée de 1 mètre, avec 
50 centimètres d’eau, allant à la Lou-Alala; on remonte ensuite en plaine herbue, suivie d’une partie de futaie 
moyenne ; le sentier court ici parallèlement à un petit ruisseau, le Ma-Kalamou, qui se jette dans la Bi-Yéwé:; 
après avoir encore traversé une petite plaine herbue, suivie d’une partie de fulaie moyenne, on s'engage dans 
une étroite bande marécageuse où s’amorce le ruisseau Ma-Kalamou. 

L’altitude n’a pas cessé de croître. Maintenant les limonites affleurent; tout en montant encore 
légèrement on à la sensation de parcourir un plateau devenu quasi horizontal, et qui forme le dos d’âne des 
Kou-n'déloungou; en tous sens la vue porte à l'extrême horizon sans trouver pour se reposer rien que, de-çi de-là, 
des bouquets de végétation basse indiquant des éponges, où s’amorcent quantité de ruisseaux fuyant dans toutes 
les directions; nous sommes vraiment au pays des sources. 

Le sol n’est plus vêtu que d’une misérable herbe clairsemée et courte (25 centimètres), avec quelques 
arbustes nains ne dépassant pas la hauteur des herbes. 

Partout affleure le conglomérat quartzeux. 

Je viens d'écrire le mot éponges; on entend par là des portions de terrains, d’allure marécageuse, 
d’où sourd lentement une eau très claire, se fillrant en quelque sorte à travers le feutre végétal que forment 
les innombrables racines enchevêtrées d’une herbe très courte, caractéristique de ces terrains-éponges. Nous 
reparlerons en temps et lieu de ces éponges, et particulièrement à propos de la ligne de faite Congo- 
Zambèze. 

Le sentier, lantôt les traverse délibérément, tantôt les contourne; pour être plus exact, je devrais dire que 
le sentier, qui a été tracé en saison sèche, est, en ce moment des pleines pluies, en partie inondé, car 
les éponges suintent naturellement plus aux pluies qu'en saison sèche. 

Sur notre droite voici l'éponge d’où sort le ruisseau Ki-Lissanga, qui commence d’abord à couler vers 
l’est, puis décrit une courbe marquée qui le ramène dans l’ouest, vers la Ka N'ewéchr. 

Sur notre gauche, &est la Ki-Bala, affluent de la Bi-Yéwé, sortant d’une grande éponge que les guides 
nomment N’kongwé, et qui a la forme d’une ellipse un peu défoncée, bordée d’une galerie d'arbres bas. 

Entre l'éponge du Ki-Lissanga et l'éponge N'kongwé, on pourrait planter un piquet marquant neltement 
un point de la ligne séparatrice des eaux allant vers l’est au Lou-Apoula, vers Pouest à la Lou-Fira. 

Continuons à marcher et nous trouvons à notre droite les sources du Ka-Na, ruisseau allant à la 
Ka-N’ewéchi. 

Nous sommes ici exactement au point d'altitude maximum, — sur le sentier que nous suivons, bien 
entendu, — du massif des Kou-n'déloungou, à 1,750 mètres au-dessus du niveau de la mer; le sentier fait un 
coude marqué vers le sud, mais reprend bientôt vers l’ouest. 

Une longue éponge est traversée, d’où sort le ruisseau Mi-Banga allant au Ka-Na, et l’on arrive à la 
Ka-N’ewéchi, large de 2 mètres à 2,50, avec 10 à 75 centimètres d’eau claire, dévalant prestement vers l’ouest 
pour aller s’unir à la Ka-Sanga, affluent de la Lou-Fira. 

Nous avons nettement quitté le versant occidental du Motro et du Lou-Apoula. 

C’est à la Ka-N’ewéchi que l'avant-garde devait construire des abris; de nouveau rien n’a été fait; le chef 
de l'avant-garde à continué à marcher sans s'inquiéter des inconvénients qu'il y à pour nous à allonger 
les étapes, inconvénients dont le premier est de nous mettre dans l’impossibilité de tenir le gros travail 
de chaque jour au courant dans le journal au net. 

Force nous est de continuer à marcher. 


one 


Les conglomérats à cailloux roulés de quartz ne cessent de se montrer; la diminution de l'altitude est 
sensible; une éponge de 100 pas est traversée, suivie du ruisseau Ka-Makola, formé de deux embranchements 
franchis par le sentier; le Ka-Makola est large de 1 mètre à 1",50, avec 20 centimètres d’eau claire, à courant 
marqué vers la Ka-Sanga. 

La partie d'herbe courte avec quelques rares arbres rabougris prend fin, et est remplacée par une 
futaie moyenne qui se maintiendra jusqu’à la fin de l’étape. 

Franchissons la Ma-Tété, large de 50 centimètres, encaissée de 50 centimètres à 1 mêtre, avec 
40 centimètres d’eau claire courante, allant à la Ka-Sanga. 

Immédiatement au delà de Ma-Tété on enjambe une étroite dépression à sec, du nom de Mi-Poundou; 
vient ensuite le ruisseau Ka-M’pemba, large de 30 centimètres à 1 mètre, avec 10 centimètres d’eau claire, 
courant vers le Ka-Sanga; la rive gauche du Ka-M’pemba est spongieuse sur une cinquantaine de pas; on 
monte alors légèrement pour arriver sur un terrain sablonneux que continue à habiller une futaie moyenne, 
mélée de quelques arbres de belle taille, et l’on redescend de quelques mètres pour franchir le ruisseau 
Ki-Foundika, large de 1 mètre, avec 30 centimètres d’eau très claire, à courant rapide vers la Ka-Sanga. Depuis 
la Ka-N’gwéchi, tous les ruisseaux traversés coulent vers le nord-ouest. 

C’est ici que s’est arrêtée l'avant-garde; les installations sont construites sur la rive gauche. 

Il est 15 h. 10 m.; nous avons parcouru environ 50 kilomètres. 

Force n'est de faire des observations désagréables au chef d'avant-garde, qui donne comme excuse 
qu'il ne connait pas les noms des rivières; le même agent ne parvient pas à orienter les abris dans le sens est- 
ouest, comme je le lui ai prescrit, sous prétexte qu'il ne sait pas où est le nord; aussi trouvons-nous les abris 
orientés nord-sud; de plus, aucun n’a les dimensions que j'ai données par écrit à M. De H.; de sorte que je ne 
puis m'y installer pour travailler; or il commence à pleuvoir vers 16 heures, ce qui me met dans l’impossi- 
bilité de tracer l'itinéraire au propre. 

Je crois convenable de dire que le désir que j'ai d'exposer, avec le plus de détails possible, les conditions 
dans lesquelles s’est accompli notre voyage, exige que je passe sur les fausses considérations secondaires 
qui pourraient vouloir que j’omette les raisons que j'ai eues de faire des observations à mes agents; dans ma 
pensée, le récit de notre voyage doit surtout fixer les idées des jeunes gens disposés à se laisser attirer 
par d’analogues aventures; c’est pourquoi je crois devoir dire tout ce qui est de nature à les instruire; 
toutefois, je noterai dès maintenant que M. De H., dont j'eus énormément à me plaindre, se transforma 
finalement au point que je pus demander sa nomination au grade de sous-licutenant; il fut de ceux auxquels 
on peut appliquer la parole de l'Évangile, qu'il y a surtout de la joie au ciel pour la rentrée au bercail d’une 
brebis égarée. 

Je reviens au camp de la Ki-Foundika. 

Pour achever de déterminer les ennuis créés par la longueur de létape, je dirai que, ce matin, notre 
premier repas a été plus que sommaire : le gigot de mouton gardé d'hier soir, pour notre déjeuner 
d'aujourd'hui, s'étant trouvé trop avancé à son apparition sur notre table; et il est 15 !/, heures quand nous 
pouvons satisfaire nos estomacs hurlant famine. 

On n''objectera évidemment que nous pourrions adopter le système des grands voyageurs africains, 
consistant à faire halte à mi-journée pour le deuxième repas; ce système n’est praticable que par ceux qui 
n’ont rien à faire, en arrivant au gite d’étape, qu'à s’enfoncer dans leur chaise longue et à donner longuement 
audience à leur cuisinier. 


Pour nous, qui devons préparer chaque jour le travail de nuit, — exigeant préalablement le tracé 
au net de l'itinéraire de chaque jour, — il est assez évident que notre étape doit se faire d’une seule 
traite. 


Pendant que Michel désherbe une bande méridienne, que Dardenne aquarelle un superbe protéa 
rouge et un curieux bleuet vert, je reçois les hommages de deux chefs, les nommés Ki-Mongwé, du village 
Ka-Lenga-Massala, et N'Kogni, du village Ma-Pembwé, sur la rivière Ka-Sanga. 


A — 


Avertis de notre approche, ces deux braves sont venus au-devant de nous avec des 
vivres pour blanes et noirs; ils nous offrent dix poules, cinq paniers de farine, cinq de 
mais. Parmi le groupe de sujets accompagnant ces deux chefs, nous remarquons un 
grand garçon dont la tête vaut une photographie, que Michel ne rate pas. 


La soirée est pluvieuse et couverte. Niente da fare ! 


Samedi, 18 février 1899. 


D 

Température à 6 heures : 14,5. C’est la plus basse température observée 
depuis Mpwéto. Grand feu pour combattre Phumidite. 

Dardenne qui, depuis Ka-Béça, souffrait beaucoup d'asthme et qui, 
depuis N’toungwé, avait dû garder le hamac tout le temps, va mieux 
aujourd’hui. 

Départ à 6 h. 55 m. 

Direction générale de la marche comme hier. Les chefs Ki-Mongwé et 
N’Kogni nous servent de guides. 

En quittant le camp on traverse le ruisseau Ki-Manamana, large de 
1 mètre, avec 10 centimètres d'eau claire, à courant marqué vers la Ki-Foun- 
dika; sol de terre noire grasse; le terrain accuse une pente légère du sud vers 
le nord; sous-bois composé comme essence prédominante du vilain acacia 
grêle que j'ai déjà signalé, el qui s'appelle miombo en indigène; on ne voit 
plus de fruits dans la brousse. 

On monte de quelques 40 mètres jusqu’à une portion de terrain plan 
s'étendant sur environ 1 !/, kilomètre; ainsi qu'hier et que certains jours précédents, on est saisi par le 
silence de mort, que rompt seul le cri — très musical — d’un certain grillon; on dirait un son aigu de verre 
de cristal. 

Du rebord du petit plateau qu'on vient de traverser, on distingue, vers le sud et le sud-ouest, 
une ligne de hauteurs semblant nous dominer de 250 mètres environ; c’est la falaise bordant la rive 
gauche de la Ka-Sanga; nous nous trouvons nous-mêmes en ce moment au haut de la falaise qui borde 
la rive droite de la mème rivière; la table sur laquelle nous marchons s'appelle Ma-Lamba; le terrain 
y est très tourmenté; successivement le terrain dévale, remonte, redescend, remonte encore et, finale- 
ment, dégringole la rude pente qui va aboutir à la Ka-Sanga, à 200 mètres en contre-bas de la table Ma- 
Lamba. 

Impossible de décrire le site, tant il est tourmenté; sur la pente même menant à la Ka-Sanga, le sentier 
franchit encore trois dépressions dans les dalles de schistes: les deux supérieures, dénommées Ka-Sala 
et Ma-Lamba, sont à sec; le troisième, dénommée Kaka’n’Samwelini, renferme un filet d’eau claire 
courante. 

Dans cette descente le sentier surplombe presque à pic l’étroite vallée profonde où la Ka-Sanga chante 
sur ses cascalelles:; de nombreuses et profondes déchirures séparent d'énormes massifs rocheux et forment 
les étroites vallées de rivières plus où moins importantes. Au point où on la traverse la Ka-Sanga offre 
une belle nappe d’eau limpide large de 5 à 6 mètres, profonde de 40 centimètres, courant vivement sur 
cascatelles. 

La Ka-Sanga franchie on grimpe sur un étroit promontoire rocheux rattaché au massif qui borde la 
gauche de la rivière, et l’on descend de suite à une autre rivière aussi importante, la N'Gombé, qui vient du 
sud et offre une nappe de belle eau limpide, large de 4 à 5 mètres, profonde de 30 centimètres, à courant 
violent sur cascatelles ; la N'Gombé contourne le promontoire rocheux que je viens de signaler et s’unit à la 
Ka-Sanga, à une centaine de mètres en aval du sentier. 

Le reste de l'étape est une succession ininterrompue de montées et de descentes ; une vingtaine de ruisse- 
lets, ruisseaux et rivières sont traversés, dont l’énumération deviendrait fastidieuse; d’aucuns coulent vers le 


LE 


010 


sud pour joindre des affluents qui les ramènent à la Ka-Sanga; les principaux coulent vers le nord et le 
nord-ouest. 

Presque tous ont des lits rocheux, des eaux limpides, parfois un peu laiteuses; leur courant, peu 
profond, est rapide, voire violent; les falaises délimitant les indentations où coulent les principaux ruis- 
seaux sélèvent à 250 et 300 mètres au-dessus du sentier; les pentes de ces falaises sont bien boisées; le 
fond des étroites vallées offre, ici des parties en éponges avec des sources en action, là de petites plaines 
herbues. 

Vers la fin de l’étape nous prenons contact avec la jolie rivière Diassa, venant du sud pour aller rejoindre 
la Ka-Sanga; le sentier en suit la rive droite pendant plus de 1 kilomètre; jolies chutes de 1 mètre de dénivel- 
lement, en amont desquelles nous traversons la rivière, large de 8 à 10 mètres, avec un lit d'énormes dalles 
plates où s’écoule une nappe d’eau dont la profondeur varie de 10 centimètres à 1,50; belle eau limpide; 
courant rapide. 

La Diassa est ici encaissée dans une vallée large au plus de 1 kilomètre, entre deux falaises élevées où se 
détachent au nord le pic Ki-Assalala, au sud des pies Mambwé et Tehibalangwé. 

La Diassa franchie, nous la remontons encore un moment par sa rive gauche, franchissons le ruisseau 
Ka’n’Goua et stoppons dans l’angle des deux rivières. 

Il est 12 h. 20 m.; nous avons couvert 19 kilomètres d’une traite, montant et descendant sans reläche, 
dégringolant des pentes de 200 mètres pour en remonter de 150 mètres plus loin. Bien que je sois rompu de 
cet exercice, exécuté tout en levant très minutieusement l'itinéraire, il importe que je mette au net le journal 
de route. 

Malheureusement, le site ou nous campons manque d'ombre; nous devons dejeuner quasi en plein soleil: 
quand, ensuite, je me mets à ma table de travail, je ne tarde pas à me sentir la tête lourde; j'ai été à demi-insolé; 
impossible de continuer le travail; force m'est de me coucher, ne trouvant toutefois qu'un mauvais sommeil 
trop pesant. 

Dans laprès-midi Dardenne s’en va crayonner un adorable coin de la Diassa; pendant qu'il croque le 
site, deux mignonnes antilopes viennent à l’aiguade. {Voir là planche en couleurs.) 

Le chef Ki-Mongwé, qui nous a servi de guide aujourd’hui, nous a fait ses adieux à l’arrivée au camp, 
en nous offrant un nouveau cadeau de six poules, de miel et de maïs; comme il souffre d’une forte tumeur 
dans le dos, Michel la lui badigeonne à la teinture d’iode, et nous lui remettons une bouteille de sublime 
corrosif pour nettoyer la tumeur, qui s'ouvrira bientôt. 

Vers 17 h. 30 m., je me mets à la préparation de l’observation astronomique; à peine le jalon mar- 
quant le méridien approché est-il planté, que la pluie nous arrive en rafales; il faut au plus vite enlever le 
théodolite. 


La soirée reste mauvaise; l’observation ne peut se faire. 


Ainsi que je l'ai dit, le pays parcouru ce jour est à ce point tourmenté qu'il m'est impossible d'en 
donner une suffisante description par la seule écriture; seul l'itinéraire à grande échelle, tel que nous avons 


établi, permet de se rendre compte de ce qu'est ce site sauvage. 


Dimanche, 19 février 1899. 


Température à 6 heures : 13° 3/,. 

Ma nuit a été trop mauvaise pour que je puisse me lever avec le jour. 

L'avant-garde et les bagages prendront les devants et iront établir les abris à la Lou-Kolowéchi. 

Jai besoin de me reposer quelques heures; pendant que nous stoppons ainsi la pluie nous arrive et ne 
cesse pas. 


14 


— 910 — 


A 14 h. 30 m., nous partons dans la pluie. Michel lèvera l'itinéraire. Direction de la marche : ouest-15° 
à 20° sud. 

Au départ du camp on traverse le ruisseau Ma-Twambélé, large de 1 à 3 mètres, encaissé de 1 mètre, avec 
15 à 50 centimètres d’eau claire, à courant rapide vers la Diassa, dont nous continuons à remonter le cours à 
travers une région de futaie moyenne; le sol est parsemé de pierrailles; coup sur coup, on enjambe le ruisseau 
Ma-Lamba, large de 50 centimètres à 1 mètre, avec 10 à 30 centimètres d’eau claire, courant peu marqué; le 
ruisselet Ma-Pembwé, à see, et le Ki-Bongwé, large de 50 centimètres à 1 mètre, encaissé d'autant, avec 
30 centimètres d’eau; ce sont trois affluents de la Diassa. 

Nous abandonnons maintenant celle-ci, qui s’infléchit vers le sud. Des limonites affleurent ; les pommiers- 
néfliers se montrent à nouveau, ainsi que des parties de futaie moyenne, et nous arrivons à la rivière Lo-Anoa, 
large de 2 à 4 mètres, avec +5 à 30 centimètres d’eau claire courante, allant à la Lou-Kolowéchi. Franchissons 
ensuite la Ka-Sousoué, dépression à sec, large de 50 centimètres à 1,50, encaissée de 1 à 2,50, et nous 
sommes au bord du memelon Ki-Mato, où se voient les ruines d’une maison destinée jadis au logement des 
voyageurs blanes. 

Depuis le début de Pétape l'altitude à constamment diminué; à partir du bord du Ki-Mato, cette dimi- 

nution va se marquer brusquement et 

nous voiei bientôt en un point d’où l’on 

: découvre vers l’ouest et le sud-ouest la 

ne Dos grande plaine basse de la Lou-Fira, où 
Se re : ee >,  git la station de Lofoï, impossible à 
de : 7. distinguer. Ici encore, les effets de lu- 
micre produisent un véritable mirage; 


on croirait voir — à s'y méprendre, 
même étant prévenu — un vaste lac 


avec des îles : l’eau est simulée par les 
parties les plus éclairées, les îles par 
les bouquets d'arbres de la plaine ou 
les galeries arborescentes des rivières 
et des ruisseaux. 

Après nous être rassasiés de cette 
vue grandiose, nous commençons à 
dévaler la pente à pic qui mène à Ja 
Lou-Kolowéchi; cette pente est d’une 


La plaine de la Lou-Fira vue du bord de la falaise Kou-n’déloungou. 


raideur fantastique; pour notre mal- 
heur la pluie d'aujourd'hui a détrempé 
la roche schisteuse rouge, devenue glissante comme verglas, et c’est un sentier de cocagne que nous descendons 
parfois malgré nous. 

Deux fois je m'étale de tout mon long, côté pile; le diable est qu’on pourrait fort bien dégringoler au 
fond de la gorge en abime, où cascade la folâtre Lou-Kolowéchi, où du moins la branche principale de cette 
rivière, car nos guides nous montrent trois composantes du même nom. 

Après 400 mètres de dégringolade, nous voici à ladite branche principale, large de 4 à 6 mètres, encaissée 
de 4 mètres, avec 40 à 25 centimètres d’eau claire. 

Nous la franchissons et trouvons sur la rive gauche les abris qui nous hébergeront une dernière nuit 
avant l’entrée à Lofoï. 

Il est 17 heures: nous avons parcouru 9 !/, kilomètres. 

Nous trouvons M. De H. indisposé. 

Le site où nous sommes installés est le fond de l’étroite indentation par où s'échappe la Lou-Kolowéchi 
allant à la rivière Lofot; la falaise nord a comme point marquant le pie Ki-Loungou; la falaise sud a les deux 
pies Kapo-Kapo et Ka-Malengwé. 

Au camp préparé par l'avant-garde, nous trouvons le chef Moëfou, du village Lou-Koubé, lequel nous 
altend pour nous offrir quatre poules et cinq paniers de farine, 


oi 


Arrive aussi un noir, envoyé par le capitaine Verdick, avec un mot de bienvenue et une superbe gigue 
d'antilope. 


Soirée d'encre, ne permettant aucun travail de nuit. 


Lundi, 20 février 1899. 


Insomnie quasi absolue; c’est à peine si j'ai dormi une heure. Je me lêve, naturellement non reposé, la 
tête et les reins mauvais. J'aurais besoin de quelques jours de repos. Comment les trouver? La lune est en äge 
d’être prise dès ce soir; il faudra donc être au travail chaque nuit. 

Départ à 7 h. 30 m. Je prends, seul, vivement les devants, en hamac. Michel lève l'itinéraire. Le sentier 
suit le cours de la Lou-Kolowéchi; pendant 8 kilomètres environ, on demeure écrasé entre les deux hautes 
falaises qui bordent l’étroit couloir de la rivière; deux pics marquent la fin de ce couloir, l’un au nord, appelé 
le Ka-Mokombwa, l’autre au sud, le Ma-Sompwé. 

Sur ces huit premiers kilomètres on ne traverse rien moins que 14 ruisselets à sec; le pays est boisé 
de futaie moyenne, entrecoupée de parties herbeuses ; un peu avant de sortir du couloir de la Lou-Kolowéchi, 
nous traversons les cultures du village Ki-Simonda, chef Mokébo (75 huttes) ; au sortir de ces cultures, la plaine 
herbue commence à dominer avec un peu de futaie basse et quelques arbres elairsemés. 

Au dehors de la gorge étroite de la Lou-Kolowéchi, se présente un second groupe d’une trentaine de huttes 
entourées de cultures ; iei on traverse la rivière large de 2%,50 à 4 mètres, encaissée de 50 centimètres à 1 mètre, 
avec 50 centimètres à 1 mètre de profondeur d’eau; d’après mes guides, la rivière aurait un cours en partie 
souterrain, un peu en amont du point où le sentier la franchit; nous viendrons vérifier ces 
dires plus tard. 


Pour le moment, continuons vers Lofoï, dont nous sommes proches. D'autant que 
voici le capitaine Verdick, venant à notre rencontre; il est un peu désappointé de me voir 
seul; comme j'en ai l'habitude quand nous arrivons dans une station, j'ai pris les devants 
pour jeter un coup d'œil sur les installations qui nous sont réservées et pouvoir 
estimer comment jy répartirai mon monde et mes charges. En procédant ainsi, 
j'évite d’encombrer la station d'une caravane arrivant à la débandade, jetant ses 
colis n'importe où, puis n'ayant plus lenvie de les reprendre au moment d’em- 
magasiner; tandis qu'en prenant une heure d'avance, j'ai tout le temps de voir 
comment se fera notre logement; quand arrive la colonne chaque blane est dirigé 
de suite au point qui lui est assigné, tandis que les noirs peuvent déposer leurs 
charges soit aux magasins qui les attendent, soit sous la véranda des divers 
Européens. Capitaine Verdik. 

Tout en fournissant ces explications à M. Verdick, nous traversons un groupe 
de 60 huttes dont le commandement est dévolu à une femme du nom de Mou-Tomba, qui eut jadis Fhonneur 
de compter parmi les nombreuses épouses de Msiri. 

Nous sommes précédés de la musique de Lofoïi-Station, consistant en une bande de clairons et de tambours, 
sonnant et battant avec une réelle maëstria. Les tambourinaires sont des gamins pas plus hauts que ça, portant 
sur la cuisse des tambours indigènes munis d’une bretelle; et, ma foi, l'allure de cette musique nègre ne 
manque pas de cachet. 

Sur notre droite se présente un beau bouquet de grands arbres parasols abritant une maison dépendant 
du poste, et qui devait, dans la pensée de ses constructeurs, servir de logement à des passagers européens, 
par exemple les missionnaires anglais. : 

C’est ensuite, au milieu de cultures nombreuses, une succession de groupes de huttes de chaque côté du 
sentier ; 25 huttes à droite, 35 à gauche; de nouveau 12 à droite, encore 20 à droite, puis 20 à gauche, puis 10 
à droite. 

La route, élargie à 10 mètres, est presque constamment sous eau; il faut se faire porter; j'use de 
mon hamac; M. Verdick est à califourchon sur les épaules d’un solide moricaud. 


op 


C'est ainsi que nous arrivons sur l’esplanade du poste où la troupe en grande tenue, sous les ordres 
de l’adjudant Delvaux (depuis nommé oflicier), est rangée pour nous faire honneur; au haut du grand mât 
flotte le plus beau drapeau du poste. 

Voici encore achevée une section de notre long voyage ! 

Il est 11 h. 15 m. quand la colonne entre dans la station; l'étape a été d'environ 13 1/, kilomètres; 
le capitaine Verdick nous a réservé d'excellents logements, dont nous prenons possession séance tenante. 

Un copieux déjeuner a été préparé, auquel j'ai le regret de ne pouvoir faire honneur, par inaptitude 
stomacale. 

Après le déjeuner Fromont se met de suite à la construction de l’observatoire astronomique, dont jai 
déterminé l'emplacement et l'orientation. Michel reçoit le chef Ko-Kébo, qui apporte une chèvre et sept paniers 
de farine. 

De mon côté je prépare — avec une fièvre de cheval — l'observation de la lune. 

Notre ardeur, hélas! n'est pas récompensée; à 18 heures une tornade assaille la station : orage, 
pluie, ciel d'encre; observation impossible. 


Sous-lieutenant Delvaux. 


CEAPIDRENTE 


Séjour à Lofoï-Station. — Installation de l’observatoire météorologique. — Réception de 
chefs. — Bières indigènes. — Tchikola, ex-bourreau de M’siri. — Série de soirées 
couvertes. — Les jardins de Lofoï. — Premiers diagrammes de température et de 
pression atmosphérique relevés à Lofoï. — La vallée de la Lou-Fira au point de vue des 
cultures. — Nouvelles de M. Voss. — Le capitaine Verdick demande de pouvoir disposer 
de notre escorte pour agir contre le chef rebelle Mouloumou-Niama. — Écritures 
multiples. — Abondance de moustiques. — Phénomènes d’acclimatement. — La question 
des langues. — Considérations sur l'occupation du pays par les Européens. — Mauvais 
état sanitaire général. — Remarques climatologiques. — Hygrométricité exagérée. — 
Désastre musical. — Légumes phénomènes. — Ruches. — Affreuse nouvelle : le sous- 
lieutenant Fromont tué aux grottes de Ki-Amakélé. — Inutilités administratives. — 
Toupies indigènes. — Tornade violente. — Arrivée de MM. Voss et Questiaux, de 
M. et M"° Mac-Lacklaen. — Curieuses fiançailles. — Invasion de fourmis. — Renceigne- 
ments divers. — Curieuse forme des précipitations atmosphériques. — Travail général. — 
Le Mioumbou. — Curieux phénomène lumineux. — Fabrication de biltong. — Modifi- 
cation dans nos projets de reconnaissance. — Important envoi de documents et de 
collections. — Note sur la station de Lofoï. — A propos du conseil de guerre de notre 
mission. — Une rivière qui s’enterre. — Préparatifs d'excursion iusqu'aux chutes 
Ki-Oubo sur la Lou-Fira. — Départ de Lofor. 


Mardi, 21 février 1899. 


Nuit mauvaise; suées continues; deux fois jai dû changer de draps et de chemise. Le petit jour me 
trouve toujours fiévreux. 


De son côté Michel souffre de Pœæil 
gauche, qui est fortement injecté; cel 
œil ne perçoit plus rien; notre ami sc 
fabrique un collyre au borax. 

Procédons à l'installation des ins- 
truments météorologiques; nous avons 
justement trouvé un local tout construit 
pouvant servir d’abri thermométrique ; 
c’est une sorte de petit pavillon circu- 
laire, formé d’un soubasement en bri- 
ques, haut d'environ 1 mètre, surmonté 
de colonnettes supportant un épais toit 
d'herbes; on ajoutera une véranda dont 


le toit sera surbaissé de manière à ne 
pas former le prolongement du toit du 
pavillon, mais à laisser, entre les deux, 


Observatoire météorologique à Lofoï-Station (1599). 


un intervalle de 20 centimètres, qui assurera une abondante circulation d'air précisément à hauteur d’une 
poutre disposée spécialement pour recevoir les instruments. Le baromètre George est monté; les enregistreurs 
sont mis en marche; les thermomètres sont accrochés à leur place. 

M. Verdick assiste à ces diverses opérations, car tous nos instruments météorologiques lui seront remis 
plus tard, pour la continuation des observations. 

Ce m'est un plaisir de dire de suite que je trouvai en M. Verdiek, et en son adjoint M. Delvaux, deux 
collaborateurs prenant beaucoup d'intérêt à nos travaux, et acceptant avec plaisir leur part dans les 
observations, les lectures d'instruments et les annotations dans les carnets; le concours de ces deux messieurs 
fut, non seulement très complaisant, mais aussi très intelligent. Après notre départ du Ka-Tanga, les 
observations météorologiques furent continuées par leurs soins; malheureusement, au retour en Europe de ces 
deux agents dévoués, les observations ont été abandonnées, et j'ai appris dernièrement qu’une bonne tornade 
avait brisé une partie des appareils que nous avions convoyés d'Europe au Ka-Tanga, avec une si constante 
sollicitude et au prix de tant d’'inquiétudes et de précautions. 

Je ne puis m'empêcher de me rappeler que nous avons eu quelques tornades, violentes à déraciner des 
arbres autour de nous, et pourtant nous avons su protéger nos précieux instruments. Aujourd’hui, une bonne 
tornade en à eu raison. 

Quelle chance pour les observateurs! 

Il est vrai que des observations apportées par des observateurs de poids insuflisant ne peuvent avoir qu'une 


destination : le panier aux vieux papiers! 


Une grosse parlie de la journée est consacrée à recevoir les hommages de chefs, sous-chefs, simples 
particuliers, qui désirent que nous vivions dans l'abondance, comme on le verra par l’énumération de leurs 


mirambos (cadeaux) : 


Le chef Gougo Mirambo (village Di-Séba) offre . . . . . À panier farine, 
4 pots bousséré ; 
Le nommé Ka-Jiki (même village), offre . . . . . . . 4 poules, 
l panier mais, 
2 paniers farine; 


La femme chef Mou-Tomba, offre | panier farine, 

4 pots bousséré:; 
Le nommé Ki-Basi, offre. MR TA DANICrS Han er 
Le nommé Ka-Sanda, offre . : . . . NE . » poules, 


£ paniers farine, 

2 paniers mais; 
Le nommé Mou-Chilanga, offre : UN Dpots Je pombes 
Pemomme Di-Chéta. offre + . 2)poules, 

Ï panier mais, 

1 panier farine: 
Le nommé Di-Nomba, offre. : . . . . CT NO IPANIErS MAIS: 
Le nommé Mwanatora, offre. . . et lipanierstanne 

l panier mais: 


Benommé Ka-Lapouta, offre . … … … … . . . 4 paniers de riz; 


Le nommé Ma-M'haya (ancien soldat), offre . panier pommes de terre douces, 


= 


panier d'oignons, 
) poules, 


Cr 


pots de pombé. 


op 


De lentretien que nous avons avec tout ce monde je tire les quelques renseignements suivants 


Le massif montagneux que nous avons franchi entre le Moéro et Lofoi est appelé, par les Ba-Lamotwas, 
du nom de Mou-Kinga ; e’est le nom que l’on trouve sur la carte de Reichart; nous l’entendrons souventes fois 
de nos propres oreilles, dans nos promenades futures. 

La station de Lofoi tire son nom de la rivière Lofoï qui passe à un bon kilomètre au sud; ce sont les 
Européens qui ont appelé leur poste du nom de la rivière (le premier poste touchait à cette rivière) ; entre eux, 
les indigènes le nomment Kienda Mopita. 

Parmi les nombreux produits comestibles qui nous ont été apportés, j'ai signalé les pots de bousséré et de 
pombé; ce sont deux bières du pays, fabriquées au moyen de mil, de mais ou de sorgho; il y a une troisième 
espèce de bière, dénommée mou-kaya. 

Très complaisamment, les bons buveurs qui me documentent m'expliquent que, pour la bousséré, 
la fermentation se complète dans les pots, après cuisson de la bière; dans le mou-kaya, la fermentation est 
incomplète, et l’on ajoute au liquide une racine sapide du nom de mou-koyo, destinée à accentuer le goût du 
breuvage. 

Toul comme dans les pays de haute civilisation, il existe iei de bons et de mauvais brasseurs, on plutôt 
brasseuses, car la fabrication de ces boissons plus où moins mousseuses est dévolue aux femmes; d'aucunes 
sont célèbres au loin; la station de Lofoi a précisément la chance de posséder une de ces fabricantes de 
grand renom; aussi passons-nous arrangement avec elle pour la fourniture journalière d’un pot de bière d'une 
douzaine de litres; ce sera notre boisson de table, que nous humerons plus d’une fois avec plaisir; il faut dire 
que le pombé que nous trouvons ici est de beaucoup supérieur à la méchante et épaisse drogue que nous avions 
en vain essayé d'ingurgiter au Tanganika. 


Soirée d'orage; pluie, ciel d'encre. Encore une fois, observalion impossible, Je me couche en 
compagnie d’une migraine first class. 


Mercredi, 22 février 1899. 


Minima de la nuit : 189,4. 

Insomnie complète; levé très fatigue. 

L'état de Michel n’a pas empiré. Dardenne est très pris d'asthme. 

Procédé à l'installation de lenregistreur solaire, du pluviomètre, des actinomètres et du support 
d’anémomètre. 


Nouvelles visites d’indigènes : 


FeChenKESAkNapponte et Ce “0-02 /pDaniers farine, 
2 paniers mais; 
Le nommé Tchikola apporte . . Re HO e LIDOUIES, 


> paniers farine; 
Le nommé Ki-Souda apporte . ee UN : | poule, 
L panier farine; 


1 


Le chef Ma-Karacha apporte paniers farine, 
3 paniers mais; 
Be’chetMo=Kemhétapportes + tee EE . | mouton, 


15 paniers farine ; 


ec 


Le chef Mo-Eména apporte paniers farine. 
Si nos serviteurs nègres étaient citoyens d’une colonie française ils ne manqueraient pas de s'exclamer : 
Y a du bon! Car ce sont eux surtout qui profitent de cet abondance de bonnes choses. 


Les deux plus marquants de nos visiteurs d'aujourd'hui sont le chef Mo-Kembé et le dénommé 
Tchikola. 


— 916 — 


Nous aurons plus tard l’occasion de revoir le premier en grand costume de guerre et Dardenne en prendra 
alors une superbe aquarelle, reproduite dans le présent volume. 

Quant à Tchikola, il nous aborde en exécutant d’étranges contorsions et en poussant des cris de sauvage de 
foire. Le capitaine Verdick me dit que cet homme fut un des bourreaux en titre du feu chef M'siri, chef qu'il 
est d'usage de qualifier de tyran. Je me suis jadis conformé à cet usage sur la légendaire réputation qui lui 
avait été faite. Depuis mon séjour dans le Ka-Tanga, ie me demande pourquoi Msiri mérita, plus que tout 
autre, d’être dépeint sous de si noires couleurs. 

Quoi qu'il en soit, à la mort de son maître, Tchikola fut recueilli par les blanes, et aujourd’hui il n’oserait 
plus se détacher d'eux, car il a accumulé sur sa tête beaucoup de haines. À chaque nouvel Européen qui arrive 
à Lofoï, Tehikola l’aborde avec cet étrange et inquiétant cérémonial, qui lui donne des allures de hyène rôdant 
autour de sa proie; il paraît que ce sont des incantations spéciales à Tehïkola, incantations par lesquelles il 
conjure le mauvais esprit dont le blanc nouveau venu pourrait être animé contre un ancien suppôt de Msiri. 


Maximum thermométrique : 26°,1. La nébulosité s'est maintenue toute la journée de 9 à 10; durée 
d'insolation : 0!,65; pluviomètre : 0. 

Pour la troisième fois, la soirée est couverte; pourtant, comme il ne pleut pas et que la lune se distingue 
derrière son lourd manteau de nuées, nous nous mettons en station avec l'espoir qu'elle se découvrira au 
moment propice; Ce qui arrive précisément; l'observation est précaire, car je n'aurais pu rectifier.la déviation 
azimutale par pénurie d'étoiles; nous ne pûmes prendre que six étoiles avant le passage de la lune, et plus 
aucune après; le caleul montra que la déviation était de 337. 6" (d'arc), valeur trop forte pour une bonne 
culmination lunaire ; aussi l'observation de longitude du 22 février fut-elle rejetée. 

Cette déveine dans la prise des éléments indispensables à une bonne détermination de la longitude absolue 
de Lofoi n'est pas pour me remettre physiquement; aussi me couché-je le front enserré dans une vraie plaque 
de compression, la tête douloureuse. Naturellement, insomnie absolue et pénible au plus haut degré. 

Pour y aider d'innombrables moustiques parviennent à s’introduire dans la pourtant solide moustiquaire 
que le capitaine Verdick avait eu la prévoyance de faire fabriquer pour nos lits avant notre arrivée, en prévision 
des attaques de l'horrible bestiole 


Jeudi, 23 février 1899. 
SR es 


Minima de la nuit : 15°,8. 

Il me serait impossible de me lever. Je ne puis tenir les yeux ouverts tant je suis accablé; douleurs 
cérébrales toujours aussi violentes. 

Dans la journée je rends cinq fois de la bile, pure, verte, par longues gorgées gluantes, nidoreuses. 

Le soir je me résouds à essayer d’une drogue ; j'avale un comprimé de calomel, que je vomis avec de la 
bile une demi-heure après. 

De toute la Journée je n’ai rien pris, pas même une gorgée d’eau. 

Vers 20 heures, enfin, le sommeil vient, et je dors assez bien jusqu'à ce que sonne le couvre-feu. 
La sonnerie m’éveille, et le reste de ma nuit se passe de nouveau à attendre le jour. 


Le maxima thermometrique a atteint 259,8. La nébulosité qui était de 10 à 6 heures, est descendue 
jusqu'à 6 à 15 heures, pour remonter ensuite à 9; durée d'insolation : 25,65 

Le pluviomètre marque 0; toutefois, de 7 h. 5 m. à 7 h. 30 m., il est tombé un peu de pluie légère, et à 
19 heures, il v a eu tornade avec un peu de pluie. - 

La soirée n'aurait pu être consacrée à une observation, le ciel étant chargé de nuages d’encre. 


— 917 — 


Vendredi, 24 février 1899. 


Minima nocturne : 18°,8. 

Quoique n'ayant guère dormi Je me sens un peu mieux; le mal de tête a diminué; le ventre se libère aussi. 
Allons, encore un mauvais moment qui pourrait bien être passé ! 

Michel va moins bien : il ne voit plus rien de l’œil malade; nous décidons qu'il gardera la chambre, dans 
l'obscurité. Fromont est pris brusquement de fièvre froide et doit se cloitrer également. 

Je mets aujourd’hui au net Les trois derniers jours d’ilinéraire, et puis calculer lobservation du mercredi 22. 

Remis au capitaine Verdick les coordonnées des points levés sur le Moéro, afin qu'il puisse en tenir 
compte pour la rédaction d'une carte à laquelle il travaille. A la tombée du Jour je me paye une promenade 
dans les jardins de Lofoi. 


Jardin potager de Lofoï-Station (199). 


Maxima : 260,5. De 6 à 8 heures la nébulosité descend de 9 à 6. Durée d'insolation : 2? heures. 
À # heures (nuit), il y a eu un peu de pluie; à 6 heures, le pluviomètre donne 1,66; à 9 heures, 0,95 : de 
10 h. 15 m. à 10 h. 50 m., pluic légère, ne marquant pas à l’udomètre. 

Le ciel est favorable à une observation; malheureusement, Michel et Fromont sont hors d'état de m'aider. 

En allant me coucher je trouve dans ma chambre un superbe hibou de la grosseur d'un double pigeon: 
Je l’assomme à coups de jonc et le jette sur une chaise, sous la véranda, comptant le faire mettre en peau demain. 


Samedi, 25 février 1899. 


Minima nocturne : 18°,4. De 6 heures à 7 h. 5 m., fort brouillard. 

Je nai qu'à moitié dormi. Ces insomnies répétées esquinteraient l’invalide à la tête de bois. 
Mon hibou d'hier a disparu. 

Fromont est remis; Michel continue à Sanuser dans l'obscurité. 


= = 


Le capitaine Verdick est à court d’étoffe pour faire la solde de ses soldats, parmi lesquels se trouvent une 
dizaine de lascars dont il se défie; ce sont d'anciens soldats venus de Lou-Sambo. M. Verdick craint que 


J ve + 5 4 
ER RE 


ces gens ne se laissent aller à murmurer 
s'ils ne reçoivent rien, alors que les 
miens sont payés régulièrement; c’est 
ce qu'il n’expose aujourd’hui et, trou- 
vant qu'il à raison, je lui avance 4 bal- 
lots de calicot. 

De son côté il me rembourse 3 caisses 
de perles en remplacement de celles que 


59) 


J'avais cédées à la station de Mpwéto, 


sur la demande du commandant Hecq. 


La visite des jardins de Lofoï, que 


Jai faite hier à la tombée du jour, m'a 


permis de constater que si lemplace- 
ment actuel de la station est archi-détes- 
table (inondations, moustiques, ete.), 
en revanche, il est à souhaiter que de 
tels jardins puissent se retrouver là où 
l’on transportera la station lorsque, ce 
qui ne peut manquer, elle se déplacera. 

Tout pousse avec une exubérance que 


je n'avais connue qu'à Coquilhat-Ville : les choux sont gros comme deux fois la tête d’un géant; les navets 


ont jusqu'à 12 centimètres et plus de 
diamètre; les raves, carottes, radis, 
aussi beaux que chez nous; les petits 
pois abondants; les oignons énormes 
(comme Je ne les avais pas encore vus 
en Afrique); les poireaux, les choux- 
raves, les aubergines, les chicorées, les 
laitues, les céleris, tout cela d’une taille 
monstrueuse; les tomates pullulantes. 
Pommes de terre d'Europe donnant 
superbement; il paraît que les fruits 
aériens ne se formeraient pas : On sait 
que le tubercule de la pomme de terre 
est, non le fruit, mais la tige de cette 
plante précieuse. Le blé vient très bien. 
Comme fruits : beaucoup de goya- 
ves; des grenadilles rafraichissantes:; 
des groscilles du Cap parfumées ; quel- 
ques plants d’ananas ne portant pas 
encore. Enfin, cinq ou six caféiers 
moins malheureux que ceux vus à 
Moliro et à Mpwéto. N'oublions pas 
d'énormes et vigoureuses rizières. 


Champ de blé à Lofoiï-Station (1599). 


Pour arriver en ce moment de l’année au jardin potager, il faut traverser 1 ‘/, kilomètre de terrain 
inondé, ce qui exige qu'on se fasse porter soit en hamac, soit à califourchon sur les épaules d’un robuste mori- 


caud. La première station du Lofoi avait été construite beaucoup plus près de la rivière contre le potager 
actuel; on en voit encore des murailles en pisé, écroulées et disparaissant sous les végétations parasitaires: 
une forte crue du Lofoi ayant un jour inondé tout le poste, ses occupants en décidèrent le déplacement et 
se portèrent à 1 kilomètre au nord=nord-ouest, où se trouve lactuelle station, aujourd’hui condamnée à 
son tour. 

Sur la route qui mène au potager nous saluons la tombe de feu le commandant Brasseur, tué à 
l'ennemi. 

Le jardin potager, dont je viens de dire les richesses, se développe le long de la rive droite du 
Lofot; la rivière se traverse ici par le moyen d'un 
pont très pittoresque sur lequel, toutefois, on ne 
saurait songer à faire rouler de lartillerie, même 
de montagne. 

Le Lofoi est, ici, large de 6 à 10 mètres, très 
encaissé et bordé d'une imposante galerie arbores- 
cente; on peut descendre là rivière en pirogue 
jusqu'à son confluent avec la Lou-Fira; cest une 
promenade d'un jour, aller ct retour, avec le 
temps de tirer un hippo. 

En neltoyant le cours du Lofoï, on pourrait 
le remonter en pirogue jusqu'à ses chutes, qui, 
me dit M. Verdick, sont de toute beaute. 


k 


A 15 h. 45 m., forte tornade sèche; vent 
nord-ouest; l’anémomètre donne de 3 à 5"%,50 à : Pont sur le Lofoï (1899). 
la seconde (petite vitesse des bateaux à vapeur). 

Orage jusqu'à 15 h. 15 m. A 15 h. 20 m. le pluviomètre accuse 11,7 d’eau tombée. 

Soirée couverte et pluvieuse; observation impossible. 


Maxima thermométrique : 28°,8. 
Nébulosité de 9 à #, puis remontant à 7: durée d'insolation : 51,35. 


Michel et Fromont restent fiévreux. 


Dimanche, 26 février 1899. 


Minima nocturne : 17°,8. 

Passé une nuit à moitié bonne. Quelle veine! Je puis me lever avec le jour, plus dispos. Il pleut. Vers 
25 heures, la pluie avait commencé à tomber fortement; aussi, à 6 h. 30 m., le pluviomètre donne-til 37,6 
d’eau tombée. 

Gräce à mes bottes de marais, je puis faire le tour extérieur de la station, le long du boma; la pluie de 
cette nuit à noyé presque tout le terrain. Quelle aberration d’être resté ici malgré tout; la zwanze de PEcole 
militaire « Ça vit dans l’eau! » me revient malgré moi en mémoire. 

A 15 heures, l’udomètre accuse 6,9%. 

A 16 h. 50 m. tornade sèche suivie bientôt d’une forte pluie jusqu'à 16 h. 45 m.; de 17 heures à 17 h. 
20 m. pluie très légère donnant 1/3 millimètre à Fudomètre. 


=} = 


PA 


Écrit à la factorerie de Ki-Engué, en renvoyant un compte approuvé; à la factorerie de Ki-Touta, en 
renvoyant un compte annoté; enfin, à M. Gibbs à Blantyre, pour le remercier de nous avoir réexpédié la caissette 
de réactifs oubliée à l’entrée du Nyassa. 

Une fois de plus, la soirée est couverte et l'observation impossible. 

Le sergent De H .…. souffre de maux de dents; M. Fromont n'a pas paru à table aujourd'hui. 


Maxima diurne : 26°,3. 
La nébulosité a passé de 10 à 5, puis à 9. 
Durée d'insolation : 3,6. 


Lundi, 27 février 1899. ; 


Minima nocturne : 18°,2. 

Passé une assez bonne nuit. Fromont va mieux. L'état ophtalmique de Michel reste stationnaire; toutefois, 
le voile uniforme qui constituait la vision des premiers jours de laffection a disparu, remplacé par de gros 
flocons flottants; ce genre d’ennui est connu dans le pays; d’après ce qu'on n'en dit, je puis penser que Michel 
sera remis dans huit à dix Jours. 

Au point de vue sanitaire, M. Verdiek me cite trois cas d'hématurie chez des Européens; toutefois, on 
peut se demander si le diagnostie de l'affection, établi par des non-médecins, n’a pas été erroné. 

Changé les feuilles des enregistreurs de température et de pression. 

Le diagramme du thermographe garde l'allure générale des diagrammes obtenus à Moliro et à Mpwéto; 
d’une façon générale, la température s'accroit jusqu'aux environs de 16 heures; les rayons solaires sont donc 
capables de maintenir l'élévation de température quatre heures après le midi du jour, c’est-à-dire après le 
moment où le soleil, de par sa position en hauteur maximum, produit son maximum d'effet calorique. 

Les moments de pluie et de tornade sont caractérisés par la chute brusque de la température, chute 
pouvant atteindre 10° en quelques minutes. 

À remarquer aussi le tremblé du diagramme avant chaque forte pluie. Des écarts de 10° peuvent se 
produire dans nos régions tempérées, sous l'influence des précipitations atmosphériques; mais, chez nous, 
ces écarts peuvent se produire dans les deux sens, c’est-à-dire que les pluies peuvent produire soit une baisse, 
soit une hausse du thermomètre. 

Depuis notre arrivée sur le territoire congolais, nous n'avons observé que des baisses barométriques 
à l’occasion des précipations atmosphériques. R 

L'examen du diagramme de notre première semaine à Lofoï ne révèle pas de relèvements thermométriques 
nocturnes tels que ceux signalés à Moliro. 

Le maxima absolu a été de 28,8; le minima absolu, de 17,8; la moyenne hebdomadaire, de 22° 1/,. 

De son côté, le diagramme de la marée barométrique offre une régularité un peu moindre qu'à 
M'pwéto; toutefois, l'écart entre les deux ordonnées extrêmes ne dépasse pas à millimètres. 

A remarquer que, pendant la nuit, le baromètre demeure quasi stable, à la moyenne. 


Préparé l'observation de la lune (2° bord) d'aujourd'hui au #4 mars prochain. 


Maxima diurne : 28°,5. 

La nébulosité à varié de T à 4, pour remonter à 5 {/,. 

Durée d’insolation : 5,45. 

La soirée est couverte; mais, comme la lune ne passera au méridien qu'à 1 h. 45 m. (temps moyen), c’est- 
à-dire deux heures environ après-minuit, je passe la première moitié de la nuit dans l'attente impatiente, 
mais, hélas! sans que Phébé se daigne montrer au moment propice; Je voudrais bien n'en irriler, mais ne le 
puis. 

Et je me couche, peu disposé au repos; sueurs abondantes! Qu'est-ce que les hématozoaires et la quinine 


auraient à voir là-dedans? Si j'avais réussi mon observation, j'aurais bien dormi; toutes les doses de quinine 
n'auraient jamais remplacé une heure d'éclaireie méridienne. 


Mardi, 28 février 1899. 


Minima nocturne : 18°,8. 

Levé mal disposé. Journée d’écritures. Calcul d’une première valeur de laltitude de Lofoi. M. Verdick 
reçoit une lettre de Nana-Ka’n’doundou, station portugaise à deux jours à l’est du lac Di-Lolo; il y a là une 
mission anglaise qui se tient en liaison par courriers avec les missions protestantes du Ka-Tanga; la lettre reçue 
par M. Verdick émane de M. Georges, dont nous ferons la connaissance dans la suite. 

D'ici à Nana-Ka’n’doundou, le courrier met un mois; d'ici à la côte occidentale, la transmission d’une 
lettre prendrait 70 jours, si rien ne l’arrêtait. 


A 14h. 10 m., tornade sèche; dix minutes après, coups de tonnerre dans le iointain: vent W; l’anémo- 
mètre marque de 5",75 à 5,7 à la seconde. 

A 16 h. 25 m., pluie légère pendant dix minutes; l’udomètre accuse 07,13. 

Maxima diurne : 270,6. 

La nébulosité a passé de 10 à 3 {/,, puis est remontée à 10. 

Durée d’insolation : 8,45. 

Nuit d'encre; en me couchant, je donne instructions de venir m'éveiller à 1 {/, heure; la lune passera 
au méridien à 2 1/, heures. 

Quand on m'appelle, je ne puis que pester une fois de plus contre la déveine persistante, mais cela ne 


découvre pas le méridien. 


Mercredi, 4° mars 1899. 


Minima nocturne : 17° 1/,. 
Matinée de brouillard. 
Inutile de dire que ma nuit à été mauvaise. 


Il y a, à la station de Lofoï, de jeunes palmiers élaïs plantés depuis deux ans; ils ont 1",50 (maximum) de 
hauteur, ou, plus exactement, les palmes sont de cette longueur, mais le stipe ne se forme pas encore. Ces 
palmiers sont originaires de Ka-loumba (confluent Lou-Alaba—Lou-Fira). 

Le ficus à étoffe s’appelle ici Sycomore (?), et le saucissonnier est appelé Baobab (!?!). 

Ma promenade du matin me montre encore dans la station un beau spécimen de chérimolier (pomme- 


cannelle) en fruits. 


De renseignements recueillis de la bouche de M. Verdick, il résulte que, d'ici au point où le Lofoi joint la 
Lou-Fira, il n’y à qu'une demi-heure de marche; en ce point la Lou-Fira fait un coude qui la rejette 
fortement dans l’ouest, de sorte que, si on marchait du poste droit dans l’ouest, on mettrait quatre heures 
pour atteindre la Lou-Fira, et ce à travers un terrain soumis aux inondations et où existent des fossés cachés 
par les eaux, fossés de 2 mètres à 2",50 de profondeur, où un homme disparait entièrement. 

Les deux rives de la Lou-Fira, dans la partie voisine de Lofoi, sont marécageuses toute l'année: 
elles ne sont pas bordées d'arbres; la rivière coule dans un océan d'herbes et de jones; quart à songer 


— 9292 — 
à assécher et à cultiver les plaines de la Lou-Fira, ce serait folie; par places seulement, on peut trouver 
d’étroites bandes cultivables. 

Que je dise tout de suite que, dans la suite de notre reconnaissance, nous vérifierons par nous-mêmes 
l'exactitude de ces renseignements, qui sont le contre-pied d'informations fournies par d’autres voyageurs, 
ayant émis l'avis que « n’était leur éloignement des voies de communication, ces grandes plaines de la 
Lou-Fira, si faciles d'irrigation, se prêteraient mieux peut-être que tout autre terrain du Congo, aux grandes 
exploitations agricoles ». 

Je répète que notre reconnaissance des grandes plaines de la Lou-Fira nous en donne une idée tout autre; 
nous narrerons cette reconnaissance aux jours venus; pour le moment, disons seulement que la station de 
Lofoi, une première fois déplacée, ainsi que nous lavons rapporté, devait finalement être complètement 
abandonnée; au mois d'octobre 1899, M. Verdick devait se transporter au Lou-Kafou; au mois de janvier 1900, 
nous devions repasser par Lofoï et y séjourner encore quelques semaines; après quoi, ce malheureux poste 


devait être laissé à l'abandon. Mieux valut tard que jamais! 


Vers 11 heures, je prends la fièvre qui, dans l'après-midi, n'oblige à me coucher. 
Maxima diurne : 290,3. Nébulosité variant de 9 à 5.5, puis remontant à 9. 


Soirée couverte. Observation impossible. 


Jeudi, 2 mars 1899. 


Minima nocturne : 17°,5. 

Arrivée d’un courrier n’apporlant que des lettres officielles. 

C’est d’abord M. le géologue Kemper-Voss qui nrécrit de Mou-Téta, à la date du 10 février; 1l à reçu mes 
lettres des 21 et 25 janvier; il n’a jusqu'ici rien trouvé d'exploitable; il à fait visite à M. Crawford, de la mission 
de Loanza, lequel lui à parlé d’endroits intéressants à prospecter, à 80 milles de la mission; M. Voss me 
demande des instructions à cet égard. 

Répondu de suite à M. Voss qu'aussitôt finie sa reconnaissance de la vallée de la Lou-Fonzo (prescrite par 
mes lettres), il devra rallier Lofoï sans retard. Je donne aussi à notre géologue tous les renseignements qui 
peuvent l’intéresser quant aux gites d'étape et aux journées de marche de son prochain voyage vers Lofoï. Je 
l’autorise aussi à faire de suite — s’il l'estime bon — un envoi de roches de M'pwéto vers Bruxelles. 

Je réponds ensuite à une lettre du lieutenant Chargcois, chef de poste de M'pwéto, au sujet d’un envoi de 
peaux de zèbres et autres qu'il doit faire pour nous à Bruxelles. 

Écrit en troisième lieu à M. Johnstone, agent de la Compagnie des Laes à Ki-Engué, relativement à nos 
transports; cet agent m'a fait connaitre que notre caisse de collections n°13 à pris la route de l’Europe. 

Enfin, une lettre de M. Cerckell {chef de poste à Mo-Linga dit Kilwa) me fait connaitre l’arrivée du schooner 
le Léopold LE, qui lui a apporté pour nous 3 caisses et 33 ballots calicot, qu'il m'enverra dès qu'il aura réuni 


les porteurs nécessaires. 


De son côté, M. Verdick, chef de la zone Ka-Tanga, me remet la demande ci-dessous : 
« Lofoi, le 1% mars 1899. 
« Monsieur le chef de mission, 
« Les mouvements hostiles des Ba-Sangas me forcent à user des armes pour réprimer une révolte qui 


pourrait devenir générale. 


— 995 


« Le chef Mouloumou-Niama, instigateur principal, ne cesse d'attaquer nos postes détachés, et menace de 
compromettre le prestige de notre drapeau. 

« Vous me rendriez la tâche facile en mé laissant disposer de votre escorte, ainsi que d’un de vos adjoints 
sachant la conduire. 

« Je mettrai à votre disposition M. Delvaux, qui s’appliquera à vous rendre les services dont vous devrez 
vous priver en me passant l’adjoint que vous désignerez. » 


Ci ma réponse : 
« Lofoï, 1e 2 mars 1899. 
« Monsieur le capitaine, 


« En réponse à votre lettre du 1% mar, j'ai l'honneur de vous faire connaitre que Je mets à votre disposition 
le personnel de mon escorte, sous les ordres de M. le sous-lieutenant Fromont, dont vous avez déjà certainement 
apprécié les qualités. 

« Toutefois, il sera nécessaire de me laisser dix hommes que M. Fromont désignera. 

« [1 va de soi que je ne puis fournir les eartouches pour l’action que vous projetez, mon approvisionnement 
ne comportant que cent cartouches par hommes. 

« Ainsi qu'il résulte des renseignements que vous m'avez donnés verbalement, votre absence de la station 
ne dépassera pas, sauf imprévu, un mois. 

« Je vous saurais gré de la réduire le plus possible. » 


Comme suite à cet échange de lettres, le sous-lieutenant Fromont reçut l’ordre de se mettre avec 50 
de nos soldats à la disposition de M. Verdick; ce brave oflicier accueillit avec une véritable joie cette 
mission, qui allait lui permettre de voir de près, un des premiers, ces grottes fameuses du Ka-Tanga; car le 
chef rebelle occupait précisément de pareilles grottes, et e’est ce qui lui faisait une absolue réputation 
d’inexpugnabilité; car afirmait-on, ses grottes s’étendaient au loin sous terre, en tous sens, et des crevasses 
dans leurs voûtes permettaient à ceux qui sv terraient, de fusiller de bas en haut tout imprudent assez hardi 
pour s’aventurer sur leur territoire. 

On verra plus tard ce qu'il fallait penser de ces racontars sensationnels. 

Les instructions nécessaires données à M. Fromont et à sa troupe, je me remets à ma table de travail et 
rédige le rapport n° 15 au secrétaire d’État, lui rendant compte de notre arrivée et de notre installation à Lofoï; 
de l’arrivée de MM. Voss et Questiaux; de la situation de notre matériel et de nos approvisionnements ; de notre 
état sanitaire peu satisfaisant; de l'esprit peu discipliné de notre escorte. 

Jai le plaisir aussi de signaler combien je suis satisfait de la façon d'être et du travail de MM. Michel, 
Dardenne et Fromont; la plus grande bonne volonté et un complet dévouement sont les qualités prédomi- 
nantes de ces agents. 

Enfin, je joins en annexe, à ce rapport, les résultats des observations de position faites entre Mwpéto et 
Ka-Béca, ainsi qu'une note sur l'ile Kilwa, note où Je consigne les observations que m'a suggérées mon passage 
et mon séjour au sud de Moéro, et que j'ai rapportées à leur place dans ce journal. 

Enfin, je termine cette besogne de courrier qui caractérise ma journée, par une lettre à M. Gibbs, l’aimable 
directeur de la Compagnie des lacs, à Blantyre, lui faisant connaître que les trois caisses qu'il m'a envoyées 
comme caisses de dynamite, ne contenaient que des détonateurs et des fusées, ainsi qu'il à été constaté 
par M. Questiaux, à son arrivée à Mpwéto, où ces caisses étaient restées en dépôt, dans la poudrière du 
poste. 

A 1% h. 30 m., tornade sèche. À 1% h. 45 m., forte pluie et coups de tonnerre jusqu'à 17 h. 15 m. Quantité 
d’eau tombée : 8mm,02. 

Vent W.; vitesse, mesurée à l’anémomètre : de 2",70 à 4 mètres à la seconde. 


Durée d’insolation : 3 heures. 

Maxima diurne : 3 heures. 

Nébulosité variant pour toute la journée, de 5 à 10. 
Ciel d'encre dans la soirée; observation impossible. 


Vendredi, 3 mars 1899. 


Mauvaise nuit fiévreuse. 

Minima nocture : 19°,10. Brouillard. A 8 heures, quelques gouttes de pluie. 

Travaillé jusqu’à midi. Pris alors de vomissements et de fièvre froide, m'obligeant à m'aliter sous sept 
couvertures ; je mets quatre heures à me réchauffer. 

Durée d’insolation : 4! 
Maxima diurne : 28°,3. 
A 19 h. 30 m., nous pouvons nous mettre en observation : 9 étoiles sont prises; malheureusement, le 


,DD. 


ciel se couvre avant le passage de la lune. Nous n'avons done qu'une prise de latitude et d'heure. 
Mon brave Michel souffre des reins et est fiévreux. ? 
Nuit de fièvre; sueurs. 


Samedi, 4 mars 1899. 


Levé fiévreux. 

Minima nocturne : 190,1. 

Matinée employée aux calculs de l'observation d'hier. 
Vers 8 h. 45 m., pluie légère ne marquant pas à l’'udomètre; l'humidité est si forte que les fibres du papier 


\ 


s'arrachent constamment sous la plume 

Les calculs terminés j'écris au chef des zones Tanganika—Ka-Tanga en lui envoyant copie de la note sur 
l'ile Kilwa et le poste de Mo-Linga, dont j'ai parlé hier comme annexe au rapport n° 15 au secrétaire d'État; je 
lui remets aussi copie des positions fixées entre Mpwéto et Ka-Bccça. 

J’envoie le même document à M. Cerckell, au sud du Moéro. 

Enfin, je ferme, pour le secrétaire d'État à Bruxelles, un pli contenant 19 planches flore et 18 planches 
faune aquarellées par Dardenne. 

Par l’exacte notation de nos faits et gestes, je désire montrer par quelle activité incessante la mission 
scientifique du Ka-Tanga à pu réunir la somme de documents dont d’aucuns se sont étonnés, au point de sus- 
pecter la possibilité pour nous d’avoir abattu toute cette besogne; il y à eu régularité dans le travail, voilà 
tout; je l'ai établi jusqu'ici et continuerai à l’établir jusqu'au bout de ce journal. 

Et cela servira le mieux du monde ceux qui auront à s'occuper de ces pays sans y avoir été eux-mêmes. 


Le travail de bureau à Lofoï est rendu désagréable, voire pénible, en ce moment de l’année, par MM. les 
moustiques, qui sévissent le Jour comme la nuit. 

Je recueille de la bouche de M. Verdick ce renseignement — très intéressant, s’il est exact — que les 
indigènes connaîtraient leur histoire jusqu'à plus d’un siècle en arrière de l’époque présente. Malheureuse- 
ment, la saine critique historique n’a ici aucun moyen de s'exercer; les documents consistent en quelques 
récits oraux dont le contrôle me parait impossible. C’est grand dommage, vraiment, mais je ne puis me 
résoudre à consigner pareils documents dans un travail auquel je veux garder son caractère absolu de faits 
exacts. 

M. Verdick me dit encore que la syphilis règne beaucoup chez l’indigène; avis à qui de droit 

Michel toujours fiévreux. 

Durée d’insolation : 1%,45; maxima diurne : 275. 

La nébulosité a décru depuis le matin de 10 à 7; la soirée arrive avec un ciel capricieux, mais nous pou- 
vons prendre une très bonne observation de latitude et d'heure, par 16 étoiles, ce qui nous met en bon 
appétit pour notre repas du soir, servi à 21 h. 30 m. Nous nous couchons en mettant le réveil à #4 heures, afin 


de pouvoir observer le passage méridien du deuxième bord de la lune. 


- ose 


Dimanche, 5 mars 1899. 


A 4h. 30 m., nous nous remettons à l'observation. Le ciel est bon; nous prenons 4 étoiles de culmination 
et dame Phœbé. 

Ce bon résultat nous enchante, et nous nous remettons au lit pour goûter une couple d'heures de repos 
bien mérité; pour mon compte, je n'avais dormi que deux heures entre les deux observations ; mon courageux 
adjoint, le sous-intendant Michel, va beaucoup mieux aujourd'hui. 

Après deux heures de repos matinal, je me mets aux calculs de l'observation, jusqu'à midi. 

Et de nouveau, dame fièvre, plus froide que Jamais, m'oblige à me coucher; elle n’empéchera pas que 
nous ayons enfin pu prendre une bonne et complète observation de longitude absolue. 

Le minima de la nuit dernière a été de 182,2. Brouillard dans la matinée. 


Durée d’insolation : 7,95. 

Nébulosité montant de 2 à 5 et redescendant à 3,5. 

Maxima diurne : 289,5. 

Nous ne prendrons plus d'observation avant la prochaine lune; son premier bord pourra être pris 
le 18 mars. Espérons que nous aurons plus de chance qu’en la lunaison achevée. 


Lundi, 6 mars 1899. 


Je me lève, la tête plutôt faible. 

Minima nocturne : 18°,4. 

Changé les feuilles des enregistreurs. 

La feuille du thermographe montre que la température nocturne reste assez constante entre 19° et 20°; 
l’aceroissement de la température depuis le lever du soleil se fait avec une régularité journalière bien marquée ; 
de même pour la diminution de ia température qui — sauf les jours de pluie — commence entre 14 et 
16 heures. 

Les averses se marquent par la chute rapide de l’ordonnée du diagramme. 

Le maxima absolu de la semaine à été de 29,5; le minima absolu de 17°,5; la moyenne de 21°,7. 
Ces chiffres ne sont pas les indications brut du thermographe, mais ces indications corrigées d’après les 
lectures directes des thermomètres à mercure. 

Rien de particulier à signaler pour la marée barométrique. 


k 


L'état sanitaire général reste peu satisfaisant. 
Personnellement, j'ai dû ce matin procéder à des injections répétées d’eau savonnée tiède dans les 
canaux auriculaires, ce qui a dégagé de chaque oreille un tampon de cérumen coagulé, gros comme un 


grain de café; j'avais éprouvé le même ennui à Lou-Koungou en 1890, peu de temps après mon arrivée 


au Congo; ce rapprochement indiquerait que l’Européen arrivant d'Europe, ou revenant en Afrique après 
un long séjour en Europe, serait soumis aux mêmes phénomènes d'adaptation; à côté de cet arrêt momen- 
tané du cérumen, j'ai constaté pour mon compte la même diminution — à Lou-Koungou et au Ka-Tanga 
(parties basses) — dans les écoulements de mucosités nasales; en d’autres termes, on se mouche moins en 
Afrique. 

Ces phénomènes bien connus font évidemment partie d’un ensemble de modifications de l'individu, qu'il 
faut connaître pour ne pas s’en alarmer. 

Si l’état sanitaire des blancs de la mission est loin d’être satisfaisant, celui des noirs de notre escorte ne 
vaut guère mieux. Depuis le jour de notre arrivée à Lofoi, 19 hommes ont été malades; ils se répartissent 
comme suit : 16 fiévreux, 2 blessés et 1 ophtalmique. 

15 


17 de ces hommes sont toujours souffrants ; ils se plaignent de malaise général et de violentes 
migraines. 

Ces gens de couleur, originaires des parties nord et du centre de L'État indépendant, sembleraient subir, 
tout comme nous-mêmes, des phénomènes d'adaptation dans le Ka-Tanga (parties 
basses). 


La considération des travaux d'approche des fourmis de toutes tailles et de toutes 


teintes me suggère l’idée d’un support de défense, dont le type est aisé à réaliser; 
ci le croquis de ce support qui viendrait fort à point dans les salles à manger. 
Du sud du Moéro arrive la caravane qui amène le chargement du 


Léopold T1; un courrier d'Europe, arrivé par la voie anglaise, apporte son 
ordinaire contribution de bonheur. 

A 16 heures tornade sèche; coups de tonnerre au loin; vent W, dont la vitesse varie par seconde de 
2,90 à 3 mètres; à 16 h. 45 m., pluie jusqu'à 17 h. 50 m.; quantité d’eau recueillie à l’udomètre 
10% centimètres cubes, ce qui correspond à une hauteur d’eau tombée de 15,94. 


Durée d’insolation : 4,70. Maxima diurne : 299,2, Nébulosité ne descendant pas au-dessous de 6. 


Mardi, 7 mars 1899. 


Minima nocturne : 199,3. De 4 à 6 heures, pluie légère donnant 1°",53 d’eau tombée. 

Trés mauvaise nuit : insomnie et sueurs. 

Michel et Fromont se plaignent aussi de ces transpirations exagérées ; mais, heureusement, ils dorment. 
A midi je suis repris de fièvre et dois me coucher; manque absolu d'appétit. 

A 17 heures meurt un de nos soldats malades. 


Nébulosité quasi complète toute la journée; durée d’insolation : 0. Maxima diurne : 23,1. 

À 9 h. 45 m., pluie légère, avec coups de tonnerre au loin dans le sud; à 10 heures, forte pluie; l'orage 
approche; coups de tonnerre et éclairs; à 10 h. 30 m., violent coup de foudre à l’est de la station; la pluie cesse 
à 17 h. 15 m.; hauteur d’eau tombée : 26%" 73. 


Mercredi, 8 mars 1899. 


Minima nocturne : 18°,5. 

Encore une mauvaise nuit 

A 9 heures départ de la colonne destinée à opérer contre le chef Mouloumou-Niama : beaucoup d’entrain 
chez tout le monde. 

Depuis notre arrivée à Lofoï j'ai pu constater que, pour les relations entre blanes et indigènes, il s’y parle 
un langage parfaitement bâtard. 

Cette question de la langue à choisir pour toute l'étendue du Congo n’a pas encore reçu de solution, malgré 
sa grande importance. À Lofoi ont été apportés assez bien de mots employés à Lou-Sambo; ce sont surtout les 
boys des Européens ayant jusqu'ici séjourné au Ka-Tanga qui sont cause de cet apport. 

À Moliro et à Mpwéto on parlait — ou du moins on croyait parler — le swahili. 

Avec notre escorte nous employons le dialecte si heureusement dénommé « langue commerciale du haut 
Congo ». C'est ce dialecte, à mon humble avis, qu'il eut fallu s’efforcer de propager partout. Il est d’abord le 


29/1 


plus facile de la demi-douzaine d’idiomes africains que j'ai dû apprendre à baragouiner; en second lieu, il 
était déjà de par lui-même employé sur une aire très étendue; en troisième lieu, il était justement parlé par les 
premiers indigènes du haut Congo recrutés pour les services publics et envoyés dans l’Oubanghi, dans le 
Kassaï et dans le bas Congo, il y à quinze à dix-huit ans déjà, lorsque commencèrent les recrutements de 
travailleurs et soldats congolais; dans les diverses stations, les contingents de Bangalas, de Wangatas, etc., 
imposèrent leur langue commerciale aux indigènes du voisinage; les blancs eux-mêmes apprirent naturellement 
cette langue, comme ils avaient appris le swahli lorsqu'ils employaient surtout des soldats zanzibarites; de 
plus, tous les équipages de steamer du baut fleuve parlent ladite langue commerciale. 

Aussi ai-je pu, par son moyen, me tirer presque toujours d'affaire; c’est cette langue, par exemple, que 
nous parlions au contingent si varié venu à l'Exposition de Bruxelles-Tervueren. 

Il y à là un faisceau de raisons qui eussent trouvé la sanction nécessaire à leurs indications, dans la 
création d’une école coloniale où la langue commerciale du haut fleuve eût été sommairement enseignée. 

Cet enseignement eut permis de restreindre l'emploi du swahili, au lieu de le développer, ce que Je ne 


tiens pas pour un avantage, bien au contraire. 


Dans nos conversations de ces derniers jours, M. Verdick m'a exprimé l'avis que le Ka-Tanga a été bien 
autrement peuplé qu'il ne l’est aujourd’hui; les esclavagistes surtout auraient raréfié la population. S'il en est 
ainsi il y aura une belle mission à accomplir dans l'occupation lentement progressive de ce pays par 
l'Européen; et il est certain, en particulier, que les heurts et les à-coups devront être soigneusement évités ; 
si l’on demande plus que le pays peut donner, on continuera à descendre, au lieu de le remonter, le courant 
de dépopulation créé par les esclavagistes. 

Il me semble que la première période d'occupation devrait tenir compte des procédés employés par les 
missionnaires; je veux dire par là que les stations devraient, pour commencer, n'être que des centres de 
groupement et de sécurité stable pour les populations; les frontières aussi doivent être occupées plus efficace- 
ment qu'elles ne l'ont été jusqu'ici, afin de comprimer progressivement les sorties irrégulières organisées avec 
tant de maîtrise en particulier par les Wamboundous, commerçants noirs venant de l’Angola, et qui constituent 
non des bandes de razzieurs armés comparables aux Arabes, mais seulement — quoi qu'on en ait dit trop 
complaisamment — d’habiles colporteurs, trafiquant de tout; le Wamboundou, en règle très générale, ne vole 
pas d’esclave; il se contente d’en acheter dans les régions où il pénètre; ce faisant, il est, purement et simple- 
ment, un négociant africain, honnête à sa façon, et pratiquant à l’heure actuelle un commerce pratiqué depuis 
des siècles, sous l’instigation première des Enropéens. 

Quelques opérations armées contre ces groupes de colporteurs sans consistance n’auront vraisemblablement 
d'autre effet que de mécontenter les habitants mêmes des pays où les Wamboundous viennent commercer 
chaque année. En réalité, il faut voir en eux des commerçants dont l’action doit être canalisée par l'installation 
de postes frontières 

Quant à la légende — malheureusement exploitable — qui fait marcher les Wamboundous en bandes 
militaires, pavillons déployés (on a même dit que des drapeaux portugais leur avaient été enlevés), ce n’est 
qu'une pitoyable et très mauvaise plaisanterie. 

Au cours de notre voyage nous montrerons l’exaete action de ces colporteurs noirs; de nos constatations 
découleront l’exacte attitude et les nécessaires mesures à prendre pour supprimer de leurs articles de commerce 
cet article si spécial dénommé « bois d’ébène ». 


A 12 h. 20 m., quelques gouttes de pluie; à 14 h. 30 m., forte pluie jusqu'à 15 h. 50 m.; à 16 h. 45 m.. 
la pluie recommence et dure jusqu’à 17 h. 50 m.; hauteur d’eau tombée : 6mm,11. 
Durée d’insolation : 1,05. Maxima diurne : 25°,1. Nébulosité quasi absolue toute la journée. 


Jeudi, 9 mars 1899. 


Minima nocturne : 18°,8. À 6 h. 50 m., quelques gouttes de pluie. Ça ne va pas; insomnie et état fiévreux 
continu ; inappétence absolue; estomac capricieux à plaisir, ou plutôt à déplaisir. 

L'état oculaire de Michel reste stationnaire. 

Le sergent De H... est dans son lit avec la fièvre. 

Moi-même, dans l’après-midi, dois me coucher avec de violentes crampes d’estomae, pour avoir essayé 
d’avaler un doigt de champagne coupé d’eau. Est-ce que ça va encore durer longtemps, cette plutôt méchante 
blague ? 


À 15 h. 45 m., coups de erre au loin vers le sud; de 16 h. 5 m. à 16 h. m., eu de ie, qui 
\i5h./{ün ups de tonnerre au loin l l; de 161 n 16 h. 10 m., un peu de pluie, qui 
reprend de 16 h. 25 m. à 16 h. 55 m., puis de 17 h. 10 m. à 18 heures. 

orage sévit aussi au nord de la station, celle-ci v échappant. Hauteur d’eau tombée : 2,03. 

I g ta u nord de la station, cell y échappant. Hauteur d’eau tombée : 2"%,05 

Durée d’insolation : 4 heures. Nébulosité descendant de 10 à T pour remonter à 10. 

Maxima diurne : 27°. 


Vendredi, 10 mars 1899. 


Minima nocturne : 18°. 

Ma nuit a été moins mauvaise; je me sens plutôt faible, l'estomac mauvais, et « jouissant » d’un beau 
cas de « xylostomite! ». 

Dans l'après-midi, je suis tenaillé de fortes douleurs rhénales; jambes fatiguées. 

M. De H. garde la chambre, ainsi que Michel qui doit se tenir dans l’obscurité. 

C'est M. Delvaux, adjoint du capitaine Verdick, qui assure le service des observations météorologiques. 


4 h. 15 m., pluie 


torrentielle; orage à l’ouest; la pluie cesse à 14 h. 35 m. Hauteur d’eau tombée : 6"%,62. À 16 h. 15 m., 
nouvel orage arrivant du sud; pluie battante de 16 h. 20 m. à 16 h. 40 m.; hauteur d’eau : 1,58. 

Durée d’insolation : T heures. 

Maxima diurne : 29°,2, 


A 15 h. 40 m., coups de tonnerre lointains; l'orage se rapproche venant du sud; à 1 


Samedi, 11 mars 1899. 


Minima nocturne : 18°. 

Les douleurs de reins m'ont tenu éveillé jusqu'à minuit; passé minuit, assoupissement avec transpirations 
pas trop marquées. 

Ce matin c’est Dardenne qui garde la chambre, avec une attaque d'asthme. 

Michel continue à se cloitrer dans l’obscurité. 

M. De H. est debout, mais le mal de tête ne l’a pas encore quitté. 


À 17 h.5 m., coups de tonnerre au nord-est. 
Durée d’insolation : 8°,30. 


Maxima diurne : 29°,5. 
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À 18 h. 20 m., orage et forte pluie. 


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Dimanche, 12 mars 1899. 


Minima nocturne : 18°,6. L’udomètre accuse pour la pluie d'hier soir : 5,35. 

Nuit infecte : sueurs continues; violents maux de reins; insomnie. 

Dardenne garde la chambre ainsi que Michel, le premier ennuyé d’une forte attaque d'asthme, le second 
pour l'affection ophtalmique qui s'améliore lentement, 


De 8 h. 30 m. à 8 h. 40 m., pluie légère; idem de 12 h. 10 m. à 12 h. 20 m. et de 14 h. 10 m. à 14h. 
20 m.; rien au pluviomètre. 
- Durée d’insolation : 31,15. 
Maxima diurne : 26°,1. 


L'abondance des moustiques à la tombée du jour est telle qu’il faut faire allumer, chaque soir, de grands 
feux de paille devant la salle à manger, pour pouvoir se tenir en plein air jusqu’à l'heure du repas; une demi- 
douzaine de gamins maintiennent constamment allumées des torches faites de torons d'herbes sèches; ils 
forment un cercle autour du groupe des chaises longues européennes, dont les occupants sont ainsi à demi 
protégés contre l'audace et la furie des abominables bestioles. Jamais je n'ai vu cela; mais rien de bien 
étonnant quand on voit le pseudo-marécage qui forme les alentours immédiats du poste pendant la saison des 
pluies. 


Lundi, 13 mars 1899. 


Minima nocturne : 18°,6. Il a plu de 1 à 2 heures; hauteur d'eau : 2,04. 

Jai dù, pour échapper aux douleurs rhénales, recourir à l’opium; sueurs pendant la première partie de 
la nuit; ensuite demi-sommeil. 

Je reste incapable de me mettre à ma table de travail. 

Dardenne va mieux; c’est le tour de Michel d’être pris de douleurs de reins. 


Changé les feuilles des enregistreurs. 

Du lundi 6 mars à 16 heures au jeudi 9 mars à 13 heures, le thermomètre est demeuré au-dessous de 25°; 
pendant cette période, le diagramme thermographique reste compris entre 19° et 21°, sauf deux légers relève- 
ments dans les journées du 7 et du 8. 

On pourrait croire que cette basse température continue doit être agréable à l'Européen. Bien au contraire ; 
c’est la pluie et l'humidité persistantes qui forment la caractéristique climatologique en ce moment; et le froid 
qui devrait être le bienvenu auprès de l’Européen, est en réalité un mauvais froid humide; la vapeur d’eau 
prend la place de l'oxygène de l'air, alourdit le sang, provoque les migraines, les affections des poumons, les 
douleurs rhumatismales qui sont tous les ennuis dont nous subissons tous les inconvénients depuis notre 
arrivée à Lofoi. 

Pour la semaine écoulée le minima absolu a été de 18°; le maxima, de 299,5; la moyenne, de 21°,95. 

De son côté le barographe a enregistré un relèvement assez marqué de la pression atmosphérique. 


A 11 h. 20 m., coups de tonnerre au nord-est, À 12 heures, orage et averse; de 14 heures à [# h. 20 m, 
averse; hauteur d’eau : 3,6; à 17 h. 15 m., orage à l’est. 

Durée d’insolation : 6 heures. 

Maxima diurne : 27,5. 


= ED — 


Mardi, 14 mars 1899. 
© 


Minima nocturne : 17°,5. 

Jai pu passer la nuit sans recourir à l’opium; peu dormi toutefois, les reins restant très douloureux. 
Il y a aussi, pour chasser tout sommeil, des nuées de moustiques; je comprends seulement maintenant la 
précaution que le capitaine Verdick a prise de nous faire fabriquer, avant notre arrivée, des moustiquaires 
spéciales. Hélas! la mienne ne parvient pas à constituer, pour l’armée de mes ennemis infiniment petits 
mais infiniment redoutables, l’infranchissable obstacle espéré; il est vrai que la disposition en alcove du lit 
que j'ai trouvé à Lofoi est telle qu'il ne m'a pas été possible, jusqu'ici, de le clôturer complètement par la 
moustiquaire. 

Pendant le jour les moustiques sont remplacés par d’abondantes mouches. 

Tout cela rentre dans les avantages inséparables des sites aquatiques, tel qu'est le site détestable de Lofoï. 
Et dire que, jusqu'ici, pas un des occupants de cette f...ichue station n’a eu l'initiative voulue pour s’en aller 


autre part. Et voilà dix ans qu’on y est. 


De 13 h. 10 m. à 13 h. 25 m., pluie très légère ne marquant pas à l’udomètre; coups de tonnerre à 
l’est, à 13 h. 40 m. 
Durée d’insolation : 5",30. 


Maxima diurne : 26°,5. 


Ma journée a été un peu meilleure au point de vue sanitaire. 


Mercredi, 15 mars 1899. 


Minima nocturne : 189,4. 

Terrible reprise; impossible de bouger de mon lit; douleurs de reins, torticolis, maux de tête, 
Durée d’insolation : 7°,30. 

Maxima diurne : 309,1. 


Jeudi, 16 mars 1899. 


Minima nocturne : 19. 

Même situation; paralysie de la mâchoire inférieure ; à peine si je puis entr’ouvrir la bouche. 

Michel a pu reprendre le service des observations météorologiques. 

Reçu un courrier de MTowa : le camarade Hecq à repris vraiment une situation des plus délicates 
à tous les points de vue. 

Pour le moment la route vers Ka-Ba-m'haré continue à rester barrée. 


De 16 h. 30 m. à 16 h. 45 m., pluie légère ne donnant rien au pluviomètre. 
Durée d'insolation : 51,50. 
Maxima diurne : 309,8. 


Vendredi, 147 mars 1899. 


Minima nocturne : 170,5. 

Un mieux léger se dessine dans mon état sanitaire; je puis prendre un peu de nourriture. J'aurais même 
passé une nuit un peu reposante n’eussent été les redoutables moustiques dont mon lit ne peut être mis 
à l'abri. C’est terrible; je n’ai pas fermé l'œil une seule minute la nuit passée, à cause de ce misérable infiniment 
petit qui pullule ici presqu’à l’égal des fourmis. Comme le lit du poste ne peut être complètement défendu à 
cet inexorable ennemi, je fais installer au milieu de ma chambre mon simple lit de campement, qui, au moins, 
peut être complètement protégé par sa moustiquaire. 


Dans la journée rentre à Lofoï le sergent Monghelima de notre escorte, parti avec le capitaine Verdick et 
devenu malade en route. 

D'autre part un caporal noir en poste sur le Lou-Alaba vient annoncer que les révoltés de Lou-Louabourg 
menaceraient Ka-Iloumba, à l'embouchure du Lou-Alaba et de la Lou-Fira. 


Durée d’insolation : 106,50. 
Maxima diurne : 31°,6. 


Samedi, 18 mars 1899. 


Minima nocturne : 18,8. 

Grâce à mon changement de lit, grâce aussi à ce que j'ai fait entretenir hier soir du feu pendant 
deux heures dans ma chambre, j'ai enfin tenu tête aux moustiques, et ai pu dormir d’un sommeil encore 
mauvais, mais enfin dormir. Et je m'en ressens nettement ce matin. 

Préparé l'observation de la nouvelle lune qui pourra être prise dès ce soir — si l’état du ciel le permet — 
jusqu'au 24 mars. 

On apporte un superbe spécimen de fourmilier (oryctérope du Cap); Dardenne en prend un dessin colorié, 
puis Michel le met en peau. (Voir la planche en couleurs.) 

L'animal est visible à Tervueren 


A 15 h. 25 m., coups de tonnerre dans le Sud. 

De 16 h, 20 m. à 16 h. 40 m., averse donnant 6"",36 d’eau tombée. 
Durée d’insolation : 9 heures. ë 

Maxima diurne : 31°,2. 

A partir de 21 heures, vent violent d’Est. Soirée courte; observation impossible. 


Dimanche, 19 mars 1899. 


Minima nocturne : 19°,3. 

Assez bonne nuit; je vais mieux; la tête est naturellement faible; les reins se remettent lentement. 

Durée d’insolation : 7,95. 

Maxima diurne : 30°,7. 

Bien que le ciel soit mauvais nous pouvons prendre une observation de la lune avec 6 étoiles; cette 
observation est faite cercle Est; après retournement cerele Ouest et nivellement de l'instrument, il devient 
impossible de prendre encore ne fut-ce qu’une étoile. 

L'inconvénient n’est pas grave, car ce qui m'importe surtout c’est la culmination lunaire, qui est réussie. 

En mettant le cercle méridien en station, je constate que l'instrument est plus abimé, depuis moins 
d’un mois que nous sommes à Lofoi, qu'il ne l'avait été depuis le départ d'Europe, tant l'humidité est ici 


_— 939 — 


corrosive par sa permanence et son intensité; le cercle divisé (qui est en argent), constamment et soigneu- 
sement huilé, est absolument intact, ainsi que les tourillons ; seul est attaqué par l’oxydation le cuivre du tube 
de la lunette et de quelques autres parties de l'instrument; ceci ne présente aucun inconvénient au point de 
vue de la valeur de linstrument pour les observations; il est moins binquant, voilà tout. Mais n'est-il 
pas intéressant de constater comment, depuis notre arrivée à Lofoï, blanes, noirs et instruments de la mission 
pâtissent de la forte et continue hygrométricité de cette malheureuse station ? Car c’est cette forte hygrométricité 
qui constitue le plus important facteur de la cause totale qui nous met tous en ce moment sur le flanc. Patience 
toutefois ; laissons la nature se défendre seule contre elle-même; pas de crainte ni d’inutiles médicaments, 
et Je me tromperais fort si nous ne nous retrouvions bientôt sur pied. 


Lundi, 20 mars 1899. 


Minima nocturne : 19,5. 

De 5 h. 30 m. à 6 h. 45 m., pluie légère; idem de 7 h. 20 m. à 8 h. 40 m.; l’udomètre accuse 22,16 d’eau 
tombée. 

Je me suis levé la tête un peu lourde, ce qui ne m'empêche nullement d'établir les calculs de lobservation 
d'hier. 

Changé les feuilles d’enregistreurs. 

Au point de vue thermométrique la semaine écoulée a été plus chaude; les chutes brusques de tempéra- 
ture, par suite d’averses subites, ont diminué. L’intéressant phénomène du réchauffement nocturne de la 
température — observé à Moliro ainsi que nous l'avons signalé — s’inserit deux fois sur le présent diagramme : 
dans la nuit du 17 au 18 mars, vers 21 heures, la température est descendue à 21°,4 pour remonter à 23°,4 à 
23 h. 40 m., puis redescendre jusqu'à 19°; dans la nuit du 18 au 19, phénomène analogue, moins ample. 

Le minima absolu de la semaine a été de 17°,5; le maxima absolu de 31,6; la moyenne de 23%. 


A midi, Je dois me coucher, mon déjeuner de ee matin ne se prêtant pas à la digestion. 


De 15 h. 10 m. à 15 h. 50 m., pluie légère ne donnant rien à l’udomètre. 
Durée d’insolation : 6",70. Maxima diurne : 30°,4. 
Pris une observation complète de latitude, d'heure et de longitude, par la lune et 16 étoiles. 


Je me couche très énervé. 


Mardi, 21 mars 1899. 


Minima nocturne : 18°. 
Impossible de me lever. L’estomac ne fonctionne pas: migraine des mieux conditionnées. 


Reçu aujourd'hui une lettre de M. Voss, datée de Loanza, 12 mars, par laquelle notre géologue me rend 
sommairement compte de son excursion dans la vallée de la Lou-Fonzo. 

En voici la traduction : 

« Rivière Moalata : ici à été trouvé un banc de conglomérats; il ne contient pas de minerais exploitables. 

« Village Ka-Sama : à certaine distance autour de ce village, trouvé différents lits de conglomérats, dont 
quelques-uns d'apparence pleine de promesses; les roches au lavage (on panning) n’ont pas donné de résultats. 

« Pendant notre séjour ici, excursionné aux rivières Lou-Kalwé et Lé-Koumbi; à la première, conglomérats 
ne donnant pas traces de minerais au lavage ; à la seconde, trouvé une variété fibreuse de calcaire. 


— 9233 — 

« Rivières Ka-Tolo et Ko-Kossi : banes de conglomérats dont un échantillon riche en pyrites de er; pas 
d'or décelé par le lavage de cet échantillon. Jai emporté un duplicata qui pourra être examiné de plus près en 
Europe. 

« Rivière Soungué : trouvé un lit de conglomérats contenant une variété de mica jaune mais pas d’or; en 
remontant la rivière, trouvé au pied des collines Zandé des blocs de quartz contenant des pyrites de cuivre; j'en 
ai pris échantillons. 

« Près de la Soungwé encore j'ai recueilli dans des calcaires et des schistes, des apparences de fossiles (2. 

« Du sel a été trouvé à Ka-Sama et à deux points près de la Soungwé; ce sel est tenu en solution dans des 
eaux de sources. 

« À Ki-Sabi, rien n’a été trouvé. » 


Dans la fin de sa lettre, M. Voss me dit que lui et M. Questiaux ont subi quelques vilaines attaques de 
fièvre. Ils allaient se mettre en route vers le sud. 

Nous sommes à l’équinoxe de printemps; le soleil emporte son anneau de nuages au nord de l'Equateur. 

A 15 heures orage au sud. 

Durée d’insolation : 82,50. Maxima diurne : 30°,8. 

Pris une bonne observation d'heure et de culmination lunaire. 

N'ayant rien absorbé de la journée, qu'un peu de soupe, jé me sens mieux, et me couche sans trop 
d’appréhension. 


Mercredi, 22 mars 1899. 


Minima nocturne : 20. 

Levé bien disposé, quoique la tête soit faible. Je puis travailler au calcul des dernières observations. 
A 11 h. 30 m., orage à l’est A 15 heures tornade sèche dans la même direction. 

Durée d’insolation : 7,40. Maxima diurne : 30°,2. Nébulosité à 18 heures : 8. 

Nuit couverte; observation impossible. 


Jeudi, 23 mars 1899. 


Minima nocturne : 19°,2. 
Bien dormi; aussi suis-je debout avec le jour et bien disposé au travail : calculs et cartographie. 


Ai-je déjà dit que j'avais emporté une mandoline destinée à charmer nos rares instants de loisir. Je viens 
de la trouver au diable; il y a quelques jours, j'avais preserit à mes boys de mettre tout mon fourniment en 
plein soleil, l'humidité ayant tout pénétré, tout moisi. La stricte exécution de cet ordre à fait que ma pauvre 
mandoline à aussi été exposée aux ardentes caresses de messire Phæbus : la table s’est gondolée et a sauté : 
impossible d’en rien faire encore. 

À Bruxelles, avec quelques cent francs, le désastre serait instantanément réparé; ici je me contenterai de 
mordre mes doigts sans plus, dans l’absolue impossibilité de me fabriquer moi-même le gentil instrument ; une 
fois de plus notre existence africaine me montre à l'évidence en quelle étroite solidarité nous vivons, sans le 
voir, en Europe. Des milliers d'êtres y sont nécessaires à nos facilités d'existence, et chacun de nous n'est 
qu'une bien faible composante dans la résultante totale qui s'appelle la vie des civilisés; or combien de gens se 
demandent parfois où ils en seraient et ce qu'ils feraient, abandonnés à eux-mêmes. Sans doute feraient-ils 
comme moi en ce moment : ils ne répareraient pas leur mandoline. 


— 934 — 


À 11 h. 15 m., roulements de tonnerre vers l'Est. À 14 heures tornade sèche suivie, à 14 h. 45 m., d’une 
forte pluie jusqu’à 15 heures; pendant environ une demi-heure le vent souffle par rafales, puis la pluie tombe, 
donnant une hauteur de 6"",87 au pluviomètre; la vitesse du vent varie de 2",60 à 4 mètres à la seconde 
(mesure à l’anémomètre). 

Durée d’insolation : 81,40; maxima diurne : 29°,9. 

La soirée s'annonce d’abord très mal, par 8 de nébulosité; mais une propice éelaireie me permet 
de prendre une bonne observation de la lune, avec 6 étoiles. 


Vendredi, 24 mars 1899. 


Minima nocturne : 17°,4. Rosée assez abondante. 

Nous tirons à la fin de la saison des pluies; déjà les soirées et les nuits fraichissent; les brises augmentent, 
venant maintenant plus fréquemment des régions Est; le tonnerre roule plus profondément dans les cieux, 
au-dessus d’un épais banc de nuages (cumulus, alto-eumulus), mais n’amène plus invariablement la pluie; 
l'allure générale du vent, des orages, la manière d’être du ciel, nous rappellent le mois d'octobre dernier; la 
fin de la saison des pluies se caractérise, semble-t-il, comme ses débuts. 


Jai suffisamment bien dormi et puis consacrer ma matinée au calcul, puis faire une promenade dans 
la station; c’est le moment de plein épanouissement des produits de culture; les plants de tabac et de tournesol, 
en particulier, sont monstrueux; je n'ai vu qu'une seule fois — au lac Toumba — des plants de tabac 
aussi vigoureux, avec d'aussi larges feuilles; depuis le lac Tanganika nous avons observé cette vigueur 
de croissance du tabac, partout où nous avons passé. 


J'ai dit que le capitaine Verdick projetait de déplacer le chef-lieu de la zone Ka-Tanga; à cet effet 
il a choisi, à quelques 40 kilomètres au sud de Lofoï, sur le ruisseau Lou-Kafou, un endroit où il a mis un 
poste noir chargé de fabriquer force briques et de débiter force planches; de plus des jardiniers noirs y 
entretiennent un jardin légumier; aujourd'hui, un de ces jardiniers apporte à Lofoï des tomates du jardin de 
Lou-Kafou; ce sont des tomates Président Garfield, d'une dimension incroyable : plus de 12 centimètres de 
diamètre; avec cela exquises de fraicheur, à l'encontre de ce qu'on nous sert couramment dans l'Europe 
du Nord. 

Pour ne pas déroger à la bonne mauvaise habitude que j'ai déjà signalée, la nouvelle station a reçu le nom 
de la rivière qui la traverse; elle s'appelle Lou-Kafou. 

Que dirait-on si, en Belgique, tous les villages, toutes les villes situées sur l’Escaut s’appelaient aussi 
Escaut? Ce qui serait grotesque ici ne l’est donc pas en Afrique ! Pourquoi? 

Vu aujourd’hui les ruches de la station de Lofoi : ce sont de simples paniers indigènes, en écorce, mis à 
la disposition des abeilles sauvages dans un coin du poste; parfois quelque imprudent dérange les laborieuses 
ouvrières; il faut voir alors avec quelle prestesse chacun s’enfuit et cherche à s’enfermer chez soi. 

A signaler encore, en ce moment de l’année où les eaux d'inondation commencent à se retirer, combien 
l’on prend de jeunes oiseaux aquatiques. Aussi la table est-elle heureusement variée de ce chef. 


A 1% h.3/,, vent soufflant de la zone N-E.—S-E., par rafales; tonnerre au plus profond de la voûte 
céleste; l’anémomètre accuse comme vitesse par seconde : 2,60 à 3",80. 
h 95 


Durée d’insolation : 8,35. Maxima diurne : 309,2. 
Soirée couverte; observation impossible. 


— 935 — 


Samedi, 25 mars 1899. 


Minima nocturne : 17°,3. Rose. 

La nuit a été suffisamment bonne. 

De 8 à 11 heures déterminé les trois composantes magnétiques par le magnétomètre Delporte et le théo- 
dolite d'Hurlimann. 

A 14 heures tornade sèche venant du sud. A 17 heures orage à l’est; à 18 heures tornade à l’est et pluie 
jusqu’à 18 h. 30 m. 

Durée d’insolation : 6°,50. Maxima diurne : 30°,3. 

A 21 heures pluie; nuit d'orage et de pluie; observation impossible. 


Dimanche, 26 mars 1899. 


à 9 


Minima nocturne : 17°,6. L’udomètre donne comme hauteur d’eau tombée hier et cette nuit : 3m, 31. 

Ma nuit a été bonne. Comme j'entre aujourd’hui en ma 37° année, je me souhaite d’en sortir sans trop 
de casse. 

Consacré la journée au caleul des longitudes des positions fixées entre le sud du Moéro et Lofoï. 

Reçu un courrier d'Europe arrivé via le Nyassa. 

Reçu aussi deux lettres officielles : l’une de M. Chargeois (Mpwéto), m'annonçant le départ de MM. Voss 
et Questiaux, avec la barque de la mission protestante de Loanza; l’autre de M. Questiaux, m’informant de 
l’arrivée de la barque au poste dit de Kilwa; le voyage de mes nouveaux adjoints a été retardé par suite de vio- 
lents accès de fièvre, dont tous deux ont pâti; au moment où notre prospecteur m’écrit, M. Cerckell fait réunir 
les porteurs nécessaires au trajet Ka-Béça—Lofoï. 

Ce dernier agent est tombé malade et a écrit à M'towa afin d’être autorisé à quitter son poste et à aller 
consulter un médecin au Tanganika; il serait, pense-t-1il, atteint à la fois d’hématurie et de dysenterie. 

Comme on voit, presque tous les Européens, en ce moment de l’année et en cette portion de l’Afrique, 
sont en plein déséquilibre sanitaire. Il y a de ce fait une conséquence capitale à faire ressortir : c’est combien 
il faut se garder d'attribuer ces maladies africaines à des prédispositions naturelles de chaque individu; en 
réalité, on se trouve en présence d’une cause générale de dépression qu'il est dangereux de combattre par des 
réactifs médicamenteux; la nature, qui a provoqué le déséquilibre, saura d'autant mieux le rétablir qu'on 
n'aura pas enrayé son action sous prétexte de l’aider par mille et une drogues, toutes plus nuisibles l’une que 
l’autre, la quinine en tête — sauf, pour celle-ci, les cas bien constatés de présence, dans le sang, de l'hémato- 
zoaire de Laveran. 


De 13 h. 30 m. à 14 heures, pluie; 6,36 d’eau tombée. 


Durée d’insolation : 5°,50. Maxima diurne : 27,7. La nébulosité à passé de 5 à 10 depuis 6 heures jusqu'à 
18 heures. 


Lundi, 27 mars 1899. 


Minima nocturne : 18°,4. Pluie de 6 h. 30 m. jusqu’à 10 h. 30 m., donnant 6"",62 au pluviomètre. 

Changé les feuilles des enregistreurs. 

Le diagramme thermographique de la semaine écoulée montre, vers le milieu de chaque journée, une 
chute brusque de température, provoquée par les dernières pluies de la saison; dans la nuit du 21 au 22, 
entre 22 et 24 heures, la température se relève de 1°,5; les autres nuits ce curieux phénomène de relèvement 
ne se marque pas, sauf, très légèrement, dans la nuit du samedi au dimanche. 

L’allure générale du diagramme indique une marche journalière assez régulière de la température. 


re 


Minima absolu de la semaine : 17°,3; maxima absolu : 30°,8; moyenne : 2%,5. 


06e 


Le diagramme barométrique est moins régulier que celui de la semaine précédente; à noter une chute et 
une remontée de 1 millimètre, se produisant en une vingtaine de minutes, le 21 mars vers 8 h. 30 m., moment 
du maximum de la semaine. L'écart entre la pression la plus élevée et la pression la plus basse de toute la 
semaine est de 6,3. 


Consacré la journée à terminer le calcul des longitudes entre le sud du Moéro et Lofor. 

Écrit ensuite à M. Chargeois pour lui rappeler sa promesse d’envoyer à 
Bruxelles deux ou trois peaux de zèbre. 

Écrit aussi au camarade Hecq, à qui j'ai le plaisir de pouvoir envoyer un 
estagnon de qwetch, un d’absinthe et un d’eucalyptine. Que vont dire les 
« teatohtlers » de tous les pays du monde s’ils lisent — ou si on leur fait lire — 
ces lignes? Fallait-il que nous nagions dans l'alcool pour pouvoir en expédier 
ainsi à un camarade dans la misère? 

Mon Dieu oui! Nous avions avec nous 120 litres d’alcools variés; nous en 
bümes la dernière goutte, en août 1900, au Stanley-Pool. Le statisticien antial- 
coolique qui voudra bien déterminer la dose journalière que représentaient nos 
120 litres d'alcool — étant donné que nous fümes sept blancs à les consommer 
en vingt-quatre mois — trouvera que, très approximativement, notre approvi- 
sionnement de liqueurs fortes devait fournir cinq mille (5,000) rations journa- 
lières, ce qui nous soumit au redoutable poison à raison de 2 ‘/, centilitres par 
jour. Dois-je dire que ce ne fut pas foudroyant et qu’en réalité nous ne buvions 
la goutte — la toute petite goutte, en de gentils gobelets en vermeil qu'une main 


amie avait Joints à notre cantine au moment du départ — que deux ou trois fois 
; FE jar semaine. 
Dans la station de Lofoï (1599). Ré pat À l ce 
Je profite de l’occasion pour dire qu'un verre d'alcool (notre ordinaire 
verre à liqueur) par jour est un réconfort agréable. Mais c’est tout ce qu'un homme qui veut rester sain 
d'esprit doit absorber régulièrement sous les tropiques. 


Pluie légère de 13 à 1% heures, donnant 1®®,02 d’eau tombée; de 15 h. 30 m. à 16 h. 45 m., pluie; orage 
dans l'Est; à 16 h. 30 m., roulements de tonnerre très éloignés; de 17 heures à 17 h. 45 m., pluie; l’udomètre 
recueille 10m,65 d’eau 

Durée d’insolation : 0,40. La nébulosité a été égale à 10 presque toute la journée. 

Maxima diurne : 249,9. 


Mardi, 28 mars 1899. 


Minima nocturne : 18°,9. 

J'ai eu une assez bonne nuit; aussi le travail peut-il marcher rondement; dans trois semaines nous aurons 
de quoi faire un nouvel envoi de documents à Bruxelles : collections de faune et d’ethnographie; 
photographies; tableaux et aquarelles; résultats des observations astronomiques, magnétiques et altimétriques; 
planchettes cartographiques, etc. 

Tout le monde est à la besogne. 

De 13 h. à 13 h. 20 m., pluie ne marquant pas à l’'udomètre. 

Durée d’insolation : 4,50. Maxima diurne : 27°,2. 

Les caractéristiques de position de Lofoi sont : latitude sud : 10°. 11°. 44"; longitude E. Gr. : 27°, 95! 94/1: 
altitude : 936 mètres; déclinaison magnétique : 15°. 15". 


— A 


Mercredi, 29 mars 1899. 


Minima nocturne : 170,9, 

La nuit a été assez bonne. 

Dressé le plan de l'abri thermométrique de Lofoï. 

A 13 h. 30 m., tornade sèche; averse de 14 heures à 14 h. 10 m.; la pluie reprend à 44 h. 30 m. jusqu'a 
14 h. 50 m.; l’udomètre donne 1"%,97 d’eau tombée. 

Durée d'insolation : 31,75. 

Maxima diurne : 27,8. 


Jeudi, 30 mars 1899. 


Minima nocturne : 17°,8. 

A 6 heures roulements de tonnerre à l’Est; quelques gouttes de pluie. 

Depuis quelques jours la gueuse de pluie nous arrose à nouveau copieusement. 

Recu un courrier de Mtowa, avec lettres d'Europe. Sur l'enveloppe d'un document officiel adressé au 
capitaine Verdick, le commandant Hecq a jeté deux lignes au crayon : Ka-Bambaré pris et brülé par les révoltés. 
Telle la première mauvaise nouvelle qui nous arrive aujourd'hui; Hecq annonce qu'un courrier suivra avec 
détails. 

Il est clair que notre ami a reçu lui-même la nouvelle au moment où il allait fermer le courrier vers 
le sud. S 

Le coup a dû être d'autant plus terrible que le passage d’un courrier avait pu s'effectuer entre Ka-Bambaré 
et M'towa, courrier ayant apporté des lettres d'Europe, parmi lesquelles, ô dérision, une lettre du trésorier de 
la Société des ingénieurs et industriels me réclamant d'urgence ma cotisation pour 1899. 

Comme ce courrier d'Europe ne m'apporte que quatre lettres et deux paquets de journaux, il est infini- 
ment probable que de nombreuses correspondances à notre adresse ont disparu. 

Une lettre de M. Chargeois me dit qu'au nord du Moéro, les missionnaires anglais ne se souviennent pas 
d’avoir vu une aussi mauvaise saison au point de vue sanitaire. 


8 


A 11h. 15 m., forte pluie jusqu'à 13 h. 20 m. ; ensuite, la pluie se continue légère ; à 15 heures, l’'udomètre 


accuse 357,90 d’eau tombée. 


A 17 heures entre dans la station un petit groupe d’indigènes, parmi lesquels les boys de Fromont et un 
soldat; ces gens ont fourni une longue traite; leurs visages sont consternés. Le soldat me tend une lettre. Elle 
est du capitaine Verdiek. 


Et voici ce que je lis avec horreur : 


« (Grottes de Ki-Amakélé, le 23 mars 1899. 
« Mon commandant, 


« Jai la douleur de vous faire part de la mort du regretté camarade le sous-lieutenant Fromont, tombé 
pendant les préparatifs d'attaque du boma de Mouloumou-Niama. Il s'était arrêté un instant sur un emplace- 
ment découvert et fut atteint d’une balle en plein cœur. La mort a été foudroyante. 

« Son boy Biliboa, qui se trouvait à ses côtés, pourra vous donner tous les détails. 


« Le corps à été transporté au village ami du chef Moukondami, à une journée de marche à l'est 
des grottes, pour y être enterré ; la tombe restera sous la garde du village. 
« Cette triste circonstance n'a pas, heureusement, démoralisé la troupe, et j'ai pu enlever la position 
le même jour, quoiqu’elle fût très forte et bien défendue. 
« Les soldats de votre escorte se sont bien conduits, particulièrement le caporal Bolodjo. Le Monghélima 
Ekamo a été blessé mortellement (perforation de la boîte cranienne). 
« Je dirige sur Lofoi la malle et les objets ayant appartenu au regretté officier, qui est décédé le 20 mars, 
à 10 heures du matin. 
« (Signé) : Le chef de zone, 
« E. VERDICK. » 


C’est une fatalité qui s’acharne sur la mission : de nouveau je perds un agent précieux, actif, bien élevé et 
d’un dévouement à toute épreuve. 

Et cette terrible perte n’est pas la rançon — qu'on accepterait moins difficilement peut-être — de 
nos travaux personnels. Ce n’est pas comme membre de la mission scientifique du Ka-Tanga que tombe 
Fromont; c’est dans une obscure et banale opération de police locale, à laquelle j'ai donné notre concours 
en me plaçant au point de vue de l'intérêt général! Que faire devant ces coups affreux! Pleurer quelques 
heures et maudire son impuissance ! Et souffrir pour soi-même et pour les parents de celui qui n’est plus et à 
qui il va falloir envoyer du deuil et du désespoir ! 

Il est parfois bien dur d’être le chef! 


Comme suite à la lettre du capitaine Verdick, j'interroge le boy Biliboa et le soldat qui à apporté la lettre 


fatale. 
Voici ce qu'ils me déclarent : 


« Le jour de l'attaque du boma de Mouloumou-Niama, vers 9 à 10 heures du matin, le capitaine 
Verdick disposa ses troupes à environ 150 mètres du boma. Il désigna à notre blanc {le sous-licutenant 
Fromont) la place qu'il devait aller occuper avec ses soldats. Notre maître s’y porta et plaça ses hommes. 
Comme lui-même restait à découvert, ceux-ci lui dirent que e’était imprudent, mais il refusa de s’abriter. 

« Le premier coup de canon ayant été tiré, les indigènes ripostèrent et nous vimes tomber le blanc 
qui put encore crier : « En avant! En avant!» Il avait été frappé ïei (et le boy plaçait sa main à hauteur 
du téton gauche) et mourut de suite. 

« Le combat continua; trois de nos soldats furent très blessés; on vit des indigènes tomber, puis, vers le 
soir, ils s'enfuirent et nous occupämes leur position. 

« M. Verdick a fait porter le corps du blane au village Makolé, où des soldats gardent sa tombe. » 


Mes adjoints — Michel, Dardenne, De H., — et M. Delvaux sont groupés autour de moi, durant que le boy 
parle; je leur traduis son récit si concis mais si complet, que seules nos larmes commentent. 

Quelle journée! Deuil et malheur de partout! 

Même on dirait que le ciel lui-même est plus sombre aujourd’hui qu'il ne l’a encore été; lorsqu'on relève 
— il faut, malgré tout, assurer le travail d'observation — la feuille de l’enregistreur solaire, on y lit que le 
soleil a lui pendant dix minutes au cours de cette journée funeste. 


Vendredi, 31 mars 1899. 


Triste nuit naturellement. Pourtant, il faut se reprendre : c’est la vie d'ici; alternances de catastrophes et 


de beaux moments. 


DSOREE 

Il va y avoir des courriers à expédier en Europe, à Boma, à Mtowa, au capitaine Verdick, etc... 
Agissons. 

Notons d’abord le maximum diurne d'hier : 24. 

Aujourd'hui, à 6 heures, le thermomètre minima donne 170,1; brouillard intense. 


Ma première lettre est pour le capitaine Verdick, à qui j'écris ceci : 

« Le triste courrier nous apportant la nouvelle que le sous-lieutenant Fromont à été tué à l'ennemi, est 
arrivé à Lofoi hier soir. 

« Mes adjoints et moi pleurons le compagnon que nous avions su apprécier et aimer sincèrement. 


La mission à perdu un agent précieux, actif, bien élevé, d’un dévouement à toute épreuve. 


2 
À 


Fromont m'avait rendu déjà, et était appelé à nous rendre beaucoup de services. 

« Cette nouvelle perte nous est sensible au delà de toute expression, et c’est le cœur navré que nous 
garderons le souvenir de l’ami et du travailleur qui n’est plus. 

« Nous comprenons aussi combien ce coup a dû vous émouvoir et faisons des vœux pour que la fin de vos 
opérations réponde à vos désirs. » 


Le courrier de retour vers M. Verdick étant parti, nous établissons le certificat de décès du regretté 
officier; ce certificat est signé par moi, par MM. Michel et Delvaux; nous y joignons en annexe copie de la 
lettre prérappelée du capitaine Verdiek. 

Jouvre ici une parenthèse pour rappeler quelles suites —"peu logiques — furent données à ce certificat 
de décès par l'autorité compétente 

D'après les prescriptions légales relatives à l’état-civil, tout certificat de décès doit être dressé sur les 
déclarations de deux témoins ayant constaté eux-mêmes le décès. 

Cette mesure, infiniment logique pour les décès qui se produisent dans les centres d'occupation euro- 
péenne, ne pouvait être d'aucune valeur réelle dans le cas présent, et le certificat dressé par trois Européens 
notables, d’après la lettre du capitaine Verdick et les dépositions du boy Biliboa et d’un soldat ayant tous trois 
assisté au drame, avait toute valeur autre que celle qui dépend de la forme. 

Or, ce certificat fut renvoyé de Boma au Ka-Tanga, comme étant sans valeur; à sa place, le capitaine 
Verdick dut dresser — au mois de décembre 1899, soit done neuf mois après l'événement — un autre certi- 
ficat de décès ornementé de la signature, en forme de croix mal tracée, de deux soldats qui se trouvaient à 
l'attaque des grottes de Ki-Amakélé. 

Et cette seconde pièce était bonne et légale. On se demande en vain quels éléments elle renfermait de 
plus que le certificat dressé par nous, qui avions tenu compte des circonstances très spéciales où nous nous 
trouvions, circonstances pour lesquelles ne peuvent être faites les prescriptions applicables, je le répète, à des 
points normalement occupés. 

Qu'aurait fait le service de létat-civil si le capitaine Verdick avait aussi été tué? Aurait-il considéré que 
« légalement » ces décès étaient inexistants? Si oui, on peut se demander si Émin Pacha doit être tenu pour 
mort, et aussi Livingstone, et tant d’autres pour lesquels la « forme » n’a pu être observée, et pour cause. Rien 
n’eüt empêché cependant de dresser pour ces illustres morts des bouts de papier qu'on eut qualifié de 
« certificats de décès » au même titre que celui qui a été substitué au nôtre dans le cas du sous-lieutenant 
Fromont. 

Si Je note ceci avec un luxe apparent d’insistance, ce n’est pas comme blâme quelconque à l'adresse de 
la toute-puissante administration; ce point de vue plutôt puéril m'inquiète infiniment peu; mais ce dont je 
me préoccupe, c'est des résultats trop douloureusement tangibles qu'a amenés l'interprétation donnée par la 
famille Fromont au fait que notre certificat de décès ne valait rien. Au lieu de croire au vice de forme, les 
parents de Fromont — et ils y furent incités par de regrettables suggestions d'étrangers à leur famille — 
crurent que leur fils avait été victime d’un assassinat. Même le père de Fromont — aujourd'hui, bien entendu, 
tout à fait désabusé — me donna le nom du blanc, assassin de son fils! 


« Si mon fils était mort en brave, comme vous l’aflirmez — me déclarait le malheureux en sanglotant — 
pourquoi le gouvernement aurait-il donné l’ordre à M. Verdick d'établir un certificat de décès, neuf mois après 
la mort de mon enfant? Ce grand retard est la preuve que le premier ecrtificat de décès ne disait pas la même 
chose que le second! » 

Les si respectables parents de notre regretté adjoint vécurent donc dans cette affreuse pensée que leur fils 
aimé avait été tué par l’un de nous. Et ils appuyaient leur épouvantable croyance sur la non-transmission 
jusqu'à eux de notre premier certificat de décès, qui n’avait pas la forme prescrite. 

Ce n’est qu'à mon retour que je pus — dans une scène pénible — rétablir la vérité dans l'esprit du 
père et de la mère de Fromont, à qui du moins J'ai rendu le calme et donné la grande consolation que leur fils 
est bien mort noblement, ajoutant un glorieux tumulus à la longue théorie des tombes qui jalonnent notre 
prise de possession de la terre congolaise, et qui sont comme le douloureux mais grandiose anneau de 
fiançailles liant le Congo à la Belgique et rendant inévitable leur union définitive. 

Ma parole de soldat a sufli a convaincre la famille Fromont. Mais, moi aussi, j'aurais pu ne pas revenir. 
Et alors ces courageux qui ont donné leur fils à l’œuvre, et qui aujourd’hui ne le regrettent plus, maudiraient 
pour toujours le Roi, le Congo et celui qui écrit ces lignes. 

Jai donc bien le droit, n'est-ce pas, de mettre en lumière les inutilités dangereuses de la minutie 
administrative, sans souci des mécontentements peu intéressants que cela pourrait provoquer? 


* 
X + 


Je reviens à notre pénible travail du 31 mars à Lofor. 

Un rapport au secrétaire d'État est achevé, ainsi qu'une dépêche chiffrée que j’envoie sous pli à M. Gibbs, 
à Blantyre, lequel la càblera à Bruxelles. Ces deux documents partent à 11 heures. 

Entretemps MM. Michel et Delvaux dressent : 1° l'inventaire des objets ayant un caractère de souvenir 
délaissés par Fromont; % l'inventaire des objets pouvant être mis en vente. 

Selon les prescriptions réglementaires — applicables celles-là — ces derniers objets sont mis en 
vente publique. 

Puis j'établis le rapport au gouverneur général, avec les annexes nécessaires; cette lettre annonce 
l'envoi des objets ayant un caractère de souvenir et devant être remis à la famille; ces objets seront contenus 
dans une malle et dans deux paquets. 

Enfin je ferme encore aujourd'hui une lettre adressée au directeur de la justice et une lettre au chef 
des zones Tanganika—Ka-Tanga (à Mtowa). 

Copie de tous ces documents sera prise demain par M. Michel, pour nos archives, puis le tout sera expédié 
vers le Tanganika. 


De 13 h. 15 m. à 15 h. 50 m., pluie légère. 

À 16 h. 30 m., arrive de l'Est une véritable tempète; la pluie passe en trombe sifflante; des branches de 8 à 
10 centimètres de diamètre sont brisées net; de gros arbres sont déracinés; un hangar est replié comme jeu de 
cartes ; la palissade du boma est éventrée en plusieurs points. 

Le paysage, au moment où la pluie va arriver sur nous, est fantastique! Comment le décrire? Tout 
le cirque de Lofoi est barré d’un voile de pluie comparable à la vapeur mêlée de fumée noire sortant 
d’une cheminée de locomotive; les deux avancées rocheuses du demi-cerele de hauteurs marquant l’inden- 
tation du Lofoï, font saillie hors de ce voile, et semblent les gigantesques pieds-droits d’un pont dont la travée 
est formée d’un arc-en-ciel double. 

Cela ne dure qu’un moment; la pluie arrive sur nous en curieuses nappes ondulées; c’est un torrent qui 
passe pendant quelques minutes seulement, et qui s'éloigne rapidement dans l’ouest. 

À 17 h. 40 m., l’udomètre donne 112",97 d’eau tombée. 

Durée d’insolation : 3°,75. 

Maxima diurne : 27°,1. 


Samedi, 1°" avril 14899. 


Minima nocturne : 179,2. Il à plu pendant la nuit; l’udomètre contient 58 centimètres cubes, soit une 
hauteur d’eau tombte de 7"%,3$8. À 6 heures il tombe encore quelques gouttes d’eau. 


M. De H. garde la chambre; il avait demandé, hier à midi, à pouvoir se coucher, fiévreux. 


On m'apporte aujourd'hui un jouet indigène inattendu — bien que signalé par de précédents voyageurs. 
Il s’agit d’une toupie dont on me remet trois spécimens, ayant tout à fait la forme de nos toupies européennes. 

Le corps est formé d'un fruit légèrement ovoïde, à écorce très dure et vide de son contenu (qui est une 
pulpe se pourrissant et dégageant une odeur infecte). 

Ce fruit, de son nom indigène, s'appelle missa gounia; il est donné par un arbre 
existant en assez grand nombre, appelé mitwiko. 

Je ferai chercher une branche et des fruits, qui seront dessinés par Dardenne; 
quand ïls apporteront branches et fruits à notre peintre, les indigènes leur donneront 
le nom de ÆAiloukou-Koutou Heureusement qu'en l'occurrence il n'importe guère de 


connaitre exactement ce nom. 

Il est plus intéressant de savoir que ledit fruit sert, non seulement à faire des toupies, 
mais encore des hochets et des grelots qu'on dispose en anneaux de chevilles et de poignets, ou 
en Colliers, pour les danses. 

Pour faire du missa gounia une toupie plus où moins réussie, on le munit d’un long pivot en bois qui 
— ainsi que le montre le dessin — s’encastre diamétralement dans l’écorce dure du fruit. 

Une cordelette est enroulée sur la partie extérieure de ce pivot; elle traverse une rondelle en maïs que le 
joueur tient de la main gauche, tandis que, de la main droite, il tire vivement la cordelette; la toupie tourne 
en sautillant, pendant un temps très court, vu sa faible masse. 

Ce que j'appelle rondelle en maïs est une rondelle découpée par le travers d’un épi de maïs décortiqué. 


Les trois toupies sont visibles au musée de Tervueren. 


A 14 h. 30 m., averse. Durée d’insolation : 4!,30. 


Maxima diurne : 27°,6. 


Dimanche, 2 avril 1899. 


Minima nocturne : 18°,7. 

Méchante nuit pour moi; je me lève la tête mauvaise et non reposée. 

Pendant que Michel achève la copie de toute la correspondance oflicielle, je consacre ma matinée, en partie 
à du courrier ofliciel, en partie à mon courrier personnel pour l'Europe, puis Je dois me coucher; le pouls 
bat la chamade. 

Durée d’insolation : 51,30. 

Maxima diurne : 28°,4. 


Lundi, 3 avril 1899. 


Minima nocturne : 19°. 
Ma nuit a été bonne. De son côté Michel est très pris dans les reins. 
16 


— 242 — 
Dans la malinée part le courrier vers M'towa et l’Europe; les colis de la succession Fromont 
l’accompagnent. 
Procédé à des lectures comparatives de l’hypsomètre de Regnault, modifié par Fuess, et du baromètre à 
mercure. 
Changé les feuilles des enregistreurs. À remarquer au diagramme du thermographe la chute brusque de 
température — de 26°,5 à 18° en quelques minutes — due à l'ouragan du vendredi 31 mars. 


Minima absolu de la semaine écoulée : 17,1; maxima absolu : 28°,4: moyenne : 210,5. 

Pour le barographe le diagramme signale, comme écart entre le maxima et le minima absolus : 5,60. 
À 15 heures, averse. Durée d’insolation : 8,50. 

Maxima diurne : 29°,7. 


Mardi, 4 avril 1899. 


Minima nocturne : 18°,6. Pluie de 5 h. 30 m. à 6 h. 5 m., donnant 3"",8 d’eau tombée. 

Ma nuit a été mauvaise; tête brülante. 

Un courrier apporte une lettre de M. Mac-Lacklaen — missionnaire anglais de Loanza — prévenant qu'il 
arrivera à Lofoi dans quatre où cinq jours, avec sa femme, en route vers Nana-Ka’n’doundou (près du lac 
Di-Lolo). 

Le noir qui n'apporte cette lettre nous fait connaitre que MM. Voss et Questiaux sont à trois journées d’iei. 
Je leur fais expédier poules et légumes. 

Vers 10 heures je dois me coucher pour le reste de la journée. 


À 11h. 25 m. et à 15 heures, quelques gouttes de pluie. 
A 15 heures roulements de tonnerre à l’est; pluie. 
Durée d’insolation : 2,85. 

Maxima diurne : 26°. 

De 20 h. 15 m. à 22 heures, forte pluie d'orage. 


Mercredi, 5 avril 14899. 


Minima nocturne : 18°,S. La pluie d'hier à mis à l’udomètre : 7,6. 

Ma nuit a été bonne; je me sens micux. 

Des noirs complaisants nous apportent aujourd'hui des branches de l'arbre à toupies; transmis à Dardenne 
pour raison « aquarellante ». 

Reçu un courrier d'Europe, arrivé par voie anglaise; se trouve aussi dans le courrier une lettre de 
M. Johnstone — lagent de la Compagnie des Lacs à Ki-Engué — m'annonçant qu'il passe au service de la 
3ritish South Africa Company. 

Comme M. Johnstone ne me donne, malheureusement, aucune espèce de détails quant à sa succession et 
à son successeur à Ki-Engué, je m’empresse d'écrire à M. Chargeois, en le priant de faire le possible pour 
se rendre à Ki-Engué afin d'y assurer notre service de charges et de courrier, selon les indications que je lui 
développe. 

J'écris aussi à tout hasard, à ce sujet, au nouveau chef de factorerie de Ki-Engué. Cela fait, je sens venir 
ma douce amie fièvre — elle devient bien un peu crampon — qui met mon pouls à 104 pulsations. 

MM. Delvaux et De H. achèvent aujourd’hui la confection d’une croix avec inscription pour mon 
brave et regretté Fromont; elle sera envoyée demain à M. Verdick; je prie Dardenne d’en prendre un croquis 
qui sera transmis à la famille. 


Durée d’insolation : 6,60. 
Maxima diurne : 27°,9. 


Jeudi, 6 avril 14899. 


Minima nocturne : 189,8. Il à plu pendant la nuit; le pluviomètre accuse 1,4 d’eau tombée. 

J’ai passé, une fois de plus, une très mauvaise nuit. 

Nous expédions vers Ki-Amakélé la croix Fromont. 

A midi arrive M. Questiaux, notre nouveau prospector. 

Assez étonné de le voir arriver seul, et en avant, alors qu’il doit se considérer comme étant à la disposi- 
tion de M. Voss (telles sont nos instructions), je lui en demande la raison; il me répond qu'ils ont 
voyagé pour ainsi dire séparément, travaillant à part et mangeant généralement de même. Je sens nettement 
que mes deux nouveaux agents s’entendent comme chien et chat. 

Et dire qu'on croit si aisément qu’en Afrique on est tous frères! 

Frères ennemis! oui! La vérité est que chacun voudrait se conduire en potentat au petit pied, ne faisant 
que ce qui lui plait; aussi le rôle du chef chargé de faire comprendre à un groupe d’Européens qu'ils ne 
peuvent se considérer que comme les doigts d’une main dont il cest, lui, le pouce sans lequel la main 
ne pourrait rien saisir —- où presque rien — est des plus délicats, et a souvent été plein de déboires. 

Ce n'est une satisfaction de reconnaitre ici que mon personnel comprit ce que j'étais en droit de 
demander de lui, et que mes agents ont été et sont restés mes amis, bien qu’il m’ait fallu être parfois sévère. 

A 1% heures arrive M. Kemper Voss, qui parait plutôt fatigué. Les nouveaux venus procèdent à leur 
installation; Dardenne et Questiaux occupent une même maison à deux places, ce qui en fera vite une paire 
d'amis. 


A 18 heures, quelques gouttes de pluie. 
Durée d’insolation : 7 heures. 
Maxima diurne : 50°. 


Vendredi, 7 avril 1899. 


Minima nocturne : 18°. Rosée. 

Meilleure nuit pour moi. 

A 9h. 30 m., arrivée de M. et M" Mac-Lacklaen, qui passeront la journée ici. M Mac-Lacklaen, depuis 
cinq semaines, souffre d’une affection ophtalmique, qui paraît être précisément la mème que celle dont Michel 
est aujourd’hui remis. 

Les deux jeunes missionnaires protestants se rendent d’abord à la mission de la Moéna, à deux jours 
au sud de Lofoï; cette mission est en ce moment inoccupée, à la suite de la rentrée en Europe de M. Camp- 
bwell, que nous avons rencontré à Chindé (embouchure du Zambèze). 

A la Moéna, M. Mac-Lacklaen recrutera des porteurs pour se rendre à Nana-Ka’n'doundou (Haut- 
Zambèze), qui est un poste occupé par les Portugais. 

Voici la curieuse et piquante raison de ce voyage : 

On sait que les missionnaires anglais, qui se rendent en pays neufs, ont l'habitude d’y arriver comme 
célibataires; lorsqu'ils ont fait un séjour assez long leur ayant permis de se créer une maison, un Jardin, 
et de s'être un peu fait à leur nouvelle existence, leur société leur envoie une missionnaire qu'ils épousent 
à son arrivée, en se conformant aux lois du pays. 

Or, à la mission protestante de Loanza, se trouvait ainsi un de ces missionnaires célibataires, pour 
lequel le moment était venu de convoler. On écrivit en Europe, et la fiancée demandée prit le chemin du 
Centre-Afrique. Seulement, au lieu de la diriger vers le lac Moéro par la voie du Zambèze, on avait — par erreur 
vraisemblablement — donné comme itinéraire à la jeune femme la route Saint-Paul de Loanda, Bihé, Haut- 
Zambèze. Elle était ainsi arrivée à Nana-Ka’n'doundou, poste portugais le plus avancé vers l’est. De là 
jusqu'au Ka-Tanga, le pays n’était pas occupé par des Européens; impossible à notre intéressante voyageuse de 


re 


continuer sa route. Seul un courrier indigène faisait de temps en temps, et diflicilement, la route Nana- 
Kan’doundou-Lofoi; le trajet pour lui était d’un mois. 

Ce courrier apporta aux missionnaires du Moéro la lettre annonçant comment l’épouse attendue demeurait 
en détresse; sans hésiter, M. G., le missionnaire en cause, se mit en route et gagna Nana-Ka’n'doundou. 

Mais là, impossible de contracter mariage, aucun acte de létat-civil ne se pratiquant au petit poste 
perdu que les Portugais y entretenaient. Force était à nos gens de revenir dans l'État indépendant du 
Congo, pour y trouver moyen de s’unir légalement. 

Mais comment, n'étant encore que fiancés, accomplir ce long voyage sans prêter le 


flanc à la médisance? 

C’est pourquoi de nouveau le courrier noir revint de Nana-Ka’n’doundou au Moéro, 
apportant une lettre qui demandait « du secours ». Ce secours sera donné par M. et M"e Mac- 
Laklaen qui, étant légitimement unis, peuvent se payer le luxe de s’égarer dans la brousse 
africaine; ils vont aller chercher M. G. et sa future épouse pour les convoyer — quelle drôle 
de surveillance 


jusqu'au Ka-Tanga, où se fera l'union si extraordinairement retardée 
d’un couple que nous verrons plus tard très heureux et très sympathique. 

M. Mac-Laklaen nous dit que l’état sanitaire à la mission de 
Loanza a été très mauvais en ces derniers temps; un des mission- 
paires, M. Pommeroy, a du rentrer en Europe. 

Après avoir pris un groupe photographique de tous les Euro- 
péens présents à Lofoï, chacun vaque à ses travaux. 

Pour mon compte, j'ai à écrire toute une strie de lettres au 
nouveau chef de la factorerie de Ki-Engué; à M. Johnstone, à 
Rhodésia; à M. Chargeois, à M'pwéto, pour assurer notre service 


Chasseur noir de_Lofoi-Station (1599). de courrier que le changement de direction à Ki-Engué pourrait 


Phacochère. peut-être compromettre. 
J'adresse également un billet de faire part de la mort de 
Fromont à MM. le capitaine Weatherley, le missionnaire Crawford et à Boyd, à Soumbou (sud du 
Tanganika). 


A 11 heures, je dois me coucher grelottant : 193 pulsations. Après une forte suée Je puis me lever et 
avoir, avec notre nouveau géologue, un long entretien très nécessaire pour fixer ses idées quant au rôle exact 
qu'il est appelé à Jouer auprès de moi; je lui traduis, à cet effet, les instructions gouvernementales dont je 
suis porteur et qui sont, pour lui, chose absolument neuve. 


À 17 heures orage vers le nord-est; à 17 h. 40 m., tornade sèche suivie d’une averse; au moment où 
l'observateur relevant les indications des appareils météorologiques fait la lecture des thermomètres, ceux-ci 
tombent brusquement — en quelques secondes — de 269,9 à 23°; le thermographe, pendant le même temps, 
ne tombe que d’un degré et continue ensuite à descendre plus lentement jusqu’à 22. 

Durée d'insolation : 9 heures. 

Maxima diurne : 50°,8. 


Samedi, 8 avril 1899. 


Minima nocturne : 17°,8. L’udomètre accuse Om 7, 
Assez bonne nuit pour moi. Dardenne pris de fièvre. 
M. et Me Mac-Laklaen partent après le déjeüner. 


D) —— 


— 94 


Travaillé toute la Journée à la mise au net du carnet des observations astronomiques et magnétiques, pour 
envoi en Europe. 


A midi roulements de tonnerre dans le lointain; à 13 et à 44 heures, ondées: l’udomètre recueille 17,4 
d'eau. 

Durée d’insolation : 6",95. Maxima diurne : 299,8. 

A 17 heures j'ai été pris d’un fort accès de fièvre froide. 


Dimanche, 9 avril 1899. 


Minima nocturne : 18,1 Brouillard intense à 6 heures. 

Ma nuit a été détestable; impossible de me lever; vomissements de bile dans la journée, 

Arrivée d'un courrier de Mtowa : la feuille de service renseigne un pli service, quatre leltres simples, 
cinq colis postaux. 

Il y a eu grabuge au bureau expéditeur, car le pli service et une des lettres sont à l'adresse de Ja mission 
Mobun, au sud du Tanganika; deux lettres sont à l'adresse de feu Caisley; la quatrième 
émanait de mon adjoint Michel et portait l’adresse de son frère, le commissaire royal en 
inspection dans le haut Congo; l'expéditeur avait eu soin de mettre ses noms et qualités 
dans un coin de l’enveloppe; néanmoins, e’est à lui-même que parvient la missive. Quant 
aux colis postaux, nulle trace. 

Si je note ce fait, c’est parce qu'il est bon qu'on sache à quels hurluberlus peuvent 
parfois être confiés des intérêts importants; à moins d'exiger du commissaire de district 
qu'il fasse lui-même toute la besogne qui incombe à ses subordonnés, il est clair que de 
tels mécomnptes se reproduiront tant qu'on devra envoyer en Afrique des gens non préparés, 
dont l'éducation doit être faite sur place par des chefs dont un vaste commandement 
requiert, d'autre part, toute l'attention : une fois de plus se montre la nécessité d’une 
école coloniale. 


+ 
x 
Vers le soir je me sens mieux. 
Durée d’insolation : 61,85. Maxima diurne : 2%, 
Le pêcheur de 
Lundi, 10 avril 1899. Lofoï-Station (1899) 
apportant 
Minima nocturne : 17°,6. Rosée. un panier de poissons. 


Je puis me lever et faire le courrier : lettres à Mtowa et à Boma. 

Écrit aussi à M. Mackenzie, chef de la factorerie de Ki-Touta {sud du Tanganika), en lui renvoyant une 
série de comptes de l’African Lakes Corporation, après vérification. 

Changé les feuilles des enregistreurs. 

L’allure journalière du diagramme thermographique est régulière. 

Minima et maxima absolus de la semaine : 17°,6 et 30°,8; moyenne : 29,75. 


La courbe barographique donne, comme écart de ses ordonnées extrêmes : 6 millimètres. 


Je puis travailler jusqu'à 17 heures, puis dois me coucher, pris de fièvre. 
Durée d’insolation : 51,75. Maxima diurne : 279,2. 


Mardi, 41 avril 1899. 


Minima nocturne : 16°,9. Forte rosée. 

Ma nuit a été détestable. Impossible de me lever. Vomissements de bile. 

M. Delvaux part aujourd'hui pour Lou-Kafou, afin de jeter un coup d’œil sur l’avancement des travaux de 
ce futur nouveau chef-lieu de la zone. 

Vers 13 heures le ciel se couvre; coups de tonnerre. 

Vers 16 h. 30 m., coup de tonnerre dans le lointain. 

Durée d'insolation : 7 heures. Maxima diurne : 24°,2. 


Mercredi, 12 avril 1899. 


Minima nocturne : 17°. 

3ien que toujours sous le coup de la fièvre, je puis me lever et travailler toute la journée; commencé 
les planchettes cartographiques (assemblage de Delporte) de litinéraire M'pwéto-Lofot. 

Vers 14 heures coups de tonnerre dans le lointain. 

Durée d’insolation : 7 heures. Maxima diurne : 29°,3. 


Jeudi, 13 avril 1899. 


Minima nocturne : 170,6. Rose. 
Ma nuit a été mauvaise; je commence à y ètre fait. M. Voss, également pris de fièvre, 
doit rester couché. 
Continuation du travail des planchettes dont M. Questiaux prendra des calques pour 
Bruxelles, Boma, Mtowa, Mpwélo et Lofoi. 
, ? l 
Durée d’insolation : 6,15. Maxima diurne : 29°. 


Péliean à la station 
de Lofoi. 


Vendredi, 14 avril 1899. 


Minima nocturne : 17°,9. 

Je me sens mieux ce matin, bien que ma nuit ait été désagréablement agrémentée d’une invasion de 
fourmis minuscules pénétrant dans les moindres replis de ma couchette. 

M. Voss doit rester couché jusque midi. 

Michel prend la fièvre à son tour. 

Écrit trois lettres oflicielles, à Mtowa, Mpwéto et Mo-Linga; puis terminé deux planchettes carto- 


graphiques. 


Reçu une lettre de M. le capitaine Verdick; il m'apprend qu'il ne peut encore quitter les grottes de 
Mouloumou-Niama : 


« J'ai reçu vos touchantes lettres hier 


« De toute façon, je ne quitterai pas sans une solution satisfaisante; ce chef spécule sur nos sentiments; 
dès mon départ il recommencerait de plus belle, et d’après ce que j'apprends tous les jours, il mérite la mort 
pour au moins cinquante assassinats commis depuis deux ans. » 


« Il me reste à vous remercier des mots d'encouragement que vous m’envoyez; soyez certain que je ferai 
mon possible pour revenir avec le suecès final comme vous le désirez. » 


— 917 — 


Favais écrit à M. Verdick de s’efforcer de ne quitter Ki-Amakélé que lorsque l’action qu'il avait entreprise 
aurait été poussée à fond. Lorsqu'une telle entreprise de répression a été décidée, il faut la mener rapidement 
et l’achever en tous ses détails : c’est le moyen le plus humanitaire, et le moins coûteux pour tous, de 
procéder. 

Il résulte des extraits ci-dessus que labsence du capi- 
taine Verdick va se prolonger au delà du terme de un mois 
sur lequel j'avais compté; ce qui pourrait bien m'obliger à 
modifier l'itinéraire de ma reconnaissance. Nous verrons 
prochainement. 


Vers 14 heures coups de tonnerre lointains. 
Durée dinsolation : 6°,40. 
Maxima diurne : 30°,3 


Samedi, 15 avril 1899. 


Maxima nocturne : 18°. 

Dormi lourdement; quel terrible inconvénient pour une 
slation — au point de vue sanilaire — que l’incessante pré- 
sence des moustiques quand ils atteignent les proportions 
des bandes armées de Lofoï; bandes armées de leur redou- 
table trompe et de leur abominable bourdonnement; musique 
guerrière infiniment plus désagréable que tous les tams-tams 
de combat. Il faut s'étouffer dans d’étroites moustiquaires 
qui vous privent d'air. Jamais une nuit — dans ces condi- 
tions — ne peut être reposante. 


Nous commençons aujourd'hui la deuxième année de 
ROUE MOVE L'ànesse de Lofoi-Station et son ànon, 
Etabli une nouvelle planchette cartographique, ce qui 4 heures après la délivrance. 
complète ce travail pour la section M’pwéto-Lofoï. ; 

Continué ensuite la mise au net du registre des observations astronomiques et magnétiques, pour envoi 
à Bruxelles. 


A 10 h. 50 m., retour de M. Delvaux, qui rapporte de Lou-Kafou d’abondantes provisions de superbes 
légumes frais. 

M. Voss, qui s'était levé ce matin, doit regagner son lit. 

M. Delvaux se met à table avec nous à midi, mais pendant le repas il sent venir la fièvre et doit se retirer; 
il attribue ce malaise à la marche faite ce matin au soleil, la route étant en partie sous eau. : 

Nouvelle preuve que personne n'échappe à l'influence mauvaise — plus ou moins marquée — de ce 
climat ou, plus exactement, de ce site trop humide. 

De son côté Michel va mieux. 


À 15 h. 50 m., quelques gouttes de pluie. 
Durée d’insolation : 8,15. 
Maxima diurne : 309,3. 


Dimanche, 16 avril 1899. 


Minima nocturne : 18°,1. Rosée. 

Ma nuit ayant été excellente je me lève très dispos. Chose à remarquer, aujourd’hui tout le monde est en 
bonne santé. J'en conclus qu'une même cause générale agit sur nous tous pour nous bien ou mal prédisposer. 

Fait un bout de promenade autour du poste avee M. Delvaux qui me fournit quelques renseignements 
intéressants. 

Lors de l'attaque du chef arabe Chiwala sur le Lou-Apoula — affaire où fut tué Brasseur — le chef 
esclavagiste avait fait le vide jusqu'à sept jours autour de son repaire. Aussi les porteurs manquaient-ils 
tellement de vivres qu'ils repêchaient les cadavres jetés à l’eau par Chiwala et les dévoraient. Les blanes ne 
virent pas la chose de leurs yeux, mais elle leur fut rapportée par le sergent noir Môsès et par un des chefs 
auxiliaires. 

Je donne le renseignement pour ee qu'il vaut; c’est la seule fois, au cours de notre séjour au Ka-Tanga, 
qu'il nous fut donné d'entendre parler d’anthropophagie. 

M. Delvaux me raconte encore qu'avant-hier, à Lou-Kalfou, il à trouvé tous les pigeons morts sous les 
attaques d’une colonne de fourmis rouges. 

Pendant son séjour à Lou-Kafou, mon interlocuteur à recueilli 650 kilogrammes de pommes de terre 
d'Europe, pour environ une quinzaine de kilogrammes mis en lerre : c’est un rendement de 43 pour 1. 

À peu près le même rendement à été obtenu à Lofoi également; malheureusement, ces ponnmes de terre 
— du moins celles que nous mangeons à Lofoi — quoique belles, sont aqueuses. 

M. Verdick me dira plus tard que c’est parce qu'elles ont été récollées trop Lôt. 

Les champs de blé de Lou-Kafou sont — dit toujours M. Delvaux — de toute beauté. 

Au cours de notre promenade, je constate que les noirs du poste cultivent l’hibiscus esculentis. 

Consacré l'après-midi à préparer une nouvelle observation de la lune pour les passages du 16 au 23 avril. 

A midi roulements de lonnerre au sud. 

A 16 h. 30 m., le cercle méridien a été mis en station; bien que le ciel se soit nuagé; j'arrive à prendre le 
passage aux premiers fils, grâce à une éelaircie; mais, au sixième fil, dame Phœbé rentre dans les nuages; une 
pluie fine commence à tomber, nous obligeant à cesser le travail. 

Durée d’insolation : 107.60. 

Maxima diurne : 29,6. 


Lundi, 17 avril 1899. 


Minima nocturne : 17°,7. Vers 6 heures les thermomètres de l’actinomètre d’Arago (actinomètre à boules 
conjugutes) donnent des indications inférieures de 1°,5 à celles des thermomètres ordinaires de l'abri; on sait 
que les actinomètres sont placés en plein air; ce qui peut donner à penser que cette indication de température 
plus basse serait due à ce qu'un dépôt de rosée se forme la nuit sur l’actinomètre, dépôt qui, en s’évaporant 
aux premiers rayons de soleil, produit un refroidissement momentané de l'instrument. 

Ma nuit à été un peu lourde; néanmoins je me sens très dispos au travail, et je m'y mets pour toute la 
journée. 

Changé les feuilles des enregistreurs. 

L’allure journalière du diagramme des températures est tout à fait régulière; les chutes brusques que 
provoquaient la pluie disparaissent du tracé. 

Le minima et le maxima absolus de la semaine écoulée sont 17° et 30°,3; moyenne : 230. 

Au barographe l'écart des deux ordonnées extrêmes n’est que de 4m, 16. 

A 16 heures quelques gouttes de pluie ; orage à l’est. 


y) 


Depuis quatre ou cinq jours, vers 16 heures à 16 h. 50 m., le tonnerre se fait entendre vers l’est, au delà 
des Kow’n'déloungou, dirait-on ; en même temps le voile de pluie gris, si caractéristique du pays, se déroule en 
avançant de l’est sur nous, jusqu’à ce qu’il ait noyé tout le massif montagneux; en arrivant au bord de la falaise 
il cesse sa marche vers l’ouest pour suivre le bord des Kou’n’déloungou et s'éloigner vers le nord—nord-est, 
Quelques rares gouttes de pluie arrivent seules jusqu’à la station. 

Chaque jour ce phénomène s'accompagne de la production d’un superbe arc-en-ciel double. 

Le cercle méridien est mis en station, et de nouveau l'observation est impossible, la lune s'amusant 


à rester enfouie dans les nuages. 
Durée d’insolation : 61,75. 
Maxima diurne : 280,7. 


Mardi, 18 avril 1899. 


Minima nocturne : 179,6. 

Nuit convenable. 

Dardenne et Delvaux descendront 
aujourd’hui le Lofoï en pirogue jusqu'à 
son confluent avec la Lou-Fira, qui est 
à une demi-heure de nage seulement 
du poste. 

Michel, Questiaux et moi, sommes 
en plein courrier ofliciel, pour toute la 
journée. 

Des indigènes apportent un ron- 
geur tout semblable au n’zibizi (Eula- 
coclès swinderianus). 

Vers 13 heures pluie légère; les 
précipitations atmosphériques sont ici Maison de l'interprète à Lofoi-Station (1599). 
vraiment remarquables; aujourd'hui 
encore, à 16 heures, on voit des bandes de pluie oblique tombant au loin, vers le sud-est, sur les Kou’n'dé- 
loungou; un arc-en-ciel essaie en même temps de se dessiner à l’avant-plan; vers l’est s’'apercoivent également 
des trainées de pluie, en forme de larges pinceaux flottants et ondulants; sur la station même il est tombé à 
trois reprises, dans la journée, de rares gouttes de pluie. 

Je note dès maintenant que, l’an prochain, nous observerons des phénomènes analogues à l’ouest du 
Tanganika, sur le plateau du Ma-Roungou, à la même époque de l’année. 


Durée d’insolation : 6,75. 

Maxima diurne : 282,8. 

Soirée détestable : ciel lourd d’épais nuages: éclairs et tonnerre assourdi au sud, à l’est et au nord 
simultanément. Observation impossible. 


Mercredi, 19 avril 1899. 


Minima nocturne : 18°. 

Un peu de rosée. 

Passé une nuit convenable. 

Toute la mission est en plein travail pour un important envoi de documents à Bruxelles; Michel à mis en 
peau de nombreux oiseaux et pris force photographies; M. Voss établit cartes et rapports géologiques: 
Dardenne colorie, colorie, colorie; de son excursion d'hier il m'a rapporté ce renseignement intéressant que 


— 950 — 


les pècheurs de la Lou-Fira avaient quelques embarcations faites simplement de larges plaques d’écorce, à la 
facon des kayaks que les Esquimaux font à l’aide de peaux. 

M. Questiaux tantôt aide Michel dans son travail taxidermique, tantôt est occupé à reproduire en plusieurs 
‘exemplaires mes documents cartographiques; M. De H. recopie les divers registres d'observation; quant 
à moi, je n'ai pas une minute de trop pour l'établissement des planchettes cartographiques, des registres 
d'observation, des calculs préparatoires aux nouvelles observations, de la correspondance officielle incessante. 

Avec cela, il me faut diriger et surveiller tout mon monde, dont l'éducation se fait très bien et qui arrivera 
à pouvoir être plus abandonné à lui-même; pour le moment, M. l'ingénieur Voss me prend beaucoup de temps 
pour les explications variées à lui fournir sur nos procédés de cartographie, surtout qu'il ne comprend 
pas un mot de français. 

Sont achevées aujourdhui les lettres transmettant copie des feuilles 57, 58 et 49 du tableau d'assemblage 
de la carte générale de l'État indépendant du Congo, ainsi que les feuilles donnant les résultats des observations 
des positions entre Moliro et Mpwéto : 1° au gouverneur général; 2 au chef des zones Tanganika—Ka-Tanga 
{à M'towa); 3° au chef de poste de Mpwéto; 4° au chef du poste dit de Kilwa ; 5° au capitaine Verdick. 


Dessins indigènes sur les murs de la maison de l'interprète, à Lofoi. 


Celte énumération donne une idée du souci qu'avait la mission scientifique du Ka-Tanga de fournir 
de suite aux intéressés tous les renseignements recueillis par elle; je ne la considère done pas comme inutile. 


Un noir m'apporte une lettre de M. Mac-Laklaen : sa jeune femme est tombée malade à la Moéna; elle 
aurait envie d’un verre de euraçao dont elle a goûté à Lofoï; M. Mac-Laklaen me demande si je puis lui 
en céder une bouteille contre paiement. 

Je m'empresse de lui envoyer la seule bouteille que nous possédons encore, en y joignant une 
demi-bouteille de champagne; il est bien entendu qu'il ne peut être question de paiement. 


A 13 heures, roulements de tonnerre à l’est; c’est donc la continuation du phénomène noté ces jours 
derniers. 

A 14h. 15 m., pluie violente et lourde pendant une heure; ma toiture, pourtant réparée par le capitaine 
Verdick en vue de notre arrivée, ne résiste pas; il pleut dans mon bureau, dans ma chambre à coucher, 
sous la vérandah; je protège les instruments et les paperasses de mon bureau sous ma couverture et sous mon 
paletot imperméables. 


95 — 


La température tombe de 8° en quelques minutes; l’udomètre à recueilli 272 centimètres cubes de 
pluie, correspondant à une hauteur d’eau tombée de 347,6. 
De 15 h. 30 m. à 16 h. 40 m., il tombe encore un peu de pluie donnant 1 millimètre au pluviomètre. 
- Durée d'insolation : 3!,10. 
Maxima diurne : 299,3. 
Observation astronomique impossible : ciel chargé de mammato-cumulus. 


Jeudi, 20 avril 1899. 


Minima nocturne : 189,1. 

Nuit convenable. 

M. De H., pris de fièvre, garde la chambre. 

Continuation du travail à grand orchestre. 

En particulier écrit à M. Cerckell, au sud du Motro, pour lui demander si, selon les instructions de ma 
lettre en date du 21 janvier dernier, il à : 1° élevé, au point fixé astronomiquement par nous dans son poste, 
un pilier en maçonnerie ou en blocs de roche; ®% repris les essais que J'avais commencés sur les feuilles de 
l'arbre Mwemwé-Dousséwo; 3° utilisé ou essayé d'utiliser pour ses constructions et son mobilier le tronc des 
ambachs du Moéro. 

M. Questiaux, en sa qualité de 


prospector, à examiné à Mpwéto les 
outils apportés par son prédécesseur, 
feu M. Caisley, afin de prendre ceux 
qu'il croyait pourvoir utiliser. Par une 
négligence impardonnable — impar- 
donnable parce qu’elle me donne un 
supplément de besogne, tandis que le 
négligent ne pâtit pas de sa négligence 
— M. Questiaux est arrivé sans le mor- 
üer et le pilon nécessaires au broyage 
des roches à soumettre aux essais par 
lavages. Il croit bien lavoir emporté 
de Mpwéto, mais c’est tout ce qu'il en 
sait. Force m'est donc d'écrire à ce 
sujet trois lettres : une à M'pwéto, une 
à la mission de Loanza (qui a loué sa 
barque pour le transport), une à 
M. Cerckell. 

Cet exemple confirme très nette- 
ment ce que j'ai eu l’occasion de dire 


voici déjà longtemps, et que je répète Pigeonnier indigène garni par un plant de ealebasse. 
pour l'édification des intéressés : « On En avant le récipient où l’on place de l’eau pour les pigeons. 


serait moins souvent négligent, on 
commettrait moins souvent des erreurs, si on devait supporter soi-même les conséquences de sa négligence, si 
on devait soi-même réparer ses erreurs. » 

Dans le cas que je note ici, notre prospector est, par sa faute, arrivé sans un matériel qui lui est indispen- 
sable; pour le lui procurer, je dois écrire trois lettres qui provoqueront trois réponses. La conclusion est 
nette : « Toute négligence qu'un autre doit réparer n’est qu'une malhonnèteté dun genre spécial, habituelle- 
ment non perçue par le plus grand nombre. » 

Il va de soi que ce que je dis ici à propos de M. Questiaux est loin d’avoir le cachet personnel que cela n'a 
qu'en apparence; j'ai eu à parler ainsi à tous mes agents indistinctement, quand l'occasion sen présenta. 


Pourtant, mes agents étaient de très bonne qualité et je m'en souhaite toujours de pareils ; mes constatations 
de fait prouvent surtout combien l'éducation générale laisse à désirer, faute d’une école coloniale. 


De 15 h. 45 m. à 16 h. 15 m., il pleut. 

Durée d’insolation : 5!,40. 

Maxima diurne : 26°,8. 

Une fois de plus le ciel est nuageux quand, à tout hasard, je mets le cercle méridien en station; lorsque la 
lune se présente dans le champ elle est derrière un rideau de nuages qui la font invisible si on éclaire les fils 
du réticule; tout le ciel est cotonneux. Un quart d'heure après son passage au méridien, la gueuse se découvre 
superbe et brille du plus pur éclat; c’est enrageant. 


Vendredi, 21 avril 1899. 


Minima nocturne : 18°. 

Nuit excellente; aussi suis-je à la besogne de grand malin; la journée de travail, commencée à 6 h. 30 m., 
ne se terminera qu'à 21 h. 30 m , après une bonne observalion d'heure et de culmination lunaire. 

A 17 h. 30 m., quelques gouttes de pluie. 

Durée dinsolation : 91,40. 

Maxima diurne : 29°,2. 


Samedi, 22 avril 1899. 


Minima nocturne : 17°,5. Rose. 

Assez bonne nuit pour moi, mais levé la tête un peu lourde du long travail d'hier. 

M. De H. fiévreux en chambre. 

Reçu un courrier : lettres d'Afrique et d'Europe. Un de mes bons amis m’annonce son prochain mariage. 
Cette nouvelle — chose bizarre — me donne le spleen; j’en deviens mélancolique comme si l'événement, qui 
n'est annoncé en termes joyeux, sonnait pour moi une heure non encore entrevue, l’heure où l’on pourrait 
bien se sentir vieillir, et arriver à la pente, qui du célibat insoucieux, mène à la vie peu enviable du vieux 
garçon. : 

Eh là! au diable ces idées nouvelles! Et répondons vite à ami pour lui souhaiter mille bonheurs et 
mille... non! beaucoup... de gosses. 


À 16 h. 20 m., roulements de tonnerre à l’est; arc-en-ciel de direction est sud-est. 
A 16 h. 40 m., averse donnant 1%%,15 au pluviomètre. 

Durée d’insolation : 81,95. 

Maxima diurne : 262,8. 

Pris une bonne observation de longitude absolue. 


Dimanche, 23 avril 1899. 


Minima nocturne : 17°4. Très légère rosée. 
Ma nuit a été spleenétique : à minuit les hyènes aboyeuses semblaient 
tumée qui me tenait éveillé. 


répondre à l’obsession inaccou- 


253 — 


Brusquement le piège a feu a éclaté, mettant dans le poste endormi l’émoi de sa détonation : les annon- 
ceuses de mort venaient de justifier pour elles-mêmes leurs présages de mort! 

C’est aujourd’hui dimanche; repos partout chez les noirs du poste. La station va demeurer toute la 
journée engourdie dans la torpeur dominicale, qui n’est pas pour dissiper ce méchant accès de spleen qui me 
fait songer qu'il nous faut encore passer tout une longue année dans ce pays troublé, où les lendemains sont 
si peu sûrs! 

Je voudrais me retrouver au milieu de ceux qui n'aiment, afin qu'ils réchauffent un peu mon âme qui 
se glace. 

Ah mais! non hein! Assez d'idées noires! Il y a de la besogne pour nous amuser durant que tout somnole 
autour de nous. 

Le calcul des observations d'hier et d’avant-hier me tient jusqu’à midi. 

Je me sens alors fatigué; le pouls se précipite à 120 pulsations; couchons-nous et faisons-nous transpirer 


à outrance, d'autant qu'il fait un méchant froid humide. 


A 15 h. 30 m., orage au nord-est. De 16 heures à{7 heures pluie donnant 2"",8 à l’udomètre. 
Durée d’insolation : 2,30. 

Maxima diurne : 279,3. 

Le soir venu je me sens mieux et puis faire honneur au souper. 

Soirée froide et humide comme laprès-diner; ciel couvert de nuages; observation impossible. 


Lundi, 24 avril 1899. 


Minima nocturne : 18°. 

Vers 3 heures il a plu un moment; le pluviomètre aceuse un demi-millimètre d’eau tombée. 

Ma nuit à été assez bonne. 

M. Questiaux doit resté cloîtré avec dame fièvre. 

Vers 7 h. 30 m., quelques gouttes de pluie. 

Changé les feuilles des enregistreurs. 

Minima et maxima thermométriques absolus : 17°,4 et 29,5 ; moyenne : 22°,6. 

Le barographe révèle, aujourd’hui même à 10 heures, le maximum le plus élevé que nous ayons eu à 
constater jusqu'ici à Lofoi; ce maximum dépasse de 1 millimètre le maximum inférieur observé depuis le 
21 février. 

Je note encore que les jours de forte hygrométricité se marquent par des « touches » de fièvre; c’est le cas 


du dimanche %3 et d'aujourd'hui lundi 24. 


Sur mes instructions, MM. Michel et Delvaux déterminent la production du mioumbou, ce tubercule 
genre pommes de terre dont j'ai parlé à diverses reprises au cours de ce récit. Alors que les autres stations ne 
cultivaient pas cet excellent légume, j'en trouve ici un grand et beau champ, et, de temps à autre, le cuisinier 
du poste nous en prépare une vaste platée au curry, fort appréciée de chacun de nous. 

Cinq plants pris au hasard dans le champ de Lofoi fournissent 12 kilogrammes de tubercules; Michel 
prend un estagnon de tubercules pour nos collections et Dardenne dessine un plant. (Voir la planche en couleurs.) 


Arrivée d'un courrier porteur de neuf colis postaux : cinq pour moi, quatre pour feu le sous-heutenant 


Fromont. 


— 954 — 

Malgré les recommandations que j'avais faites, en quittant l'Europe, de ne jamais mettre dans nos colis 
postaux soit des liquides, soit des boîtes de conserves, nos amis ont voulu trop bien faire; ainsi ont-ils mis 
en le même colis des sardines, des anchois et du chocolat; les colis ayant été fort malmenés dans le trajet 
Bruxelles-Lofoï, il s’est fait que les boîtes de sardines et d’anchois ont crevé, au grand dam du chocolat. Le 
« désastre » est complet, irréparable. Ça ne nous émeut pas trop! 

Quant aux colis postaux à l'adresse de Fromont, ils ont été beaucoup plus maltraités; l’un d'eux ne 
renferme plus que des débris de vêtements ; ils sont pourris par l’eau qui à pénétré les colis, au point d’en 
paraitre brûlés. 

Conformément aux instructions sur la matière, ces quatre colis sont mis en vente publique, après qu'un 
inventaire détaillé en a été dressé devant témoins, pour envoi à Boma. 


À 12 h. 30 m., quelques gouttes de pluie; vers 15 heures arc-en-ciel est=sud-est ; à 15 m. h. 15, quelques 
gouttes de pluie ; à 16 heures nouvel arc-en-ciel. 
Durée d’insolation : 0,6. 


€ 


Maxima diurne : 26°,3. 


Mardi, 25 avril 1899. 


Minima nocturne : 18°,2. Rosée. 

Insomnie; 120 pulsations ; transpiration m'’obligeant à changer de linge en pleine nuit. Aussi me levé-Je 
mal repose. 

M. Voss garde le lit ainsi que M. Questiaux. 

A midi je dois également gagner ma couchette, pris de fièvre violente; je suis assommé. 


Durée d'insolation : 9 heures. 
Maxima diurne : 30°,5. 


Mercredi, 26 avril 1899. 


Minima nocturne : 16°,3. Rosée abondante. 

Mauvaise nuit; levé mal dispos; xylostomite; douleurs dans les reins; faiblesse. 

Une lettre de M. Verdick à M. Delvaux prescrit à ce dernier daller remplacer son chef à Ki-Amakélé; 
M. Delvaux devra être accompagné de 20 hommes, mais Lofoi ne pourrait lui en donner que 9, de sorte qu'il 
me faudra lui en prêter 11 des miens. Toutefois, M. Verdick annonce qu'il ramènera tout mon monde. Cette 
opération de police contre le rebelle Mouloumou-Niama ne devait durer qu'un mois; voici deux mois qu’elle 
à commencé et Je n’en vois pas venir la fin. Mes projets de reconnaissance en seront modifiés. 

Je puis travailler jusqu'à 15 heures et terminer la copie du carnet d'observations magnétiques à envoyer à 
Bruxelles. 

A 15 heures nous jouissons d’un phénomène lumineux que je vois pour la première fois, et qu'à ce titre 
Je qualifie — à tort ou à raison — d’extraordinaire : au nord-est du soleil flotte un gros cumulus isolé ; entre 
lui et l’astre radieux s'étend un voile de cirro-stratus très délié, formant un grand cercle dont le soleil occupe 
le centre; sur ce voile s’étalent toutes les couleurs du prisme, s’entrecroisant dans le désordre le plus parfait 
et produisant, dans un cercle d’une vingtaine de degrés, un étrange effet de kaléïdoscope. 

A 16 h. 50 m., le curieux phénomène persiste; ses couleurs rappellent de facon frappante les teintes 
irisées des grosses bulles de savon. 


— 955 — 

L'observation se fait très bien au néphoscope, en employant la face noircie; on ne pourrait naturel- 
lement observer à l'œil nu, ear il faut presque fixer le soleil; est M. Delvaux qui à constaté le phénomène, 
grâce à ce fait qu’il porte un binocle à verres colorés les jours de fort soleil. De là une indication : observer 
souvent le ciel avec des verres colorés — ou par la face noircie d’un néphoscope — par les jours de fort soleil 
et de ciel plus où moins nuageux. Cet intéressant phénomène est peut être produit par les particules de glace 
— qui sont autant de petits prismes — formant les voiles de cirro-stratus et décomposant Ja lumière chacun 
pour son compte. 


Durée dinsolatien : 9,75. 
Maxima diurne : 309,7. 
Au lieu d’être présent au repas du soir, je me couche pris de fièvre. 


Jeudi, 27 avril 1899. 


Minima nocturne : 16°,5. 

Obligé de garder la chambre en compagnie de moustiques, de mouches et de fourmis, Ah! les sales 
bêtes ! Cette station de Lofoï détient là un « pompon » phénoménal. 

À 14 h. 50 m., quelques gouttes de pluie. 

Durée d’insolation : 9,20. 

Maxima diurne : 30°,5. 


Vendredi, 28 avril 14899. 


Minima nocturne : 18°,5 A 4 heures s’est levé un vent sud-est, qui soufile par rafales jusqu'à 9 heures: 
mesuré à l’'anénomètre, à T h. 30 m., sa vitesse est trouvée variant entre 2,50 à 5,50 à la seconde. 

Cette nuit j'ai dû me lever deux fois pour échapper aux fourmis qui ont envahi ma couchette comme 
si, vraiment, elle leur appartenait sans conteste. 

Questiaux, Delvaux et De H. préparent les caisses à expédier à Bruxelles; cela consiste à confectionner 
des caisses en fer-blanc, à les souder, à les empaqueter proprement dans des caisses en bois, à fermer solide- 
ment celles-ci, à les entourer de bandes de fer prises à nos ballots d’étoffes, et à brüler sur les couvercles 
l'adresse du secrétaire d'Etat. Cela n’a l'air de rien d'ici; en réalité, é’est une besogne plutôt dure, avec 
les moyens dont nous disposons; je trouve iei l’occasion de donner une idée de l’esprit pratique qui caractéri- 
sait notre regretté Fromont; c’est à lui que nous devons le moyen de brüler proprement les adresses sur 
les faces de nos caisses; il y était arrivé à M'pwéto, en emmanchant sur de gros morceaux de bois deux ou trois 
vieux ciseaux à froid hors de service et autant de gouges idem; les premiers servaient à brüler les bätonnets 
rectilignes, les secondes formaient des courbes circulaires; grâce à deux éléments, on pouvait former conve- 
nablement en majuscules toutes les lettres des adresses de nos caisses collections. Ces instruments ingénieux 
étaient portés au rouge dans notre forge de campagne. 


* 


En prévision du départ de M. Delvaux pour les grottes de Ki-Amakélé, j'écris à M. Verdick une lettre 
lui disant dans quel embarras me met la proiongation de son absence, et surtout le départ de M. Delvaux 
qui n'est très nécessaire pour le relevé des observations météorologiques. 


« À votre retour à Lofoï — dit ma lettre — j'espère pouvoir vous mettre assez rapidement au courant de 
ces observations, bien qu'il faille de nombreuses semaines à un agent très bien doué pour commencer à faire 
des relevés exacts. 


« Je vous demanderai donc de hâter votre retour le plus possible. » 


Abo 


On voit comment la mort de Fromont, en nous privant d’un auxiliaire dressé, n’obligeait à prolonger mon 
séjour à Lofoi pour mettre au courant d’abord M. Delvaux, puis M. Verdick, qui devaient rester chargés 
des observations météorologiques pendant que la mission scientifique du Ka-Tanga procéderait à ses recon- 
naissances futures. 

Comme j'achève ma lettre à M. Verdick, arrive de Ki-Amakélé une lettre de cet oflicier contremandant 


le départ de M. Delvaux. 


Durée d’insolation : 91,15. 
Maxima diurne : 502,5. 


Samedi, 29 avril 1899. 


a —— 

Minima nocturne : 15°,9. 

Très mauvaise nuit; bien que j'aie fait placer les pieds de mon lit de camp dans des boites remplies 
d'eau, les fourmis n'ont gratitié d’une nouvelle visite. Qu'on me croye si l'on veut, mais leur châtouillante 
compagnie n’incite pas au sommeil. Et, une fois de plus, je me lève la tête très lourde. 

Vers 9 heures vent d'est, soufflant par rafales et donnant, à l’anémomètre, une vitesse par seconde 
de 1063290; 

A midi le beau phénomène lumineux du 26 se reproduit, sur une bande de cirrus qui s'étale à 
l’ouest, dans un angle de 25° environ; le phénomène, moins marqué que celui d'il y à trois jours, ne 


dure que cinq minutes. 


Durée d’insolation : 90,55. 
Maxima diurne : 290,5, 


Dimanche, 30 avril 1899. 
AS 


Minima nocturne : 15°,8. 
Passé une nuit convenable, 
Trois gamins indigènes ont été demandés au chef Mokandé-Bantou {dont nous parlerons plus tard) pour 


compléter notre service de domestiques, qui est demeuré aussi précaire qu'à Moliro et à Mpwéto. 


M. Questiaux — à qui son long séjour dans l’Afrique du Sud à donné des connaissances spéciales - nous 
fait goûter aujourd'hui le biltong des Boers; on entend par là de la viande boucanée, viande d’antilope, de 
buflle, de zèbre ou de tout autre animal. La préparation du biltong est assez variable; voiei celle à laquelle 
vient d'avoir lieu notre prospector : Couper en tranches, longues de 35 à 40 centimètres et de 4 à 8 centimètres 
d'épaisseur, le filet, le contre-filet et les parties bien musclées d’une belle antilope; fendre ces tranches dans 
le sens de la longueur, mais en s’arrêtant à quelques centimètres de l’une des extrémités, de manière à pouvoir, 
le moment venu, poser ces tranches à cheval sur une liane, pour le séchage; metlre alors les dites tranches 
dans un récipient (un seau ou une grande marmite émaillée, par exemple) par lits bien garnis de sel; laisser la 
viande s’imprégner de sel pendant vingt-quatre heures en la gardant dans un endroit frais; au bout de vingt- 
quatre heures, retirer morceau par morceau et jeter le liquide qui s’est dégagé de la viande; replacer ensuite 
les tranches par lits avec une nouvelle dose de sel; recommencer la même opération pendant cinq ou six 
jours; on constate que l'opération marche bien si la viande ne prend pas de mauvaise odeur; ceci exige qu'on 
fabrique le biltong le plus tôt possible après que la bête a été abattue; au bout de cinq ou six jours, la viande 
ne dégorge plus de liquide, elle a absorbé le maximum de sel; on suspend alors les tranches salées au-dessus 
d'un feu de bois dans la fumée (la cuisine des stations congolaises est un fumoir parfait); éviter que le feu ne 
soit flambant; l'idéal est de maintenir la viande dans un bain de fumée; il faut éviter de chauffer assez la 
viande pour qu'elle subisse un commencement de cuisson, sous peine d'obtenir un produit tout à fait 


re 


inférieur. Au bout d’une semaine de fumaison, le produit est à point : c’est une sorte de filet d'Anvers 
très sale. 

En poussant la salaison et la fumaison à l’extrème, on obtient un biltong quasi imputrescible. Fen ai 
rapporté du pareil fabriqué par nous au Ka-Tanga et qui est toujours mangeable au 
moment où paraissent ces lignes (juin 1902). 

Durée d’insolation : 9,55. 

Maxima diurne : 29°,4. 


Lundi, 1“ mai 1899. 


Minima nocturne : 15°,9. 

Nuit assez convenable. Vers 1 heure le piège à feu à fonctionné, tuant un superbe 
léopard; lanimal a été foudroyé; on le retrouve ce malin le corps demeuré à demi 
engagé dans le couloir du piège. 

Il commence à faire plus froid matin et soir; la saison des pluies semble avoir 


pris fin; M. Delvaux nous dit que les années précédentes il n’a pas plu après le 1% mai. 

Changé les feuilles des enregistreurs. 

La courbe thermographique est d’une régularité journalière remarquable; un détail intéressant est 
l’indécision de la courbe pendant certaines nuits; le tracé est une sorte de sinusoïde irrégulière à courte 
période 

Minima et maxima absolus de la semaine : 15°,8 et 30°,7; moyenne : 95°. 

Pour la pression atmosphérique, la différence entre le maxima et le minima absolus est de 3,3. 


La prolongation de l'affaire de Ki-Amakélé m’amène à modifier le plan de ma reconnaissance. De 
conversations entre M. Delvaux et moi se dégage qu'il y aurait intérêt, au point de vue roches, à descendre la 
vallée de la Lou-Fira jusqu'aux chutes appelées sur les cartes « chutes Djouo ». Les indigènes, d’après 
M. Delvaux, disent « Choubo ». 

En attendant le retour de M. Verdick, je décide que nous pousserons une pointe rapide jusqu'aux dites 
chutes. Je préviens donc M. Delvaux afin qu'il recrute cent porteurs avec lesquels nous nous mettrons en 
route dans cinq jours. D'ici là, nous aurons terminé le courrier qui doit accompagner le gros envoi de 
collections que nous sommes de nouveau à même de faire vers Bruxelles ; il y aura, en effet, dix colis : neuf 
caisses soudées, le mieux que nous avons pu, et un paquet de peaux préparées. 

Dans l'après-midi, j’assiste à des essais de lavage de roches par M. Voss; j'apprends à faire un panning : 
on entend par là l’opération par laquelle on recherche les métaux divers — et si possible précieux — que peut 
contenir une roche, en broyant celle-ci jusqu'à l’état pulvérulent dans un mortier en fonte; puis en lavant 
vivement ce poussier dans un large bassin en fer, en renouvelant l’eau qui chaque fois emmène d’abord 
l'argile, puis le sable, de manière à ne laisser dans le fond du bassin qu'une mince trainée des corpuseules les 
plus lourds; par un tour de main que donne seule la pratique, on fait glisser cette trainée à l’aide de quelques 
gouttes d’eau, de manière à l’allonger dans le pli formé par la jonction du fond du bassin avec sa paroi: les 
parcelles les plus lourdes restent en arrière; quand on à affaire à une roche aurifère suffisamment riche, quelques 
minuscules granules d’or pur demeurent ainsi les derniers, et leur éclat brillant réjouit l’œil et le cœur d'un 
bon prospector. Pour aujourd'hui, nous trouvons des corpuscules très brillants, les uns jaunes, les autres 
blancs, mais qui ne sont que des pyrites de cuivre, dont l'éclat ne réjouit ni l'œil ni le cœur du bon prospector: 
l'œil et le cœur du savant reçoivént la même sensation toutefois que s’il s'agissait de n'importe quelle autre 
constatation objective. 

A 16h. 15 m., arc-en-ciel à l'Est. Durte d’insolation : 99,15. 


Maxima diurne : 289,6. 


Mardi, 2 mai 1899. 


Minima nocturne : 16,2. 

Assez bonne nuit. M. De H... malade en chambre. 

Toute ma journée est absorbée par les écritures. 

Prescrit d’abord à M. Voss d'effectuer quelques sondages. 

Ecrit ensuite aux agents des diverses factories des Lacs (Ki-Engué; Ki-Touta; Fife; Ka-Ronga; Fort-John- 
ston ; Matopé) PQUE les prévenir que jJ'expédie par leur intermédiaire dix caisses de Colechons el un colis idem, 
numérotés de 14 à 24. Je les prie de les faire parvenir sans retard à Blantyre. Chaque fois que nous avons eu à 
faire un envoi de nu J'ai pris soin d'en avertir ainsi chaque chef de factorerie; il en est résulté que nous 
avons été très bien servis. En Afrique, plutôt que de se plaindre que les services ne marchent pas, il vaut mieux 
les faire marcher. 

Outre ces lettres aux agents inférieurs de la Compagnie des Lacs, J’écris à leur directeur, aimable M. Gibbs, 
de Blantyre, et le prie d'assurer nos caisses à raison de 10 livres sterling chacune, sauf la caisse n° 21 — 
contenant les travaux de Dardenne — et qui doit être assurée pour 160 livres, soit 4,000 francs. 


Fétablis ensuite le rapport n° IS au secrétaire d'Etat, lui annonçant l'envoi des documents suivants : 


1° 2 carnets donnant les observations astronomiques, magnétiques et altimétriques effectuées entre 
M'pwélo et Lofoï; 

2 Un exemplaire des feuilles n° 57, 58 et 49 du tableau d'assemblage de la carte générale du Congo; 
notre itinéraire est rapporté sur ces feuilles dont copie a été envoyée à Mtowa, Mpwéto et Kilwa, et aussi 
remise à Lofoï. 

3° 2 carnets donnant les observations météorologiques faites à Lofoi, du mardi 21 février au lundi 
1 mai 1899; 


4° 


10 copies de feuilles hebdomadaires de lenregistreur de pression et 10 copies de l’enregistreur de 
température, relevées à Lofoi dans la même période ; 

5° 68 bandes de l’enregistreur solaire, obtenues à Lofoi dans la même période; 

6° L’inventaire des 11 colis collections expédiés de Lofoi (ils partiront après-demain) vers Bruxelles, 
par la voie anglaise; 

La liste des travaux de M. Dardenne, se trouvant dans l’un des colis; 

8° La liste des photographies dont nous envoyons les elichés ; 

9° 95 planches faune et flore, dessinées par Dardenne et Questiaux ; 

10° Le rapport de M. le géologue Voss sur sa reconnaissance de Ja vallée Lou-Fonzo et sur son voyage 
M'pwéto-Lofoi; ce rapport est accompagné d’une carte au 1/200.000°, laquelle à été dressée, d’une part, 
d’après l'itinéraire levé et les positions fixées par nous, de l’autre, d’après les observations géologiques de 
M. Voss; 

11° Une note sur quelques-uns des objets de collections que nous envoyons; 

12° Une note sur quelques-unes des photographies : 

13° Une note sur la station de Lofoï, note que nous reproduisons ei-après. 


Ma lettre au secrétaire d'Etat lui dit que je n’oserais confier nos documents à la route M'towa—kKa- 
Bambaré—Ka-Songo. 


Voici la note relative à la station de Lofoi : 

La station de Lofoï et la mission protestante de Moëéna, à huit heures plus au sud, sont, Jusqu'ici, les seuls 
établissements européens sis en plein Ka-Tanga. 

L'examen de leur situation, de leurs ressources, de leurs conditions d'existence, présente un intérêt tout 
particulier, le Ka-Tanga ayant été réservé jusqu’à ce jour, dans les discussions relatives à la possibilité d’envi- 
sager, comme territoires de peuplement, certaines parties du Congo. 


— 259 — 


La mission de Moéna n'a été, en réalité, que peu occupée au moment où je rédige cette note, et est sur- 
tout la station de Lofoï qui demeure comme sujet d'examen et d'expérience. 

Le premier point qui fut occupé ici était très rapproché de la rive droite du Lofoi; cet emplacement, 
avantageux au point de vue eau et Jar- 
dins, fut trouvé désavantageux aux 
inondations, et l’on déplaça la station 
pour l’éloigner de la rivière d'environ 
1 1/, à 2 kilomètres. 

On était à moins bonne portée de 
J’eau; les essais de jardin contre le 
nouveau poste réussirent moins bien 
qu'à la rive, et, lors des inondations, 
ce nouveau poste est tout aussi entouré 
d’eau de partout que l’ancien; enfin, la 
nouvelle situation ne soustrayait nulle- 
ment la station ni aux moustiques, ni 
aux mouches, ni à l’ordinaire vermine 
des infiniments petits. 

Au total, ce déplacement d’une cou- 
ple de kilomètres n'avait rien amélioré 
et ne pouvait d'ailleurs rien améliorer, 
puisqu'on continuait à se {rouver en 
site bas, aquatique, en un mot dans 
le fond d’un ancien lac, aujourd’hui 

Vue de Lofoi-Station (1899). asséché; ce site n'offre aucun écou- 

lement des eaux; dès les premières 

pluies, l’eau stagne, et alors surgissent tous les inconvénients des sites semi-marécageux ; le site est tellement 
plat que, pour pouvoir obtenir une photographie d'ensemble du poste, j'ai dû faire élever un énorme échafau- 
dage dont j'envoie aussi la photographie documentaire, sur laquelle le poste n’est signalé que par son drapeau 

Plus radical pouvait être le changement, puisqu'on se trouvait à moins d’une heure du pied des Kou’n’dé- 
loungou. Si même on ne se décidait pas à s'installer franchement sur les hau- 
teurs — où l’on se fût trouvé à 1,500 mètres d'altitude au lieu de 950 — ce’eût 8, 

KE 


déjà été une grande amélioration de se porter au pied même de la À 
falaise, où l’on trouve des points soustraits aux inondations et EE é 
indemnes des moustiques, dont l'extraordinaire abondance fait de 
l'actuelle station de Lofoi un point des plus désagréable, où tout 
travail de soir ou de nuit est particulièrement 
pénible, voire douloureux. 

Mais si l’on veut commencer à connaitre 
quelles conditions d’habitabilité à l'Europten 
présente en réalité le Ka-Tanga, il faut absolu- 
ment quitter la vallée inondable de la Lou-Fira, 
pour se porter une bonne fois et complètement 
sur les hauteurs des Kou’n’déloungou. 

En ce moment M. le capitaine Verdick 
projette le déplacement de la station de Lofoi 
et son transfert sur les bords de la rivière Lou- 


Échafaudage élevé pour pouvoir photographier l'ensemble 
Kafou, affluent de droite de la Lou-Fira, à deux de la station de Lofoï (1899). 


jours au sud de Lofoï. Ce point serait soustrait 


aux inondations, serait indemne de moustiques, présenterait de superbes terrains pour les cultures du poste : 
le bétail s’y trouverait très bien; enfin, à proximité existe l’importante agglomération du cheî Mokandé-Bantou. 


— 1) — 


Ce sont là certainement de mulliples avantages sur le poste actuel qui est, lui, détestable à tout point 
de vue et dont l’abandon s'impose, surtout que le peu de population eontingente ne s’est établie ici qu'après 
l’arrivée même des Européens, et aussi qu'il n’y existe aucune culture de produits d'exportation. 

Il n’en est pas moins vrai que quitter le Lofoi pour le Lou-Kafou ne sera qu'une solution boiteuse, et ne 
répondra pas à la question d’habitabilité du Ka-Tanga par l'Européen; ce n’est pas en restant dans la vallée 
même de la Lou-Fira (ou des autres grandes composantes du Congo) que l’on établira l'influence sanitaire 
des hautes altitudes. 

Cependant un grand intérêt s'attache à cette influence que, jusqu'ici, on à même regardée comme prépon- 
dérante. 


Il est bien vrai que — du moins pour la portion que nous en connaissons à ce jour — les hauteurs des 
Kou’n'déloungou ne sont pas occupées par les indigènes. Cela se comprend assez bien, rien que par leur désir 
de se soustraire au froid. Mais c’est justement cet abaissement de température qui intéresse l'Européen. De 
sorte que l’on se trouve en présence d'intérêts contradictoires. 

Est-ce une raison suflisante pour que nous continuions à nous dérober à la détermination expérimentale 
des conditions d'habitabilité des hauts plateaux du sud de l'Etat. 

Assurément non ! 

Si même l’Européen devait se trouver momentanément éloigné des villages indigènes, la situation actuelle 
ne serait guère modifiée, Lofoi ne commandant directement aucun grand groupe indigène. D'ailleurs il est 
parfaitement possible de s'installer au bord même de la falaise, de manière à rester au contact très rapproché 
des gens de la plaine; de plus, en s’arrètant à cette solution, les cultures du poste pourraient se développer 
sur le plateau, sur les pentes et dans la vallée même, ce qui fournirait une intéressante échelle d'expériences 
botaniques. 


Le relevé des observations météorologiques que nous venons de faire (22 février au 4% mai 1899) met en 
lumière la forte et constante hygrométricité qui caractérise cette époque de pluies dans la vallée de la Lou-Fira; 
or, un air constamment surhumide est des plus préjudiciables à la santé et nous nous apercevons d’ailleurs 
de reste. 

L'état hygrométrique excessif de l'air à Lofoï est surtout provoqué par le lent écoulement des eaux de 
pluie, dû lui-même au manque de pente — dans le sens latéral — des plaines de la Lou-Fira; de plus, ces 
eaux stagnantes se chargent de débris organiques en décomposition et contaminent l’eau des rivières, tandis 
que, sur le plateau, nous avons fort admiré et fort goûté la limpidité et la pureté des eaux de rivière. 


I à été fait état jusqu'ici de l'altitude des hauts plateaux du Ka-Tanga au point de vue de Foccupation 
européenne; en réalité aucune expérience n'y a encore été faite. D'autre part, le déplacement intégral du 
poste de Lofoï aurait dû avoir lieu d'urgence un an après son installation, dès que lon s'était vu dans l’eau 
pendant de longs mois. 

L'occupation inutilement prolongée de la station actuelle n’aura servi qu'à démontrer, trop surabon- 
damment, les désagréments multiples qu'il y à à habiter une vallée régulièrement soumise aux inondations. 
Et je ne vois aucune raison pour ne pas s'installer enfin, et sans retard, sur le plateau des Kou’n’déloungou, 
en se portant vers le sud-est, et réaliser — mieux vaut tard que jamais — une expérience des plus 
importantes. 


— 961 — 


Copie de cette note fut remise par moi, pour gouverne, à M. le capitaine Verdick. 

Ayant terminé le courrier officiel, je puis trouver le temps de parcourir les recueils mensuels du poste, 
et J'y trouve, au mois de mai 1898, un arrêté attachant un conseil de guerre à lexpédition scientifique de 
reconnaissance dans le Ka-Tanga. 

C’est la première fois — et c’est par hasard — que ce texte me tombe sous les veux. S'il m'a été envoyé, il 
est resté en route. 


Quoi qu'il en soit, il y est dit : 


« ARTICLE 3. — Sauf le cas où ce conseil serait établi au siège dune juridiction répressive perma- 


nente, il connaîtra et prononcera dans les limites de sa compétence matérielle sur les délits commis dans 
les territoires plus voisins du lieu où il serait installé que de celui où siégerait une juridiction perma- 
nente. » 


Cet article étend done mes attributions de juge au conseil de guerre telles que les déterminent les instruc- 
tions dont je suis porteur et qui nr'ont été remises à Bruxelles; d'autre part, il semble soustraire le personnel 
de ma mission à l’action unique du conseil de guerre de cette mission, lorsque ce personnel se trouve au siège 
d’une juridiction répressive permanente. Si cela était, ce serait le renversement de mes instructions directes 
qui disent : 


« Une discipline stricte devra être maintenue dans l’escorte et dans la colonne; &’est pourquoi le chef de 
la mission aura pouvoirs de juge au conseil de guerre. 
« Le chef de mission a reçu les pouvoirs nécessaires transmissibles à ses successeurs éventuels. 


« Tout le personnel européen et congolais de la mission relèvera complètement du chef de la mission 
et aura à se conformer à ses prescriptions, tant au point de vue disciplinaire qu'au point de vue du 
travail. » 


Nous voici donc devant un cas spécial logiquement interprété par Bruxelles, qui comprend que je dois 
avoir toute indépendance et toute latitude; et, d'autre part, le hasard seul me met en main une pièce 
d’une importance capitale, qui me concerne, et qui me met sous la dépendance de services supposés 
organisés. 

Est-il nécessaire de dire qu’en signalant la chose, mon but est non de blämer, mais d'éclairer afin que, dans 
de nouvelles circonstances analogues, un homme ne se trouve pas dans le cas de se mettre hors la loi sans s’en 
douter. 

En effet, supposons que j'aie condamné quelqu'un au conseil de guerre pendant mon expédition, alors que 
nous nous fussions trouvé au siège d’une juridiction répressive permanente. J’aurais pu tout simplement être 
à mon tour condamné pour usurpation de pouvoirs. 

Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire; il faut que les gouvernants sachent où l’élasticité 
est nécessaire, et où seule doit exister la rigidité légale. 


A 16 h. 50 m., arc-en-ciel à l’est; de 17 h. 10 m. à 17 h. 25 m., forte pluie donnant 1,9 au pluviomètre:; 
roulement de tonnerre au nord. 


Je puis observer, à l’opposite du soleil couchant, un phénomène lumineux qui pourrait être dû à la lumière 
antizodiacale. 

Durée d’insolation : 9",8. 

Maxima diurne : 50°, 


| 
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© 
19 
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Mercredi, 3 mai 1899. 


Minima nocturne : 16°,1. Rosée. 

Ma nuit a été bonne. 

Michel occupé à recopier le courrier officiel. 

M. Voss procède, durant la matinée, à des sondages 
jusqu’à 12 mètres de profondeur : argile, puis sable; le son- 
dage se fait dans le trou des scieurs de long, ce qui permet 
de porter le dit sondage à 12 mètres, notre sonde n'ayant 
que 10 mètres de tige. 

Dans l'après-midi M. Voss doit se coucher; puis, suc- 
cessivement, MM. Questiaux et De H. sont pris de fièvre et 


doivent gagner leurs chambres. 


Durée d’insolation : 9,6. 
Maxima diurne : 29,4. 


Jeudi, 4 mai 1899. 


Minima nocturne : 17°,2. 

Bonne nuit pour moi. 

Arrivée d’un courrier du Nord : lettres de Mtowa, de 
Boma et d'Europe. 

Michel et moi achevons de fermer et d’empaqueter 
soigneusement le volumineux courrier ofhiciel qui partira 
demain avec les 11 colis collections; pour laffranchisse- 


ment de notre courrier, j'écris à M. Chargeoiïs en lui envoyant 


S livres sterling. Sondage dans la fosse des seieurs de long 
Dans l'après-midi, abattu d’un coup de pistolet un à Lofoï (1899). 


superbe serpent vert qui se balançait gracieusement parmi 

les palmes d’un jeune élaïs. Il y a énormément de serpents à Lofoi; à certains jours, on en voit jusque quatre 
et cinq qui se baladent à travers la cour; notre envoi de collections comprend plusieurs estagnons remplis 
de multiples spécimens de cet animal réputé dangereux quoique absolument inoffensif. Je parle, bien entendu, 
de ce que j'ai vu : j'attends encore de connaître — par mes propres constatations — une mort d'homme au 
Congo par morsure de serpent. En revanche, je certifie que j'ai assisté à la capture de centaines et centaines de 
reptiles; à l'Équateur nous mangions, en guise d'anguilles, de gros serpents d’eau. De sorte qu'au total e’est 


l’homme qui constitue, pour le serpent congolais, «un animal dangereux ». 


À 15 h. 15 m., arc-en-ciel à l’est. 
Durée d’insolation : 7°,30. 
Maxima diurne : 29°,4. 


Vendredi, 5 mai 1899. 


2] 


Minima diurne : 19,3. Vent violent pendant la dernière partie de la nuit et de la matinée; de 6 h. 8 m. 
à 6 h. 17 m., l’anémomètre indique une vitesse du vent de 2 mètres à 2,80 par seconde; le vent souffle 
de l'Est. 

Ma nuit a été convenable. 

M. Voss garde la fièvre. 

Ecrit trois lettres oflicielles, pour le poste du sud du Moéro, pour Mpwéto et pour Mtowa. le renvoie 


RCE tes 


aussi, par lettre, à Boma, la croix de service arrivée hier pour notre malheureux Fromont. Avec quelle joie 
le regretté oflicier aurait reçu cette décoration si enviable et si enviée! Nous la lui eussions remise devant la 


troupe rendant les honneurs, et notre ami se fut trouvé payé de bien des moments dificiles! Hélas! Les 


derniers honneurs lui ont été rendus; il est parti sans la 
eroix si bien gagnée ! 

La petite colonne de porteurs qui enlèvent le courrier 
et les charges collections est mise en route. 

Vers 9 heures nous pouvons donner suite au désir que 
j'avais d'aller vérifier, de visu, un intéressant renseignement 
que M. Delvaux m'a donné dernièrement à propos de la 
Lou-Kolouéchi, affluent du Lofoi que nous avons vu el 
traversé le Jour de notre arrivée ici. 

D'après M. Delvaux, cette rivière s’enterrerail pendant 
une partie de son parcours. 

Nous suivons la route ordinaire jusqu'au pont de la 
Lou-Kolouéchi; à 500 pas au delà du pont, nos guides 
s'engagent à travers brousse el plantations, par un fort 
mauvais chemin, peu ou pas du tout tracé; on gagne ainsi 
vers le nord-ouest la petite rivière, à un gros kilomètre de 
la route. 

Là on nous montre un point où — lorsque les pluies 
sont finies depuis très longtemps et que le niveau de Peau 
est très bas — le cours commence à être souterrain. A 
l’époque actuelle, les eaux affluent de partout, à fleur de 


La récolte du riz à Lofoiï-Station (1599). 


Au haut des termitières des gamins se tiennent en permanence et effraient 
de leurs cris les bandes d'oiseaux pillards. 


sol, les inondations de la saison des pluies n'ayant pas encore pris fin; aussi le Canal souterrain de la Lou- 


Kolouéchi est-il insuflisant, et la rivière coule-t-elle en même lemps sur et sous terre. 


Nous descendons maintenant le ruisseau par sa rive 


Femmes décortiquant le riz à Lofoï-Station (1899). 


droite, pendant 500 mètres, et arrivons au point 


d’émergence du canal souterrain. Ce point est 
pittoresque à sa façon : il forme la lisière d’un 
terrain actuellement sous 40 centimètres d'eau 
d'inondation; là, en une excavation irrégulière, 
sorte d'entonnoir profond de 2",00 à 2,50, 
viennent se déverser en Cascatelles étroites une 
douzaine de ruisselets temporaires formés par 
linondation et par la Lou-Kolouéchi aérienne. 

Lorsque la saison sèche sera assez avancée, 
inondation et ruisselets disparaitront, et on ne 
verra plus, dans le fond de l'entonnoir, que la 
Lou-Kolouéchi émergeant paisiblement de son 
canal souterrain, pour s’en aller se déverser non 
loin de là dans le Lofoï. 


En rentrant à la station, nous y trouvons les 
porteurs qui ont été mandés en vue de notre 
excursion aux chutes de la Lou-Fira. Il à été 
décidé que nous partirons après-demain. 


Dans l'après-midi, nous dressons la liste nominative des porteurs; je remets à M. De H. l’état entièrement 


détaillé des charges à apprèter demain. 


*eçu une lettre de M. Cerckell, me faisant connaître que notre point de station à Mo-Linga est indiqué par 


064 


une roche à demi enfoncée dans le sol; dès qu'il aura pu faire cuire ses premières briques, il enfermera cette 
roche dans un pilier en maconnerie; M. Cerckell n’a rien obtenu de ses essais sur la gomme du Mwémwé- 
Dousséwo; les ambachs, enfin, ne sont guère utilisables. {Voir le texte de la page 155) 


A 15 heures tornade sèche. 

Durée d'insolation : 9,50. 

Maxima diurne : 289,5. 

Pris une bonne observation d'heure par 10 étoiles, pour fixer l’état du chronomètre par rapport à 


Lofoi et la variation horaire de son dh. 


Samedi, 6 mai 1899. 


Minima nocturne : 159,5. 

Jai passé une bonne nuit. Soleil dès 6 heures; matinée très fraiche. 

M. Voss souffre de l’estomac et a de fréquents vomissements; il se drogue beaucoup, au petit bonheur. II 
ne sera pas en état de nous accompagner demain. 

En conséquence, je preseris à notre géologue qu'il devra, lorsqu'il sera rétabli, reconnaitre les environs 
sud de Lofoï. : 

M. de I. réunit les #npedimenta à emporter selon la note que je lui ai remise hier. 

Durée d'insolation : 91,80. 

Maxima diurne : 280,8. 


Jeune femme agrémentée 
d'une eurieuse déformation ombilicale. 


Lofoi-Station (1899). 


CHAPITRE XII. 


Le long de la falaise des Kou’n’déloungou. — Le village Lou-N’koubé. — Le village 
Mo-Ambé. — Un flûtiste. — Le long de la Ka-Sanga. — Le village Ka-Mapembwé 
et ses cultures variées. — Incartade d’un soldat. — Un pont précaire. — Chef aveugle. — 
Curieux sol arable. — Le village N’gabila. — Les Ba-Lamotwas. — Moustiques 
enragés. — Herbes-javelots. — Nous quittons la falaise. — Visite des chefs de la Ka- 
Sanga. — Le village Ki-Swa. — Peints en blanc. — Allures de la plaine bordière de 
la Lou-Fira. — Passage de la Lou-Fwa. — Une femme chef. — Le village Ka-Langa 
et le chef Sampwé. — Réception cordiale. — Curieux tonneau indigène. — Le long 
de la Lou-Fira. — Haie de chasse. — Les chutes Ki-Oubo. — Campement pitto- 
resque. — Au pied des chutes. 


Dimanche, 7 mai 1899. 


Minima nocturne : 15°,1. Rosée. 

Bonne nuit. 

Nous emporterons, pour notre reconnaissance, un des thermomètres à minima, un thermomètre fronde et 
l’anéroide 501. 

Pendant notre absence M. Delvaux assurera le service des observations météorologiques. 

Dès le réveil les charges sont distribuées; quand cette délicate opération est terminée, nous déjeunons 
copieusement. Ai-je dit qu'à Lofoi la table est toujours copieuse et très bonne? 

A 8 h. 30 m., nous quittons le poste. M. De H. prend les devants avec les soldats qui nous accompagnent, 
pour aller préparer les logements au village Lou-n’Koubé, où nous gîterons aujourd’hui. 

La route file droit vers le nord; pendant 2 !/, kilomètres nous foulons un chemin large de 4 mètres, 
entretenu par la station, chemin auquel succède l'ordinaire sentier nègre. 

A notre droite se développe la falaise rouge des Kouwn’déloungou qui forme là-bas, devant nous, un saillant 
sur lequel nous allons en droiture; c’est le pic Bodson; le pays parcouru à des allures de verger à arbres clair- 
semés, parmi lesquels l’euphorbe; l'herbe à 1 mètre de haut. À 7 kilomètres de Lofoi nous touchons au pied 
du pic Bodson, dont M. Michel prend photographie; les pentes de la falaise sont bien boisées; notre sentier 
est parsemé de cailloutis de schistes micacés. 

Le pic Bodson dépassé, nous continuons vers le nord, laissant la ligne de hauteur décrire une concavite 
très marquée dont nous suivons la corde. 

Ce n’est qu’au douzième kilomètre que se rencontre le premier ruisseau, le Ka-Souswé, large de 2 mètres, 
encaissé de 3, avec 10 centimètres d’eau claire courante. 

Aux approches de ce ruisseau les herbes sont devenues plus hautes; de temps en temps se montre un 
arbre à tronc énorme. 


— 966 — 


Au kilomètre 16, nous nous retrouvons beaucoup plus près de la falaise, que nous ne quittons plus jus- 
qu'au gite d'étape. 

Deux ruisseaux sont franchis : le Lou-M'hwa, large de 2 à 3 mètres, encaissé d'autant, avec 15 centimètres 
d'eau claire, et le Ka-Mitata, à sec, large de 1 à 2 mètres, encaissé de 2 à 3 mètres. 

Qu'est ceci? un groupe de chasseurs noirs portant à Lofoï les quartiers d’un zèbre; nous nous en adju- 
geons un bien choisi et reprenons la marche. 

A hauteur d’un piton dénommé Lisséba, nous laissons à notre gauche un embranchement de la route 
menant vers le village Ka-Sélenjoye. 

Maintenant les herbes sont plus hautes, d'autant que le terrain que nous foulons aux pieds garde encore 
race des inondalions; même quelques passages exigent que nous nous fassions porter; M. Michel tombe dans 
l’un de ces passages marécageux, ce qui fuit prendre un bain intempestif au carnet sur lequel mon adjoint lève 
l'itinéraire en ce moment. 

Nous voici à hauteur d'un saillant dénommé Ki-Apoulouka, délimitant au sud une profonde échancrure 
des Kou’n'déloungou par laquelle descend la rivière Lou-N’koubé; des cultures annoncent le village du même 
nom, où nous entrons après avoir franchi la rivière qui a 3 à 5 mètres de large, 2 à 4 mètres d'encaissement, 
et dont la profondeur varie de 30 centimètres à 1 mètre; l'eau en est belle, claire, courante ; à quelque distance 
en amont s'entend l’agréable et pittoresque bruit de chutes. 

Il est 14 heures quand j'arrive au village; Michel, retardé par la prise de Piltinéraire, arrive à 15 heures; 
nous avons parcouru 26 kilomètres. 

M. De H. n’est arrivé qu'une demi-heure avant moi. 

Le chef Potchia, dont le village compte 65 huttes, met à notre disposition les logements nécessaires ; 
J'occupe sa propre demeure qui est très haute et vaste. 

L'étape d'aujourd'hui à été facile; le seul désagrément est l'existence de quelques passages sous eau ; 
J'ai dit comment le pays avait des allures de vaste verger; nous y avons cueilli deux fruits sauvages comes- 
tibles : le Foroumbisi, qui est une sorte de pomme cerise, et le mohongo; ce dernier est le fruit que J'ai 
signalé à Mpwéto (voir la journée du 21 octobre 1898) sous le nom de N’yongo où Bo-hongo; c’est évidem- 
ment le même nom. 


A 17 heures notre diner est servi en plein air; chacun y fait grand honneur, tout au plaisir de reprendre 
la vie de marches. 

De 17h 30 m. à 18 heures nous mettons le cercle méridien en place. 

Entre Moliro et Mpwéto, puis entre Mpwéto et Lofoi, on se souviendra que je n'avais employé que le 
théodolite d'Hurlimann pour les prises de position; je désirais ménager mon instrument principal, d'autant 
que nous étions en saison des pluies et que je craignais, en cis d’averse subite, de ne pouvoir enlever assez 
rapidement les instruments. 

Maintenant que nous sommes en plein sur notre terrain d'action, et que la saison des pluies n’est plus à 
craindre, nous utiliserons le cercle méridien qui, tout en donnant des observations mieux assurées, est d’un 
emploi beaucoup plus commode, agréable, et d'autant plus rapide qu'on prend des étoiles de grandeur plus 
faible qu'au théodolite. 

Par un ciel capricieux (il tonne à 18 heures), nous prenons la latitude et l'heure (13 étoiles). 

Comme nous sommes arrivés trop tard pour que j'aie pu mettre l’ilinéraire entièrement au courant, 
Je décide que nous resterons ici demain. 

Toutefois, M. De H. prendra les devants avec mission de reconnaître le passage de la rivière Ka-Sanga, 
que les renseignements indigènes me signalent comme très diflicile à franchir, en ce moment de l’année, sur 
la route directe vers les chutes de la Lou-Fira. 


Lundi, 8 mai 1899. 


Minima de la nuit : 15°. 

Les ébats d’escadrons de rats m'ont fait dormir plutôt mal. 

Trois porteurs ont déserté pendant la nuit; le capita me dit qu'ils ont peur du blanc. Au lieu de mettre 
des soldats à leurs trousses, je charge leur ecapita de faire savoir si possible à ces hommes qu'ils ont tort de 
craindre de nous quoi que ce soit; d’ailleurs, après quelques jours de marche, nos gens sauront par eux- 
mêmes à quoi s’en tenir; ils diront alors eux-mêmes aux trois fuyards qu'ils ont été parfaitement imbéciles en 
se sauvant. 

Après le repas du matin, M. de H. part pour effectuer sa reconnaissance. 

M. Questiaux prospectera les hauteurs qui forment un demi-cerele autour de nous. 

Dardenne peint; Michel photographie et cherche objets de collections; de mon côté, achève de mettre 
l'itinéraire au propre et je calcule Pobservation d'hier soir. 

Tout en travaillant, je reçois les honneurs du chef Potchia, sous la forme tangible et croquable de cinq 
poules, poisson frais, deux paniers de farine, deux de pommes de terre douces. 

Le chef Potchia — brave et complaisant — me dit que ses gens sont de race Ba-Kounda, comme les gens 
de Mokébo près de Lofoï. 

Mon travail terminé je puis jeter un coup d'œil sur les environs et dans le village; comme je l'ai dit, le 
village Lou-n’koubé est encerclé de hauteurs; au nord se marquent deux pitons dénommés Mpoulamo el 
Ka-Tambalélé; c’est de ce côté que M. Questiaux s’est fait guider par les gens du village. 

Les indigènes sont d’ailleurs en pleine confiance; les gosses nous entourent très curieux; les femmes 
filent un très beau coton; je note beaucoup de tabac, des ricins arborescents à feuilles monstrueuses, des 
pourguères, du chanvre. Comme animaux : des poules, pigeons, chèvres (rares) et des chiens; il y a entre 
autres dans le village un chien provenant du croisement d’un chien indigène avec un basset non-africain; ce 
spécimen fait la joie de tout le monde; nous le jugeons digne de poser devant l'objectif photographique; 
pour cela, il faut d’abord tenir l'animal, ce à quoi s’emploient, à grands renforts de cris et de culbutes, 
les gosses du village; mais quand la bête est tenue, impossible à Michel, malgré ses trucs et sa patience, 
d'arriver à la photographier; cet animal — le chien croisé bien entendu — diffère de beaucoup de bipèdes, 
surtout de bipèdes européens que le hasard met constamment devant tout objectif qui se découvre en 
Afrique. 

Je me fais donner, par le bon Potchia, les noms des villages que nous rencontrerons d'ici aux chutes; il me 
dit que, près de celles-ci, il y a des villages possédant des grottes. Le renseignement est précieux. 

De 16 heures à 17 h. 15 m., pris les trois composantes magnétiques. 


Ecrit ensuite à M. Verdick la lettre suivante : 


« Jai l'honneur de vous faire connaître que j'ai quitté Lofoiï hier pour pousser une reconnaissance 
jusqu'aux chutes Djouo (?) et si possible aux grottes Ki-Ompé (?). 

« Je pensais — dès ma rentrée de eette reconnaissance — me porter vers le lac Bangwélo. Mais Paflaire de 
Ki-Amakélé se prolongeant beaucoup plus que vous ne laviez eru, J'ai songé à ne pas perdre le bénéfice de cette 
action, ce qui pourrait arriver si vous quittiez les grottes avant reddition des rebelles. 

« Pour atteindre ce but, j'ai décidé que nous irions au Di-Lolo avant d'aller au Bangwélo. De cette facon 
je pourrai arriver le mois prochain aux grottes de Ki-Amakélé et vous y rencontrer, car je pense que vous ne 
quitterez pas de là sans avoir réussi. Nous pourrons alors nous entendre, car j'ai à vous parler de plusieurs 
choses : confection d’un herbier, — nouvelle station — observations météorologiques, ete. 

« Je suis convaincu que la modification que j'apporte à notre itinéraire sera de nature à servir les intérêts 
de votre territoire. » 


Je laisse cette missive ouverte afin qu'elle puisse être lue par M. Delvaux, à qui je l’envoie pour expédition 


à son supérieur. 


— 968 — 


M. Questiaux est rentré de sa reconnaissance de prospectage sans avoir rien à signaler de bien 
marquant. 


Dans la soirée arrive un noir porteur d’un mot de M. De H. : 


« Mon commandant, 


« Le marais à traverser pour arriver au village Ka-Sanga est profond; à certaines places l’eau arrive 
jusque sous les aisselles. Il est long et difficile à passer, je dirai presque impossible avec des instruments sans 
commettre des dégâts. » 


A la lecture de ce billet désagréable, je mande notre hôte, le chef Potchia, et lui demande de me fixer une 
modification dans notre itinéraire pour éviter Je passage signalé par notre avant-garde. 

Des renseignements nouveaux fournis par ce brave homme résulte que nous devrons suivre de façon 
presque continue la falaise des Kou-n'déloungou de manière à aller franchir la Ka-Sanga beaucoup plus en 
amont que ne l’a fait M. de H.; la route en sera allongte de deux ou trois Jours. Comme nous sommes 
ici pour étudier le pays, la ligne droite — plus court chemin d’un point à un autre — nous indifière 
totalement. 


Mardi, 9 mai 1899. 


Au saut du lit j'écris à M. De H. pour lui communiquer notre changement d'itinéraire et lui dire où 
il devra nous rejoindre. 
Potchia nous a fourni des porteurs en place des trois qui nous ont lächés. 


A Th. 5 m., nous quitions lhospitalier village, sous la conduite de deux guides choisis par 
Potchia. 

On sort de Lou-n’koubé par un sentier se coulant sous de grandes herbes qui se referment au-dessus 
de nos têtes; ces herbes sont imprégnées d’une abondante rosée; aussi prenons-nous un bain forcé. Nous 
traversons aussi des cultures étendues où je note : manioc, maïs, sorgho, mil, patates douces, ignames, 
arachides, mioumbou, haricots variés parmi lesquels le haricot de terre, sésame, etc. 

Le haricot de terre qui s'appelle ici n’djougou-mabwé (ce qui est presque la traduction du terme français 
ou réciproquement) n’est autre que le voandzia sublerranea, très commun et très connu depuis toujours 
dans toute l'Afrique intertropicale, ce qui n'empêche qu'il y a été signalé dernièrement, par un botaniste 
occasionnel suivi par les professionnels, comme une nouveauté au Congo, nouveauté d’un intérêt capital 
puisqu'elle constituait un élément si complet que dorénavant on allait pouvoir ne plus vivre que du voandzia 
sublerranea. 

Pen doute, et ne me prêterai pas à l'expérience, non plus vraisemblablement que qui que se.soit qui connaîl 
le haricot de terre. 

Fermons cette digression et continuons notre route qui s'annonce, et restera aujourd’hui encore, très facile, 
sauf les passages dans les très hautes herbes. Cà &’est une damnation! 

Le sentier suit de facon générale le pied de la falaise, celle-ci ayant une direction nord légèrement est et 
présentant des saillants et des rentrants suecessifs; les saillants forment des pitons assez marqués dont l’alti- 
tude au-dessus du sentier me paraît varier de 350 à 400 mètres. 

Comme hier, nous marchons sur cailloutis de schistes; aux hautes herbes de la sortie de Lou-n’Koubé 
succède le pays à allure de verger; les arbres, clairsemés, sont nombreux, sans que rien d’exploitable sy 
observe; les ruisseaux n’abondent pas; le premier est franchi vers le cinquième kilomètre de l’étape; c’est le 
Ka-Panga, large de 2 mètres, à lit boueux où stagne une eau laiteuse à courant insensible; les abords sont 
marÉCAgeUX. 


Le cailloutis de schiste fait place à une argile sablonneuse à hauteur du piton Tandabara, bientôt 


269 — 


suivi du pie Ka-Miloundou, au pied 
duquel le sentier franchit un ruisselet 
dont le lit, à fleur de sol, est à sec. 

Un peu au nord de ce point le sen- 
tier se bifurque; l’embranchement de 
gauche va vers le village Pa-Kalombeé, 
chef Ka-Fwanka; l’'embranchement de 
droite, que nous prenons, nous évitera 
les passages marécageux; de fait, ici 
tout est déjà see et l’on marche sur 
un lit de feuilles sèches; une partie à 
allure de verger mène à l'emplacement 
d'un ancien village, Di-Koussou, qui 
s’est porté sur la Ka-Sanga; le site est 
d’une fertilité marquée à en juger par 
la hauteur des herbes et des jones; cet 
ancien village dépassé, nous sommes 
au pied du pie Ka-Wékanôno, où nous 
stoppons un moment pour permettre à 
Michel d’en prendre photographie; le 
sol est toujours schisteux; le sentier ; 
s’infléchit vers le nord-est pour gagner Le pie Ka-Wékanôno (falaise occidentale des Kou-n’déloungou). 


un éperon au sommet duquel se montre 

très nettement une muraille de grès rouge à pic; cet éperon marque l’amorce d’une vaste indentation qui 
reporte la falaise fortement dans l’est; c’est l’indentation de la Ka-Sanga, rivière que nous avons traversée sur 
le plateau des Kou-n’déloungou en arrivant à Lofoï. 

Nous ne suivons pas l’infléchissement de la falaise, mais continuons dans le nord-est vers le village 
Mo-Ambé; avant d'y arriver on traverse un ruisseau du même nom, large de 2 à 3 mètres, encaissé d’autant, 
et qui est déjà à sec; c’est un lit de torrent qui ne se remplit qu'aux pluies. 

A 12 heures nous sommes au village, qui compte 20 huttes; létape à couvert environ 19 kilo- 
mètres. 

Au cours de la marche, nous avons dégusté d'excellents mohongo et aussi des foumi nounga nounga, un 
très curieux fruit rouge que Dardenne à dessiné à Lofoï; nous ne voyons pas l’arbuste qui le fournit, nous le 
verrons prochainement et alors j'en parlerai. (Voir la planche en couleurs.) 

Remarqué aussi le Joko-loko, gros concombre, jaune à maturité, et caractérisé par ses nombreuses pointes 
molles : non comestible; enfin le village Moambé a des papyrus et deux borassus. 

Les papyrus marquent le voisinage de la Ka-Sanga, qui n’est en effet qu’à 200 pas de nous; mais nous ne 
pourrons pas la franchir ici vu sa profondeur en ce moment; nous devrons la remonter demain par sa rive 
gauche pour aller trouver en amont, au village Ka-Mapembwé, un pont indigène. 

Je consacre laprès-midi à la mise au net de l'itinéraire et à la préparation d’une observation de 
nuit. 

Une tente a été dressée pour nous servir d’abri; le logement se fera dans des huttes que les chefs Ka-Toumba 
et Ki-Somkobéla s’empressent de mettre à notre disposition. 


A la tombée du jour nous sommes régalés d’une audition musicale qui n’a rien de banal; il faut dire 
que les instruments de musique sont très rares dans la vallée de la Lou-Fira; même le légendaire tambour se 
voit et s'entend peu; le gong en bois où en métal n’a pas été vu par nous; les n'dimba (caisses de résonance 
garnies de tiges métalliques sonores) se voient exceptionnellement; l’instrument le plus fréquemment vu 
est l’instrument à cordes confectionné par les arabisés et ayant pour caisse de résonance une calebasse: 
encore ne voit-on ce dernier instrument qu'aux mains des gens ayant le contact européen; aussi fümes- 
nous agréablement surpris en trouvant au village Mo-Ambé un joueur de flûte tout à fait remarquable: 


son instrument est entièrement semblable à une de nos petites flûtes, mais de dimensions plus fortes; 
il permet à son propriétaire de jouer des airs variés, avec trilles, trémolos, pianos, rinforzandos, échos! 
Le musicien a l’air vivement intelligent, met 
vraiment du sentiment dans l'exécution des 
divers morceaux, dont il est naturellement le 
compositeur; il a plaisir à charmer son audi- 
toire ; tous nos gens sont groupés autour de lui. 

Pendant une demi-heure il nous amuse fort; 
Michel a pris une photographie de cette scène. 
Finalement la conversation suivante s'engage : 


— « D'où vient ta gouma-ia-molomo (c’est le 
nom de sa flûte)? 

— « Je la fis moi-même. 

=- « Alors tu pourrais en faire une autre? 

— « Oui, bien certainement. 

— « Je voudrais acheter celle-ci. » — 


L'homme semble se consulter, puis, sans un 
mot, il me tend l’objet convoité par le collec- 
tionneur blanc; je lui remets 2 brasses d'étoffe, 
ce qui lui semble un royal payement, à en juger 
Joueur de flûte au village Mo-Ambe. par l'expression spéciale que prend sa bonne 


frimousse. 


Mais voici le soleil disparu; mettons-nous au cercle méridien : 15 étoiles sont prises, le ciel étant 
superbe. Voilà qui va bien et constitue un fameux apéritif au repas du soir. 


Mercredi, 40 mai 1899. 


Minima de la nuit : 13°,8. 

Au réveil Michel et moi procédons de suite à la prise de l'observation magnétique; les cuisiniers ont 
ainsi le temps de préparer à laise le déjeuner. 

Départ à 8 h. 20 m. 

Au nord de la Ka-Sanga se développe, est-ouest, la falaise des Kow’n’déloungou, le long de laquelle nous 
reviendrons demain ; devant le village Mo-Ambé se dresse le pie M'Kébwé. 

Le chemin que nous suivons est large de 1,50; il réunit toute une série de groupes de huttes qui recon- 
naissent comme chef Ka-Toumba, vu hier. 

Nous longeons la rivière à peu de distance, sans pourtant la voir; seule la décèle une ligne dense de 
vigoureux papyrus; pas d'arbres formant galerie; les abords de la rivière sont en ce moment marécageux et 
impraticables ; sur les trois premiers kilomètres de marche, nous traversons successivement les groupes Mou- 
Koutou (11 huttes); M'héya (7 huttes); Mou-Kobé (9 huttes) ; Ki-Pamba (11 huttes); au sortir de ce village, on 
patauge pendant une centaine de mètres dans une dépression marécageuse, aux abords de laquelle les herbes 
ont subi un commencement d'incendie; on dirait qu'on a fait ici un sentier raccourei en vue de notre passage, 
car nous quittons le sentier élargi qui oblique vers le sud-est en destination du village du chef Ki-Moungou, 
et continuons à longer à quelque distance l’infranchissable Ka-Sanga; les herbes sont très hautes, rendant la 
marche désagréable, d'autant qu’elles sont en parties rabattues et écrasées sur le sentier, ce qui rend celui-ci 
tout à fait glissant; vers le sud se développe la falaise que nous avions abandonnée hier; elle produit l'impres- 
sion d’un vrai mur fortifié, tant, à sa partie supérieure, elle tombe à pic. 

Entre notre sentier et cette falaise, e’est la plaine à allures de verger telle que nous l’avons parcourue hier 
et avant-hier; les arbres sont disséminés; des acacias prédominent, groupés parfois en oasis par six à dix 
beaux spécimens. 


= oi e 


Sous la protection de leurs vastes parasols se développent des bouquets de {oumi-nounga-nounga, ce bon 
fruit acide, rouge, amusant à manger que j'ai signalé hier. 

Nous avons pu constater que les villages séparent leurs champs cultivés, de la brousse, par des fossés; les 
herbes sont rabattues extérieurement sur une largeur de 2",50 à 3 mètres; du côté intérieur du fossé une haie 
en bois épineux, ou simplement en herbes sèches grossièrement tresstes, achève de protéger les cultures contre 
l'invasion des gourmands de la brousse, en particulier les nzibizi et les phacochères; on voit de nombreux 
pièges, lant pour ces derniers gros animaux que pour le petit gibier de toute nature. 

A 11 h. 45 m., avant fait une promenade de 10 kilomètres seulement, nous sloppons au village 
Ka-Mapembwé, chef Pa-n’koni; 36 hultes disséminées par pelits groupes dans des plantations très variées 
et très étendues, dont voici l’énumération typique : beaucoup de manioc, maïs, sorgho, loupondo (haut 
mil à faire le pombé), loukou (petit mil idem), coton (en quantité; on voit les femmes le filer}, pommes de 
terre douces, ignames, pois-cajan, haricots, voandzeia subterranea, arachides, sésame (par places, le sésame 
abandonné à lui-même est redevenu sauvage et pousse en longues tiges avec de belles fleurs en digitales, mais 
de maigres et rares gousses), courges, éalebasses, ricin (abondant), fougère (médicinier cathartique), tibac, 
chanvre, hibiscus esculentis, tomates, piment, aubergine amère (de couleur orange- 
rouge), mioumbou, €anavalia (énorme haricot), quelques bananiers, quelques ficus à 
éloffe, le tephrosia vogelii, qui est une légumineuse dont le sue sert à 
stupéfier le poisson. 

En ce village si bien approvisionné, les 
huttes disparaissent sous une pittoresque gar- 
niture de cucurbitacées; la mienne en mérite 
une photographie. 


A 11h. 40 m., arrivée de M. De H., qui a 
suivi l’autre rive de la Ka-Sanga et a traversé 
celle-ci au pont du village où nous logeons; il 
est parti hier du village du chef Ka-Fwanka ; il 
a logé chez le chef Ma-Tembwé; la route est 
bonne, sauf deux passages marécageux, pro- 


fonds de 30 à 40 centimètres, larges d’une 
trentaine de mètres. Une hutte garnie d’un plant de eourges. 

Dans l’après-diner je recois le chef Ki- 

Moungou et son vassal Pa-n’koni; on se rappellera que nous avions eu leur visite sur le plateau, à la date du 
17 février dernier ; jai alors écris leurs noms : « Ki-Mongwé » et « N’kégni », ainsi qu'il m'avait paru les 
entendre prononcer. C’est à dessein que j'ai laissé dans ce récit les deux notations, et le fait se représentera 
plusieurs fois ; il prouve combien on est exposé à noter des appellations approximatives seulement. 

Ki-Moungou apporte trois paniers de belle farine, neuf d’arachides, deux de patates; Pa-n’koni offre : 
cinq poules, trois paniers de farine, un de maïs, deux de patates, trois de manioc en carottes. 

Je fais à ces braves gens un cadeau d’étoffes, perles et bimbeloterie variée équivalent à leur présent: 
celui-ci est en grande partie distribué à notre caravane; seuls deux soldats ne reçoivent rien que deux mois 
de retenue pour avoir volé au passage dans un des villages traversés ce matin; malheureusement pour 
eux, lé volé à eu confiance dans lavertissement que j'ai fait donner partout, à savoir que tout soldat qui 
volerait où maltraiterait un indigène serait puni aussitôt que signalé ; et ledit volé, tout en hurlant comme un 
écorché, est accouru à moi au milieu des herbes où zigzaguait la colonne; j'ai fait sonner le rassemble- 
ment au pas gymnastique et l’homme a, sans hésitation, désigné les deux voleurs; lun est un soldat que 
Lofoi m'a passé en place du Monghélima tué à Ki-Amakélé; il est done doublement coupable, puisqu'il 
trompe à la fois son ancien chef qui me l’a donné pour un honnête garçon, et les indigènes qu'il connait 
personnellement. 

Tant pis pour lui; la discipline reçoit toute satisfaction. 

Les soldats indigènes doivent être constamment sous la surveillance directe des Européens; il n'est 
plus possible de les abandonner à eux-mêmes après les malheureuses expériences faites à ce jour. 


— 972 — 

Ici encore, au village si accueillant qui nous héberge, voici ce que je constate : le chef Pa-n’Koni 
me présente un morceau de papier plié en quatre, qui lui à été remis par un soldat en poste dans un 
village de la vallée, contre des poules prétendüment destinées à la s'ation de Lofoï; le rusé personnage 
a joué le même tour à de nombreux chefs; il lui avait sufli pour cela de ramasser quelques bouts de 
papier jetés par les Européens; en les pliant soigneusement et en les présentant au nom du blane comme 
des mokandes à poules à rembourser par ce blanc, le truc ne pouvait manquer de réussir. 

J’explique à Pa-n’Koni cette simple histoire, puis je l’indemnise en lengageant à aller plus souvent 
prendre langue lui-même à la station européenne; il causera ainsi avec les blancs, et les fripons de sa couleur 
auront moins beau jeu de le mettre dedans. IIS auraient surtout moins beau jeu si la bride ne leur avait 
été autant lâchée! 

Dardenne prend une aquarelle d’une jolie chute double formée par la Lou-N’gouchié qui dégringole de la 
falaise au nord du village Ka-Mapembwé ; le soleil de après-midi donne lieu à une opposition d'éclairage très 
curieuse ; à sa partie supérieure la chute, étant double, forme une sorte de fer à cheval vivement éclairé, donnant 
à la nappe liquide des allures de coulées d'argent fondu; plus bas les deux bras se réunissent et entrent dans 
l'ombre portée d’un éperon avancé de la falaise; la nappe si brillante devient brusquement sombre, ce qui 
produit un pilloresque contraste. 

sonne observation par 11 étoiles; les débuts de notre nouvelle excursion sont promelteurs. 

Aussi tout le monde est-il bien portant, ce dont on s'aperçoit à la façon dont chacun fait honneur aux 
divers repas. 


Jeudi, 11 mai 1899. 


—————_—_— 


Minima nocturne : 16°,92. 

A T heures nous nous dirigeons vers le pont de la Ka-Sanga; à 1 kilomètre du village commence l’inonda- 
Lion, qui s'étend jusqu’à 250 mètres sur chaque rive, et dans laquelle s'engage la colonne qui a de l’eau jusqu’à la 
ceinture, car le pont n'existe que sur la rivière proprement dite et ses abords immédiats ; il est long d’environ 
8 mètres et est pour ainsi dire complètement sous eau en te moment; le passage est précaire, mais sans lui 
nous aurions dû remonter encore la rivière avant de pouvoir la franchir; bien qu’elle wait que 4 mètres 
de large, elle est grossie par la saison des pluies qui s'achève, et trop profonde pour être guéable; le 
courant semble peu marqué. Des nuées de moustiques voraces et audacieux nous harcèlent pendant le 
passage. 

Le passage s'effectue lentement mais sans accident et nous quittons l'inondation pour traverser les cultures 
des chefs Ki-Ao et Ki-Amakopé, dont les 20 huttes sont réparties en trois groupes; le chef Ki-Ao est très vieux 
et aveugle ; il nous attend sous un grand arbre qui ombrage sa hutte; je lui serre la main et lui fait remettre 
un petit cadeau; le chef Ki-Amakopé nous offre trois poules, un panier de bananes, un d’arachides, deux de 
mais, un de manioc, deux de pommes de terre. 

Nous sommes de nouveau au pied de la falaise des Kou’n'déloungou, dans la partie où elle revient vers 
l’ouest en longeant la rive droite de la Ka-Sanga; une série de pitons parmi lesquels le piton Mou-Kébwé ou 
M'Kébwé signalé hier; car nous revenons littéralement sur nos pas par la rive droite de la Ka-Sanga, occupée, 
comme la gauche, par une série de groupes de huttes avec grandes plantations; successivement sont vus 
les villages Mou-Koula (20 huttes), chef Tandwé; Ki-Foto, chef Ka-Pomfwé; puis trois petits groupes de 
11 huttes à eux trois; à la fin de l'étape, nous entrons au village N’gabila (35 huttes); tous ces villages, sauf 
le dernier, vont puiser leur eau à la Ka-Sanga, tous les ruisselets que nous franchissons n'ayant d’eau qu’au 
moment même où il pleut ; ces ruisselets ont en moyenne 1 à 2 mètres de large, sont presque tous encaissés de 
2 à 4 mètres dans des bancs de schistes et de grès rouges; les plantations principales des villages sont rappro- 
chées de la Ka-Sanga; toutefois des champs ont été ménagés dans le terrain de schistes se délitant et, au village 
Ki-Foto particulièrement, nous constatons avec surprise que le sol des champs de sorgho n’est autre qu’une aire 
recouverte de cailloutis de schistes : pas d'argile ni de terre meuble à la surface, rien que du cailloutis : et le 
sorgho à 3%,50 de haut; le chef de ce village nous offre au passage deux poules, dix œufs, un panier de farine, 
deux d’arachides. 


Jo 


Les passages à grandes herbes, toujours aussi peu agréables, alternent avec des parties à allures de verger, 
à herbe courte; de temps en temps, une termitière avec quelques plants daloès et des euphorbes candélabres ; 
rien d’exploitable dans la brousse; pas une liane, pas un bel arbre; rarement une fleur. 

Aux deux tiers de l'étape, à hauteur d’un pic dénommé Lou-Koudé, la vue porte librement sur une 
immense plaine vers le nord-ouest, l’ouest et le sud; c’est d’abord une vaste nappe verte où les jones et les 
papyrus très serrés décèlent la Ka-Sanga et ses abords marécageux ; au delà de cette nappe claire, un fond plus 
sombre, boisé, avec bordure de hauts borassus clairsemés. 

Un peu après avoir dépassé ce point, nous rencontrons un groupe de noirs se rendant à Lofoi : c’est 
le chef Mou-M'pafou, du village Mou-N’demba, près de la Lou-Fira; un soldat, en poste chez ce chef, 
accompagne le groupe qui amène des chèvres et divers produits au poste. Tout comme nous, le chef 
Mou-M'palou préfère remonter la Ka-Sanga pour aller la traverser au pont de Ka-Mapembwé, plutôt que de 
s'engager dans les marais qu'a traversés M. De H., marais que ce dernier a mis une heure trente minutes à 
(franchir, ayant de l’eau jusqu'aux aiselles ; il avait bien essayé de se faire porter, mais les noirs finirent par le 
laisser tomber à l’eau et il prit un bain froid bien conditionné. Sur mon invitation, le chef Mou-M'pafou 
revient sur ses pas pour loger avec nous à la N’gabila, afin que je puisse l’interroger. 

La N'gabila est une adorable rivière, large de 6 mètres, encaissée de 3, avec 30 centimètres d’eau 
cristalline courant en cascatelles sur un lit de larges dalles de grès; en amont de notre point de passage 
s'entend un bruit de chutes; une superbe galerie arborescente complète à merveille le cadre où nous trouvons 
le village, très sale, du chef Bi-Kaya; il est 11 h. 45 m. quand nous y stoppons, ayant parcouru 18 kilomètres. 

Deux doubles toits de tente sont lestement dressés pour nous fournir un abri nécessaire par manque 
d'arbres ombreux dans le village même; logement dans des hultes qu’on rend le moins malpropres possible. 

Nous nous trouvons ici dans une nouvelle indentation de la falaise, indentation assez étroite, où dominent 
les pics Mwawa-Méoka et Ki-Milombo ; on est un peu écrasé par les hauteurs, mais le site est joli; nous y pas- 
serons la journée de demain, de manière que le prospector et le peintre puissent se documenter, pendant que 
Michel et moi mettrons notre besogne au courant. 

Le chef Bi-Kaya apporte : 1 poule, 2 cruches de pombé, 6 paniers de farine, 2 de patates, 1 d'arachides. 

Le chef Mou-M'pafou, qui est revenu ici avec moi, nous offre une chèvre. 

Ces divers cadeaux réjouissent autant nos porteurs que nous-mêmes; plus personne qui songe à déserter. 

J'interroge assez longuement le chef Mou-M'pafou, qui appartient à la race des Ba-Lamotwa, et je fais 
prendre sa pholographie avec celle du groupe de sujets qui l’accompagnent; sur cette photographie figure 
également le sol- 


dat en poste’ chez 
le dit chef; ce do- 
cument montre 
que la prestance 
des Ba-Lamotwas 
est pour le moins 
la même que celle 
des autres indigè- 
nes; On verra plus 
lard pourquoi jete- 
nais à établir cette 
remarque et à la 
confirmer par une 
preuve visuelle. 


Une bonne ob- 
servation de 15 
étoiles termine au 
mieux cette jour- 
née. 


Le chef Mou-M’pafou (race Ba-Lamotwa) au village N'gabila (1S99). 


Vendredi, 12 mai 1899. 


Minima nocturne : 16°,5. 

Après le déjeuner, pris en plein air, M. Questiaux, accompagné de guides fournis par Bi-Kaya, se 
rend aux chutes de la N’gabila; il met 4 heures pour y arriver, tandis que la descente ne prendra que 
45 minutes. 

Sa reconnaissance ne lui montrera, une fois de plus, que la même formation : un puissant massif de grès 
en muraille verticale, au-dessus de puissantes assises de schistes, sans intermédiaire. 

M. Michel accompagne un moment notre prospector pour photographier la chute. 

Dardenne prend une très fraiche esquisse de la rivière et fait une curieuse étude du massif rougeûtre 
des hauteurs vues d’enfilade vers l’est; pour cette étude notre ami, en peintre consommé, se huche sur 
le toit d’une hutte en construction où le soleil a beau jeu à le boucaner, sans arriver à lui faire aban- 
donner sa place; il est vrai qu'un boy essaie de l’abriter sous son vaste parasol de peintre; là srène est 
piquante, le résultat excellent, comme on le verra par la reproduction en couleurs donnée dans le présent 
ouvrage. 


De mon côté Je calcule les deux dernières observations. 
De 15 h. 35 m. à 16 h. 15 m., même pluie violente qu'hier. 


Samedi, 43 mai 1899. 


————_——— 


Minima nocturne : 15°,2. 

Pendant la nuit j'avais été à diverses reprises intrigué par des gémissements qui semblaient venir du 
voisinage immédiat de ma hutte; on me dit ce matin que, précisément contre celle-ci, à été disposé un piège à 
fauves, avec un jeune chien comme appt; une hyène est venue qui à réussi à enlever le pauvre chien sans se 
faire pincer. 

A 7 h. 15 m., nous reprenons notre route vers l’ouest, parallèlement à la falaise; on suit pendant 5 à 
G kilomètres la lisière de la plaine où paresse la Ka-Sanga, dont on n’est guère éloigné; la proximité des 
parties marécageuses mel sur notre route une quantité de moustiques altérés : ces misérables culex et anophèles 
rendraient enragé l'être le plus calme de la création; nous devons nous entourer le cou et la tête d’un essuie- 
main aux passages infestés; comme la prise de l’ilinéraire m'empêche de mettre mes mains en poche, les misé- 
rables en profitent sans relâche; c’est la seule vie animale qui se révèle dans la brousse d'aujourd'hui. Vrai, 
elle est choisie! 

À part cet inconvénient momentané, et les passages en hautes herbes, la route est bonne; la brousse n’a 
que peu de rapports avec celle du bas Congo; on ne voit pas le m'filou, le malolo (anona senegalensis), 
le n'kwésou, le moulla-panza (pentaclethra macrophylla), le mucuna pruriens (poil à gratter), lentada gigalo- 
bium, l’arbus precatorius, toutes essences caractéristiques de la région du chemin de fer Matadi=Léopold- 
Ville. 

En revanche, les herbes laissent après les vêtements des quantités de semences ou d'organes divers pointus 
et crochus, qui percent souvent jusqu’à la peau, et sont moins qu'agréables. 

Comme compensation, les buissons de toumi-nounga-nounga abondent; on dirait de gracieux bouquets 
de noisetiers sauvages dont les noisettes seraient remplacées par de grosses grappes d’un rouge vif, que blanes 
et noirs arrachent avidement pour s’en régaler à satiété; certains de ces éurieux fruits ont cinq lobes consé- 
cutifs, ayant la forme et la grosseur d’une gousse d’arachide, mais plus longue. (Voir la planche en couleurs.) 

Ce délicat arbrisseau devrait ornementer les stations de ce pays. 

Après avoir laissé sur notre gauche le village Pa-Wasalangana, chef Ma-Tembwé, nous traversons un 
point marécageux aux pluies, qui nous mène au ruisseau Lou-Mbichia à see, puis de suite à la rivière Ka-Lombé, 
large de 4 à 5 mètres, encaissée de 3, avec 25 centimètres d'eau claire courante et une belle galerie arbores- 
cente ; on passe sur un bon pont indigène et l’on entre au village Ki-Bounda, chef Ka-Longami (15 à 20 huttes 
et de grandes cultures); ce chef a fait désherber, à 4 mètres de large, une petite partie la route; nos gens 


2e ons ee 


voudraient nous faire stopper ici; d’après eux le village suivant est très loin, et l’on ne peut songer à camper 
sur la route, parce qu'il n’y à pas d’eau. 

Après la désertion de trois de nos porteurs redoutant les fatigues de notre excursion, voici que notre 
monde en trouve les conditions assez agréables pour vouloir prolonger la durée du voyage; toutefois au lieu 
de stopper nous repartons bientôt. Le sentier s'écarte maintenant un peu du pied des Kou-n’déloungou ; 
alternances de parties d'herbes et de sous-bois agréables jusqu'au village Pa-Kimina-Tenga, chef Moélo, où 
commence l’importante agglomération du chef M'passa, constituée par de petits groupes de huttes dans de 
grandes cultures (le sorgho et le maïs prédominent), sur une étendue de 4 gros kilomètres. 

Il est 12 h. 45 m. quand nous faisons halte au village Ka-Pamba, après avoir couvert 21 kilomètres. 

Nous trouvons pour nous installer de bonnes maisons suffisamment élevées, et qui sont du modèle des 
maisons en pisé failes dans les stations européennes; l’absence de grands arbres nous oblige à dresser un 
double toit de tente comme abri pour le travail des écritures et le deuxième repas. 

Nous avons d'autant plus de plaisir de trouver ces trois où quatre maisons convenables, que tout ce que 
nous avons vu en fait de huttes, aujourd'hui, était bas et sale; les habitants également nous ont paru peu 
propres et plutôt inintelligents. 

Nous sommes arrivés avec la pluie qui, de 12 h. 50 m. à 13 heures, tombe à grosses gouttes ; jusqu’au soir il 
tombe de lemps à autre une goutte iso- 
lée; on perçoit vers le nord les gron- 
dements d’un orage lointain; le ciel est 
laid comme aux plus mauvais jours de 
la saison pluvieuse. 


Dans l'après-midi nous recevons 
les chefs Ka-Songami, Ka-Fwanka et 
M'passa qui offrent à eux trois : 


> poules; 

4 pigeons ; 
20 œufs ; 

T pots de pombé ; 

17 paniers de farine; 

2 paniers d'ignames; 

5 paniers de pommes de terre 

douces ; 
1 panier de manioc en carottes; 


4 paniers d’arachides. 


Tout ce monde est venu en confiance, avec une nombreuse suite de gamins et de jeunes femmes; on 
les photographie. À défaut de photographies sensationnelles, montrant des têtes au bout de piques, nous nous 
contentons aisément de n’enregistrer par nos objectifs que des scènes montrant un accord parfait entre les 
voyageurs que nous sommes et les hôtes qui nous accueillent avec largesse, ainsi que nous en faisons ici la 
preuve graphique. 

Nos trois déserteurs du premier jour de marche sont ramenés par leur chef, et la seule vengeance que 
nous en tirons est de leur faire dire, par les fidèles, combien de paniers de vivres ont déjà été distribués et 
absorbés joyeusement en cours de route. 


A 17 heures la pluie recommence ferme; l'orage s’est rapproché de nous; il fait froid; on doit allumer 
du feu pour nous; mais la pluie qui continue nous force à rester cloitrés; l'observation est impossible: 
de 21 à 22 heures, il tombe de véritables torrents de pluie. 


— 976 — 


Dimanche, 14 mai 1899. 


Minima nocturne : 19. 

Ciel complètement couvert de nimbus; de temps à autre il tombe encore une goutte d’eau. 

Départ à 7 h. 45 m. 

Notre route pique d’abord dans l’ouest un peu nord, pendant environ 7 !/, kilomètres; là elle bifurque; 
un embranchement vers l’ouest conduit au village du chef Ka-Bimbi; nous suivons l’embranchement de droite 
qui se relève nettement vers le nord. 

Pendant ces T!/, premiers kilomètres la route est détestable, gardant, des dernières pluies, de longs 
passages inondés; moustiques innombrables et voraces; je puis à peine prendre l'itinéraire; il faut tout le 
temps s’éventer à l’aide d’un mouchoir; Questiaux et Dardenne s’enveloppent entièrement la tête d’un essuie- 
mains; l'ennui causé par cet infiniment petit est tellement grand qu'on ne se lasse pas de le répéter ; si même 
les moustiques n’inoculaient pas la fièvre, leurs attaques bourdonnantes et piquantes sufliraient à provoquer 
ce déséquilibre qui se manifeste par une fièvre purement mécanique. 

Nombreux passages sous grandes herbes dont les graines acérées — véritables javelots minuscules — 
pénétrent jusqu'à la peau; un autre inconvénient des grandes herbes est qu'on ne voit pas le sentier; on 
marche au hasard, d’un pas mal assuré; on dirait que le pied tâtonne et sent la route avant de se poser; la 
marche est toute différente de la marche ordinaire, et, naturellement, plus fatigante. 

A signaler, à travers la vaste plaine herbue qui constitue le pays parcouru aujourd'hui, toute une série de 
portions circulaires (25 mètres de diamètre en moyenne) à herbe très basse déjà séchée et tombée; ces parties 
forment comme de minuscules oasis avec quelques arbres; il ne serait pas impossible que ce soit le travail 
souterrain des fourmis qui empêche en ces points une plus forte végétation. Par places des dattiers sauvages 
de petite taille sont groupés en buissons, ou bien ce sont de nombreux petits acacias épineux très désagréables 
le long du sentier; enfin, j'aurai tout dit de la flore peu variée, en signalant les deux ou trois points 
caractérisés par des acacias-parasols de belle taille et assez nombreux, et deux fruits sauvages : le moukoré 
(non mür), et une petite baie à quatre loges, sans pulpe, mais que l’on suce pour sa saveur douceâtre un peu 
parfumée. | 

Le sentier s’est écarté de la falaise qu'on voit filer droit dans le nord; les indigènes donnent à ces 
hauteurs le nom de Mou-kÿn'gè-n'gamba; pas une seule fois encore, depuis Lofoi, nous n'avons entendu le 
mot Kou-n’déloungou. 

A remarquer aussi que la plupart des saillants de la falaise ont un nom local. 

Comme roches dans la plaine nous foulons quelques blocs de limonite, et ramassons quelques échan- 
üllons de concrétions calcaires. 

Encore un passage marécageux, suivi de la rivière Lou-Oungwé aux abords également marécageux, et nous 
entrons au village Ki-Swa, chef Mouiné-Kamba (30 huttes). 

Il est 143 h. 50 m.; nous avons fait environ 24 {/, kilomètres. 

Les gens de Ki-Swa sont poudrés à frimas (les uns avec de la farine, les autres avec de largile blanche), 
de sorte que je ne m'aperçois pas tout d’abord que je n'ai à faire qu'au sexe laid et fort; les allures de ces 
pierrots africains sont au surplus bizarres et empreintes d’un manque de confiance absolu. 

Le village est admirablement dégoûtant; nous nous y installons tant bien que mal; et le chef Mouiné- 
Kamba peut s’'amener avec quatre poules, cinq paniers farine, un panier arachides. 

Comme je lui demande pourquoi lui et ses gens se sont passés à la couleur blanche, il me répond que 
c’est en signe de soumission : 

« Nous avons appris qu'une colonne comptant plus d'hommes et de soldats que nos plaines ne comptent 
de tiges d'herbe était en route vers nos villages; et nous nous sommes blanchis pour montrer que nous ne 
voulions pas la guerre. » 

Ce propos — d'un hyperbolisme digne de l'Orient — laisse à penser que quelque manœuvre louche s’est 
produite, ou que ces gens n’ont pas cru pouvoir se fier à ce qu'on à pu leur dire de nous. 

Quoi qu'il en soit, Je traite le chef Mouiné-Kamba si aimablement que bientôt tout son monde rapplique 
au village, y compris le beau (?) sexe, ce qui me prouve que toute confiance est revenue. 

Après le chef de Ki-Swa, je reçois Ka-M'bilo-m'hilo qui, me dit-il, est »’{o'o (fils) du grand chef Sampwé 


— 9717 — 


de la Lou-Fira; il est venu en pirogue par la Lou-Fwa où nous logerons demain, pour nous souhaiter la 
bienvenue; nous lui faisons un présent pour l’illustre Sampwé. 


Après-midi ordinaire pour moi, e’est-à-dire rédaction de notes, calculs et préparation de l'observation 
de nuit. 

Michel trace une percée méridienne dans les plantations; celles-ci abondent en pigeons sauvages; mon 
adjoint en abat six, de trois coups de feu; cela nous fera un excellent déjeuner demain matin. 

Soirée couverte; observation impossible. 


Lundi, 15 mai 1899. 


Minima de la nuit : 15°. Forte rosée. 

Questiaux a eu la malchance de tomber dans une hutte vermineuse; sous les assauts des tiques, il n’a pu 
fermer l'œil ; aussi est-il, ce matin, prédisposé à la fièvre. 

Départ à T h. 10 m. Direction générale : nord-ouest. 

A la sortie du village Ki-Swa se montrent de nombreux acacias épineux, puis des grandes herbes déjà 
brülées en partie, ce qui est bien inattendu à ce moment de l'année; peut-être est-ce pour en dégager le plus 
tôt possible les villages, car, au sortir de cette partie de hautes herbes, nous traversons le village Ka-Louissa 
(14 huttes), chef Ina-m'foumou. 

Au sortir de ee village la route grimpe sur une termitière arasée, du haut de laquelle on aperçoit, vers le 
nord-ouest et tout à l'horizon, une trouée dite Xi-Ombo, dans une ligne de hauteurs marquées, de direction 
générale nord-sud, c’est-à-dire parallèle à celle des Kou-n’déloungou; la partie au nord de la trouée est appelée, 
par nos guides, Ka-Lambo; la partie au sud, Ki-Ama. Entre ces hauteurs de l’ouest et les Kou-n’déloungou à 
l'est, s'étend la plaine drainée par la Lou-Fira, plaine uniforme, basse, herbue, fatigant l'œil par sa mono- 
tonie. Cette plaine se prolonge, à perte de vue, vers le nord=nord-est par celle de la Lou-Fwa, affluent de la 
Lou-Fira. 

La route est moins désagréable que celle d'hier, sans toutefois être d’une gaieté folle avec ses alternances 
de passages marécageux — où le pied s'enfonce dans une épaisse et gluante boue noire laissant de lourdes 
plaques aux semelles du promeneur — et de parties à sce, au sol d'argile brune parsemé de nodules de limonite 
et de débris de concrélions; de temps en temps des cercles dénudés comme ceux signalés hier; dans les parties 
marécageuses les herbes sont hautes; ailleurs les herbes sont moyennes; ces herbes ne sont plus celles 
d'hier: elles ont l'avantage de ne plus décocher de javelots au passant; une espèce simule une grande folle 
avoine. 

De-ci de-là, petits bouquets de borassus. A mi-route nous observons de nombreuses termitières 
basses, en terre molle, remplies de brin de paille coupés à quelques millimètres de longueur. Moins de 
moustiques qu'hier; traces de lions (d’après nos guides), de hyènes et d’antilopes. 

D’après ce qui se découvre et se dérobe successivement comme horizon au cours de la marche, il 
semble que cette plaine soit formée de longues ondulations peu sensibles. 

À 10 h. 20 m., nous sommes devant la Lou-Fwa que son rideau d'arbres nous avait signalée depuis quelque 
temps. 

La rivière est large de 8 à 10 mètres, encaissée de 2 à 3 mètres environ; son courant marqué est 
encombré de snags; l’eau est assez sale. 

Le chef Sampwé a fait venir de chez lui deux petites pirogues pour assurer notre passage, la rivière 
étant en ce moment trop profonde pour être franchie à gué; le transbordement de notre colonne durera 
1 1/, heure. 

Nous assistons au passage des caisses d'instruments; Michel prend une couple de photographies: puis 
nous gagnons le village Lou-Fwa où nous arrivons à 11 h. 35 m.; l'étape est de 16 kilomètres. 


— 978 — 


Le village Lou-Fwa est sous l’autorité d’une femme, M" Mawana, fille de Sampwé ; la bonne hôtesse nous 
a fait préparer des logements; chose à noter, tous ces villages n’ont pas d'arbres sous lesquels on puisse 
trouver abri contre les ardeurs du soleil; nous dressons donc un double toit comme abri. 

Questiaux arrive à l'étape fiévreux, et se 
couche dès qu'on a nettoyé à fond sa literie 
pourrie de tiques prises la nuit dernière. 

Bientôt Me Mawana s'approche et offre 
gentiment deux poules, un panier de farine, 
un d’arachides et trois de pommes de terre 
douces; elle nous octroie la permission de la 
photographier; comme je lui demande de nous 
procurer si possible des œufs ct du poisson, 
elle nous aflirme qu'il n’en existe pas au vil- 
lage; hier, à Ki-Swa, il avait aussi été impos- 
sible de trouver un œuf., À remarquer aussi 
que nous n'avons vu de miel nulle part. 

Un plus réel ennui est, qu'aujourd'hui 
comme hier, nous ne trouvons qu’une eau 
mauvaise, d’une coloration jaunâtre et d’un 
fort goût de marais; notre filtre à charbon, 
non plus qu'un petit filtre à bougie et à pompe, 


apporté par M. Questiaux, n’enlèvent le mauvais 
La femme-chef Mawana. goût de ce breuvage naturel. 

En faisant un tour dans le village je trouve 
quelques cailloux roulés; je constate aussi que les indigènes ont beaucoup de fusils, mis bien en évidence; les 
villages ont les ordinaires « maisonnettes des esprits », dont j'ai parlé à plusieurs reprises. 

Belle soirée : observation facile par 16 étoiles; au début de l'observation, superbes pinceaux de lumière 
antizodiacale; au milieu de lun d'eux brille Jupiter. 


Mardi, 146 mai 1899. 


Minima nocturne : 13°,4. Rosée abondante; il fait frisquet; toute la plaine est dans le brouillard. 

De 6 h. 30 m. à 7 h. 35 m., pris les trois composantes magnétiques. 

A Sh. 10 m nous sortons de Lou-Fwa-Village, marchant vers l’ouest 15° Nord; un moment on distingue 
les hauteurs de Pouest. 

Route facile, sauf toujours les passages sous hautes herbes qui, aujourd’hui, sont l'exception; les herbes 
basses et moyennes dominent; terre noire grasse, trop grasse, se durcissant fortement et se crevassant 
par la sécheresse; on peut se rendre compte que ce terrain est en grande partie sous eaux à la saison des 
pluies. 

Peu d'arbres, sauf des bouquets de borassus grêles et, en un point, une ligne d’acacias et d’une autre 
légumineuse, simulant un rideau de ruisseau; comme note pittoresque il y a à signaler de nombreuses 
asperges sauvages, mettant dans les herbes basses la joie vive de leurs grelots rouges; il y a aussi des char- 
dons que Dardenne baptise du nom d’un voyageur qui a préconisé de marcher, en Afrique, les mollets nus, 
afirmant qu'on à avantage à s’habituer à être éraillé et écorché par les épines et les ronces non artificielles 
qui émaillent la brousse; je n'ai connu personne qui eut suivi pareil conseil. 

Enfin, si je note que le sol est couvert, d’une façon continue, de cailloux roulés, j'aurai signalé tout ce qui 
s’est présenté d’observable aujourd'hui. 

Mais voici que, brusquement, la route s’élargit à S mètres; c’est Sampwé qui a ordonné ce travail en vue de 
notre arrivée ; le vieux chef est venu à notre rencontre, et — contraste à noter avec les allures au village Lou- 
Fwa — on ne voit pas un seul fusil. Voulant répondre à ce bon accueil, je mets Sampwé dans mon hamac et 


= 


marche à côté de lui, ce qui provoque de la part de ses gens une formidable clameur qui s’enfle jusqu'aux 
villages proches. 

Avant d'y arriver, je grimpe au sommet d’une haute termitière, d’où se découvre très bien le pays; nous 
sommes tout près de la Lou-Fira, mais rien, pas un arbre, ne marque ici son cours; vers l’ouest on à deux 
plans de hauteurs ; les hauteurs d’arrière sont celles déjà vues et signalées hier; c’est par la percée Ki-Ombo 
que passe la Lou-Fira ; la ligne de hauteurs plus proche de nous, moins accentuée, laisse voir d'ici la percée 
des chutes que nous venons visiter. 

Les toits des huttes des groupes dépendant de Sampwé et échelonnés sur la Lou-Fira, ainsi que plusieurs 
termitières, sont couverts de moricauds pour qui notre arrivée est un cortège inaccoutumé; tout le village où 
mène la grand’route s’est porté vers nous; les femmes hurlent la bienvenue, les mâles gambadent follement; et 
le vieux Sampwé me paraît stupéfait de la bonne grâce que j'ai mise à lui offrir mon hamac. 

A 10 h. 45 m. nous entrons dans le boma principal de Sampwé; nous avons fait 11 kilomètres. 

Le village s'appelle Ka-Langa ; il ne compte pas moins de 125 huttes, non comprises les dépendances que 
Michel ira visiter dans l'après-midi; ee gros village se développe sur la rive droite de la Lou-Fira, en un point 
où la rivière, faisant.un coude marqué, offre à Dardenne une perspective des plus heureuses que le peintre con- 
signera tantôt par une adorable aquarelle, reproduite dans le présent livre. 

La Lou-Fira est, ici, appelée aussi Lou-Alaba; les gens que j’interroge à ce sujet me répondent que Lou-Fira 
et Lou-Alaba c’est la même chose, c’est « la grande eau »; malheureusement cette « grande eau » est bien mau- 
vaise en ce moment; son odeur la rend imbuvable, et cette saveur ne disparait pas par le thé; elle se masque 
toutefois par le café. 

Depuis Lofoi nous n'avons eu que deux fois de la bonne eau : à Lou-n’Koubé et à la N’gabila. 

Nous nous installons dans des huttes; j’occupe la demeure du chef; elle est énorme. 

Notre installation terminée, je reçois le chef Sampwé et son fils Ka-M'bilo-m'hilo, vu avant-hier à Ki-Swa ; 
ils offrent à eux deux : une chèvre, douze poules, vingt-six paniers de farine, deux paniers d’arachides; de plus 
on nous vend, pour trois brasses d’étoffe, un énorme loupé-ngiwé (phacochère) tué à coups de lances, et à 
21 heures Ka-M'hilo-m'bilo apporte encore un zèbre que ses chasseurs sont allés abattre à notre intention. 

On voit d'ici quelle fête pour tout le monde, car presque tout cela est distribué à nos noirs. 

Il y a un soldat en poste à Ka-Langa; il à eu la bonne idée de nous réunir une corbeille d'œufs; 
ainsi s'explique que nous n’en avons pas trouvé à Lou-Fwa et à Ki-Swa; notre homme avait tout mobilisé 
chez lui. 

Après le lunch, Michel et Questiaux remontent la Lou-Fira pour se rendre compte de l’importance de 
l’agglomération totale de Sampwé, et voir le confluent de la Di-Kouloué, aperçu tantôt du haut de la 
termitière. 

Entre-temps j'interroge Sampwé qui me dit qu’il y aura, pour nous, deux étapes d'ici aux chutes; nous 
tächerons de n’en faire qu’une. 

Comme l’idée m'est venue de ne pas rentrer à Lofoi par le chemin que nous venons de suivre, je demande 
au vieux brave si je trouverai un chemin par l’autre rive de la Lou-Fira. 

« Oui, est la réponse, si, des chutes, tu reviens d’abord ici; nous te ferons traverser la Lou-Fira et nous 
« te guiderons, par un ancien sentier peu fréquenté, jusqu’au village Mirambo où passe une bonne route vers 
« le sud. » 

Je demande alors à Sampwé de me fixer à peu près les gîtes d'étape pour le retour par cette route; de 
ses indications résulte que nous mettrons dix à douze jours pour regagner Lofoi; la route serait bonne: nos 
capitas la connaissent en partie. 

Ces renseignements me décident à adopter le plan de retour par la rive gauche; il en résultera une 
prolongation de notre reconnaissance; en conséquence, j'écris à M. Delvaux pour l'en avertir; il devra prévenir 
M. Verdick et nous envoyer un supplément de vivres; je lui donne les détails suffisants pour que le porteur 
de sa réponse puisse venir à notre rencontre. 


% 


Cela fait, je mets l'itinéraire au net et prépare l'observation. 


Michel et Questiaux rentrent de leur excursion; les divers groupes dépendant du chef Sampwé — nous 
somuies chez des Ba-Lembwés — occupent la rive droite de la Lou-Fira, depuis le confluent de la Di-Kouloué 
{affluent de la rive gauche de la Lou-Fira) jusqu’à quelques 8 kilomètres en aval. 

Sur la rive gauche existent des cultures avec huttes de garde; cette rive gauche est d’ailleurs plus basse 
que la droite, et par suite plus soumise aux crues; il paraît dès lors improbable que les villages que nous 
trouvons en ce moment sur la rive droite aient jamais été situés sur la rive gauche, dans 
l'angle sud du confluent de la Di-Kouloué, comme on le trouve encore indiqué sur des cartes 


semi-officielles. 11 ne fallait pourtant ni méthodes, ni connaissances, ni instruments spéciaux 
pour fixer pareil détail. Pauvre science géographique! A-t-elle été et sera-t-elle encore assez 
impudemment violée. 


Michel photographie un énorme récipient à farine ou à graines, sorte de 
tonneau formé d’une seule bande d’écorce d'arbre (d'un arbre colosse), enroulée 
selon sa forme cylindrique naturelle, munie d’un fond en bois fixé par une solide 
ligature, et cousue latéralement par le moyen de lianes; cette écorce est, nous 
dit-on, imputrescible et inattaquable par les charençons et autres voraces parasites 
qui demandent au cullivateur noir, comme au blanc, une part forcée de ses 
récoltes. Et se défendre soi-même contre ces intrus est encore plus sûr, ici comme 
en Europe, que de compter sur la protection des fétiches, tels que ceux qui sont 
disposés en série devant la maison de Sampwé : marmites avec eau et coquilles d’escargots; poteaux fichés en 


terre dans un tas de cailloux roulés et surmontés d'un vieux pol, ete. 


Bonne observation par 15 étoiles. 


Mercredi, 17 mai 1899. 


Minima nocturne : 15°. 

A Th. 10 m., nous franchissons la poterne et le fossé du boma qui encerele le village où nous avons logé. 
Dès que nous sommes dehors, nos veux sont frappés, dans la direction nord-ouest, par la vue d’un énorme 
nuage isolé, immobile, touchant le sol; ce sont les Ai-Oubo, — disent les guides et les gens de Sampwé — les 
Ki-Oubo où vous allez. 

Et nous nous arrélons un instant pour contempler cet effet pittoresque qui me rappelle le nuage analogue 
bien connu des rares voyageurs congolais qui ont vu les chutes de linkissi, ce merveilleux spectacle naturel 
que des centaines d'Européens, au temps où l’on parcourait encore la route des caravanes Matadi=Léopold- 
Ville, ont négligé d'aller admirer. 

A noter ici que les herbes sont déjà brülées dans le voisinage immédiat du boma de Ka-Langa. 

Pendant trois quarts de kilomètre, la route longe la Lou-Fira jusqu'à un groupe de 45 huttes réunies 
sous l'autorité du chef Ka-Béça et portant aussi le nom de Ka-Langa; là nous obliquons un peu vers l’est 
pour éviter une zone encore inondée de 1,50 d’eau en ce moment; deux autres groupes de huttes se voient 
sur le bord même de la rivière, tous dépendant toujours de Sampwé; en aval de ces groupes, la Lou-Fira 
s'habille d’une belle galerie arborescente qui marque son cours sinueux. 

Notre détour nous fait passer le long d’un rideau d'arbres, à une couple de kilomètres de la rivière; 
entre celle-ci et ce rideau d'arbres s'étend une plaine herbue; les herbes sont généralement hautes; des 
portions sont déjà brülées; en un point où le sol est dénudé, nous relevons des traces de lions (aflirmation de 
nos guides); vers le septième kilomètre de cette étape, on se rapproche de la Lou-Fira, en traversant une 
portion un peu marécageuse; on sort ainsi de la plaine de grandes herbes, à terre noire grasse, et l’on trouve 
un sol de limonite, parsemé de cailloux roulés et de quartzites. On longe la belle galerie de la rivière, formée 


ie 


de grands arbres parasols, de borassus nains, de phœnix, ete.; lherbe est moyenne et clairsemée; parfois la 
plaine est presque nue; la Lou-Fira décrit des zigzags marqués dont nous suivons les cordes; à l’un des coudes 
où nous touchons la rivière, nous notons des efllorescen”es salines peu abondantes, et de nouveau une bande 
marécageuse doit être traversée, qui s'étend sur environ 1 kilomètre entre les deux rivières Lou-Silabama el 
Ki-Fourwa; cette dernière a 75 centimètres de profondeur. Ce méchant passage franchi, nous arrivons au 
village Ka-Sépa, chef N’géréka; ce village, de construction récente, compte 41 huttes disposées le long de la 
Lou-Fira ; il n’y existe pas un seul arbre; nous stoppons de 10 h. 40 m. à 11 h. 30 m. pour prendre des ren- 
seignements. 

Le village possède quatre pirogues, dont on se sert vers l’amont et un peu vers l'aval, car on est proche des 
Ki-Oubo; son chef N'géréka dépend d’un chef N’sabila dont la résidence est située sur la rivière Lou-A’n'tenzi 
que nous traverserons tantôt au départ de Ka-Sépa. 

Jai ici une nouvelle — et trop fréquente occasion — de constater combien il importe de rectifier les 
itinéraires (imprimés ou manuscrits) existant à ce Jour; sur ceux dont je suis muni, je trouve la rivière Lou- 
a’n'tenzi renseignée sous le vocable Lou-Atéchi; le village du chef N'Sabila s’y trouve porté sous le nom de 
«Chin-Koka », alors que «Kinkoka » est un fils de N’'Sabila ; enfin ce dernier est appelé, sur ces itinéraires, 
«Mossapila ». Il y a évidemment des analogies entre tous ces noms; mais l'habitude de désigner les villages 
par le nom de leur chef (presque toujours mal rendu) est à abandonner complètement sous peine de n'avoir 
jamais une carte d'actualité, car seuls restent, par transmission successorale, les noms de quelques grands 
chefs; de plus, comme plusieurs groupes dépendent souvent d’un même chef, on les trouve {ous indiqués 
sous la même appellation. Il faut fixer le nom de la terre, de celui ou celle qui y exerce l'autorité et, le cas 
échéant, donner le nom du suzerain; quand, avec cela, on donnera la latitude et la longitude, et l'altitude à 
quelques dizaines de mètres près, et aussi la déclinaison magnétique, on aura tout à fait fixé les idées. 

A 11 h. 50 m., nous nous remettons en marche; la route, qui continue à 
prendre les cordes des grands arcs décrits par la Lou-Fira, s'infléchit nettement 
Ouest 10° Nord; en quittant Ka-Sépa on a à franchir la Lou-a-n’tenzi, qui forme 
marais à papyrus sur 600 à 700 mètres de large; les hommes ont de l’eau 
jusqu'aux épaules: les boys — des gamins — doivent être portés. 

Ces passages marécageux rendent la route désagréable, mais, quand le 
moment sera venu, des ponts seront facilement jetés là où il le faudra. 

La galerie arborescente de la Lou-Fira s’est de nouveau interrompue; sur 
les deux rives s'étend une large plaine herbue où le gibier doit être abondant, 
ar nous devons franchir, à certain moment, une haie de traqueurs dont le 
développement est de plusieurs kilomètres; dans cette haie solidement construite 
sont aménagées, de distance en distance, des ouvertures munies de pièges variés, 
constitués les uns par un trou recouvert de branchages, les autres par des lacets, 


d’autres encore par des couloirs où le gibier — généralement des carnassiers 
dans ce cas-ci — s'engage pour saisir un appät formé d’un paquet de mulots 


ou de quelque autre petit animal; en saisissant l’appât, l’imprudent fait décli- 
queter un tronc d'arbre qui l’écrase; Michel photographie un de ces pièges 


primitifs, mais sûrs. 

Nous approchons des « Ki-Oubo » dont le rude grondement à commencé à Piège à gibier. 
se faire entendre; le nuage de ce matin à disparu, bu par messire soleil; chose 
remarquable, nous n'avons pas de ligne de hauteurs même faible devant nous; tout au plus un léger relève- 
ment du terrain, ce qui confirme limpression que nous avions eue ce matin en quittant Ka-Langa, à savoir que 
les chutes Ai-Oubo (il n’y a plus de doute sur ce nom exact que prononcent invariablement ainsi tous les 
indigènes) étaient en plaine, alors que les cartes et les renseignements (présentés comme positifs) de nos 
prédécesseurs, en font une percée dans une ligne de hauteurs. 

Sans doute n’ont-ils vu les Ki-Oubo (improprement appelés Djouo sur les cartes) que de très loin: ils ont 
eu alors une illusion de perspective telle que celle que nous avons eue nous-mêmes hier du haut de la 
termitière, à l’arrivée chez Sampwé. 

Les constatations de fait que nous ferons aux chutes mêmes expliqueront le phénomène. 


8 — 


Le sentier touche maintenant la rivière, qui a repris son admirable et verdoyante galerie; encore un point 
marécageux, suivi d'un sol de grosses dalles de grès et nous sommes aux Ki-Oubo. 

Il est 13 h. 20 m.; l'étape a couvert 21 1/, kilomètres. 

Le point est important à tous points de vue; c’est pourquoi, l’âge de la lune étant favorable, nous allons nous 
installer ici pour quelques jours, aux 
fins de prendre une série de culmina- 
tions lunaires; il y aura aussi du travail 
pour le prospector, pour le peintre et 
le photographe taxidermiste. 

Le campement est dressé dans un 
site pittoresque, à demi-boisé; mal- 
heureusement les grands arbres — à 
part ceux de la galerie de la Lou-Fira — 
manquent, et nous devons construire 
une salle à manger du moment, rapi- 


dement installée d’ailleurs, car elle ne 
comprend qu'un hangar largement 
ouvert. 

Pendant que ce campement s'élève 
sous la direction de mes compagnons 
de route, je descends vers les chutes 
dont le redoutable grondement nous 
réjouit; ainsi que le montrent nos 
cartes, les chutes Ki-Oubo forment 
l'amorce d’une étroite dépression, en 


contrebas d'environ 80 à 100 mètres, 


Campement aux chutes Ki-Oubo (1599). 


relativement à la plaine proprement 
dite de la Lou-Fira. 

C'était bien le nuage formé par le terrible remous des eaux tombant dans cette dépression que nous avions 
aperçu en sortant de Ka-Langa ce matin, à l'heure où la bute, condensée par le froid de la nuit, s'élève en 
impalpables gouttelettes jusqu'à 75 mètres de hauteur et plus, en une masse grise où le soleil forme 
un arc-en-ciel complet dont les jeux, dans cette draperie perpétuellement flottante, sont de toute beauté; puis 
la chaleur solaire en provoque l’évaporation pour le reste de la journée, et le gros nuage sombre disparaît ne 
laissant de buée qu’au contact direct de la chute. Les Ki-oubo sont constituées par un escalier de géants dont la 
dernière marche à 16 à 18 mètres de hauteur à pic; on a ainsi devant soi une succession de violents rapides 
aboutissant à une chute proprement dite; cet ensemble ne peut s’embrasser d’un seul coup d'œil; pour 
aujourd'hui — car je dois préparer l'observation de ce soir — je me contente de chercher le meïlleur point 
d’où se découvre bien la partie d’amont des chutes, que Dardenne viendra peindre et Michel photographier; 
mes noirs, la machette à la main, ne s’avancent que prudemment, redoutant de dégringoler avec quelque 
énorme bloc rocheux mal équilibré; comme c’est amusant! car nul accident ne se produit et, après un bon 
temps de recherches, il me semble que nous avons déterminé le vrai point de vue. 

Retournons au camp nous mettre au travail des notes pendant que Michel, Dardenne, Questiaux et De IH. 
vont à leur tour se remplir les yeux du spectacle gratuit des Ki-Oubo. 


Reçu le chef N’géréka qui nous a guidés jusqu'ici et qui présente la coutumière offrande : 12 poules, 
L bouc énorme et puant, 10 œufs, 17 paniers farine, 2 paniers d’arachides; je note ici que le nom indigène 
de l’arachide est ka-longa, qui est aussi le nom de l’agglomération de Sampwé. Y a-t-il un rapport quelconque 
entre les deux? Je n'ai pu le déterminer. 

Comme j'interroge N’géréka au sujet de ce qu’on trouve en continuant à descendre la Lou-Fira, il me dit, 
entr’autres choses, qu'on arrive de suite au village Mo-Lobo, chef Ki-Alwé, qui possède des grottes. Voilà qui 
accentue l'intérêt de notre excursion. 


Pour accentuer nos raisons d’être en joie, l'observation du soir est absolument réussie, par 15 étoiles et a 
lune (premier bord). 

Tout serait parfait si Dardenne, arrivé un peu fiévreux à létape, n'avait dû se coucher vers 19 heures, au 
lieu de paraître au repas du soir. 


Jeudi, 18 mzei 1899. 


Minima nocturne : 14°. 

Pendant les premières heures du matin, la buée ténue du nuage des Ki-Oubo, irisée par les ravons 
solaires, comme argentée par places, tombe sans relâche sur notre campement. 

M. Questiaux, fiévreux, doit garder la tente; son étude du terrain egt remise à demain. 

Dardenne et Michel fixent les chutes; l’un sur toile, l’autre sur plaques. 

Pour moi, je mets au courant le Journal de route et effectue le calcul des dernières observations. 

Visites intéressantes dans l'après-midi; c’est d’abord le chef Ki-Alwé, du village à grottes dont on nous à 
parlé hier; c’est un homme bigle et à demi-sourd qui arrive les mains vides, semble tout étonné d'être 
pourtant bien reçu et promet de nous apporter bientit son cadeau. 

Le chef N'géréka nous vient dire le bonjour du voisin; il a apporté un petit pot d'huile de palme : « Fu 
verras des palmiers, me dit-il, si tu descends jusqu'au village du chef Ki-Ombo. » 

Et voici venir précisément ce chef, avec une petite chèvre, un panier mais et trois de farine; son village 
s'appelle Ki-Boué et on y trouve, en effet, quelques élaïs, grande rareté botanique ici : nous serions à l'actuelle 
limite, vers le sud, de ce précieux palmier; j'entends la limite actuelle en temps que culture indigène, car 
— ainsi que je l’ai signalé — il y a de jeunes élais à Lofoi-Station. 


De 16 h. 50 m. à 1S heures, nous fixons les trois composantes magnétiques. Et la journée s'achève par 
une deuxième observation astronomique réussie (11 étoiles et la lune). 


Vendredi, 19 mai 1899. 


Minima nocturne : 149,9. Il fait frisquet sous la buée léuue qui tombe du nuage des chutes, où le soleil 
levant se joue à plaisir. 

Michel a mal dormi, mais n’est pas hors de service; Questiaux ne pourrait encore quitter le camp; De H. 
est malade à devoir rester dans la tente. 

Dardenne est en bon point; quant à moi, j'ai passé une excellente nuit et me sens tout à fait dispos. Tant 
mieux, Car il y a du caleul sur la planche. 


Les indigènes des environs viennent vendre force vivres à nos porteurs; j'y note des paquets de miongé 
nanzôvo, OU Canne à sucre. 


On se souvient que, le 15 mai, au départ de Ki-Swa, nous avons traversé un village pour lequel nos 
guides ont donné le nom de Ka-Louissa, chef Ina-m'foumou; aujourd'hui arrive au camp une femme du 
nom de Moyéba, qui est la « femme-chef » de ce village; je crois comprendre que Ina-m'foumou est le 
suzerain dont elle dépend; elle offre 22 pigeons, T paniers farine, 4 d'arachides, 1 de pommes de terre el 
1 calebasse d'huile de palme, qui est épaisse, presque solide, au lieu d’être fluante et claire comme dans le 
bas Congo. 

Après cette femme-chef, c’est un certain Mwépo, vassal de N’sabila (dont j'ai parlé hier) qui apporte 
# poules, 15 œufs, 1 régime de bananes et 1 panier de farine. 


OS 


Il est remplacé en audience par Ki-Alwé, notre demi-sourd d'hier, qui se ramène aujourd’hui avec des airs 
plus dégagés, car il apporte 7 poules, 3 paniers de farine, 4 de pemmes de terre, 4 d’arachides, 1 de maïs non 
décortiqué et 2 jarres de tokwa. 

Le tokwa est réputé comme la meilleure préparation de pombé; il différerait des ordinaires brassins en 
ce qu’on ajoute — si je comprends bien — du jus de canne à sucre. Voyez-vous les raflinés! Dardenne, qui 
déguste religieusement ce breuvage nouveau pour nous, déclare que c’est «le lambic supérieur » de ces pays 
lointains. 


Butte géodésique construite aux chutes Ki-Oubo (rive droile de la Lou-Fira) (1899). 


: 


Soirée couverte; toutefois, j'arrive à prendre une troisième observation complète par 7 étoiles et la 
lune. 


Que je dise ici que mes trois observations de culmination lunaire ont donné, comme longitude des Ai-Oubo 
les trois valeurs suivantes : 
17 mai : 927. 1!. 49,39 Est Greenwich. 
1S mai : 0'. 41.00 » 
19 mai : Dee » 


Moyenne : 270. 4. 35,98 Est Greenwich. 


Par le transport de l'heure (1 chronomètre) la longitude fut trouvée égale à 270.4. 41,69. 


La moyenne des culminations lunaires reçut un poids 9, le transport de l'heure un poids 1, ce qui fournit 
comme longitude définitive des Ki-Oubo : 27°. 2!. 95! 08 Est Greenwich. 


Re nee 


289 — 


Quant à la latitude, les trois observations fournirent 


Amie 200% 30/24561S10 
IS mai 19,81 
19 mai 491070 
Moyenne : —9°. 50'. 49,50, avec une erreur moyenne de + #". 


En reportant cette position très assurée sur une carte semi-oflicielle dont je suis muni, je trouve que les 
chutes appelées, sur cette carte, Djouo, doivent être déplacées de 6 à 7 minutes vers le sud et de 14 à 15 minutes 
vers l’ouest; le déplacement, on l’avouera, valait la peine d’être fixé. Cette peine eût été évitée, si les voya- 
geurs, qui firent les premiers croquis cartographiques de ces pays, avaient été des observateurs, munis de bons 

; 


instruments. Je taperai sur ce clou jusqu'à ce qu'il soit enfoncé. 


Samedi, 20 mai 1899. 


Minima nocturne : 140,6. 

M. Questiaux est sur pieds. M. de H. va mieux. 

Javais cru, hier soir, que j'allais piquer un peu de fièvre à la suite du travail excessif de ces derniers Jours: 
il n’en a rien été, heureusement, et je me sens étonnamment dispos. 

Nous séjournerons encore ici aujourd’hui pour permettre à M. Questiaux de prospecter les chutes. 
Notre chercheur d’or part de suite après le déjeuner. 

Michel consacre sa matinée à achever d’édifier deux énormes 
buttes commencées hier et marquant le méridien; elles sont for- 
mées de blocs de grès. 

Pendant son excursion, j’abats les calculs de l'observation 


Ÿ. 
K 
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N 
N 
N 
L 
o 
D 


d'hier. 

M. Questiaux rentre pour le deuxième repas; il à trouvé un 
chemin menant au pied même des chutes; le repas achevé, nous 
repartons ensemble (Michel nous accompagne muni de son appa- 
reil) pour refaire ce chemin. 

Pour ce, de notre point de campement, situé à hauteur 
des chutes grondantes, nous devons nous porter à environ quinze 
minutes en aval pour trouver une sente de gibier amenant à la 
rive droite de la Lou-Fira, qu'il faut alors remonter à travers roches, 
lianes, troncs d'arbres écroulés, etc. 

Mais comme on est payé de sa peine par la grandeur du 
spectacle, moins sauvage et moins sombre qu'à l’Inkissi sans 
doute, mais plus théâtral, plus décor de fécrie! En particulier, 
la vue des parois en surplomb qui bordent la Lou-Fira immédia- 
tement en aval des Ki-Oubo, est écrasante de grandeur. Les schistes 
inférieurs, dont les assises affleurent le niveau actuel des eaux 
bouillonnantes, ont été rongés horizontalement à grande pro- 
fondeur, tandis que des portions plus résistantes demeuraient 
inaltaquées et formaient des piliers d’un mètre; en même temps 


les masses de grès qui surmontent les schistes s'avancent en 


porte-à-faux, simulant des balcons circulaires, des niches, des La erevasse des chutes Ki-Oubo, 
mâchicoulis, ete. A la rive gauche, la ligne de la chute se termine (paroi de la rive droiïte, rue du pied de la chute). 


par une remontée un peu oblique où s’échelonnent, en cascade 
verte, des bananiers vigoureux, pendant qu'une partie des eaux s'échappe latéralement en vraie cascatelle de 
Jardin de plaisir. 


Ste 


Nous arrivons jusque tout près des chutes, dans le vent frais que souffle la masse liquide s’écrasant devant 
nous; sur les roches d’où se déverse le flot irrésistible, des plantes à larges feuilles, collées à même la pierre 
polie, se sont fixées à la dernière saison sèche, et telle est leur adhérence que l'effort d’arrachement des masses 
d’eau qui glissent sur elles ne parvient pas à leur faire lâcher prise. De-ei, de-là, dans les parois latérales, 
quelque frais et délicat spécimen d’Adiantum Capillus Veneris. Et toujours les jeux du perpétuel arc-en-ciel, 
ou plus exactement « arc-en-chute ». Dans les excavations qu'ont formées les eaux en creusant les schistes 
inférieurs, se révèlent des traces de calcaires apportés par des eaux d'infiltration; M. Questiaux, notre pros- 
pecteur, à détaché l’unique et petit stalactite qui, depuis combien d'années! attend patiemment le viol d’un 
géologue. 

Ces traces de calcaire, l’inattendu de cette étroite dépression où tombe la Lou-Fira pour continuer sa 


F7 rs a 
QE. Heat aie Vaux. sn. 


Les chutes Ki-Oubo, partie d’amont. 


course dans une espèce de sous-plaine formant comme un effondrement dans la grande plaine principale, 
enfin, la visite des deux chefs Ki-Alwé et Ki-Ombo dont les villages, situés à quelque distance en aval, possé- 
deraient des cavernes, nous décident à ne pas rebrousser chemin, sans avoir poussé à quelque distance en 
aval des Ki-Oubo. 

C’est pourquoi, en rentrant au Camp, j'avertis nos gens d'avoir à se tenir prêts à partir demain matin; 
toutefois, comme nous repasserons par ici pour regagner Lofoi, les éclopés et notre nombreuse basse-cour ne 
nous aceompagneront pas; ils continueront à villégiaturer aux chutes Ki-Oubo. 

M. Questiaux rédige et me remet une notule sur ses observations de caractère géologiques; je ne repro- 
duirai pas ces renseignements ici; les intéressés les trouveront dans la publication de nos observations de 
l'espèce qui sera faite par les soins de la Société belge de Géologie, de Paléontologie et d’Hydrologie; notre 
prospecteur à recueilli les nécessaires échantillons. 


J'avais préparé une dernière observation de la lune; mais le ciel couvert ne la permet pas. 


CHAPLLRE  XTIT 


Continuation de la reconnaissance le long de la Lou-Fira, en aval des Ki-Oubo. — Dépression 
inattendue. — Nombreuses concrétions calcaires. — Affleurements dolomitiaues. — Le 
village Mo-Lobo et ses grottes (?).-- Curieux passage d’oiseaux. — Le village Di-Boué. — 
Les Bena-Miteumba. — Les « Mouta» et les prétendus troglodytes du Ka-Tanga. — 
Palmiers élaïs. — Ruisseau d’eau chaude. — Crevettes minuscules. — indigènes peu- 
reux. — Nous reprenons le chemin de Lofoï. — Traversée de la Lou-Fira et de ia Di-Kou- 
louwé. — Le mauvais guide. — Le joli village Di-Sanga. — Encrier vide. — Étapes 
désagréables. — Le village Ki-Lombé. — Les Ba-Lembwés. — Renseignements ethno- 
graphiques. — Froid désagréable. — Zèbres et antilopes. — Traces d’éléphants. — 
Manque de bonne eau potable. — Pays pauvre. — Les villages Ki-Tabiké. — La 
Bou’n’Keia. — Vue d'ensemble sur la plaine basse de la Lou-Fira. — Le pays se mou- 
vemente. — Le village Ka-Miba. — Un chef en appareil de guerre. — Arrivée de 
M. Delvaux. — Le long des hauteurs N'Kôni. — Rencontre de M. et M"° Mac Lackiaen. — 
Camp de ta Ka-Lin’dila. — Passage de la Lou-Fira. — Le viilage Toupissia et le chef 


Mokandé-Bantou, fils de M'Siri. — Beau troupeau de gros bétail. — Curieuse ca5ture 
d’un serpent-cracheur. — La station du Lou-Kafou. — Nouvelles de M. Voss. — Retour 
vers Lofoï le long de la falaise des Kou n’déloungou. — La vieille Ki-Pouna, femme-chef 
du village Ki-Sa. — A propos des larges routes. — Le joli village Ka-Panda. — Un 
cimetière indigène. — A propos de l’accessibilité de la falaise des Kou-n’céloungou. — 
Rentrée à Lofoï. — Nouvelles diverses. 


Dimanche, 21 mai 1899. 


Minima nocturne : 15°. 

Départ à 7 h. 55 m.; direction générale de marche : nord 10° Ouest. 

En quittant le camp nous avons d’abord une partie de pays très pittoresque, bien boisée; sol de sable et 
de larges dalles de grès; ce point serait un superbe emplacement de station; les cultures qu'on y développerait 
profiteraient, en saison sèche, de la journalière buée matinale qu'éparpille au loin le nuage projeté par les 
Ki-Oubo, buée qui retombe sous forme d’imperceptible poussière aqueuse. 

Nous relevons des traces nombreuses d’antilopes, de zèbres, de singes, etc. ; parmi ces traces se distingue 
une empreinte très grande, que le capita dit être la trace du nimba, animal ressemblant au n'yombe (bufile.. 
Toutefois nous ne reconnaissons pas le pied du buflle; serait-ce le gnou? ou le rhinocéros? Ce dernier est 
signalé dans le pays tandis que le gnou ne l’est pas. 

Ainsi que je l’ai dit les chutes Ki-Oubo forment, dans la plaine plate que nous avons suivie depuis Lofoï, 
l’amorce d’une dépression, ou mieux d’une sorte d’effondrement dans lequel se précipite la Lou-Fira: cest 
dans cet effondrement que va dégringoler le sentier que nous suivons, pour retrouver une plaine étroite en 
contrebas de la première, d'environ 50 à 60 mètres. 


= 


A droite et à gauche de la chute le terrain de la plaine supérieure dessine un bourrelet marqué; de sorte 
que, si l’on barrait la rivière en rétablissant la jonction entre ces deux bourrelets, on reconstituerait l’ancien 
lac — aujourd’hui asséché — qui couvrait jadis la plaine où git Lofoï-Station. 

Ayant franchi le bourrelet de la rive droite des Ki-Oubo, nous commençons à descendre, d'abord douce- 
ment, puis de façon plus accentuée, jusqu’au fond de l’effondrement que je viens de dire et qui n’a pas plus de 
3 kilomètres de large, si même il les a; la Lou-Fira se tient plus près de la sous-falaise ouest; le sentier, lui, 
court le long de la sous-falaise est; nous avons la sensation de retrouver la falaise des Kou’n’déloungou, tandis 
qu'en réalité on longe une nouvelle série de couches inférieures à celles longées depuis Lofoï, et qui sont 
encore des grès recouvrant des schistes; le sentier, qui court à travers des herbes tantôt hautes tantôt basses 
{avec beaucoup d’aloës et des arbustes rabougris), est couvert de nombreux débris caillouteux. Parfois, très 
rarement, un caillou roulé, un bloc de limonite, quelques fragments d’oolithe; mais ce qui nous frappe 
surtout, é’est l'énorme quantité de caleaire pur que nous rencontrons, en blocs éparpillés partout; leur 
blancheur éclatante et leur cassure à grain très fin font dire à M. Questiaux : produits de sources thermales ! 

Vers le huitième kilomètre la sous-plaine s’infléchit vers l’ouest, les sous-falaises suivant le mouvement ; 
le coude formé en ce point par la Lou-Fira est marqué par les rapides Mangou, guéables aux eaux basses; 
ici commencent des cultures annonçant la proximité du village du chef Ki-Alwé; et brusquement nous foulons 
aux pieds d'énormes affleurements de dolomie; partout émergent des blocs monstrueux de cette roche d’un 
gris blanchâtre; les surfaces, érodées par les eaux qui ont dû res- 
pecter les parties les plus dures, sont caractéristiques. 

C’est sur ce sol de roches bosselées, contre la Lou-Fira, en un 
point où les coins d’argiles sont exceptionnels, qu'est bâti (?) le 
village Molobo ou N’kiakoméno, chef Ki-Alwé, où nous arrivons à 
10 h. 50 m., après une étape de 11 !/, kilomètres. Au nord et au 
sud, la sous-falaise a deux saillants qui portent le même nom de 
Ka-To’n'toméné, d’après les dires indigènes. 

Le village Molobo compte T5 huttes, plus dégoûtamment sales et 
ignobles l’une que l’autre, réparties dans une série d’enelos palissadés 
très solidement, les palissades étant formées de deux et trois épais- 
seurs de perches. 

Ces divers enclos abritent tous une ou deux entrées de mouta 
(grottes souterraines). Il s’agit, en réalité, de fissures naturelles dans 
la dolomie; on y descend par de grossières échelles en perches, et 
lon peut à peine se faufiler dans un couloir étroit, mouvementé, où 
se voient des amorces d’embranchements en culs-de-sae. 

Ces grottes furent explorées par MM. Questiaux et Dardenne. 
Dans l’une des fissures ils ne sont pas demeurés dix minutes pour 
avoir tout vu, ou tout au moins ee qu'il paraissait possible de voir. 
Une seconde fissure n’était guère plus grande; celle-ei offrait sa plus 
grande largeur au pied de l'échelle d'accès, puis se continuait très 
élroite. D’après MM. Questiaux et Dardenne il n’existerait pas de 
communication entre les divers « trous » {ce mot est plus juste) de 
chaque enclos partiel. Toutefois il serait étonnant que les fameuses 
retraites, réputées si longtemps inaccessibles, se bornassent à ces 


trous, sans communicalion ni issue secrèle : s’y réfugier en cas 


d'alerte ne serait-ce pas se livrer sûrement à l'ennemi? Je pense, au 
contraire, que, malgré son accueil très empressé, le chef Ki-Alwé n’a 


Echelle de descente dans les grottes 
du village Molobo. pas laissé deviner son secret, el que, très probablement, et possible- 


ment, les divers « trous » de chaque enclos sont en communication 
par une fissure unique très étendue, très tourmentée par places, où deux personnes ne pourraient se croiser, 
et où abondent les chauves-souris. Cette fissure s'étend vraisemblablement au loin vers des sorties tenues 


secrètes. 


Intérieur du village Molobo et ouverture d’une des grottes (1599). 


Quoi qu'il en soit, ces trous ne sont pas habités en temps ordinaire; mais, sur le sol dolomitique, tourmenté 
et sans revêtement argileux, les indigènes ont établi tant bien que mal leurs huttes dont l'aire est faite, presque 
pour toutes, de terre rapportée. Il serait impossible de dresser iei une seule tente; et, si répugnantes que soient 
les huttes, même pour nous qui avons l’habitude d’v loger régulièrement, force est bien de nous en contenter, 
et de passer la nuit dans les taudis infâmes des prétendus troglodytes, qui ne sortent même pas de leur enclos 
palissadé pour satisfaire leurs naturels besoins. Pouah ! 

Pour comble, nous constatons l'existence de punaises; la capita à qui j’exhibe animal en lui demandant ce 
que c’est, me répond Kou nounka mingi (cela pue horriblement !). 

Enfin, la vie de l’explorateur ne peut pas toujours être bourrée de charmes ! 

Nous essayons de mettre le pilier du cercle méridien en terre; impossible de lFenfoncer à plus de 
10 à 12 centimètres; il faut, pour le rendre stable, recourir à de lourdes pierres postes sur les traverses qui 
relient les pieds; l’instrument est ainsi trop élevé et sa manipulation est difhicile; au surplus, un ciel ouaté de 
vilains nuages rend inutile notre travail préparatoire. 


A notre arrivée, le chef Ki-Alwé nous a offert le « tokwa » (pombé supérieur) de l'amitié. Je le fais causer 
au sujet des « moutas » et j'apprends, qu’à peu de distance en aval, se trouve le village Ki-Boué, ayant des grottes 
dans la montagne. Il est possible que demain je pousse une pointe, aller et retour, jusqu'à ce village. 


Dans l'après-midi un de nos porteurs se fait pincer volant un pigeon du village; on me l’amène; l'homme 
demande pardon sur tous les tons, se déclarant prêt à tout faire pour être pardonné. « Eh bien, mon gaillard, 
puisque tu aimes tant le pigeon, avale-le tout cru !» 

D'abord interloqué de ce châtiment plutôt spécial, l'homme voit dans mes veux que je ne plaisante pas, et 
commence à dévorer son oiseau, la tête la première; après avoir entamé la poitrine il voudrait bien plumer la 
bête; je le lui défends et il continue avec un si évident dégoût que je larrête à la quatrième bouchée, en lui 
promettant qu'une prochaine fois il ira jusqu'au bout. 

Ses braves camarades se tordent de l'aventure, ce qui vaut mieux pour nous que s'ils prenaient fait et 
cause pour le voleur. Chaque fois que j'ai trouvé une punition qui provoquait les rires des amis du coupable, 
nous pouvions être certains d’avoir mieux réussi que par des coups. 

19 


— 290 — 


Je dois aussi faire punir deux soldats qui ont voulu s'approprier des attributs de danseurs et de 
féticheurs. 

Je note encore ici la fabrication d’une huile comestible à l’aide de la noix n’koussa, qui a la grosseur d’une 
amande qui serait ovoide; nous en avons ramassé ce matin au départ des Ki-Oubo, sous un des arbres énormes 
qui la produisent; dure comme la noix du Brésil, la n’koussa en rappelle le goût. 


Lundi, 22 mai 1899. 


Minima de la nuit : 14°,8. 

Bien que notre premier contact avec des habitants de villages à cavernes fut rien moins qu’encourageant 
j'ai décidé que M. De H. resterait ici avec le gros de la colonne, pendant que nous irions jusqu'au village 
Di-Boué; nous comptons rentrer aujourd'hui à Molobo. 

Mais d’abord déjeunons 

Pendant cette importante opération Dardenne s’écrie tout à coup : « Voilà un train qui arrive! » 

Effectivement, un bruit analogue à l’arrivée d'un train se rapprochant rapidement, nous atteint et nous 
dépasse avant que nous ayons eu le temps d’en déterminer la cause. Pourtant j'avais brusquement pensé à un 
énorme vol d’abeilles; en réalité, il s'agissait d’une bande d’une centaine d'oiseaux noirs, un peu plus gros que 
des hirondelles, paraissant voler dans une position oblique et filant avec une vitesse prodigieuse. Peut-être 
leur bruit d'ailes, déjà très marqué par lui-même, est-il encore renforcé ici par un effet d’écho continu provoqué 
par les parois élevées qui nous encerclent à faible distance ! 

À Th. 35 m., nous filons allègrement. 

Le sentier pique dans l’ouest, restant aussi facile que celui d'hier; pas de marais; nous avons laissé 
ceux-ci dans la plaine supérieure. Drôle de pays! 

La Lou-Fira décrit une grande courbe vers le sud, paraissant longer la falaise de sa rive gauche laquelle 
falaise s’est naturellement infléchie de même; nous faisons la corde de cette courbe; cette corde est en même 
temps celle de deux indentations successives de la falaise nord, qui paraît dominer notre sentier d'environ 
195 mètres; un ruisseau à sec est traversé, le Ki-Palala large de 2 mètres, lit à fleur de sol, sur roches dolomi- 
tiques avec cailloutis de grès, schistes et quartzites; le sentier grimpe ensuite sur le plan incliné d’un éperon 
projeté par la falaise; au delà se montrent des schistes ardoisiers dont nous prenons échantillons. 

Doucement maintenant descend le sentier par une portion de hautes herbes et de belle futaie; à un 
moment on découvre, dans le nord-ouest, la percée de la Lou-Fira entre les monts Ki-Ama et Ka-Lombo, 
dont nous avons parlé à la date du 15 mai dernier; très près de nous, les deux sous-falaises qui délimitent 
l'étroit effondrement où nous nous trouvons depuis hier, se rapprochent fortement par deux saillants, celui 
du nord dénommé Ka-Niba, celui du sud Ka-n’da-moukola. Et nous voici à un joli ruisseau, le Ta-n’da-moukola 
qui tombe près d’iei dans la Lou-Fira, après avoir arrosé les plantations et le village Ki-Boué, où nous sommes 
rendus à 9 h. 5 m., la distance parcourue n'étant que de 5 1/, kilomètres. 

Le village Ki-Boué, non palissadé, est infiniment plus propre que Molobo; de plus le chef Ki-Ombo nous 
a préparé une grande maison où l’on peut loger à cinq, une maison plus petite pour moi, et un local pour 
les boys et le cuisinier. Malheureusement pas un pouce d'ombre; est-ce que notre réputation nationale, trop 
méritée, de n’aimer pas assez les arbres nous aurait précédés en ces pays? 

Le site étant très joli, de plus une reconnaissance rapide nous ayant montré des choses intéressantes à 
étudier en détail, je charge Michel d'aller chercher la caravane demeurée chez Ki-Alwé, et midi n’a pas sonné (si 
l’on peut dire!) que tout notre monde est installé à Ki-Boué. 

Les soldats que je fais retourner sur leurs pas avec Michel ayant paru mécontents, je les attrape de la 
bonne façon; décidément cette bande ne constitue pas une élite. 

En attendant le retour de Michel et de la colonne, nous visitons les moutas. Cette fois ce sont bien des 
grottes et des grottes fort curieuses. 

Mais avant de décrire ce que nous en avons pu voir, il me faut reproduire ici quelques extraits de récits 
de voyage qui n'avaient rien moins établi en Europe que la,croyance à l'existence de véritables troglodytes au 
Ka-Tanga. 


Dans le récit du missionnaire anglais Fred. S. Arnot publié sous le titre : Garenganxe ou sept années 
de prosélytisme religieux en Afrique centrale, deuxième édition, page 198, on lit : 


Les grottes de Sombuwé. 


« Janvier 1887. — Les gens que je rencontrai étaient presque tous de la tribu des Ba-Sanga, qui sont les premiers 
occupants du pays, et dont actuellement il ne reste que quelques représentants. Je comprends à peine encore un mot de 
leur langage. Poussant vers le nord-ouest, au voisinage des monts Kalasa, j'eus une bonne occasion de voir les fameuses 
montagnes à cavernes, qui sont habitées. 

« La grande caverne a deux entrées, distantes de cinq milles ou plus; on y trouve un ruisseau d’eau courante. 

« Il existe aussi, dans ce pays de montagnes, beaucoup de grottes plus petites et de retraites où les indigènes se 


cachent. En parcourant leurs villages je pus tout au plus en approcher deux ou trois à la fois. »” 


Ce texte est accompagné d’un renvoi au bas de la page, disant : 


« L'entrée de ces grottes ressemble à des trous de lapins. Lesdites grottes constituent des retraites si parfaites que 
Msiri n'arriva jamais à se faire payer tribut par ces populations. Près de l’entrée des cavernes, il y a des champs de mil; 
les gens redoutaient vivement de me voir visiter leurs cavernes et je dus promettre que je n’en ferais rien, sinon personne 


ne se füt approché de moi. » 


Sur la carte accompagnant le récit d’Arnot, on trouve, par environ 10°20' de latitude sud et 26°40' de 
longitude est de Greenwich, lindication : « Mont Kasala, Mont Sombuwé, caves inhabited » (c’est-à-dire cavernes 
habitées). 

Telle l’origine de la légende des troglodytes du Ka-Tanga. 

Plus que les autres voyageurs, les missionnaires ont une tendance à être le jouet de ce que l’on a si 
joliment appelé le mirage africain ; il leur faut du merveilleux à tout prix, et dans leurs récits sévit presque 
toujours un subjectivisme outré. 

Ces grottes, que le missionnaire anglais n'avait pu visiter, devaient revenir plus tard dans tous les récits 
des voyageurs parcourant le Ka-Tanga; sans que personne eût l’occasion d’en connaître plus que n’en 
connaissait Arnot, sans qu'on eût pu y pénétrer, on allait en donner des descriptions suggestives, on allait 
même arriver à exécuter, à Bruxelles, une fresque représentant la falaise rouge des monts Kou’n’déloungou où 
s'ouvraient les entrées des grottes; vêtus de peaux de bêtes, les troglodytes — hommes et femmes — fêtent le 
retour des chasseurs dont deux portent, par le travers d’une perche, un superbe zèbre !!! 

Grande fut notre déception, lorsqu'au cours de notre reconnaissance, nous visitâmes les grottes du 
Ka-Tanga. 

Mais procédons par ordre. 


© 


Dans une communication présentée à la Société royale belge de géographie, le 4 mai 1893, on lit : 


« Nous transportämes notre camp à Ki-Pouna, petit village situé sur la rive droite de la Lou-Fira Le 15 avril, nous 
quitlons ce camp pour nous diriger vers le nord-est, et atteindre le Moéro que nous voulions étudier. 

« Nous traversämes la chaine des Kou-n’déloungou à la hauteur de Ki-Pouna, gagnant au sommet une allitude de 
1,700 mètres. Cette chaine est habitée par la tribu des Balamotoas, race tout à fait primitive, qui habite dans des cavernes. 
Ces troglodytes ne font que peu ou pas de cultures. [ls vivent du produit de leur chasse, dont ils échangent une partie 
avec les Ba-Sangas et les Bas-Chilos, contre de la farine de maïs et de sorgho. Ils fuient à l'approche de tout étranger, 
pour se réfugier dans leurs cavernes, endroits inaccessibles et bien défendus par d'immenses blocs de pierre qu'ils 


précipilenl sur toutintrus qui veut pénétrer chez eux » 


Dans la même séance, une autre communication disait : 


« Le Kou-n'déloungou est le refuge de la curieuse tribu des Balamolos qui, en maints endroits, habitent des galeries 


creusées dans les parois presque perpendiculaires de la falaise. » 


— 992 


La mission dont nous avions le commandement a longé les Kou’n’déloungou le long de leur falaise 
orientale, en se rendant dans le sud de PEtat du Congo; le long de sa falaise occidentale au retour; elle a 
traversé lesdits Kou’n’déloungou trois fois, et rien ne nous permet de confirmer les dires prérappelés. Nous 
sommes certains que les voyageurs cités se sont simplement hasardés à rapporter des «on-dits » soit indigènes, 
soit européens, surtout européens. 

En règle très générale le plateau des Kown’déloungou n'est pas habité; la cause semble en être que 
l’indigène désire se soustraire aux froids très sensibles de ces hauts plateaux (la température nocturne la plus 
basse relevée par nous fut de 2 au-dessus de zéro, pendant plusieurs semaines). 

A notre arrivée à Lofoi-station (chef-lieu, aujourd'hui abandonné, de la zone Ka-Tanga) le capitaine 
Verdick, installé depuis huit ans dans le pays, nous certifia n'avoir pas connu de populations sur le plateau des 
Kou’n’'déloungou. Msiri avait bien autrefois essayé d'y installer un village sous le commandement du chef 
Chiweélé; cette tentative datait d’une vingtaine d'années; mais ledit village n'existait plus à l’arrivée des 
premières expéditions belges au Ka-Tanga. 

D'un autre côté nous avons personnellement trouvé, sur les bords du ruisseau Ki-Matété (affluent de 
la Bi-lé-wé), des traces d'anciennes cultures dépendant du chef Ka-Pwassa, dont le village est situé dans la 
plaine basse s'étendant entre le Moéro-sud et les Kou-n’déloungou. Ces restants de cultures étaient de peu 
d'étendue. (Voir page 205.) 

En réalité, les Balamotwas ont leurs villages, d’une part dans la plaine basse que Je viens de dire, de l’autre 
dans la vallée de la Lou-Fwa, le long de la falaise occidentale des Kow’n’déloungou. Ils reconnaissent comme 
chef principal le chef Mou-Founga, qui réside au village Pa-n’sonta, sur la rivière Lou-lchi; nous eûmes 
l’occasion de traiter avec le chef Mou-Founga et de loger dans son boma. Les Balamotwas, qu'une communi- 
cation faite à la Société belge de géographie, le # mai 1893, qualifie de « véritables pygmées », ne se distinguent 
cuère, en réalité, des tribus portant un autre nom. Je fis prendre plusieurs photographies d’indigènes 
Balamotwas ; les types qui figurent sont de fort belle prestance, et ne donnent nullement l’idée de les qualifier 
de pygmées. (Voir page 273.) 

Un coup d'œil sur la photographie du chef Mou-m'pafou, prise le 11 mai au village N'Gabila, fera justice 
de cette assertion. Dans la suite de ce récit, Je montrerai plusieurs autres photographies de Balamotwas, tout 
aussi probantes que celle-cr. 

Après avoir — ainsi que nous le disions précédemment — longé la falaise orientale, puis la falaise occiden- 
tale des Kou-n’déloungou, en pénétrant dans toutes les indentations; après avoir escaladé cette falaise en cinq 
places (et, soit dit en passant, on ne trouve que très peu de sentiers permettant d'accéder des plaines basses au 
sommet de la falaise), force nous est d'établir de visu qu'on ne constate nulle part que les Balamotwas {ou tout 
autre tribu) habitent des grottes creuses dans ces parois; nous n'avons trouvé nulle part : « les galeries très 
« étendues creusées dans la montagne et dont les entrées semblent de minuscules portes de temples égyptiens, 
« pointillant les falaises rouges du Kou-n’déloungou. » 

La simple constatation des réalités par nous-mêmes nous conduit donc à annuler les renseignements 
recueillis par nos prédécesseurs, en ce qui concerne les Balamotwas pygmées et troglodytes; la vérité très 
simple est que les Balamolwas ont les mêmes villages, les mêmes cultures, les mêmes mœurs, la même 
taille que les divers groupes ethniques habitant le pied des Kou-n’déloungou. 


La vérité ainsi rétablie en ce qui concerne les Balamotwas pygmées et troglodytes, je reviens aux moutas 
que nous trouvions dans les Mi-Toumba, et non dans les Kou-n’déloungou. 

Le village Ki-Boué occupe la rive droite de la Lou-Fira; il est perché au haut de la paroi presque perpen- 
diculaire qui borde cette rivière, et surplombe d’une vingtaine de mètres le niveau de l’eau. Dans cette paroi 
à pie, que revèt un merveilleux rideau de verdure {lianes, racines, arbres, etc.), s'ouvrent les cavernes, refuges 
des indigènes en cas d'alerte; les naturels se disent Bena-Mitoumbas. 

Le sentier d'accès aux moutas n’est guère engageant, et c’est après un temps d’hésitation très marqué que 
nous nous y risquons, en prenant la peu noble précaution de nous asseoir pour nous laisser couler jusqu’à un 


bout de garde-fou plus où moins solide, plutôt moins. Un faux pas, et lon piquerait une bien jolie tête, droit 
dans la Lou-Fira. Heureusement on atteint de suite une sorte de plate-forme de 1 mètre à 1%,50 de large, 
moins raide que le sentier d’aceès; de plus le garde-fou protège contre des chutes vers la rivière, 

La paroi verticale où nous sommes accrochés en ce moment est formée par le calcaire qu'enlèvent à Ja 
dolomie les eaux de pluie, de sources, de ruissellement et d'infiltration. On voit des lianes, de grosses 
branches, des racines, des masses de brindilles couvertes du dépôt calcaire, et servant en quelque sorte de 
squelette aux concrétions qui continuent à se 
développer le long de ce guide végétal, lequel 
se prend lentement, sous l’incessant dépôt, 
tandis qu'une nouvelle garniture de plantes 
varices se projette plus en avant, qui, plus tard, 
sera prise à son tour, aecentuant le surplomb 
de cette sorte de marquise au-dessus de la Lou- 
Eira. {Voir la planche en couleurs. 

Nous sommes à une quinzaine de mètres 
au-dessus du niveau actuel de l’eau, sur une 
plate-forme suffisamment horizontale, assis sur 
de gros blocs de calcaire concrétionné. La voûte 
de la grotte, formée de stalaetites enchevêtrées 
et devenues d'un brun rougeûtre sous d’abon- 
dants dépôts de fumée, se projette, ainsi que 
nous venons de dire, en une sorte de marquise. 
De celte plate-forme un sentier quasi vertical 
descend Jusqu'à la rivière, ce qui permet aux 
gens réfugiés ici de se maintenir approvisionnés 
en eau. M. Questiaux se laisse dégringoler jus- 
qu'à la rivière, et constate que la dolomie se 
continue sous le niveau actuel des eaux. En 
arrière de la plate-forme, assez bien comparable 
à un chemin de ronde, s'ouvrent des anfractuo- 
sités transformées en logettes. Une première 
visite n’accuse pas une pénétration bien pro- 
fonde, quelques mètres au plus. Toutefois 
M. Questiaux finit par découvrir un joint où il 
se faufile et peut pousser jusqu’à une vingtaine 
de mètres; il reprendra ce chemin avec un 
guide dans l'après-midi. 

Une fois réfugiés dans leurs moutas, les 
indigènes de Ki-Boué peuvent se considérer 
comme imprenables; peut-être pourrait-on les 
inquiéter fortement en traversant la rivière et 
en les menaçant de la rive en face, surtout au 


moment où ils essaieraient de descendre à 
l’aiguade. Sur cette rive gauche on distingue Dans la grotte du village Ki-Boué (rive droite de la Lou-Fira). 
des cultures avec huttes de garde. 

A mes questions : « Comment traverse-t-on la Lou-Fira? Y a-t-il un gué? » on ne répond que négative- 
ment : «Il n’y a plus de pirogues; elles sont cassées; il n’y a pas de gué. » 

On sent l’indigène méfiant. 

L’intense coloration noir-brun sang, dont la fumée a patiné les stalactites, atteste que le refuge a été sou- 
vent occupé. Cependant, l’indigène n’a pas songé un seul instant à l’aménager en régularisant les anfractuo- 
sités, ou en enlevant les blocs qui gênent ou obstruent en plusieurs points. C'est, qu'en temps ordinaire, les 


gens occupent les huttes de leur village en plein air, au milieu de cultures très étendues. Mème, à la saison 
des pluies, n'aflirment-ils, ils ne trouveraient plus refuge dans ces grottes rendues intenables par les eaux 
d'infiltration suintant de partout. Ils se contentent alors de cachettes dans la brousse, 

Ainsi que je viens de le dire, nous sommes chez des Bena-Mitoumbas. Comme je leur demande où sont 
les Balamotwas et s'ils ont des grottes, ils se mettent à rire : « Les Balamotwas sont au loin à l’est et au nord- 
est, du côté des montagnes; ils n’ont pas de grottes. » Mes interlocuteurs rient aussi de bon cœur quand je 
leur dis que les Balamotwas ont été présentés comme pygmées. 

Pendant que M. Dardenne prend des croquis et que M. Questiaux recueille des échantillons de roches, je 
reprends le chemin du village et je parcours celui-ei avec un certain intérêt. C’est ici que, pour la première 
fois, nous voyons le palmier élaïs chez l’indigène. Toutefois on ne trouve qu'un seul exemplaire de haute 
taille, faisant le pendant d’un superbe borassus; puis viennent trois élais de 6 à 7 mètres de hauteur, et de 
nombreux spécimens encore petits, espoirs futurs d’abondantes récoltes d'huile; les quatre palmiers adultes 
portent de beaux régimes. En outre les bananiers abondent, malheureusement — pour nous — sans régimes 
mürs en ce moment. 

Un peu en aval du village, le long de la Lou-Fira à laquelle on accède par un raidillon de chèvres, se 
développe une prestigieuse bananeraie où l’on compte les bananiers par centaines et centaines. Les cultures 
sont très étendues et variées : manioe, pommes de terre douces, ignames, arachides, haricots, maïs, sorgho, 
mil, courges, épinards, tabac, chanvre, ete. Que nous voilà loin — pour ee village-ei comme pour celui du chef 
Ki-Alwé qui, lui aussi, possède de très grandes cultures — des troglodytes ne vivant que du produit de leur 
chasse! En réalité, la chasse et la pêche paraissent bien peu pratiquées ici; aux dires des quelques habitants 
qui n’ont pas craint de se laisser voir, la pêche ne se ferait qu'aux eaux basses; quant au gibier, il est trop 
rare dans l’étroite dépression où la Lou-Fira coule ici, dépression dont il serait impossible de sortir facile- 
ment, à cause de la muraille verticale de grès qui couronne de façon continue la paroi latérale de ladite 


dépression. 


Je viens de parler des quelques habitants qui n’ont pas craint de se laisser voir. La journée du lundi 
29 mai s'achève sans que femmes et enfants aient été visibles un seul moment. Il est certain que le village est 
quasi complètement déserté. D’après les capitas de notre caravane, les gens se seraient «terrés » en des points 
des grottes où nous n'avons pas eu accès; d’après les mêmes capitas, ces grottes s’étendraient très loin. 
M. Questiaux, dans une nouvelle reconnaissance, à pu pénétrer jusqu’à quelque 25 mètres, puis n’a plus trouvé 
moyen d'avancer. Pendant qu'il était sous terre, éclairé par un bout de bougie, il entendait résonner fortement 
le sous-sol sous les coups de pilon des femmes de nos soldats fabricant de la farine; ce serait une indication 
qu'il y à réellement là des grottes importantes. Mais il est bon de se demander comment lindigène pourrait Y 
circuler sans lumière; or, il n’est pas même arrivé à l’âge de la torche de résine qu'on trouve chez d’aucunes 
peuplades du bassin central congolais; employer de simples brandons me parait inadmissible. Quoi qu'il en 
soit, J'adresse au chef Ki-Ombo de sévères remontrances parce que son monde persiste à rester caché sans 
raison. 

« Nos femmes sont aux cultures très loin d'ici » est sa seule réponse. 

Grossier mensonge! Mensonge aussi le manque de pirogues pour passer sur la rive gauche! On se méfie 
absolument. De nouveau je tire verbalement les oreilles au chef qui, avec ses veux clignotants — mais éton- 
namment brillants — me parait un fort rusé compère. 

Mais pourquoi cette défiance? Il sait comment nous nous comportons partout, et qu'il aurait bien plus 
d'avantage à se montrer confiant comme tous les chefs vus à ce jour. Un de ses hommes, qu’il a désigné pour 
servir de guide à M. Questiaux cet après-midi dans la visite des grottes, a faussé subreplicement compagnie à 
notre prospector, lequel a dû revenir au jour. Je lui fis donner alors deux nouveaux guides, mais il ne put 
réussir à découvrir autre chose que ce qu'il avait déjà vu. À mes observations, le chef répond qu'il fera chercher 
ses gens, el que nous aurons une pirogue demain. 

Tristes constatations : j'ai payé de mon fond de culotte ma visite aux moutas; en même temps la peau de 


2 995 — 


mes mains à aussi laissé quelques bribes aux aspérités des roches auxquelles il faut se cramponner pour 
remonter au jour. Cela ne serait rien, si je ne constatais en même temps que je vais manquer d'encre. Et aucun 
de mes quatre adjoints n’en a avec lui! Horresco referens! 

Remarqué dans le village une paire de cornes de buffle. 

Les indigènes qui se laissent voir sont munis d’ares à quatre cordes formées d’écorce d’une liane-jonc: je 
suppose qu'une seule corde à la fois est bandée et que les autres forment réserve; je demande qu'on nous en 
apporte quelques-uns à acheter. 

De son côté, au sortir des grottes où il a passé plusieurs heures à peindre, Dardenne prend une aquarelle 
d’une des plus belles convolvulacées que nous ayons vue à ce jour. (Voir la planche en couleurs. 

Le cuisinier à trouvé des tomates, et tout serait parfait si les moricauds du village n'avaient ainsi filé avec 
presque toutes les provisions ; on sait que nous avons laissé notre basse-cour aux Ki-Oubo. 

Nous ne trouvons à acheter aujourd'hui que deux poules; pas de pigeons, pas de chèvres, pas de 
poisson. 

Consolons-nous en prenant une observation complète (7 étoiles) par une soirée menaçant de se couvrir 
rapidement; c’est Juste ce qui peut être pris. Et allons-nous coucher, heureux d’une journée si bien 
remplie. 

Seul M. de H. se couche fiévreux 


Mardi, 23 mai 1899. 


Minima nocturne : 12 5/,. 

Nous passerons la Journée ici pour y continuer les recherches. 

Ki-Ombo, à qui j'ai dit hier que nous n'avions plus que deux poules pour cinq blanes, avait d’abord 
répondu : « Nous n'avons plus rien, ni poules, ni pigeons; nous ne prenons pas de poisson; nous ne 
chassons pas. » — Le pauvre homme! — La vérité est que tout a été porté aux cachettes. Il n’y a plus de 
poules et cependant on a apporté onze œufs! 

Singulier mélange de méfiance craintive et de désir de nous être agréable, où du moins de ne pas nous 
mécontenter. 

Toutefois, aujourd’hui, Ki-Ombo apporte trois poules. Je lui rappelle sa promesse d'hier, de faire venir 
ses gens, et lui dis que je serai très mécontent s’il ne tient pas sa parole. Il va chercher huit femmes, presque 
toutes d’un âge infiniment respectable, et me déclare : « Moi, je fais ce que je peux, mais mes gens ont trop 
peur. » Il assure encore que nous aurons une pirogue après-midi. 


Un de nos capitas apporte trois poissons pris par lui dans la Lou-Fira : un répugnant silure à tête 
énorme et deux poissons genre anguille à tête de serpent. Michel met un de ceux-ci en formol; Dardenne 
dessinera l’autre. 

De 8 h. 15 m. à 9 h. 25 m., nous déterminons les composantes magnétiques. 

Pendant que Michel et moi sommes à ce travail, j'ai chargé M. Questiaux de remonter un petit 
ruisseau, le Tanda-Moukola, que nous avions franchi en arrivant au village de Ki-Boué. Ce joli ruisselet coule 
sur Cailloutis; il à de { mètre à 2,50 de large, avec 10 centimètres d’eau cristalline chargée de chaux, 
ce que nous avait révélé un arbre renversé au bord du ruisseau et qui, dans sa chute, avait emporté à sa base 
de larges dalles de concrétions calcaires. 

Comme nous traversions, en arrivant hier, le Tanda-Moukola, je demandais, suivant l'habitude, d'où 
venait le Joli ruisseau; un indigène me répond que ce n’est qu'une dérivation de la Lou-Fira. Je le traite de 
méchant imposteur — une telle dérivation exigerait que l’eau puisse remonter les pentes — mais un autre 
homme de Ki-Boué explique que l’eau du Tanda-Moukola sort de terre, non loin de la paroi verticale qui 
encercle la dépression où nous nous trouvons depuis les Ki-Oubo; si nous n'avons pas traversé le ruisseau en 


venant de chez le chef Ki-Alwé, c’est, qu'à un moment donné, il disparaît sous terre pour ne reparaître qu'à 
proximité du village Ki-Boué. En entrant dans ce village, le ruisseau se divise en plusieurs embranchements 
minuscules circulant dans les plantations du village, et traversant un groupe de huttes défendues par une levée 
de terre abondamment garnie de plantes et d'arbres. C’est dans ce coin de village qu'existent les palmiers élaïs 
qui, avec la traversée du ruisselet cristallin, font de ce site un coin romantique. Au lieu de tomber à pie dans 
la Lou-Fira, ainsi qu'on s’y attendrait, le Tanda-Moukola se perd brusquement à travers les concrétions 
calcaires où nous avons trouvé les grottes-refuges dont nous venons de parler. 

C’est ce ruisseau que devra remonter notre prospector, afin de vérifier les dires de l’indigène qui lui attribue 
un cours en parlie souterrain. 

Avant terminé l'observation magnétique, Michel et moi allons rejoindre M. Questiaux. 

A peine a-t-on remonté le Tanda-Moukola pendant une cinquantaine de mètres, en amont du sentier, 
qu'on trouve effectivement le ruisseau sortant de terre; de plus, son eau est tiède. Continuant les recherches, 
nous retrouvons le cours d’eau plus en amont, et arrivons à un second point d’où il sort nettement, en deux 
branches, d’un amas de gros blocs de dolomie. Ce deuxième point n’est guère qu'à quelque 300 à 400 mètres du 
village; l’eau y est à une température de 30° C.; elle est d’un goût assez fade à cause de sa tiédeur et de la ehaux 
qui la charge. Dans le filet d’eau limpide se jouent des poissons genre épinoches: M. Questiaux y trouve des 
crevettes minuscules et de petits coquillages variés: nous recueillons des unes et des autres pour nos 
collections. , 

Nous rentrons au camp pour le deuxième repas. 

M. De H. à dû se coucher à 11 heures. 

A 4 heures, le chef Ki-Ombo ne reparaissant pas, je le fais chercher; il se décide à déclarer qu'une pirogue 
est à notre disposition ; je charge notre prospector d'aller reconnaitre l’autre rive; il devra aussi examiner d’en 
face la paroï au haut de laquelle nous sommes campés: notre ami revient me prévenir que la pirogue est petite 
au point de ne pouvoir contenir qu'un seul homme à la fois; de plus elle est en piètre état. Dans ces condi- 
tions force nous est de renoncer au passage de la Lou-Fira. Néanmoins je ne crois pas devoir agir contre le 
chef Ki-Ombo qui me parait obéir seulement à une «venette bleue ». Je me contente de lui adresser de nouvelles 
admonestations, à la suite desquelles il veut que je reste encore un jour, pour qu'il puisse aller lui-même cher- 
cher une autre pirogue, plus grande, chez le chef Ki-Alwé. 

Je lui dis que nous ne pouvons rester ici plus longtemps, et que je serai obligé d'écrire au « grand Boula- 
Matari » que le chef Ki-Ombo est un froussard. 


Mercredi, 24 mai 1899. 


Minima nocturne : 11°,6. Forte rosée; matinée très froide donnant la sensation de l’onglée; l’eau des ablu- 
tions parait glacée. Tous les jours force nous est de faire flamber un grand feu de bois pour combattre le froid 
qui est loin, très loin d’être agréable, comme on pourrait trop aisément se l’imaginer. d’attire l'attention sur 
cette impression inattendue, car J'aurai plus tard à coordonner des observations en apparence contradictoires el 
qui, en réalité, s’interpréteront d’une façon vivement intéressante au point de vue de l’aeclimatement. 

Nous partons de grand matin sans avoir revu Ki-Ombo, oublieux de nous faire ses adieux. Maniolo lo ho 
iaké mongo pa Zoungou! (il à trop peur du blanc) dit l'un de nos capitas. 

En repassant dans le lit du ruisseau Tanda-Moukola, nous percevons mieux la tiédeur de l’eau, par 
contraste avec le froid matinal. Mayi moto! (de l'eau chaude!) s’écrient nos gens étonnés. Bientôt nous revoici 
à hauteur du village si sale du chef Ki-Alwé, qui, lui, nous attend en confiance, Nous stoppons pendant 
quarante-cinq minutes pour permettre à M. Questiaux de grimper jusqu'au baut de Ja falaise Kato’n’toméné, 
au nord du village Kia’ n'Koméno; il me semblait y distinguer de profondes anfractuosités, et comme une 
entrée de caverne. 

Il n’en était rien. 

Bien que j'aie l'impression que les indigènes de Kia’ n’Koméno et Ki-Boué pourraient bien ne pas nous 
avoir laissé pénétrer l’entier secret de leurs grottes, ce que nous avions vu chez eux ne confirmait pas la 
légende de « troglodytes habitant de longues galeries creusées dans les parois presque perpendiculaires de la 


90m 


falaise des Kou’n’déloungou ». Ce que nous avions vu, c'était des indigènes vivant de la même vie que tous 
les autres habitants de ces régions, ayant leurs villages au milieu de grandes cultures au plein soleil. Hs ont 
découvert, dans le sous-sol dolomitique de ces villages, des cavernes naturelles où, en temps d'alerte seule- 
ment, ils se terrent et se tiennent cois et comme ensevelis à Jamais, avec le seul désir de savoir le danger 
éloigné, äfin de pouvoir reparaitre au grand jour. Aussi n’ont-ils pas cherché à améliorer les moula pour en 
rendre le séjour plus supportable. Après la description que nous avons donnée des moulta, inutile de signaler 
qu'il serait plus que dificile d'en « défendre l'accès par d'immenses blocs de pierre que les troglodytes 


précipilent sur tout intrus qui veut pénétrer chez eux ». 


Pendant notre arrêt près du village Kia’ n’Koméno, j'ai fait prendre les devants à M. De H. avec le gros de 
la colonne, pour aller préparer les logements chez le chef N’géréka, village Ka-Sépa. En arrivant à 13 heures à ce 
village nous y recevons la visite du chef N'sabila, le suzerain de N'ééréka, qui à apporté : 5 paniers de farine, 
1 d'arachides, 1 d’ignames, 1 de pommes de terre, 1 de manioc et 3 jarres de pombé tokwa. 


A Ka-Sépa nous attendaient trois hommes envoyés de Lofoï, savoir : un homme de confiance du poste et 
deux de nos soldats (un sergent et un non gradé). L'homme de confiance me remet la lettre suivante, de 
M. Delvaux : 


« J'ai l'honneur de vous informer qu'une bagarre à éclaté entre soldats monghélimas, bangalas et mongos, 
au sujet de femmes, hier soir. 

« Un soldat monghélima a été grièvement blessé à la tête, d’un violent coup de bâton, qui pourrait avoir 
des suites fatales. 

« Le coup à été porté par un soldat mongo; la bagarre a été principalement provoquée par le sergent 
Bandé; j'ai voulu faire arrêter les coupables, mais ils s'étaient éclipsés. Comme il serait dangereux de les 
garder ici, Je vous les envoie aujourd’hui. Je ne puis les emprisonner, les soldats de leur race faisant de 
l’esclandre et mes forces ne me permettent pas de leur résister ; je dois donc transiger. 

« En vous faisant part de ce déplorable incident, je vous prie de bien vouloir me donner des instructions. » 


Outre cette lettre, M. Delvaux nr'envoie une missive de M. Verdick:; ee dernier me fait connaitre qu'il 


compte être rentré pour le 1‘ juin. 
M. De H. qui avait paru assez remis pour assister au déjeuner et au diner, doit se coucher à 17 heures. 


Jeudi, 25 mai 1899. 


Minima nocturne : 14,8. 

Nous regagnons aujourd'hui le village Ka-Langa. 

M. De H reste malade, souffrant surtout de violents maux de tête; il doit se coucher en arrivant à 
l'étape. Je lui propose de le renvoyer d'ici à Lofoi en quatre jours par le chemin le plus court, pendant que 
nous prendrons la rive gauche de la Lou-Fira; il préfère rester avec nous. 


Técris à M. Delvaux la lettre suivante : 


« J'ai l'honneur de vous accuser la réception de votre lettre en date du 20 mai. Vous me demandez des 
instructions relativement à la bagarre qui s’est produite entre soldats de notre escorte. Comment voulez-vous 
que je vous dise d'ici ce qu'il y aurait à prendre comme mesures ? 

« Vous m'avez envoyé les deux fauteurs présumés de la bagarre; je les garde avec moi et ne pourrai 
examiner l'affaire qu’à Lofoi, au prix d'une perte de temps, en un moment où je n'ai et n'aurai pas une minute 
de trop. 


« M. Verdick m'annonce sa rentrée pour le 1° juin et me dit que vous irez aux grottes de Ki-Amakélé. 
Je vous prie instamment de ne pas oublier de montrer à M. Verdick la facon de remonter le chronomètre en 
ayant soin de bien refermer chaque fois le trou de clef. 

« Veuillez aussi montrer la même chose à M. Voss, en lui demandant de ma part de remonter le 733 jusqu'à 
notre retour; j'ai pris huit observations complètes jusqu'ici; je compte prendre sur la rive gauche de la 
Lou-Fira un nouvel ensemble de points; tout ce travail serait moins assuré si je trouvais le 733 arrêté à ma 
rentrée à Lofoï. 

« Je vais manquer d'encre — notre excursion se prolongeant — et aucun de mes adjoints n’a d’encrier. 
Je vous demanderai done d'envoyer un homme à ma rencontre par l'itinéraire que je vous ai fait connaitre dans 
ma lettre du 16 mai dernier, pour m'apporter de l’encre. 

« J’envoie d'ici directement sur Lofoi deux caisses échantillons roches diverses, à remettre à M. Voss: 
prière de manier avec précaution ces Caisses qui contiennent des concrétions calcaires friables. 

« Merci d’avance pour ces divers services. » 


Le courrier vers Lofoi expédié, je puis donner audience à notre viel ami Sampwé; le bon vieux chef — 
que certains rapports présentent sous le jour le plus noir — apporte dans ses bras une mignonne bambinette 
qui a été fortement brülée à la jambe gauche; j'effectue un pansement antiseptique et laisse à notre hôte une 
bouteille de sublimé corrosif. 

Je me mets ensuite pour le reste de la journée au calcul des longitudes entre Lofoï et Ki-Oubo. 

Michel prend la photographie d’un superbe papayer; j'ai déjà dit que ce précieux arbre ne se voyait qu'à 
titre exceptionnel; le spécimen couvert de fruits que nous fixons aujourd'hui sur la plaque photographique 
montre que pourtant le pays n’est pas rebelle à la culture des papayers. 


Vendredi, 26 mai 1899. 


Minima nocturne : 129,7. 

Dès 6 h. 30 m., je mets la caravane en route, par petits groupes espacés, de manière à faciliter le passage 
de la Lou-Fira, qui se fait à environ 1 !/, kilomètre en amont; huit pirogues y sont employées; nous arrivons 
nous-mêmes en ce point à 8 h. 5 m. et y demeurons vingt minutes pour surveiller le passage des caisses d’ins- 
truments ; au point où nous la traversons, la rivière est encaissée de 2%,50 et large de 60; au moment où, sorti 
de pirogue, je grimpe le talus de la rive gauche, un serpent noirâtre, long d'environ 2 mètres, file du haut du 
talus vers la garniture de jones qui bordent l’eau; son passage est si rapide que je n’ai pas le temps de lui 
envoyer le coup de bâton mérité. 

Ayant pris pied sur la rive gauche, nous continuons à remonter la rivière pour gagner le confluent de 
la Di-Kouloué; le terrain parcouru est soumis aux inondations; aussi est-il encombré de hautes herbes, sauf 
une portion mise en cultures, avec un groupe de huttes, proche la Di-Kouloué, dont nous atteignons le 
confluent à 9 h. 20 m. 

A quelque 200 à 300 mètres en amont de ce point, la Di-Kouloué est bordée de beaux acacias et mimosas 
couverts de centaines de mérops natalensis, ces merveilleux oiseaux qu’on a justement comparés à des fleurs 
volantes; ces curieux oiseaux sont localisés; nous les avons rencontrés à Chiromo sur le bas Shiré; depuis ce 
point nous n’en avons plus vu. Il y à aussi dans les arbres de la Di-Kouloué des perruches, des tourterelles, 
des pintades; notre coup de fusil, malheureusement, ne donne rien qu’une fuite générale et complète. 
Dommage, surtout, que nous n’ayons pas un mérops à mettre sous le pinceau de Dardenne ! 

A son confluent avec la Lou-Fira, la Di-Kouloué à 35 mètres de large, 2 mètres d’encaissement; son eau 
est trouble, le courant quasi insensible; le crocodile existe dans la rivière. 

Les huit pirogues qui ont achevé le passage de la Lou-Fira sont remontées pour assurer le second trans- 
bordement; je demande pourquoi on ne nous à pas fait suivre la rive droite de la Lou-Fira jusqu’à hauteur du 
confluent de la Di-Kouloué, de manière à ne faire qu'un passage d’eau; on me répond qu'il aurait fallu 
traverser une lagune marécageuse où l'on à de l'eau jusqu'au cou; belles plaines que celles de la Lou-Fira 


vraiment ! 


NN), = 


Je profite du passage de la Di-Kouloué pour procéder à un appel nominal de nos porteurs; ils s'em- 
barquent dans l’ordre de l'appel, ce qui me permet de faire la vérification des charges; et, ainsi que 
je m'y attendais, je dois une fois de plus constater que, malgré mes recommandations renouvelées, le sous- 
ofhicier chargé du service de la colonne à laissé s'établir pas mal dirrégularités : charges modifiées, porteurs 
interchangés sans que nous soyons avertis; et, chose plus grave, alors que nos engagés comportent quinze 
hommes de réserve qui se présentent les bras ballants, Européen, chef de caravane, à trouvé moyen de 
mettre des charges — les vivres qu’on nous à offerts dans les villages — sur la tête d'hommes qui accom- 
pagnent nos capitas, et ne doivent leurs services exclusivement qu'à ceux-ci. 

C'est une misère de devoir faire de telles constatations! Quand donc les blancs recevront-ils dans une 
école coloniale l'indispensable éducation qu'il faut donner à ceux dont on accepte les services en Afrique? II 
saute pourtant suflisamment aux yeux que le chef a mieux à faire là-bas qu'à exécuter lui-même la besogne de 
ses derniers sous-ordres. Enfin ! 

A 11h. 15 m., le second passage d’eau est terminé et nous commençons à remonter la Di-Kouloué par sa 
rive droite; laquelle est occupée par une vaste plaine herbue sans un seul arbuste; le sol est de terre noire 
grasse; le sentier est à peine indiqué; nous y remarquons beaucoup d’ossements de gros gibier. Un moment 
nous touchons la rivière, en un point où le feu à déjà passé sur les herbes; à partir de ce point, le sol est d'argile 
grise, et dans les herbes existent des acacias épineux nains; nous voici à hauteur du petit village Ka-Tongo, 
chef Mwadafika, situé sur la rive opposte à celle que nous suivons. 

Encore quelques 100 pas et nous stoppons, pour éamper, au bord de la Di-Kouloué; il est 12 h. 5 m. ; nous 
avons fait 9 kilomètres; le temps de l'étape à été surtout mangé par les deux passages d’eau. 

Dès que nous sommes installés, voici venir le chef Mwépo (n'toto de Sampwé) ayant son village au con- 
fluent Lou-Fira — Di-Kouloué; il apporte deux poules, deux paniers de farine, un d’arachides, un de pommes 
de terre et un pot de pombé tokwa. 

C’est ensuite Mwadatika (également n’toto de Sampwé) avec une poule, une corbeille de farine, une d’ara- 
chides et une de pommes de terre. 

Enfin, à 15 h. 50 m., nous sommes touchés par un courrier de Lofoi en réponse à ma lettre du 16 mai 
dernier; la lettre de M. Delvaux porte la date du 22; les hommes ont donc fait diligence; ils ont coupé à 
travers la plaine inondée, marchant souvent et longtemps dans l’eau; aussi afhirment-ils catégoriquement que 
nous ne pouvons prendre ce chemin ; ces hommes nous apportent une caisse de vivres d'Europe, 1 panier de 
légumes frais et du miel, 


La lettre de M. Delvaux dit : « M. Voss à quitté Lofoi pour faire une reconnaissance vers les salines de 
Mo-Achia, le 10 courant; je suis sans nouvelle de lui. Je crois pouvoir vous rassurer au sujet des suites de Ja 
bagarre entre soldats de la mission. J’ai réussi à arranger les choses; le blessé, quoique fort mal arrangé, en 
réchappera. Tout est très calme. Le fait d'avoir éloigné le sergent Bandé et le soldat coupable à produit bonne 
impression. » 


Comme nous sommes très proche de Ka-Langa, où le point à été pris, nous ne faisons pas d'observation 
ce SOIT. 


Samedi, 27 mai 1899. 


o 


Minima de la nuit : 9,2. AG heures le thermomètre marque 10°,8. Il faut faire plus que jamais un grand 
feu clair. 

Départ à 7 h. 15 m. Direction de la marche : sud-ouest. 

La Di-Kouloué — que nous remontons en gagnant de coude en coude par la corde des grands ares que 
décrit cette rivière — est bordée d’une galerie arboreseente continue, qui permet à l'œil d'en suivre nettement les 
méandres ; aux points où nous la toucherons, nous constaterons que la Di-Kouloué est large de 19 à 15 mètres, 
fortement encaissée, parfois de 8 à 10 mètres, et qu'elle roule une eau trouble à courant plus marqué qu'à 
l'embouchure. 

Au départ du camp nous foulons un terrain soumis aux inondations, parsemé de limonite et de conerétions 


— 9300 — 


calcaires, encombré de hautes herbes avec de nombreux acacias nains brülés par les feux d'herbes; de temps 
en temps une termitière basse, garnie de quelques arbres, formant îlots de verdures dans l'océan des grandes 
herbes. 

Au premier coude de la Di-Kouloué nous avons, entre la rivière et nous, un petit étang nommé «M’panga »; 
au delà de cet étang le sentier s’écarte de la Di-Kouloué pour aller prendre le contact d’un petit affluent de 
droite, le ruisseau Ki-Pindo dont les abords forment marécage sur 30 à 40 mètres de large; un lit d'herbes 
aquatiques recouvre la nappe aqueuse qui s'écoule lentement vers la Di-Koulouwé ; toujours les herbes, 
grandes, moyennes où courtes par places, avec de nombreux acacias épineux; terre noire, grasse; parfois la 
plaine s’habille de quelques arbres jetés de ci, de là. 

Nous voici à hauteur d’un épanchement marécageux où batifolent de nombreux échassiers d’une taille 
respectable; Questiaux s’écarte de la colonne et abat un des oiseaux, haut d'environ 1°,50, muni d’un énorme 
bec aux trois couleurs belges; nous l’en baptisons « le Brabançon »; on l'emporte pour être mis en peau à 
l'étape; c’est la cigogne Jabiru, de son nom scientifique Mycteria Senegalensis. (Noir là planche en couleurs.) 

L'animal est visible à Tervueren. 

Vers le neuvième kilomètre, traversée du ruisseau Bo’n’golo, affluent du Ki-Pindo, large de 1 à 2 mètres, 
avec 10 centimètres d’eau fangeuse à fleur de sol, sans courant. 

Jai comme guide principal Ka-m'hilo-m'bhilo, le fils de Sampwé dont j'ai déjà parlé. Sa tête ne m'était 
jamais revenue; c'est lui qui, au village de son père, m'avait dit qu'il n'y avait pas de sentier frayé entre ce 
village et Mirambo. Hier, il m'aflirmait que seul il connaissait un ancien chemin repris par la brousse, et 
aujourd’hui nous nous trouvons sur un sentier bien marqué quoique désagréable du fait, qu'à tout moment, il 
s’'ensevelit sous de grandes herbes, et devient alors très glissant, au point qu'à plusieurs reprises Dardenne et 
moi nous manquons de nous fouler le pied. 

A propos des deux ruisseaux Ki-Pendo et Bo’n'golo, le maladroit Ka-m’bilo-m'hilo me raconte successive- 
ment les choses les plus contradictoires sur l'emplacement de leurs sources, leur cours, ete. Je finis par lui 
dire qu'il n’est qu'un animal et je lui fais quitter la colonne pour retourner chez lui, parce qu'il ne mérite pas 
de servir de guide au blanc. Et je ne puis m'empêcher de me dire que ce Ka-m'bilo-m'bilo est habitué au blane 
depuis longtemps déjà, et que c’est mauvais signe de le trouver fournissant des renseignements erronés : cela 
a dû lui réussir précédemment, ce qui me force à conclure qu'il n’a jamais eu devant lui que des Européens ne 
contrôlant pas ses dires. 

Il est remplacé comme guides par des hommes du chef Mirambo qui sont venus se mêler à nos gens à 
Ka-Langa même, sans avoir Pair de rien; mais au passage de la Di-Kouloué, lorsque j'ai fait l'appel nominal 
de la colonne, il a bien fallu qu'ils se fassent connaître, un peu surpris de se faire prendre à leur rôle de 
demi-espions, car ces gens ont évidemment été chargés par Mirambo de venir se rendre compte de nos allures 
et de nos dires. 

Le ruisseau Bo’n’golo franchi, nous pataugeons un moment dans une série de flaques boueuses, puis c’est 
la plaine d'herbes jusqu'à un coude de là Di-Kouloué, à partir duquel nous ne lächons plus la rivière Jusqu'à 
l’arrivée au pittoresque village Di-Sanga, chef N'gobéla, dépendant de Sampwé. 

Dans la seconde moitié de la marche nous avons vu des limonites, des concrétions calcaires et quelques 
cailloux roulés; à noter aussi que les feux d'herbes localisés ont commencé à être allumés. 

Le village Di-Sanga, où nous arrivons à 12 h. 10 m., après une marche de 17 1/, kilomètres, jouit du 
voisinage d’une sorte d’étang appelé Lou-Sanga, formé par un cul-de-sac aquatique de la Di-Kouloué : c’est un 
joli cas d'évolution d’un méandre. 

Le chef N’gobela nous à fait aménager des huttes; celle qu'il me destinait ne permet pas qu'on s’y tienne 
debout, à cause des claies qui y sont disposées pour supporter les épis de maïs et de sorgho; on dressera une 
tente pour moi aujourd'hui. 

N'gobéla et son vieux père offrent le coutumier présent de bienvenue : 6 poules, 3 paniers d’arachides, 
9 de farine, 1 de pommes de terre. 

Je mets l'itinéraire au propre pendant que Michel trace la méridienne, et dispose le magnétomètre pour 
la prise de l’inelinaison et de l'intensité horizontale, qui est faite de 17 h. 15 m. à 18 heures. 

J'ai dû allonger mon fond d’encre avec du café très fort. Pourvu que ça tienne! 

Bonne observation complète par 15 étoiles. 


201 


Heureuse constatation : hier ni aujourd'hui nous n'avons à subir l'attaque des moustiques: la saison 


froide est venue, qui va nous protéger contre ces rossards. 


Dimanche, 28 mai 1899. 


Minima nocturne : 9,8. 

De 6 h. 20 m. à 7 heures, détermination de la déclinaison; le froid nous donne l’onglée d’une façon vrai- 
ment désagréable. 

Départ à 7 h. 25 m. Marche vers le sud le long de la Di-Kouloué. 

Étape désagréable par ses nombreux et longs passages d'herbes. Aux endroits où les herbes laissent la tête 
libre on respire un peu, mais trop vite l'herbe haute reprend tous ses droits; on ne voit pas le sentier et il est 
large pour un seul pied, glissant et rempli de trous; Dardenne se foule à moitié le pied et doit se mettre 
en hamac. 

Circuler là dedans, le carnet constamment tenu ouvert et orienté sur la main à plat, la boussole en obser- 
vation, le podomètre et l’anéroïde consultés aussi souvent que nécessaire, est plutôt un peu dur. 

Pourtant la route serait bonne et facile si elle était nettoyée à 1 mètre de large seulement. 

Des touffes d’acacias nains brülés, des buissons épineux, des chardons agressifs augmentent par places les 
agréments personnels des hautes herbes; en revanche, de nombreux et superbes flabelliformis (borassus éven- 
tail) décorent la galerie de la Di-Kouloué; un fort massif de ces beaux arbres se voit à 6 à 8 kilomètres vers 
l’est. 

Au point de vue faune, nous relevons quantité de laisses de fauves, et pourtant, ni jour ni nuit, on ne les 
voit ni les entend! 

Ainsi que je l’ai dit nous serrons de près la Di-Kouloué; au premier tiers de létape, on passe sur son 
bord très raide; la rivière est ici large de 8 mètres et encaissée presque à pie de 10 mètres; courant bien 
marqué, eau assez claire; nombreuses concrétions calcaires dans le talus que nous surplombons; il serait 
impossible ici de passer à gué. 

Vers la fin de l'étape, la rivière s’enjolive de deux étages de rapides, le premier offrant une dénivellation 
de 30 centimètres, le second de 50 centimètres; en ce point pittoresque la Di-Kouloué est large de 30 mètres 
et encaissée de 10. 

Des arbres rabougris, quelques-uns à en être squélétiques, caractérisent aussi la fin de l'étape. 

Mirambo, qui a fait désherber la route sur une bonne étendue près des villages auxquels il commande, 
est venu à notre rencontre; sa suite est nombreuse, armée de fusils à pierre et à piston; il y a même un 
Suyder. 

Nombreuses femmes, sales, hurlant en possédées leur ordinaire bienvenue; Mirambo parait joyeux et 
fier de ce potin réussi; ce chef me rappelle un peu Ki-Lomba, du village Ba-Béçà, au sud du Moéro, peut-être 
à cause particulièrement d’un certain chapeau crasseux. 

Nous passons successivement devant deux groupes palissadés, de 5 et de 20 huttes; puis le sentier franchi 
le ruisseau Songwé, encaissé de 8 mètres dans un affleurement de limonite, avec un filet d’eau brune et trouble: 
encore des cultures, un groupe de huttes, de hautes herbes, des cultures, et nous stoppons au village Ki-Lombé 
(35 huttes), résidence de Mirambo. 

Il est 12 h. 45 m.; l'étape a couvert 22 kilomètres. 

Javais projeté de rester ici demain pour mettre la besogne à jour. Mais le village est tellement peu propre 
que Je vais tâcher d'éviter cette douloureuse alternative; pour gagner du temps, je me passerai de déjeuner 
aujourd’hui, ce qui me permet de mettre l'itinéraire au propre et de préparer le catalogue d'étoiles pour 
ce soir. 

Mirambo offre 1 chèvre, 10 paniers de farine, 1 de manioc. Comme mes approvisionnements sont très 
réduits — par suite de l'extension donnée à notre tournée — je lui remets une mokande, dont il viendra tou- 
cher le montant à Lofoi, lorsque j'y serai rentré. 

sonne observation par 14 étoiles. 


— 302 — 


Lundi, 29 mai 1899. 


Minima nocturne : 8°,5. Il fait désagréablement froid; nous sommes collés à un grand feu clair, frileuse- 
ment enveloppés dans nos paletots. 

Le désir de prendre une observation magnétique complète et d'effectuer les calculs de observation d'hier 
me décident à passer la Journée iei. 

Questiaux ira voir de près les rapides signalés hier; Dardenne prendra une vue paysagique des bords de la 
Di-Kouloué. 

De 9 h. 20 m. à 10 h. 50 m., pris l'observation de magnétisme. 

Effectué tous les calculs. Nous sommes à jour et, dans l'après-midi, je puis interroger quelques habitants 
du village et recueillir quelques données ethnographiques 

Nous sommes chez des Bas-Lembwés (même appellation que chez Sampwé). 

Depuis notre arrivée dans le Ka-Tanga je m'étais préoccupé de la question des funérailles; on a écrit et 
réécrit que les noirs du Ka-Tanga n’enterrent pas leurs morts, mais les jettent à l'abandon dans la brousse; si 
ces dires étaient exacts, nous aurions bien dû trouver, dans cette brousse que nous parcourons en ouvrant 
l'œil sur tout, l’un ou l’autre ossuaire humain; nous aurions vu des ossements humains comme nous avons 
vu, à diverses reprises, des ossements d'animaux; de plus notre adorat n'aurait pu manquer d’être pénible- 
ment affecté si nous étions passés sous le vent de cadavres; en troisième lieu nous n’aurions pas manqué 
d'observer des vols circulaires d'oiseaux de proie au-dessus des points où des cadavres auraient été jetés, ce 
que nous n'avons vu nulle part. 

Aux questions que je pose à ce propos, on me répond que les Ba-Lembwés enterrent leurs cadavres ; 
Jamais, me dit-on, on ne les jette aux fauves. 

« — Mais des blancs ont dit qu'on ne trouve pas de cimetières chez vous. » 
«— Mais si, nous avons des cime- 


/ 


« Lières, mais nous n’aimons pas 
« que les étrangers y entrent. » 

Je m'empresse d’aflirmer que je 
respecte complètement ce désir et 
que je ne demanderai pas à être Con- 
duit au cimetière. 

Mes interlocuteurs me disent en- 
core qu’en cas de mort les femmes 
pleurent beaucoup. 


Ÿ NE S un = = Los Éd DIU LA . . 
SN + Ne É Je leur demande ensuite pourquoi 


hier, à mon arrivée, tant de gens 
Z étaient barbouillés de terreet deboue. 


& — Mais en signe de soumission. Ici, pour marquer son 

= EN AT 2 EC respect aux chefs, on se met à genoux, on prend de la boue 

Cahétente mit Mass) - « par poignées dont on se couvre toute la tête, la poitrine, les 
Dans le village Ki-Lombé. « bras; on claque ensuite des « mains. » 


&@ — Eh bien! mes amis! quand des Européens viendront 
« encore chez vous, sachez que pour leur faire honneur il faudra, non vous barbouiller de terre et de boue, 
« mais nettoyer à fond votre village et vos hultes, et ensuite, et surtout, vous plonger Jusque par-dessus la tête 
« dans l’eau courante de la Di-Kouloué, en attendant que vous connaissiez l’âge du balai et du savon! » 


Des renseignements qui me sont encore donnés avec beaucoup de bonne volonté, il résulte que demain 
nous devrons loger dans la brousse; tant mieux, cela nous évitera au moins, cette fois, la saleté de ces villages 
si peu ragoûtants. 

Questiaux, fatigué, se couche sans souper. 

Toutefois, dans l’ensemble, l’état général est très satisfaisant. Pour mon compte, je me porte comme un 
charme; je crois bien en avoir fini avec la période de réacclimatement. 


Sp. 


Mardi, 30 mai 1899. 


Minima nocturne : $°,3. 

Il fait froid, très froid, un mauvais froid qui fait frissonner. Nos prédécesseurs en promenades dans le 
Ka-Tanga ont fortement vanté l’agréable impression que procurait à l'Européen le froid vif du soir et surtout 
du matin. 

Ce Ka-Tanga — est-ce à cause de son éloignement? — à produit bien des effets de mirage sur lesquels nous 
avons le désagréable devoir de souffler; on pourrait presque dire qu'il n’a produit que cela. 

Nous voici, en ce moment, cinq Européens qui éprouvons tous la même impression désagréable quant au 
froid tant vanté; il faut se vêtir fortement, mettre un gros paletot et se coller dans le feu. 

Ce même froid provoque un abondant dépôt de rosée nuisible aux instruments mis en station au com- 
mencement de la soirée; le matin, la dite rosée est si abondante, qu'après 200 mètres de marche dans les 
herbes on est aussi mouillé jusqu'au ventre que si l’on était entré en pleine eau; et cela dure jusque près de 
9 heures. 

Je n’exagère rien; il sera aujourd’hui 8 h. 45 m. quand on pourra considérer les herbes comme séchées 
par le soleil. : 

D’aucuns voyageurs conseillent de ne se mettre en route que lorsque les herbes sont tout à fait sèches; 
cette méthode de marche peut convenir à ceux qui ne lèvent aucun itinéraire, ne prennent aucune note el 
n'ont, en arrivant à l'étape, qu'à s'étendre dans leur chaise longue, en attendant que les noirs aient dressé 
la tente à la « va C'faire fiche », et que le cuisinier ait ouvert des boîtes de conserves variées. 

Mais pour des gens qui travaillent pendant quatorze heures par Jour (par exemple les jours d'observation), 
il faut partir tôt, quels que soient le temps et l'humidité génératrice de rhumatismes. 

Départ à 7 heures. Direction de marche : Sud 10° Est. 

Un gros kilomètre, à travers des cultures entrecoupées de bandes herbeuses, nous met à hauteur d’un groupe 
de huties situées sur la rive de la Di-Kouloué et relevant de Mirambo; la Di-Kouloué s’infléchit ici vers le 
sud-ouest et nous la perdons bientôt de vue pour nous rapprocher de la N'Songwé, son affluent presque à sec 
traversé avant-hier ; nous sommes en plaine d'herbes très hautes, avec, de-çi de-là, soit un bel arbre, soit un 
bouquet de verdure où abondent des aloës en fleurs; nous retrouvons avec plaisirs plusieurs jolies fleurs rouges 
qui nous sont déjà connues et que Dardenne à dessinées jadis, mais que nous n'avons plus eu l’occasion de voir 
depuis des mois. 

A l’est et à l’ouest de notre sentier, à une distance de 2 à 3 kilomètres, courent des lisières de haute futaie 
entre lesquelles s'étend la plaine herbue. 

Et nous arrivons à la N'Songwé, qui s'étale marécageusement sur une largeur de 500 à 600 pas et sur une 
profondeur de 25 à 40 centimètres; des oiseaux d’eau se lèvent à notre passage, qui becquetaient, semble-t-il, 
des efflorescences salines blanchâtres dont nous prenons échantillon. 

Au delà de ce passage marécageux le sentier passe sur un affleurement de limonite signalé par la brusque 
diminution de hauteur des herbes. 

Entre les kilomètres 7 et 8 de l'étape on revoit les Kou-n’déloungou vers l’est et le sud-est. 

Puis le sentier doit retraverser la N'Soungwé, encore étalée en marécage sur 800 à 1,000 pas; les herbes 
sont redevenues très hautes; nombreux petits borassus; bandes de chevaliers armés, et toujours la plaine 
herbue. 

Voici, sur une légère éminence, deux ou trois huttes du moment; campement de chasseurs, disent les 
guides. À peine nous ont-ils donné ce détail que nous voyons filer sur la gauche de la colonne deux antilopes 
el, presque en même temps, une manade d’une douzaine de zèbres ; l'endroit est donc bon. 

Ceci se voit en une partie de la plaine qui s’habille un peu d'arbres, d’arbustes et de quelques euphorbes 
candélabres, malheureusement déjà tristement touchées par des feux d'herbes prématurés; de gros blocs de 
limonite affleurent, et tout le terrain est parsemé de cailloutis de la même roche et de nombreuses termitières 
grimpant souvent sur et à travers ces blocs; je viens de parler de feux d'herbes prématurés : la partie déjà brulée 
s'étend sur 2 1/, kilomètres environ, puis les herbes hautes, courtes où moyennes, reprennent leur empire: ce 
sont très vraisemblablement les chasseurs qui ont ouvert par le feu une clairière où ils peuvent amener le gibier 
et l’atteindre alors. 


Voici maintenant des traces d’éléphants; en voilà qui se désintéressent quelque peu de la grandeur des 
herbes ! 

La faune, aujourd’hui, est plus riche que d'ordinaire, et neus voici en un point où le terrain est couvert 
d’un lit d'herbes moyennes touffues, d’où émergent de hautes tiges clairsemcées qui servent de support gracile 
à des milliers de nids en bercelonnetles fabriqués par le passereau; ces tiges, que la brise fait onduler gracieu- 
sement, charment adorablement notre œil curieux. 

Encore quelques kilomètres d'herbes où se montrent, honteux, quelques arbustes rabougris, et nos guides 
s'arrêtent disant : C’est ici. 

lei, c'est le Ki-Toma-Makoubi, un étang, ou, plus exactement, un vilain marais de 200 mètres sur 100; son 
lit est encombre d'herbes et de plantes aquatiques; c’est une euvette sans écoulement, qui garde seulement 
des eaux de pluie; dans un mois elle sera à sec; l’eau, en ce moment, à une jolie teinte de purin. 

Il est 13 heures; nous avons parcouru 25 kilomètres et les guides aflirment, avec une assurance de bon 
aloi, que nous ne trouverons pas de meilleure eau avant une nouvelle élape de même longueur. 

Installons nous done à l’étang Ki-Toma-Makoubi. 

On désherbe un bon rectangle de campement et les quatre tentes sont dressées; Dardenne, fiévreux, se 
couche dès que possible. 

Pour nous, nous vaquons aux besognes ordinaires et terminons la journée par une observation com- 


plète (14 étoiles). 


Mercredi, 31 mai 1899. 


Minima nocturne : 9. Dardenne reste pris de la tête. 

Départ à 7 h. 15 m. Etape désagréable pour d’autres raisons qu'hier : aujourd'hui la rosée est faible et 
l’on ne se trempe plus comme des soupes. Mais, en revanche, on traverse un pays qui, aux pluies, se couvre 
d’eau sans écoulement; il en résulte que le sentier, piétiné par les indigènes et surtout par le gibier, est 
absolument défoncé, et qu'on ne peut pas une seule fois poser le pied à plat; aussi Questiaux en gagnera:t-il 
tout à l'heure un effort de l’aine qui provoquera de la fièvre dans Paprès-midi. 

La marche dans ces conditions, avec l'agrément des hautes herbes, devient très désagréable. 

Mais procédons par ordre. 

Au départ du Ki-Toma-Makoubi, nous entrons dans la m'boka Lou-N’sala (m'boka — plaine); actuellement à 
see, cette plaine, aux pluies, se couvre complètement de 40 à 50 centimètres d’eau d'inondation qui ne 
disparait qu'avec les pluies, par écoulement vers la Lou-Fira; le sol garde les traces trop visibles de la 
dernière inondation; pendant une couple de kilomètres au départ du camp les limonites se montrent encore 
puis disparaissent sous la couche d'argile consistante, grise, devenant très dure à la dessiccation et formant 
limpraticable sentier dont je viens de parler. 

= Un moment la brousse rappelle plus où moins celle du Bas-Congo, mais les essences sont différentes. 

A notre droite court, parallèlement au sentier, une ligne d'arbres à laquelle les guides donnent le nom de 
Ka’ n’za-mina; à l’ouest de cette ligne d'arbres se montrent les hauteurs Ka-Roussoro. 

Vers le sud se marque une légère ondulation est-ouest vers le sommet de laquelle nous semblons nous 
diriger. 

Puis c’est, à l’est, une percée vers les Kou-n'déloungou qui se montrent tout à fait; nous sommes à hauteur 
du pie Bodson et de l’indentation du Lofoi qui se marque très nettement par ses deux saillants. 

Et toujours les hautes herbes; et le sentier défoncé par de monstrueux pas d’éléphants. 

Maintenant nous arrivons à la crête de la légère ondulation signalée tantôt, et la vue porte librement à 
l'horizon : vers le sud on distingue le sommet du pie Ka-Mikéto ; à l’ouest de celui-ci le piton Ka-n’gouloungou 
que nous toucherons demain; plus à l’ouest encore c’est la ligne des hauteurs N'Koni, et au nord de ces 
dernières, c’est-à-dire à l’ouest (à notre droite donc), les hauteurs Ka-Roussoro, déjà signalées. 

Et toujours herbes et jones, jones et herbes. 

Deux zèbres détalent sous nos yeux; nos gens voudraient bien se mettre en chasse. 

Holà! Jai mieux à faire. 


Entre le huitième et le neuvième kilomètre nous atteignons la fin de Ja partie de cette plaine soumise de 
façon permanente aux inondations. 

Encore des traces d’éléphants. On à maintenant la sensation de parcourir une sorte de plateau à herbe 
courte, avec de nombreux petits borassus et des mimosas; malheureusement cela ne dure pas; nous retrouvons 
bientôt des passages soumis à l’inondation, des grandes herbes, de très grandes herbes, des Jones et, pour 
n'en pas perdre l'habitude, nous refaisons connaissance avec les herbes-javelots signalées dans les plaines de Ja 
rive droite de la Lou-Fira. 

Vers la moitié de l'étape les arbres deviennent plus nombreux ; presque tous sont rabougris, ou ne sont 
que de vilains arbustes en bouquets; seul, un beau saucissonnier met sa majesté dans cette désolation. 

Et la marche continue avec les mêmes notations de parties herbues et de parties mal boisées alternant, 
avec prédominance des premières. 

Nous arrivons au marais Litengwé qui est un Ki-Toma-Makoubi en petit; un camp indigène (des chasseurs 
sans doute, ou des pêcheurs) y montre ses grossiers abris; ce marais Litengwé est le seul point de toute Ja 
route d'aujourd'hui où stagne le dernier restant des pluies; bientôt ce réservoir sera aussi à sec et, de chez 
Mirambo aux villages Ki-Tabiké, où nous arriverons aujourdhui, il n'y aura même plus d’eau fangeuse à 
trouver; et si l'on veut se rapprocher de la Lou-Fira, &’est pour tomber dans des marais impraticables. 

Vers la fin de l’étape se montrent plusieurs parties d'herbes déjà brülées. 

L'étape s'achève sans que nous ayons rien vu des nombreuses essences qui, dans le bas Congo, s'exploi- 
tent soit pour leurs fruits sauvages comestibles, leurs graines huileuses, leurs résines, ete., soit comme 
matériaux de construction; nous ne retrouvons qu'une seule essence du bas Congo : une légumineuse à 
feuille bifide, à gousse couleur chocolat. Rien d’exploitable; rien d’ornemental; pas un fruit sauvage; pas une 
liane. 

Décidément, c’est un bien beau pays et de bien belles plaines! Ce pays, ce légendaire et merveilleux 
Ka-Tanga, ne nous montrera done rien qui ait pu justifier la réputation qui lui a été faite, et surtout 
surfaite ! 

Et nous marcherons done chaque jour vers une nouvelle déception! 

Il est 13 heures quand nous stoppons aux villages Ki-Tabiké, ayant couvert 93 1/, kilomètres. 

Les villages où nous sommes arrivés sont au nombre de deux; le premier compte 38 huttes, le second 49: 
leurs chefs s'appellent Molékelwa et Koumba-Koumba. 

Nous sommes toujours chez des Ba-Lembwés, installés, ceux-ci, sur la rivière Bou-n’kéïa; en vain avons- 
nous espéré que cette rivière historique nous fournirait une eau abondante, limpide, sapide et digestive. Ici 
encore nous n'avons qu'une eau détestable; la rivière est à sec (je découvrirai plus tard, dans la suite de notre 
reconnaissance, que son cours est en partie souterrain); dans des fosses et des creux du lit desséché on 
puise une eau détestable, trouble et puante. Le chef Koumba-Koumba se charge lui-même d'aller chercher ce 
qu'on peut trouver de mieux; ce qu'il apporte est tout aussi infect. J’avais compté stopper ici demain toute 
la journée; le manque d’eau potable me fait renoncer à ce projet; nous verrons à le réaliser à la prochaine 
rivière, si l’eau y est bonne. 

La rivière Bou’n’kéia a ici 8 à 10 mètres de large et 6 mètres d’encaissement; l’eau qu'on y trouve encore 
stagne, ainsi que je viens de dire, dans des trous et des sortes de réservoirs. 

Les villages Ki-Tabiké abondent en cotonniers ; le pied de chaque plant est parsemé de cendres pour en 
écarter fourmis, termites, ete.; je note aussi l'existence de la luffa cylindrica, vue également chez Mirambo. 


En arrivant à l'étape Questiaux a dû se coucher pris de fièvre. 

M. De H. à brisé la bougie de l'excellent petit filtre à pompe que M. Questiaux avait mis au service 
commun; cela diminue la besogne de notre chef d'installation, mais c’est une perte regrettable quand on 
songe à ce que nous devons employer comme eau potable! Pouah ! 

Les chefs Molékelwa et Koumba-Koumba offrent à eux deux : 2 énormes corbeilles de poissons fumées, 
8 poules, 58 œufs, 11 paniers de farine, à de pommes de terre. 

20 


— 306 — 


Je dois me contenter de leur remettre à chacun une mokande dont ils viendront me demander le paiement 
à Lofoï, dans quelques jours ; chaque mokande représente 1 couverture, 1 miroir, 100 grosses perles blanches, 
200 grosses perles bleues. 

Trop fatigués pour prendre une observation. 


Jeudi, 1° juin 1899. 


Minima nocturne : %,8. Il n'y a pas de forte rosée ce matin. 

Départ à 7 h. 25 m. Même direction de marche qu'hier et avant-hier : sud 10° est. 

Nous passons de suite de la rive gauche sur la rive droite de la Bou’n’kéia, dont nous nous éloignons 
immédiatement par le travers d’une plaine de très hautes herbes, dont le sol est craquelé et recoupé de longues 
fentes continues; cette région est, à l’évidence, soumise de façon permanente à l’inondation de la saison des 
pluies; au moment de notre passage nous profitons de l’assèchement momentané de la saison sèche qui est 
maintenant arrivée; d’après les indications de nos guides nous suivons la lisière de la partie sous eau aux 
pluies, et même ici on a, en cette saison, de l’eau jusqu'à mi-cuisse. Aussi ce que, pendant les quatre premiers 
kilomètres, ce sentier est défoncé et pénible, presque impraticable! seuls peuvent s’en rendre compte ceux qui 
ont effectué ces marches fatigantes. 

Un moment nous sortons de cette mer d'herbes pour monter vers un double piton, le « Ka-n’géloungou », 
vu de loin hier; les herbes se clairsèment un peu; des strychnos se montrent; des bouquets de bois clairsemés 
mettent un peu de gaieté dans le paysage: des blocs de limonite émergent, et le sol se couvre d’un véritable tapis 
de paillettes noires brillantes; M. Questiaux ne peut déterminer de suite si c’est du mica ou de la magnétite; 
pris des échantillons de la roche qui se montre ici et que nous voyons pour la première fois. 

Nous voiei au pied du « Ka-n’géloungou », après avoir franchi un ruisselet à sec dont le lit semble venir 
du pic dont il porte d’ailleurs le nom. 

Ce pic ne domine le sentier que d’une cinquantaine de mètres; ce n’est pas énorme, mais au contact de la 
plaine basse de la Lou-Fira c’est beaucoup; du sentier même on domine la vallée qui donne, d’une façon 
intense, la sensation d’être un ancien lac, mal 


asséché encore, ainsi qu'en fait foi son état 
mareécageux qui en interdit l'occupation un peu 
sérieuse aux indigènes; par places cette plaine 
est entièrement herbue, sans un seul arbre; 
par places elle paraît boisée. 

Dans le nord-est la falaise des Kou-n’dé- 
loungou se développe de l'est vers ouest pour 
venir se briser à la pointe Ki-Lina, au pied de 
laquelle notre itinéraire actuel avait quitté les 
Kou-n'déloungou pour se porter vers la Lou- 
Fira; c’est à la pointe Ki-Lina que la falaise se 
-replie vers le nord, après avoir formé la pro- 
fonde indentation de la Ka-Sanga. 

Vers le Nord—=Nord-ouest on voit une sorte 
de «cul de Boma » qui, aux dires des guides, 
serait le « Ki-Ombo », la percée par où la Lou- 
Fira passe entre les hauteurs Ki-Ama et Ka- 


ERRE Lanbo, dont nous avons parlé le 15 mai. 


Photographie de la plaine de la Lou-Fira Michel photographie la plaine basse de la 
prise au pied du piton Ka-n’géloungou (1899). Lou-Fira; nous la reproduisons ici. 


Puis nous reprenons la direction sud; la 
ligne des hauteurs N’koni est visible; mais bientôt nous redescendons dans la plaine, dont nous étions sortis 
un instant grâce au glacis formé par le Ka’n'géloungou ; pendant une couple de kilomètres la brousse est faite 


dd 


—, AT — 


d'un elairsemé d'arbres peu touflus et de parties d'herbes alternativement hautes et basses; cette brousse me 
rappelle assez bien celle qui caractérise l’Entre-Nyassa-Tanganika, aux points où la végétation arborescente se 
caractérise surtout par des arbres à trones grêles, minces, montant droit à 3 et 4 mètres de haut, sans rami- 
fication; de temps en temps un bel arbre fait sensation dans cette médiocrité. 

Après cette partie mi-boisée revient la plaine marécageuse, herbue; de nouveau le sentier est défonce et 
mauvais ; voici, à notre gauche, le petit pie Ka-Mikéto, qu'une ondulation de terrain nous avait caché avant 
notre arrivée à sa hauteur; le sol est gras; il se couvre des mêmes concrétions calcaires que celles rencontrées 
déjà à diverses reprises; et la marche continue, peu agréable, parfois difficile à cause des trop nombreux points 
encore marécageux ; notons parmi eux le marais Ka-Niengué avec ses 500 mètres de boue et d’eau fangeuse, 
par lequel s’amorce la Mhoka (plaine) Ki-Longéro. C’est encore une plaine encombrée de hautes herbes, mais 
où, heureusement, le nombre des arbres augmente; parmi eux, de beaux borassus. 

Encore un f...ichu passage avec sentier défoncé, détestable; des empreintes d’éléphants sont relevées: les 
hautes herbes redominent. 

Au second tiers de l’étape, la vue, vers le sud-ouest, porte sur le pic Ki-Teau; vers le sud et le sud-ouest 
on a les hauteurs N’koni et Ka-Toka. 

L'étape se poursuit, et s'achève, à travers les hautes herbes, et l’on arrive à la rivière Di-Soubwa, dont la 
rive gauche, déprimée, est agrémentée d’une bande marécageuse, large de 8 à 10 mètres, dont les abords ont 
été cultivés. 

La Di-Soubwa est large de 6 à 8 mètres, encaissée de 5 à 6, avec un filet d’eau assez claire (enfin !}, courant 
assez marqué sur lit de limonite; une galerie de très beaux arbres l’ornemente superbement. 

Sa rive droite est entièrement mise en cultures jusqu'au village Ka-Miba (35 huttes), chef Ki-Abondo, où 
nous stoppons à 14 h. 20 m., ayant parcouru 26 !/, kilomètres. 

Le village est entouré d'une haute palissade, disparaissant entièrement sous une garniture de haricots 
comestibles. Nous trouvons un charmant coin, bien ombragé de beaux bananiers et surtout d’un arbre colossal 
de la galerie de la Di-Soubwa; nous passerons ici la journée de demain. 

Le chef Ki-Abondo offre : 1 chèvre, 2 poules, 4 paniers de farine, 4 de manioc, et une énorme charge de 
silures fumées. Les occupants de la vallée inondable de la Lou-Fira profitent chaque année des inondations, et 
surtout du retrait des eaux, pour prendre des quantités considérables de poissons qui sont mis à fumer, et 
constituent un des mets favoris du pays; malheureusement pour nous, ce qu'on nous à présenté jusqu'ici est 
tellement huileux, que nous ne parvenons pas à y prendre goût. 

M. de H., malade, se couche sans souper. 

Bonne observation astronomique par 14 étoiles. 

A 22 heures arrive un courrier de Lofoi, m'apportant de l’encre et deux lettres : l’une de M. Delvaux 
m'annonçant que le capitaine Verdick est rentré à Lofoi et que lui, Delvaux, ira le remplacer à Ki-Amakélé; 
l’autre de M. Voss, m'annonçant qu'il exeursionne au sud de Lofoï. 


Vendredi, 2 juin 1899. 


Minima nocturne : 8°,6. 

De bonne heure chacun est à la besogne, sauf M. Questiaux, malade et manquant de moral. 

A 8 heures arrive M. Delvaux, se rendant aux grottes de Ki-Amakélé. Il passe avec nous une couple 
d'heures, que Dardenne consacre à prendre aquarelle d’un chef Ba-Yeck en appareil guerrier (voir la planche en 
couleurs); 1l s’agit du brave Mokembé qui apporte à nos armes le concours de sa vaillance. Quand il à compris 
qu'on va l’immortaliser par l’image, il se redresse et se campe fièrement; enveloppé d’étoffes bariolées, 
couvert de fétiches variés, armé de deux fusils (il a pris le second pour corser l'effet du tableau), d’une lance, 
d’un couteau, le chef surmonté d’un superbe plumet rouge et noir, Mokembé a vraiment de l'allure; en 
l’examinant avec intérêt, il me vient à l’idée que certains de nos ornements militaires actuels, vraiment 
surannés, pourraient bien n'être que des transformations d'anciens fétiches, ces protecteurs de jadis: est-ce 
que l’épaulette, la crinière des casques, etc., ne sont pas sensés protéger les épaules, la nuque, contre les coups 


de sabre ? 


— 508 — 


Bien que nous ne soyons guère riches en liquides généreux, j'ai le plaisir de pouvoir remettre à Delvaux 
quatre bouteilles de vin. 

De 11 h. 45 m. à 12 h. 35 m., puis de 17 heures à 17 h. 20 m., pris le magnétisme. 

Pendant le reste du temps j'arrive à mettre tous les calculs au courant. 

Bonne ournée! 


Samedi, 3 juin 1899. 


Minima nocturne : 10°,6. 

1 h. 15 m., départ. Notre route fait ici un coude à 90° pour piquer en droiture dans l’est, le long de jolies 
collinettes boisées qui forment comme lavant-plan des hauteurs N'Koni. 

C'est tout d’abord les collines Ki-Boué, dominant de T5 mètres notre sentier, devenu infiniment plus 
agréable à fouler que ceux de ces derniers jours; même aux points de grandes herbes on marche plus aisément, 
parce que le sol n’est plus guère défoncé; les points soumis aux inondations, que nous rencontrerons aujour- 
d'hui, seront moins conséquents. 

D'autre part le pays s'habille assez bien de tuillis, de futaie, d’assez beaux arbres et, pendant la première 
partie de l’étape, de nombreux et superbes borassus de toutes tailles. 

À la sortie de Ka-Miba nous avons une partie de cultures assez étendues, dans un sol riche précisément 
parce que les inondations s’y font sentir; vient ensuite la plaine bordée, à droite du sentier, d’une lisière de 
bois-taillis ; cette plaine est enrichie de nombreux borassus ainsi que je viens de le dire; vers le kilomètre 2 !/, 
la lisière boisée cesse, la plaine à borassus s'étendant de chaque côté du sentier et se prolongeant au sud dans 
une coupure des collinettes; les collines Ki-Boué se replient, en effet, vers le sud, et sont suivies du groupe des 
collines Ka-Wérounôno. 

Les herbes deviennent hautes, annonçant un point inondable, large d'environ 800 pas, où persiste encore, 
actuellement, sur une centaine de mètres, un lit de boue gluante; des eMorescences salines couvrent le sol 
aux abords de ce point inondable; du milieu de cette partie basse on distingue vers le nord—nord-est les 
Kou’n’déloungou, où du moins leur falaise; d’après nos guides et nos capitas le mot « Kou’n’déloungou » 
voudrait dire « plateau », et ce que nous voyons d'ici, c’est-à-dire la falaise, s'appelle « Mou-Kingué- 
N’gamba ». 

Alternances de bandes herbeuses inondables et de parties de sous-bois, pendant 2 1/, kilomètres, et nous 
sommes au bord du ruisseau Pômbwa, encaissé de 5 mètres à pic, large de 2 à 5 mètres, avec 20 centimètres 
d’eau un peu laiteuse à courant peu sensible, allant à la Lou-Fira; une belle galerie borde la Pômbwa; on 
passe sur un énorme borassus jeté, ou tombé, en travers du ruisseau. 

Nous foulons des terrains d’alluvions qui sont ici couverts d’un sous-bois continu; le lit d’un ruisseau à sec 
recoupe le sentier; jy ramasse des débris de cornaline; lobservation est intéressante, aussi je fais approcher 
M. Questiaux, qui, étant encore souffrant, doit garder le hamac, mais peut prendre ici les échantillons 
indispensables ; à coup de pioches des noirs défoncent le terrain où abondent les cailloux roulés, les quartz en 
cristaux, les quartzites, les débris de cornaline et d’agathe. 

Passé ce point le sol se parsème de sable jusqu'au contour du Nzimou-Kéndé. Nzimou veut dire « trou 
d’eau », « abreuvoir », « élang ». 

Ce N’zimou-Kéndé offre une eau assez claire et, naturellement, s’encombre de hautes herbes. 

Entre la route et les collines formant l’avant-plan des N’kôni, tout le terrain est maintenant bien boisé; 
sur le sentier même on traverse de petits bouquets de bois, donnant à la marche une note pittoresque et 
agréable. 

Voici un camp indigène, avec ses huttes du moment, élevé près d’un nzümou déjà à sec; des schistes 
violets caractérisent ici le sol. 

Encore une indentation dans les collines; cette troisième série s'appelle les « Ka-Rengué ». Elle reste 
boisée comme les deux premières, et à la même hauteur de T5 mètres environ au-dessus du sentier. 

A mi-étape nous coupons le ruisseau Ka-n’za-Mirombo, à sec, large de 1 mètre, avec lit de cailloutis de 
schistes, allant vers la Pômbwa. 


909 — 


Sur la rive droite de ee ruisseau affleure la dolomie, très dure, à surface décomposée, ne montrant plus 
que la silice presque pure. 

À noter aussi ici de grèles bambous d'Inde. 

Maintenant les hautes herbes dominent pendant une couple de kilomètres, avec des parties déjà brülées ; 
puis le sous-bois éparpillé recommence, en même temps que les schistes violets se remontrent. 

Et nous arrivons à hauteur d’une nouvelle déchirure dans les collinettes, déchirure dans laquelle prend 
sa source la rivière Ka-Lindila; les collines prennent ici le nom de Ka-Papiko, et ne changent pas d’allures. 

Sur notre gauche, done au nord du sentier, surgit une ligne de pitons bas; le premier s'appelle 
« Mi-Toungou iabana karéré »; entre le sentier et lui le terrain est boisé; à la droite du sentier c’est la plaine 
herbeuse, avec parfois un bouquet d'arbres; on approche du ruisseau Ka-Lindila ; des limonites apparaissent : 
une étroite et longue colline rocheuse prolonge le piton de tantôt; elle se marque par deux pics extrêmes 
dénommés le « Ka-Niara » et le « Ki-Pwapéwé »; à hauteur du Ka-Niara le sentier prend le contact de la 
Ka-Lindila; les arbres sont rabougris, les herbes ont déjà été brülées; la Ka-Lindila a son cours marqué par 
une galerie arborescente où dominent des bambous d'Inde grêles. 

A hauteur du pic Ki-Pwapéwé, les collines Ka-Papiko se replient à angle droit dans le sud. 

Pour nous nous marchons encore dans l’est, le long de la Ka-Lindila, pendant une couple de kilomètres, 
et stoppons, pour camper, au bord de cette rivière, à 14 h. 15 m., après une marche de 24 kilomètres. 

Au point de campement la Ka-Lindila est large de 4 à 6 mètres, encaissée de 2,50. La rivière est déjà à 
see par places ne conservant que des réservoirs d’une eau plus où moins claire qu'il faut bien employer telle 
qu'elle. Ainsi que je lai dit elle a une galerie arborescente. 

La route que nous venons de parcourir est beaucoup plus battue que le sentier foulé entre Ka-Langa et 
Ka-Miba; nous avons fait, à hauteur du pie Ka-Niara, une piquante rencontre, celle de M. et M" Mac-Lacklaen, 
les deux missionnaires anglais qui se rendent à Nana-Ka’n'doundon, pour y chercher deux fiancés à ramener 
dans le Ka-Tanga; J'ai conté ceci à l’occasion du passage à Lofoi de M. et M" Mac-Lacklaen, le vendredi 
T avril dernier. 

Pour ceux que la chose intéresserait, je dirai que Me Mac-Lacklaen, l'héroïne de cette peu banale mission, 
avait une vingtaine d'années et était fort jolie. 

Les deux missionnaires sont accompagnés d’une caravane beaucoup trop nombreuse; car à eux se sont 
joints beaucoup de noirs chargés de sel et de tabac à aller vendre au grand marché de Nana-Ka’n'doundou. 
Seuls, ces noirs n’oseraient se rendre actuellement aussi loin; mais ils n’ont eu garde de laisser échapper cette 
occasion d'accompagner des blancs dont la présence sera, espèrent-ils, leur sauvegarde. Seulement les dits 
blancs se trouveront ennuyés d’être les responsables d’un troupeau dans lequel ils seront incapables de 
maintenir l’ordre. 

Quand, plus tard, nous prendrons à notre four le même chemin, nous apprendrons que cette colonne a 
causé plusieurs fois du désordre dans les villages traversés. 

Conclusion : il ne peut êlre permis au premier venu de cireuler dans ces conditions dans les territoires 
non encore occupés par les stations gouvernementales. 


Bonne observation astronomique par 14 étoiles. 


Dimanche, 4 juin 1899. 


A 6 heures le thermomètre marque 15,7. Il à venté fortement toute la nuit; le vent se continue dans la 
matinée; aussi est-il probable que le thermomètre à maxima, qui est suspendu en plein air, n'a pas, 
aujourd'hui, gardé indication du minima nocturne; le thermomètre étant secoué par le vent, son index en 
émail a pu suivre la remontée de lalcool. 

De 6 h. 50 m. à 7 h. 25 m., nous faisons la déclinaison et l'inclinaison magnétiques: le vent empèche de 
prendre l'intensité. 


"10 


Nous pourrons probablement achever cette observation prochainement, quand nous repasserons ici, en 
route vers le lac Di-Lolo; vu l’état sanitaire de notre prospector j'ai remis également à ce moment-là une 
prospection plus complète du ruisseau Pômbwa et de ses rives, où nous avons trouvé les débris de cornaline 
et d’agathe. 

A Th. 45 m., nous quittons ce campement; la route continue à piquer dans l’est. 

Vers le sud se marquent les collines Ki-Foungou, prolongement en retraite de l'avancée des collines 
d'hier. 

A travers les hautes herbes, par un sentier défoncé indiquant un sol inondable, on gagne de suite la 
Ka-Lindila; on ne s’en douterait pas si les guides ne l’afirmaient; nous ne sommes, en effet, qu'à moins de 
500 mètres du camp où la rivière avait un lit encaissé de 2,50 et nous trouvons ici un lit à fleur de sol, une 
dépression qui contraste, par son peu de profondeur, avec le lit d’amont; la Ka-Lindila franchie, les herbes 
deviennent un peu moins denses; bientôt nous touchons à une haie naturelle de petits arbres, que le sentier 
suit pendant 500 mètres; comme je demande à nos guides qui à ainsi planté cette ligne d'arbres si régulière 
qui s'éloigne à grande distance en s’écartant du sentier vers le sud-est, ces gens répondent : « le Xi-pango alésa 
(e’est ainsi qu'ils appellent la ligne d'arbres) à été faite par le Muwési-Moungou »; celui-ci est leur être 
suprême. 

L'itinéraire de ce jour est moins pittoresque et moins agréable que celui d'hier; les hautes herbes prédo- 
minent et le sentier, surtout au début de la marche, est souvent défoncé, ce qui rend la marche pénible. 

D'autre part le pays n’est plus aussi boisé, bien qu’en quelques points je note des parties de futaie assez 
haute. : 

Pendant le premiers tiers de l'étape des concrétions calcaires, des nodules de limonite, puis des aflleure- 
ments de limonite achèvent d'établir la similitude de cette partie avec la région du Ki-Toma-Makoubi; nous 
sommes dans la plaine basse de la Lou-Fira. 

Notre attention est attirée par des blocs de limonite dont les cavités sont incorporées dans certaines 
termitières ; l’ingénieux termite (on dit aussi termès) se révèle là à nous comme un troglodyte d’un nouveau 
genre, dont nous signalons l'existence à défaut de ceux que nous n'avons retrouvés ni dans les Kou’n’déloungou 
ni ailleurs. 

Puis le terrain se relève un peu et l’on gagne une sorte de plateau, couvert d'herbes moyennes, de jones et 
d’arbustes brûlés, d’où est visible la falaise Mou-Kin’gé-n'gamba. 

A partir du moment où cette falaise est ainsi devenue visible on sent le terrain descendre en pente douce 
vers la Lou-Fira; le sentier s’infléchit légèrement sud, se rapprochant constamment de la Lou-Fira; un 
vague sous-bois, des arbres rabougris, et surtout des herbes (parfois brülées), sont les seules « richesses de la 
flore » qu'on doive noter; vrai, les essences sont rien moins que variées el je ne parviens pas à trouver quoi 
que ce soit d’exploitable. 

Vers le seizième kilomètre, nous touchons la lisière d’une grande plaine marécageuse, vraie mer d'herbes 
et de jones qui s'étend du sentier jusqu'à la rivière; la route s'infléchil encore plus au sud pour longer cette 
plaine, pendant environ 1 ‘/, kilomètre; puis on reprend la direction de l’est pour entrer bientôt au village 
Nioumba-Môdjia, chef Ka-Wamba, au sortir duquel, après une dérnière bande de hautes herbes avec quelques 
cultures, nous sommes devant la Lou-Fira, large ici de 25 à 30 mètres, encaissée de 8, roulant une eau trouble, 
à courant marqué. 

Quatre canots nous attendent, dont deux assez grands; ils sont informes et ne rappellent nullement les 
belles et élégantes pirogues du Congo central; il faut dire que les rivières du sud de l’État ne se prêtent qu'à 
une navigation tout à fait réduite, et que, parfois, les pirogues ne servent que pour la traversée des rivières. 

Les pagaies sont à larges et courtes palettes, qui forment presque des disques. 

Ainsi, en ces parages, la Lou-Fira est navigable depuis la Moéna, qui est à deux heures de marche en 
amont, jusque près des chutes Ki-Oubo; mais les indigènes n’emploient guère ce chemin qui marche : il fait 
trop de détours et, surtout à la saison des pluies, on ne trouve plus guère moyen d'aborder pour camper. 

Je surveille la traversée des caisses d'instruments, puis commets M. De H. à la surveillance du reste du 
passage. 

Sur la rive droite les éternelles hautes herbes se dressent orguecilleusement, et aussi de grands arbres le 


long de la rivière. 


Un peu en aval du point de passage, la Lou-Fira reçoit le Péta-Péta, ruisseau actuellement à sec, dont le 
lit a 5 à 4 mètres de large et 1 à 2 mètres d’encaissement. 

Le sentier s'engage dans de grandes cultures s'étendant sur les deux bords d’une dépression appelée 
Ka-Bouro, dépression qui s'étale en une sorte d’étang sur la rive de la Lou-Fira; nous longeons cet étang, à 
l'extrémité duquel nous devons franchir une bande marécageuse où il ÿ a en ce moment 20 cen- 
timètres d’eau; depuis que nous avons lraversé la Lou-Fira nous la remontons à travers des 
cultures ininterrompues; encore un ruisseau, le Zambi, large de 2 à 3 mètres, avec 10 à 30 cen- 
timètres d’eau trouble, courante, que nous traversons au point où il tombe dans la Lou-Fira, et 
nous sommes dans la grosse agglomération de Toupissia, chef Mokandé-Bantou. 

Il est 14 h. 30 m.; nous avons couvert 24 kilomètres. 

Mokandé-Bantou est un des fils de feu Msiri, de légendaire mémoire; j'ai déjà parlé de ce 
chef à la date du 50 avril dernier, en me réserçant de donner plus tard des détails à son 
sujet. 

Ainsi que le montre une photographie prise de lui, nous nous trouvions devant un jeune 
homme bien découplé, de figure intelligente et avenante; après le drame de Bou’n’Kéia (expé- 
dition Stairs) où M'siri et le capitaine Bodson trouvèrent la mort, les Européens partagèrent 
l'autorité de Msiri entre ses deux fils principaux; l’un — que nous verrons plus tard, en allant 
au Di-Lolo — demeure sur la rivière Bou’n’Kéia, près de la résidence de son père; l’autre vint 
s'établir à Toupissia et devint rapidement le favori des blancs, grâce à quoi il acquit une impor- 
tance marquée sur son frère; au reste Mokandé-Bantou prit goût au contact des Européens et 
ceux-ci n'eurent aucune difliculté à tirer de lui aide et parti; Mokandé-Bantou adore s'habiller 
à l’européenne et, la photographie que nous primes de lui en fait foi, il n’a nullement l’allure 
trop souvent grotesque du nègre qui suit la mode ou qui se couvre de défroques carna- 


Te chef valesques. 
Mokandé-Bantou. Une histoire de Msiri a été établie, à laquelle je me garderai prudemment de faire des 
emprunts, aucune espèce de garantie n’entourant les récits recueillis soit de la bouche des 

indigènes, soit de la bouche des missionnaires qui furent longtemps prisonniers de ce chef. 

Quoi qu'il en soit de cette histoire, qui fut exagérée et exploitée, nous trouvons à Toupissia une 
agglomération de 600 huttes, la plupart du type circulaire du pays et un assez bon nombre offrant le type des 
constructions arabes. . 

C’est dans l’une de ces dernières que nous nous 
installons pour la nuit. 

Dès notre arrivée on nous apporte un grand bol 
de lait, auquel nous faisons honneur malgré une 
saveur particulière, plutôt désagréable. 

Ce lait provient du troupeau de la station de 
Lofoi, qui est en pension ici; il parait qu'à Lofot il 
faudrait craindre de nombreux décès et les attaques 
mortelles de la mouche tsétsé. 

En ce qui concerne cette dernière j'établirai au 
cours de notre reconnaissance que, dans les terri- 
toires de l’État indépendant, son action préten- 


dument mortelle n'a jamais été scientifiquement 


constatée; bien au contraire nous verrons la fsétsé 
partout, et nous verrons en méme temps des trou- Coin du village Toupissia (juin 1899). 
peaux bien portants. 

Le fait, pour Lofoi, de n’avoir pas son troupeau sous la main, met la station dans un état d'infériorité 
flagrante pour nous qui nous souvenons de Moliro où le lait excellent, le beurre frais exquis et le fromage 
appétissant paraissaient aux trois repas. 


Yo 


J'ai installé ma table dans un grand pan d'ombre de notre maison de ce jour, et je me hâte à la mise au 
net de l'itinéraire : Michel détermine le méridien approché, par la déclinaison que je lui fournis. 
Maisnos hôtes entendent nous prouver sans retard leur joie de nous héberger ; il nous faut recevoir leurs 
F hommages: une photographie documentaire don- 
nera l’idée de tout ce que de nombreux offrants 
nous présentent; car ce ne sont pas seulement le 
chef et ses ministres, mais encore des femmes, 
des enfants, qui y vont de leur cadeau de bien- 
venue; devant nous s'accumulent : 
9 chèvres; 
2 poules; 
28 œufs; 
IT paniers farine; 
| panier mais ; 
l panier arachides ; 
S pots de pombé. 


Et, comme les cadeaux continuent à arriver, je 
cesse d'en tenir note, faute de temps; voilà done 
bon souper et bon logis assurés, même le reste 


est mis à notre disposition en la personne de 


quelques « saphos noires » qui se présentent en 
grande toilette; pour la circonstance elles ont sorti de leurs écrins leurs plus gros coquillages, leurs plus 
pesants colliers de perles; peines perdues ! nous ne les prenons qu’en photographie. 

Seule une femme a du succès, mais là un franc suecès : c’est une fabricante de pombé, réputée et connue 
au loin, qui nous à préparé quelques jarres d’un «tokwa » vraiment réussi, dont nous avalons de longues 
rasades. 

Nous serions tout à fait contents si les gros et beaux fruits qui couvrent de nombreux papayers étaient 
mürs au lieu d’être encore verts ! 

Consolons-nous en prenant une bonne observation par 15 étoiles. 


Lundi, 5 juin 1899. 


Minima nocturne : 10°,6. 

De 6h. 55 m. à 7 h. 50 m., nous prenons la déclinaison et Pinclinaison magnétiques; le vent empêche de 
prendre l’intensité. 

A 8 h.5 m., nous nous mettons en route pour pousser jusqu'au Lou-Kafou, au point choisi par M. Verdick 
pour remplacer Lofoi. Le sentier court entre la Lou-Fira et la falaise des « Kou-n’déloungou »; direction géné- 
rale de marche : sud-est; le cours de la Lou-Fira est ici neltement méridien; il est marqué par une galerie 
arborescente; la falaise est distante de quelques kilomètres. 

Au sortir de Toupissia on franchit la rivière Ka-M'pemba, large de 8 à 10 mètres, encaissée de 4 à 5 dans 
les schistes rouges, avec 20 centimètres d’eau claire à courant sensible; un pont convenable est jeté sur 
la rivière; des cullures se développent sur sa rive gauche, suivies de hautes herbes, puis d'une nouvelle étendue 
de cultures avee les villages Ma-Kassara (chef Mossoméka) et Ki-Louvoula (chef Talassia); le premier de ces 
villages est enclos d'une haie d’euphorbes; entre les deux villages est le petit nzimou (étang) Kapongôdia. 

Un peu avant d’être à hauteur des villages, on distingue au delà de la Lou-Fira les hauteurs Ka-Foubwé. 

A la fin du troisième kilomètre la route — élargie jusque-là à S mètres environ — se bifurque; l’embran- 
chement de droite va à la mission protestante de la Moéna; celui de gauche est celui de la nouvelle 
station. 


De Toupissia à la bifurcation, tout le terrain est craquelé, fendillé, crevassé, défoncé, ce qui indique 
des parties inondées en permanence aux pluies; par places, cfflorescences salines blanchätres ayant le goût du 
nitre. 

À peine avons-nous dépassé la bifurcation qu’il nous arrive une istoire de serpents. 

Brusquement les guides signalent nioka! nioka! (serpent! serpent!) C'est un mamba noir {cobra, serpent 
cracheur de 2 mètres de long, qui paressait au bon soleil et qui, éveillé à notre passage, se glisse vers les 
herbes et bientôt s'engage dans un trou propice; malheureusement pour lui deux de nos soldats ont le temps 
de le happer par la queue, et nous assistons à une capture au moins originale; les deux hommes tirent, 
la bête résiste, coincée dans le trou en zigzag et n’ayant aucune envie de faire tête à queue pour venir voir ce 
qui se passe sur ses derrières! Et dire que l’on a fait à ce brave animal une pareille réputation ! 

Ne parvenant pas à l’extraire, nos gens traversent l’animal d’un coup de couteau et, par la boutonnière 
ainsi ouverte, poussent une cordelette qu'ils attachent ensuite à une solide branche fichée en terre et 
inclinée de force vers la ficelle; rendue à elle-même, la branche se redresse et tend la cordelette, empéchant la 
bête de se mouvoir vers l'avant. Alors, à coups de machette, les soldats attaquent le sol, de manière à 
l'ouvrir le long du corps du reptile pour le dégager malgré lui; le trou est en zigzag, de sorte que l'animal v 
est replié sur lui-même; aussi nos gens guettent-ils l'apparition de la tête, et brusquement ils bondissent 
en arrière, criant mayi! mayi! (le venin! le venin! 

Ce mot mayi veut aussi dire eau. 

La bête avait effectivement lancé son venin. Puis elle a trouvé moyen de retirer son avant-train — si 
on peut dire! — sous terre, et le travail des machettes recommence; un troisième noir s'est approché 
muni d’une longue gaule et, chaque fois que la tête se dresse et crache, il essaie de l’écraser d’un coup 
toujours maladroitement asséné. 

Toutefois l'animal est condamné car, après quelques jets de venin défensif, sa provision est épuiste et 
les hommes ne le craignent plus; ils finissent par le déterrer tout à fait, ce qui nous fournit une belle pièce 
pour nos collections. 

La marche est reprise, la route courant maintenant en un sous-bois clairsemé avec herbes basses et 
moyennés; assez bien de termitières, les unes basses, les autres hautes; celles-ci fortement habillées de 
végétation; quelques euphorbes candélabres; pas un seul arbre de belle venue ni une seule essence de 
charpente ou de menuiserie; pas de lianes; ni fleurs, ni fruits sauvages en ce moment. 

Comme faune nous relevons quelques laisses d’antilope, et une fois des laisses de fauves; de nombreuses 
mouches mettent à nos oreilles leur bourdonnement désagréable. 

Par places le sol montre des traces de sable rougeûtre; d’une façon quasi continue le terrain reste 
craquelé, fendillé, crevassé et défoncé, donc inondable pendant le deuxième tiers de l'étape comme pendant 
le premier; les guides disent qu'aux pluies le sol se couvre de 10 centimètres d’eau. 

Le second tiers de la route, ainsi soumis à l’inondation, se termine à une bande herbeuse appelée 
« M'boka (plaine) n’Kongolo » qui, en saison des pluies, forme le principal lit d'écoulement des eaux vers le 
Lou-Kafou ; on y aurait alors de l’eau jusqu’à mi-cuisse, voire plus haut. 

La bande n’Kongolo franchie, notre sentier tourne presque à angle droit pour marcher vers la falaise: 
des cultures avec, sur notre droite, le village Pa-guipin’go; de nouveau des hautes herbes; un court passage 
en sous-bois où abondent les mouches; le village Lou-Kafou, en deux groupes à droite du sentier, groupes 
ayant pour chef Kilé et Moloani; et nous voici à l’orée d’une large avenue rectiligne dépendant de la nouvelle 
station; la route, jusqu’au commencement de celte avenue, avait été ravissante pour le seul fait qu'en 
l'élargissant à 2"50, on n'avait pas abattu les arbres ombreux qui en font le charme; en n’exigeant pas la 
rectilignité — trop souvent une laideur d’ailleurs — ceux qui avaient désherbé cette route de 2"50 avaient 
évité d’inutiles coupes d'arbres; à cette adorable route serpentante succède brusquement la conception belge 
de ce que doit être une belle avenue africaine; c’est-à-dire une bande large de 10 mètres que l’on rase de 
facon absolue, quitte à y mettre de chaque côté quelques pousses d'arbres en place de ceux qu'on à jetés bas 
parce qu'ils manquaient dalignement et n’obéissaient pas à la loi des intervalles réguliers; comme, en place 
des arbres ombreux, on met alors généralement — par désir d'aller vite — des faux-cotonniers, des lilas de 
Perse (en réalité jasmins du Cap), ete , c’est-à-dire des essences fournissant des arbres étriqués, rogneux et 
vieux avant l’âge, on comprend quelle impression désagréable on éprouve quand, sortant d'un sous-bois 


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clair et gai, on se trouve en plein soleil sur un sol soigneusement rasé faisant le plein jeu de la réver- 
bération. 

Dans ce pays d'Afrique, l'ombre est une richesse; le Belge en fait fi avee une désinvolture déplorable ; 
il suflit d'observer comment le hasard seul lui fait, une fois sur dix à peine, orienter convenablement ses 
maisons. 

Quoi qu'il en soit, la grande avenue dénudée — que deux bordures d’ignias fleuris essaient en vain 
d'égayer — franchit une dépression de 2",50 formant, aux pluies, un lit d'écoulement des eaux vers le Lou- 
Kafou ; cette dépression est naturellement encombrée de hautes herbes; vient bientôt ensuite le Lou-Kafou, 
jolie rivière large de 4 à 10 mètres, avec 20 centimètres d’eau très claire et appétissante, courant vivement sur 
lit de cailloutis de grès et de schistes, sous une superbe galerie de beaux arbres: un pont provisoire forme 
l’entrée de la nouvelle station où nous trouvons M. Cerckell, que nous imaginions avoir repris le chemin du 
Tanganika. 

Il est 10 h. 45 m.; l'étape est de 11 kilomètres; cest la première que, depuis le départ de Lofoï, nous 
ayons faite complètement à pied see. 

M. Cerckell est ici pour quelques jours seulement, afin de diriger un peu le travail des briquetiers, des 
charpentiers, des défricheurs, ete. 

Une couple de maisons provisoires en torchis ont été élevées, destinées à être remplacées plus tard par 
de belles maisons en briques cuites; un plan de voirie à été tracé et jalonné par des lignes de jeunes arbres et 
de fleurs; le tout est situé sur la rive gauche du Lou-Kafou, dans Pintérieur d'un coude que fait ici cette 
jolie rivière; sur la rive droite on trouve la briqueterie et de vastes champs de culture (riz, blé, pommes de 
terre d'Europe, ete.). 

Mais je visiterai la station plus en détail lorsque le journal de route aura été mis au courant, et l’obser- 
valion de ce soir préparée. 

C'est à cette besogne que je me mets. 

Reçu aussi les hommages de plusieurs voisins qui offrent, au total : 1 chèvre, 1 mouton, 4 paniers de 
farine, 1 de haricots, 2 de patates et 1 jarre de pombé tokwa. 


Dans l’après-midi j'effectue une promenade dans le poste, et de ce que je vois comme de ce que j'entends, 
résulte la note suivante que je rédige pour envoi au gouvernement. 


Note sur l'emplacement de la station du Lou-Kafou. 


Dans une note accompagnant mon rapport n° 18, en date du 2? mai dernier, je signalais les déplorables 
conditions qui caractérisent la station de Lofoï, laquelle n’a que des désavantages du chef de son emplacement. 
Quel que soit le point où l’on porterait le chef-lieu de la zone Ka-Tanga, on réaliserait toujours une amélio- 
ration. 

Le point nouveau choisi par M. Verdick est pittoresque et offre — au point de vue de l'habitabilité — des 
avantages certains : excellente eau limpide, dégringolant des Kou'n'déloungou, el courant sur un lit de schistes 
en Gailloutis; bon terrain pour jardins et cultures restreintes, c’est-à-dire telles qu'elles puissent suflire au 
personnel noir de la station: belle galerie de grands arbres le long du Lou-Kafou, pouvant — si on a le soin et 
le goût de la conserver — donner à la station un excellent ombrage; possibilité de trouver en quantité sufli- 
sante des blocs de roche pour le soubassement des constructions, voire pour l'entière édification des magasins, 
en place des briques, dont nous continuons à ne pas voir les avantages suffisants pour justifier la dépense et le 
temps qu'exige leur fabrication, quand la brique ne s'accompagne pas de la charpente, des tuiles, et des carreaux 
ou du plancher dont l’ensemble seul donnerait enfin des constructions qui seraient dignes de ce nom 
pompeux : « constructions européennes ». Sous ce nom fallacieux on a élevé jusqu'ici surtout les « con- 
structions africaines ». 

Les bois de charpente et de menuiserie paraissent faire presque complètement défaut au voisinage de Lou- 
Kafou comme, d’ailleurs, dans toute la région que nous venons de reconnaître : à part les arbres formant la 
galerie du Lou-Kafou — et que tout empêche d’abattre — le sous-bois proche de la nouvelle station ne 
renferme pas un arbre convenable. Il est vrai que lon à déjà malheureusement mis bas, à l'emplacement 


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— AND) — 


choisi, assez bien de beaux arbres dont la conservation eut été un charme du poste; les troncs ainsi jetés bas 
me paraissent devoir suflire aux besoins fort réduits (pour longtemps encore) du chef-lieu du Ka-Tanga: il faut 
noter que les planches déjà fabriquées se fendaient et que leur bois parait de qualité inférieure. 

Je ne dois pas négliger de mentionner que le pays avoisinant la nouvelle station est sous eau aux 
pluies. 

Au point de vue politique, il ne me semble pas avantageux d'aller se claquemurer presque dans un repli 
des Koun'déloungou; il vaudrait mieux, à mon sens, s'installer franchement en un centre important de 
population, sur la Lou-Fira même; toutefois, le poste de Lou-Kafou commandera, beaucoup plus directement 
que celui de Lofoi, les Ba-Yecks relevant de Mokandé-Bantou. 

D'autre part, c’est entre le Lou-Kafou et la Moéna, à un kilomètre environ de la Lou-Fira (qui offre là des 
rapides) que se trouve la mission protestante; ce voisinage soustraira, bon gré mal gré, à l’action du poste, les 
populations du chef Li-Koukou, ou, du moins, réduira notablement cette action. 

La falaise des Kou’n'déloungou semble dominer le Lou-Kafou d'environ 400 mètres: vers le sud la plaine 
de la Lou-Fira se relève jusqu'au pied des hauteurs N’koni. 

Si l'emplacement du nouveau poste avait été choisi soit au bord de la falaise, soit plus au sud sur les 
N’koni, on se serait mis dans des conditions éminemment intéressantes pour étudier expérimentalement le 
problème du peuplement possible des parties de haute altitude du Ka-Tanga. On sait l'intérêt qui s'attache à 
cette question toujours ouverte. 

De plus, en se portant suflisamment dans le sud, on aurait mieux pris contact des salines de Mo-Achia et 
des mines de cuivre. 

Or, en installant en ces points quelques ménages noirs salariés par l'État, le poste pourrait avantageu- 
sement supprimer l’impôt de sel à fournir par le chef Mo-Achia, et faire lui-même l'exploitation dans des 


conditions très rémunératrices, car le sel est demandé jusque sur le Tanganika, tant par l’indigène que par les 
Européens, comme article à la fois de consommation et d'échange. 

Outre l'exploitation des salines, pourrait se faire celle du cuivre, au profit de l'État; ce serait un nouveau 
produit d'échange de bonne valeur dans le pays, car il paraît très possible de diriger la réduction du minerai 
de cuivre d’une façon plus rémunératrice que celle suivie par les indigènes. 

Je signalerai enfin qu'il n’y a à exploiter ici ni caoutchouc, ni ivoire ; en exploitant le sel et le cuivre, et en 
faisant de grands champs de tabac — troisième bon produit d'échange — un chef intelligent et actif pourrait 
arriver à des résultats aussi surprenants que neufs. 

Le but à atteindre ainsi se concilierait parfaitement, et aisé- 
ment, avec l'étude expérimentale des parties élevées au point de 
vue du peuplement européen. 


De 16 h. 40 m. à 17 h. 25 m., détermination de linelinaison 
et de l'intensité magnétiques 
3onne observation complète par [1 étoiles 


Mardi, 6 juin 1899. 


Minima nocturne : 400,5. 


De 7 h. à 7 h. 15 m., déterminé la déclinaison. Village Toupissia : femme confectionnant 
Michel est pris de fortes migraines; M. De H. est fiévreux. de la poterie. 


A Th. 45 m., nous quittons le Lou-Kafou pour aller coucher 
à Toupissia où nous arrivons à 9 h. 35 m. Nos appartements d’avant-hier ont été tenus à notre disposition. 
Dans l’après-midi arrivent des hommes de Lofoi; M. Verdick m'envoie une lettre de notre géologue 
M. Voss, qui se trouve vers les salines de Mo-Achia; M. Voss demande des vivres, du pain, des pommes de terre, 
de la lecture. 


— 316 — 


Comme cette lettre de M. Voss indique qu'il ne songe pas à rentrer à Lofoï, alors que nous allons devoir 
préparer notre excursion vers l’ouest jusqu'au Kassaï, je lui écris de regagner Lofoï au reçu de ma lettre; je puis 
lui envoyer du miel et du riz; s’il manque de conserves il n’en sera que plus pressé de rentrer. 

De 16 h. 40 m. à 17 h. 10 m , nous prenons l'intensité horizontale. 

A 19 h. 45 m., brusquement, la pluie tombe à larges gouttes pendant deux minutes, puis continue légère 
pendant cinq à six minutes; le ciel est complètement couvert de nuages d'encre très bas, puis il séclaircit 
un peu. 


Mercredi, 7 juin 1899. 


Minima de la nuit : 12,5. 

Pendant la nuit Dardenne et Michel ont été pris de coliques; Questiaux va bien; M. De H. va mieux; pour 
moi, depuis plus d’un mois je me porte à merveille. 

A Th. 10 m., départ. Direction générale de marche : nord 5° Ouest. 

Au sortir de Toupissia on prend une route dont la largeur, d'abord de S mètres, puis de 6, ne descend pas 
à moins de 3 mètres. 

Comme toujours la sortie du village est marquée par de vastes cultures, s'étendant jusqu'au ruisseau 
Sambé, large de 2,50, encaissé de 3, avec 15 centimètres d'eau limpide courant sur un lit de schistes 
en cailloutis. 

Les deux rives de ce ruisseau sont soumises aux inondations sur quelque 400 mètres chacune. 

La route court parallèlement à la falaise des Kou’n’deloungou; à sa gauche, la Lou-Fira invisible. Voici 
un embranchement de sentier menant au village du chef Ka-Wénéssa, proche de la rivière; jusqu'ici nous 
n'avions eu que de hautes herbes; elles font maintenant un peu de place à des bouquets de sous-bois, et à des 
parties d'herbes basses là où affleurent des blocs de limonite. 

Nouveau sentier perpendiculaire à notre grand’route et conduisant au village Ka-Mo’n'wé, chefs Ki-Pouli et 
Samba, entre la route et la Lou-Fira. 

Cultures, grandes herbes et dépression inondable dénommée m'boka ka-mo’n'wa, à écoulement vers la Lou- 
Fira; d’après nos guides, aux pluies on à ici de l’eau jusqu'aux hanches. 

Pendant 2 t/, kilomètres le pays se montre comme étant soumis aux inondations; par une bande de 
terrain fortement défoncé nous arrivons au ruisseau Ki-Foumba, large de 2",50 à 4 mètres, encaissé de 2, avec 
30 centimètres d’eau courante, assez claire; aux pluies ce ruisseau déborde et les eaux d’inondations restent 
stagnantes ; sur la rive droite du Ki-Loumba est le village Ki-Sa, dont le chef est une femme, la bonne vieille 
Ki-Pouna, dépendant de Mokandé-Bantou. 

Ki-Sa compte une soixantaine de huttes; c’est ici que séjournèrent assez longtemps les premières expé- 
ditions belges au Ka-Tanga. 

Après avoir serré la main à la bonne Ki-Pouna, qui, quoique malade, guettait notre passage pour nous 
saluer, nous continuons notre route; tout le voisinage est soumis aux inondations, se couvrant — disent les 
guides — de 30 à 40 centimètres d’eau aux pluies; et nous voici au m'boka Ka-Pini, lit d'écoulement des pluies 
vers la Lou-Fira, actuellement seulement boueux, et entretenu en cet état par de faibles sources incapables de 
créer un ruisselet convenable. 

Nous sommes un peu plus qu'à mi-étape: la route n’est qu'à environ 2 {/, à 3 kilomètres des hauteurs; 
celles-ci semblent nous dominer de quelque 300 à 350 mètres, ce chiffre se rapportant, bien entendu, au seul 
bord de la falaise; une série de pitons forment des saillants dénommés Ka-Pini, Ka-Lamba, Ki-Ombwé, 
Ki-Abocha. 

Et toujours le sol que nous foulons garde les marques des inondations; parfois le terrain est encore 
boueux et, à hauteur du piton Ka-Lamba, nous avons un méchant passage de 300 à 400 mètres de boue 
gluante; le sentier suit ici un moment le lit du ruisseau Ka-Lamba, dont les sources sont vers le pied du 
piton de mème nom; dans quelque temps ces sources se tariront jusqu'aux pluies nouvelles; le lit du ruis- 
seau, à fleur de sol, s’asséchera Jusqu'au même moment. 


Vient ensuite une partie de sous-bois où abondent de méchants acacias et mimosas assez nombreux: les 
herbes sont alternativement hautes et moyennes. 

A hauteur du piton Ki-Ombwé la vue, vers l’ouest, porte sur les collines Ka-Lengwé. 

Et l’on arrive au ruisseau Mpondwa, à hauteur du piton Ki-Abocha; le Mpondwa est large de 6 à 
S mètres, encaissé de 1 mètre, et son lit est parsemé de flaques boucuses stagnantes. 

Naturellement abords inondables, hautes herbes, arbres clairsemés, c’est-à-dire la caractéristique inva- 
riable de la Journée. 

Encore une couple de kilomètres et des cultures, où se montrent des ricins en buissons atteignant 
6 mètres de hauteur, annoncent le village où nous allons loger. 

Il reste à traverser encore le ruisseau Ka-Loundwé, large de 2 à 4 mètres, encaissé de 3 à 5, avec 50 centi- 
mètres d’eau trouble, s’écoulant vers la Lou-Fira. 

De très hautes herbes en bordent la rive droite, suivies de cultures et enfin du village Ka-Panda, chef 
Moéména (80 huttes). 

Il est 11 h. 55 m.; nous avons couvert 18 !/, kilomètres. 

La marche à été facile, d'autant que la route est horizontale, mais le sol garde les marques quasi continues 
de l’inondation annuelle; aux pluies cette route doit être détestable; on se souvient que M. Delvaux, venu au 
Lou-Kafou il y a un mois et demi, est rentré à Lofoï pestant contre la route qu'il avait trouvée sous cau presque 
tout du long; aussi était-il rentré avec la fièvre. 

La courte pluie d'hier a laissé des traces sur tout le trajet accompli aujourd'hui. 

D'autre part je dois noter les toujours mêmes errements dans le désherbage de la route : trop de largeur 
tout à fait inutile, et surtout abatage d'arbres. 

1%,50 à 2 mètres au maximum serait une largeur amplement suflisante; donner le double, et souvent le 
triple, a comme inconvénient d'exiger du noir un travail inutile — ce dont il se rend très bien compte — deux 
ou trois fois plus long qu'il ne serait nécessaire, et qui le rebute. Au nord du Moéro des villages se sont 
déplacés parce qu'on leur demandait le désherbement et l'entretien de routes trois fois trop larges. 

Étant moins larges, il crève l’entendement que les routes — d’abord établies plus rapidement — seraient 
aussi entretenues de meilleure volonté; et peut-être l'exemple serait-il imité spontanément en dehors des 
abords des stations et de Paction immédiate des Européens. 

Surtout pourquoi abattre les arbres? Est-ce assez regrettable? Supprimer Pombrage salutaire, le charme 
si prenant de la route ainsi habillée, pour faire une horrible avenue droite et chauve! Serait-ce — ainsi que je 


l'ai entendu dire — en vue des futurs (oh combien !), des futurs charrois? Alors il fallait enlever les souches 
qui, conservées à 30 et 40 centimètres hors de terre, font que le créateur de la route n’a pas même réalisé le 
but de permettre de marcher en ligne droite. 

Quelle aberration! Quelle incompréhension des travaux utiles et définitifs! 

Signalons dans l'étape de ce jour un peu plus de manifestations de la vie animale : assez bien d'oiseaux 
et, grâce au désherbement, on à vu de temps en temps un petit quadrupède traversant la route. 


Ka-Panda est, parmi les villages vus à ce jour, un des rares qui puisse être qualifié de propre et joliment 
pittoresque; il s’y trouve de bonnes maisons où nous nous installons, et une belle place — chose rare et 
précieuse — superbement ombragée par d'énormes ficus à étoffes, si grands et si ramifiés qu’ils contrastent, à 
leur avantage et au nôtre, avec tout ce que nous avons vu précédemment comme représentants de cette essence, 
Afin de mettre tout le travail au courant, avant de rentrer à Lofoï, nous logerons ici demain. 

Un peu de repos est d’ailleurs nécessaire à tout mon monde. 

En cours de route M. De H., éprouvant de fortes douleurs d’entrailles, à pris les devants en hamac pour 
se coucher au plus tôt; Michel et Dardenne ont d'assez forts flux de ventre; je suis également quelque peu 
inquiété de ce côté; seul Questiaux est indemne. 

Il est bien évident qu'une cause commune provoque cet ennui qui affecte brusquement quatre de nous 
sur Cinq. 


eos 


Ce n’est pas le pombé, car je n’en ai pas bu et Questiaux y a fait honneur; ce n’est pas l'usage d’un tabac 
commun non plus; serait-ce le lait qu'on nous a apporté à Toupissia? Alors pourquoi le même inconvénient 
ne se serait-il pas présenté les deux jours précédents? 

Reste l’eau. Malgré mes recommandations, on va souvent la puiser aux ntimous d'eau stagnante, alors 
qu'un ruisseau d’eau courante passe à proximité du campement! Peut-être est-ce là la cause cherche? 


Cinq chefs Ba-Yecks offrent leurs hommages, savoir : 3 chèvres; 
17 poules; 
20 œufs ; 
| panier poisson fumé; 
99 paniers de farine; 
15 pots de pombé. 


Grande distribution à notre caravane, partagée entre la joie de voir se terminer l’excursion et le regret des 
repas gratuits et abondants. 

De 17 h. 45 m. à 18 h. 5 m., nous fixons l’intensité horizontale. 

A la soirée tombante Dardenne gagne sa couchette sans attendre le repas du soir; après ce repas, Michel 
et moi faisons le point; le ciel est couvert; toutefois, avec de la patience, nous parvenons à prendre une 
observation complète par 12 étoiles dont le pointé demande 1 1/, heure. 


Jeudi, 8 juin 1899. 


Minima nocturne : 10°,5. 

Après le déjeuner Questiaux s’en va en reconnaissance de prospection vers les Kou-n'déloungou: Dardenne 
cherche des documents picturaux et a la bonne fortune de porter ses pas vers le cimetière du village; c’est, à la 
lisière de l’agglomération, un enclos circulaire de T à 8 mètres de diamètre, fermé par une haie d’euphorbes ; 
une hutte abrite une tombe importante; de légères éminences, quelques-unes défoncées, marquent les places 
de tombes ; le peu d'espace de cet enclos permet de penser qu'on n’y enterre que des gens importants, ou bien 
il y à d’autres enclos de l'espèce. (Voir la planche en couleurs. 

Je note aussi que le village Ki-Panda à de petites maisons des esprits. 

De 8 h. 20 m. à 9 h. 20 m., pris la déclinaison et l’inclinaison magnétiques; ensuite Michel élève une 
butte en terre au point de station; pour moi je me mets à ma table de travail et je termine tous les calculs. 

M. De H. doit rester couché toute la journée. 

En rentrant M. Questiaux me dit qu'il n’a pu trouver moyen d'arriver jusqu'au sommet de la falaise. 


Pour la partie des Kou-n'déloungou vue jusqu'ici, par nous, il ne semble pas que la communication entre 
leur plateau et la plaine de la Lou-Fira soit des plus facile. 

Le point où dégringole le sentier par lequel, venant du sud du Moéro, nous sommes arrivés à Lofoï-Station, 
est détestable; par la pluie il n’est pas praticable et on ne le descend guère sans se mettre une ou deux fois par 
terre autrement qu'à plat ventre. 

Dans la reconnaissance que nous suivons actuellement, nous avons longé le pied des hauteurs, et n'avons 
rencontré que des parois inaccessibles presque partout à cause de la muraille à pie de 10, 15 et 20 mètres de 
hauteur, et plus, que forment les grès rouges supérieurs. 

D'après renseignements recueillis auprès de M. Cerckell, il v aurait, près du village du chef Ki-Moungvwé, 
au point de chute de la Ka-Sanga, un sentier, vrai casse-cou montant en hélice à un moment donné, et très 
dangereux. 

A Lou-n’Koubé — le S mai dernier — M. Questiaux est arrivé assez facilement au sommet des hauteurs, 
grace à la pente relativement douce d’un éperon du pie Tandabara. 

Au village N’gabila M Questiaux a remonté le lit de la rivière, mais sans arriver Jusqu'au plateau; il 
pense que l'accès serait très difficile par ce chemin. 

Au village Ki-a’n'Koméno — le 2% mai — M. Questiaux à grimpé vers le sommet du pic qui donne son 


— 919 — 


nom au village, et s’est trouvé arrêté par la paroi verticale des grès qui constituent la couronne de Ja falaise 
délimitant la dépression dans laquelle la Lou-Fira tombe aux chutes Ki-Oubo 

Enfin, à Lou-Kafou, existe un sentier d'accès vers les hauteurs, sentier que M, Verdick me déclarera être 
peu facile. 

Que je dise de suite ici que, lorsque nous suivrons, l’an prochain, la falaise occidentale des Kou-n'dé- 
loungou sur notre route de retour, nous constaterons, pour les autres parties de cette falaise (que nous verrons 
seulement alors) les mêmes difiicultés d'accès. 

Par contraste nous avions eu un accès beaucoup plus facile de la plaine sud du Moéro et du Lou-Apoula 
vers le plateau des Kou-n’déloungou. 


Vendredi, 9 juin 1899. 


Minima de la nuit : 12°. 

Th. 10 m., départ. On marche presque en droiture sur le pic Bodson, nettement visible. 

Mêmes observations qu'hier : parties d'herbes avec arbres rabougris et rares où le feu a parfois déjà passé, 
bandes inondables gardant les traces des pluies, alternent de façon régulière; deux ruisseaux à sec, le 
Ka-Mabôko, large de 10 à 12 mètres, et le Ka-N’sounounou, large de 2",50, forment dans les schistes des 
dépressions profondes de 75 centimètres; test ensuite un sous-bois d'arbres assez hauts avec grandes herbes, 
puis de nouvelles rigoles, larges de 8 à 10 mètres, profondes de 60 centimètres, dans les schistes: et l’on arrive 
au ruisseau Ki-Loulwé,à sec, au delà duquel le sentier se bifurque : l’embranchement de droite file vers le 
village du chef Moléka; l’autre, que nous suivons, grimpe légèrement pour traverser un col étroit dans un 
éperon allongé, nommé Ki-N'goulé, que la falaise projette vers l’ouest; on foule ici aux pieds des schistes 
violets-rouges très micacés. 

A la sortie de ce petit col on entre dans lindentation du Lofoï; nous laissons à gauche un embranche- 
ment du sentier menant chez le chef Ka-Tamanga; puis, quittant le sol parsemé de débris schisteux, nous 
arrivons sur une argile jaune, propice aux termitières qui se montrent petites mais nombreuses; nous sommes 
dans une plaine herbeuse où le feu à déjà passé; arbres grèles, rabougris, assez nombreux; plusieurs points 
gardent toujours la marque de la dernière inondation, et voici de grandes cultures s'étendant sur les deux rives 
du ruisseau Ka-Afwa, large de 8 mètres, encaissé de 3, lit de roseaux, filet d’eau sans courant; on passe sur un 
mauvais pont. 

Encore un gros kilomètre à travers cultures et hautes herbes, et nous sommes au pont du Lofoï:; il est 
8 heures. Pendant 40 minutes, il faut régulariser le passage, sous peine de voir la colonne trop pressée charger 
le pont à le faire crouler. 

Le capitaine Verdick s’est porté à notre rencontre; je puis ici fermer le carnet d’iinéraires et écouter les 
intéressantes nouvelles qu'il me donne de Ki-Amakélé. 

A 10 h. 50 m., je rentre dans ma chambre; l'étape a été de 14 kilomètres. 

Encore une section intéressante dont la reconnaissance s’est faite dans d'excellentes conditions: ça va 
bien ! 

La première opération est la prise de comparaison des chronomètres ; nous trouvons directement, comme 
différence entre les deux heures marquées : 8". 105,50. 

Or, en tenant compte de la comparaison prise le 4 mai dernier, et de la marche calculée entre le 19 avril 
et le # mai, et en supposant que le chronomètre demeuré à Lofoi ait gardé une marche régulière, nous trouvons 
par le calcul que, si le chronomètre que nous avons emporté pour la reconnaissance aux Ki-Oubo a gardé 
lui-même une marche régulière, la différence de leurs heures doit être aujourd'hui de S". 145,00; entre la 
valeur calculée et la valeur observée la différence seconde est donc de 3,50, et cette différence représente la 
résultante des mouvements irréguliers pendant la période s'étendant du # mai au 9 juin, soit sur à peu 
près 36 jours. 


Je trouve un maigre courrier; pas de lettres de Boma ni du gouvernement central: quelques lettres 
privées d'Europe, 1 paquet de journaux ; où passe donc tout le reste? 


y 


Il est aussi arrivé pour nous ? colis postaux; comme l’amie qui les a confectionnés a exposé en un contact 
intime des conserves à l'huile et des fondants au chocolat, cela a donné un bien joli et bien curieux salmis 
qu'aucun de nous n’a l'envie de prospecter. 


M. Voss rentre à Lofoï quelque temps après nous-mêmes; à la suite de fièvres, il souffre de l’œil gauche; 
on se souvient que Michel eut également à souffrir d'ophtalmie. 

M. Verdick me fait connaitre que le ravitaillement de sa station — qui arrive par les soins de la Compagnie 
anglaise des lacs africains — est parvenu avec des bordereaux à mon adresse; évidemment, l'administration 
de la Compagnie des lacs à cru que ce ravitaillement, marqué « Lofoi », m'était destiné; ainsi M. Verdick 
bénéficie du soin que j'ai eu de prendre, en passant à Blantyre, toutes les mesures nécessaires pour que ce 
qui touchait ma mission ne subit jamais de retard. 

Malheureusement pour nous, je n’ai pas de nouvelles de nos pirogues et des Mausers et munitions que 
nous devons recevoir pour les Européens de ma mission. 


M. Verdick me remet une note des punitions qu'il à du infliger à 15 hommes de notre escorte : les uns 
ont laissé filer un prisonnier dont ils avaient la garde, les autres ont manqué à l'exercice en guise de protes- 
tation contre l’emprisonnement de leur caporal, puni, lui, pour avoir répondu insolemment à M. Delvaux. 

L'esprit de nos troupes noires laisse vraiment trop à désirer; seule une longue éducation faite par des 
blancs de valeur évitera les terribles mécomptes auquels il faut s'attendre si rien n’est modifié. 


Soirée couverte, rendant impossible l'observation d'heure nécessaire à la détermination de l’état des chro- 


nomètres. Ce sera pour demain et jours suivants. 


CHAPITRE XIV. 


Nouveau séjour à Lofoï-Station. — Tout le monde au travail pour un nouvel envoi de 
documents et de collections. — Soirées fraîches. — Disparition des moustiques. — 
Échauffourée de nègres. — Histoire de femme. — Intéressantes constatations chrono- 
métriques. — Colis postaux et caisses d’extra. — Complément de renseignements sur 
les grottes et troglodytes du Ka-Tanga. — Je remets au capitaine Verdick notre trousse 
d'instruments anthropométriques. — M. Voss pris de fièvre continue. — Mauvaises 
cartouches. — Réquisition impossible à satisfaire. — La question de l’orientation des 
habitations sous les tropiques. — Mon boy Ki-Toumbou se noie dans ie Lofoï. — 
A propos des travaux cartographiques. — Préparation de notre reconnaissance vers le 
lac Di-Lobo. — Disparition de cartouches. — Nous établissons un abondant courrier 
officiel. — Instructions pour M. Voss qui sera chargé d’une reconnaissance séparée vers 
le sud-est de l'État. — Conférence avec nos porteurs. — Joyeux départ. 


Samedi, 10 juin 1899. 


Minima nocturne : 10°,3. 

Avec la saison fraiche est venue la disparition des moustiques; on peut done dormir maintenant à 
Lofoï. : 

M. Voss se porte malade. 

Les autres agents se mettent à la besogne plus activement que jamais, car nous voulons liquider tous les 
envois de rapports et de collections avant de nous mettre en route vers le Di-Lolo. 

Je dois perdre une demi-heure à écrire au chef de zone Tanganika—Ka-Tanga, pour rétablir des vérités 
altérées par un agent intermédiaire, qui se dit vraisemblablement qu’en indisposant deux supérieurs l’un 
contre l’autre ce sera un moyen de détourner de lui-même leur attention. Heureusement, Hecq a eu l’occasion, 
mieux que moi encore, de constater quel esprit mesquin et étroit régnait dans l’est et le sud de l'État à notre 
arrivée; et ni lui ni moi n'avons garde de couper dans les ponts. 

Parmi les lettres de Mlowa qui nous attendaient ici, il s’en trouve une par laquelle le camarade Hecq me 
fait connaitre que son service de renseignements indigènes, corroborés par des renseignements allemands, 
annonce que M’towa sera attaqué d’un moment à l’autre par les révoltés au nombre de 2,000, renforcés par des 
auxiliaires arabes; leur plan d’attaque comporte trois routes : deux par terre, la troisième par le lae. « Comme 
nous ne sommes que trois valides, dit la lettre, nous devons, après le travail de la journée, passer nos nuits à 
veiller. » 

« Je vous remercie 


dit une autre lettre — pour ceux qui vont bientôt entrer en campagne, de l'abandon 
des six caisses de vivres que vous avez laissées en dépôt à Moliro, en prévision de Parrivée de successeurs à 
MM. De Windt et Caisley. Nous sommes ici au régime de l’eau sans thé ni café, de l'huile et des seules res- 
sources indigènes, et si ce régime peut étre supportable en station, il est impossible dans une campagne où les 
ressources locales sont détruites. » 


2 | 


— 829 — 


Comme on le voit, la situation au Tanganika, en 1899, n’était pas trop gaie! 
Je me mets aux écritures qui vont manger quelques journées d’aflilée. 


Durée d’insolation : 95,6. Maxima diurne : 269,4. 
Pris une bonne observation d'heure par 12 étoiles. 


Dimanche, 11 juin 1899. 


Minima nocturne : 11°,8. 

M. Voss continue à souffrir de l'œil, ce qui le met hors de service. 

Je consacre la matinée au calcul de l’observation d'hier, et à donner à M. Verdick diverses instructions 
quant au relevé des observations météorologiques; je remets à cet ofhicier l’ouvrage de Angot, qui est un de 
ces livres à trouver dans tous les postes du Congo, tant les postes de l'Etat que des missions, et peut-être des 
maisons de commerce; il existe, en effet, des phénomènes climatériques dont l'observation peut se faire sans 
aucune espèce d’instrument : par exemple nature et direction des nuages, nébulosité, intensité et direction du 
vent, transparence de l’air, etc. 

Toute observation faite de façon régulière peut créer à l'Européen, quel qu'il soit, une distraction de plus 
en plus marquée, laquelle est un facteur non négligeable de santé et de résistance au spleen rongeur. 

Il faudrait aussi, dans chaque poste, plus de carnets de notes qu’on n’en trouve actuellement : bien que j'aie 
emporté d'Europe cent carnets ordinaires, quadrillés (de 13 centimètres sur 19), je ne puis en prélever qu’une 
couple à remettre à M. Verdick pour l'inscription des observations qu'il continuera pour compte de la mission; 
mes carnets nous sont nécessaires à nous-même, Car j'en dois donner à MM. Michel, Voss, Questiaux et De H. 
qui, tous, en sont royalement dépourvus. 

Michel et Questiaux préparent les collections à envoyer à Bruxelles. 

Dardenne, très fatigué, fait diète et se couche dans l'après-midi. 

Questiaux se sent un peu fiévreux vers le soir. 


Durée d’insolation : 9.5. Maxima diurne : 260,2. 


Lundi, 12 juin 1899. 


90 


Minima nocturne : 13°,9. 

Si les moustiques — je l'ai déjà dit — ne constituent plus un fléau en ce moment, les fourmis, elles, n’ont 
pas abdiqué : cette nuit une variété de minuscules noiraudes a fait invasion chez moi; mon lit, ma table 
(malgré que les pieds de celle-ci soient dans des récipients remplis d’eau) sont noirs des agaçantes bestioles. 

Dardenne va mieux; M. De H... également; M. Voss essaie de se mettre au travail. 

La besogne court; Michel développe les photographies prises en cours de route; Questiaux établit son 
rapport géologique; de mon côté je reporte l'itinéraire Lofoi—Ki-Oubo sur la planchette 49; l'itinéraire de 
retour à Lofoi y sera porté quand une nouvelle observation d'heure n'aura permis de calculer les longitudes 
de cette partie de notre reconnaissance. 

Changé les feuilles des enregistreurs; le diagramme des températures montre une régularité remarquable 
dans la progression thermique diurne; la décroissance thermique nocturne est marquée d’à-coups donnant à 
la courbe une allure zigzaguée ; le maxima journalier a baissé d’une façon marquée. 

Minima et maxima absolus de la semaine écoulée : 11°,2 et 270,9. Moyenne : 20°,5. 

La courbe barographique accuse un relèvement général dans les derniers Jours de la semaine; l’écart du 
maxima et du minima absolu est de 6m, 

Durée d’insolation : 9,7. Maxima diurne : 26°,8. 

MM. Voss et Questiaux doivent renoncer au repas du soir. 

Michel et moi prenons une bonne observation d'heure par 11 étoiles. 


Mardi, 13 juin 1899. 


Minima nocturne : 11°. 

Une nouvelle invasion formique m'a chassé de mon lit en pleine nuit; j'avais cru pouvoir réoccuper le 
large lit qui garnit ma chambre; je suis trop heureux de pouvoir dresser moi-même, vers { heure du matin, 
mon lit de campement; par chance, malgré cet ennui nocturne renouvelé, je n’ai aucune tendance à Ja 
fièvre. 

MM. Voss et Questiaux restent fiévreux. 

Après avoir calculé l’observation d'hier, j’achève de mettre M. Verdick au courant du service de lobserva- 
toire météorologique, dont je lui fais la remise provisoire. 

Dans l’après-midi, vif incident entre les gens de notre escorte et ceux de la station : affaire de femme. Le 
cuisinier de M. Verdick a — selon la coutume noire — cédé une femme contre indemnité pécuniaire à un de 
nos soldats, peu de temps après notre arrivée à Lofoi Aujourd'hui, comme nous devons quitter prochaine- 
ment la station, le cuisinier se dit que le moment est venu de réaliser un bon coup. Et il est allé trouver 
son maître pour lui dire qu'un soldat de la mission lui a pris de force sa femme, sa propre femme! Quelle 
abomination, grands dieux! Et il va l'emmener au Di-Lolo. 

De son côté, le prétendu ravisseur est venu m’exposer son cas. Il s’agit d’une femme dépendant du cuisi- 
nier, dont la légitime — si on peut dire — n’est nullement en cause. 

Je demande à M. Verdick si la femme accessoire ne peut être passée à mon personnel; non, dit M. Ver- 
dick, cette femme est la femme du cuisinier et doit retourner avec lui à Lou-Sambo, d’où tous deux sont 
venus avec Moi. 

Là-dessus je déclare à mon homme que la femme doit être restituée au cuisinier. 

C’est ici que tout se corse brusquement. 

Oubliant que je suis porteur d'instructions qui mettent mon personnel sous ma seule autorité, M. Verdick, 
au lieu de contrôler les dires de son cuisinier, envoie un groupe de ses soldats pour reprendre la femme, au 
lieu de laisser à l’homme en cause le temps de se conformer à l’ordre que je lui ai donné. 

L'intervention des soldats du poste gâte naturellement la situation; nous devons nous porter nous- 
même au quartier des noirs et — tableau! — quand la femme en litige est devant nous, M. Verdick constate 
qu’elle n’est nullement la légitime (?!) de son cuisinier, mais une femme qui lui est inconnue, et que son ser- 
viteur fidèle (?!) a dû se procurer le diable sait où. 

Nouvelles explications d’où la vérité sort peu à peu : le cuisinier dit que la femme est venue avec lui de 
Lou-Sambo; il l’a louée à mon homme moyennant paiement; et l’on exhibe étotfes, couteaux, couver- 
tures, ete., qui ont fait la contrepartie de la transaction. Seulement, on n’est pas d'accord sur les conventions 
faites. 

En conséquence M. Verdick reprend la femme et mon homme ses marchandises. 

Toutefois l'incident n’était pas terminé. 

Vers 18 heures éclatent de soudaines clameurs au quartier des noirs; je m'y rends suivi de l’obligée bande 
de curieux blancs et noirs; je crois même, ma parole, que mes agents ont pris leurs revolvers. 

Nous trouvons que bataille s’est engagée entre les Likwangoulas de mon escorte et le personnel noir de 
Lofoï ; les premiers reprochent aux seconds d’être venus pour leur enlever la femme de tantôt, alors que moi 
seul peut les commander. 

C’est très juste. 

Heureusement il n'y à surtout de cassés que de nombreux pots, projectiles de guerre improvisés mais 
plutôt inoffensifs, dont on m’exhibe les éclats avec des gestes tragiques. 

Je fais réunir le groupe des Monghélimas et des Likwangoulas pour les tancer d'importance; puis je pro- 
cède à une égale distribution de caresses de la souple badine qui constitue mes ordinaires armes. Ceci produit 
un mouvement de sauve qui peut que je puis refréner; seuls trois hommes n’obéissent pas à l’ordre de rester 
en position; ils se sauvent! Tant mieux, car ils vont me permettre de les rendre responsables pour les autres, 
ce qui fait l'affaire de ceux-ci. Sur un signe, les fidèles de l'Équateur qui m’entourent ont bondi sur les traces 
des fuyards, qui sont bientôt ramenés devant le front des mécontents; je leur reproche leur fuite en termes 
à la hauteur de ces cerveaux spéciaux et leur ordonne de gagner seuls le cachot, où ils resteront jusqu'à 


notre prochain départ; quant aux autres, je leur déclare qu’ils seront punis d’une retenue de paie de deux 
mois. 

Le plus clair de l'affaire, c’est que j'ai perdu un temps précieux; pour les autres, ça a plutôt été une dis- 
traction. 

Mais quelle drôle d'idée d'arriver avec des revolvers! 


Durée d'insolation : 9n,7. 
Maxima diurne : 270,5. 


Pris une bonne observation d'heure par 11 étoiles ; jusqu’à 23 heures je reste au caleul immédiat de l’ob- 
servation. Je regagne ainsi le temps perdu à l’occasion de l’échauffourée de l'après-midi. 

Je fais de plus une très intéressante constatation chronométrique, complément avantageux de ce que je 
notais le 9 juin. 

Du 19 avril au 4 mai, la variation journalière de la comparaison des chronomètres 737 et 733 a été de 
+ 15,70. 


Du 9 juin au 15 juin cette variation journalière est devenue + 1,50. 


Première remarque : la marche relative des deux chronomètres est restée quasi identique à elle-même; 
les instruments continuent à se comporter d’une façon remarquablement satisfaisante. 


Deuxième remarque : en prenant pour variation journalière moyenne, du #4 mai au 9 juin, la valeur 
+ 45,70 + 15,50 
9 ï 


= 


+ 15,60, on trouve : 


Teudaemas ISO RER OR 131-133 — + 7% 145,50 
Variation pour 36 jours — 36 X 1°,60 . — + 575,60 
D'où, pour le vendredi 9 juin 1899 . . 731-133 — -"18n 49;10 
Et la comparaison directe a donné . . 131-133 — + 8% 105,50 

Différence = EH 45,60 


Nous en coneluons que le chronomètre 737 parait bien s'être comporté d’une manière tout à fait satis- . 
faisante pendant le transport, celte différence de + 15,60 représentant la résultante de ses variations de 
marche pendant 36 jours. 


Mercredi, 144 juin 1899. 
a 


Minima nocturne : 149,4. 
Ma nuit s’est un peu ressentie du travail prolongé de la soirée dernière. 


Comme distraction aujourd’hui nous avons l'arrivée d’une petite caravane de Mpwéto apportant : 


S caisses cartouches Mauser: 
3 caisses vin, tabac, cigares, bougies; 
4 colis postaux. 


Sauf les colis postaux, le reste est arrivé par voie anglaise; il n’y a malheureusement qu’une seule lettre 
d'Europe apportée par la mème caravane. 


— 3925 — 

Un des colis postaux contient un paquet de macaroni ; deux morceaux de fromage et une boîte de biscuits; 
comme la caissette est défoncée le fromage en sort barbu et le macaroni poilu; seule la boite de biscuits est 
intacte. Et dire que j'ai tant demandé de ne recevoir que du tabac, des cigares, des bougies, des livres, des 
journaux, du savon et un peu de chocolat. 

Un deuxième colis a son fond détaché ; mais comme il ne contient pas de boites de conserve il est presque 
complètement intact. 

Les deux autres colis sont intacts; dans l’un je trouve un recueil d'histoires en patois borain, dues à la 
plume si amusante du « framisou » Dufrasne. [Il me fera passer plus d’un bon moment. 

Je remets à M. Verdick une caisse de cartouches Mauser, et j'en expédie de suite une à Hecq, auprès de 
qui elle sera la bienvenue. 

Jenvoie en même temps à Mpwéto un ballot ealicot et une caisse de perles pour couvrir les dépenses 
occasionnées par notre service de courriers et de porteurs. 


De son côté, M. Verdick nous octroie une énorme marmite émaillée qui nous viendra rudement à point. 


En vue de compléter une note que je rédige sur les grottes du Ka-Tanga, j'ai demandé à M. Verdick de 
me remettre, par écrit, ses observations personnelles à ce sujet; j'avais fait la même demande à M. Delvaux 
avant de nous rendre aux Ki-Oubo. 

M. Verdick me remet aujourd'hui les renseignements demandés. 

Nos deux compatriotes n’ont pu me fournir, au sujet des grottes et des troglodytes, que des renseignements 
recueillis de bouches indigènes; par eux-mêmes ils n'avaient pas vu grand’chose. 

M. Delvaux me parla de la grotte de Mokana, située à deux jours de marche au nord de celle de Ki-Boué, 
visitée par nous; de la grotte de Mou-Sapoula et de la grotte de Ki-Tenta, ces deux dernières s’ouvrant 
dans la zone qui borde la rive gauche de la Lou-Fira, à une latitude voisine de celle de la grotte de 
Ki-Boué. L'état d’hostilité du pays, au moment où le parcourait M. Delvaux, ne permit pas à cet officier de 
voir par lui-même ces diverses grottes. Mais j'eus plus tard l’occasion de faire visiter en détail Mokana par 
M. K. Voss, ingénieur-géologue de notre mission. Quant aux grottes de Mou-Sapoula et de Ki-Tenta, tout 
ce que put m'en dire M. Delvaux, c’est qu’elles présentaient fort peu d'importance, au point que la première 
fut abandonnée après son passage, comme ne présentant pas suflisamment de sécurité en cas de siège 
soutenu. 

De son côté M. le capitaine Verdick pouvait me dire, à propos de la grotte de Lombwé (appelée 
Sombwé par le missionnaire anglais Arnot), qu’elle s’ouvrait dans une colline d’une-trentaine de mètres. 
Une série de fissures naturelles à travers des blocs de rochers conduiraient à une salle assez spacieuse, à 
allure de casemate; il y règne une atmosphère chargée d'humidité, et, au moindre feu qu'on y allume, la 
chaleur devient sufflocante; la salle est dans une complète obscurité ; en fait d’eau, M. Verdick ne trouva que 
des eaux d'infiltration des pluies. Feu le capitaine Brasseur, qui vit ces grottes, ne donne pas d’autres 
détails. 

Si on veut bien tenir compte de ce que M. Verdick était depuis huit ans dans le Ka-Tanga, on se demandera 
d’où émanent les renseignements recueillis et acceptés comme véridiques par les expéditions qui nous 
précèdèrent ici ! 3 


D'ailleurs, la suite de notre reconnaissance mettra de plus en plus les choses au point. 


Durée d’insolation : 10°,6. 
Maxima diurne : 27,8. 


Désireux d'assurer très proprement la marche de nos chronomètres, nous prenons ce soir une nouvelle 
observation d'heure, par 11 étoiles. 


Jusqu'à 25 heures, je demeure à ma table de travail pour effectuer les calculs de la soirée 


— 326 — 


Jeudi, 15 juin 1899. 


ro 


Minima nocturne : 100,5. 

Jai bien dormi; aussi puis-je me mettre de suite au caleul des longitudes entre les Ki-Oubo et 
Lofoï. 

Les résultats de ce calcul sont tellement satisfaisants que j'en veux donner la preuve; la série de culmina- 
tions lunaires faites à Lofoï, du 22 février au 22 mars, combinée au transport de l'heure depuis le sud du Moéro, 
avait donné : 

Longitude Lofoï : 27. 95'. 9386 Est Greenwich. 

Par le calcul de l'heure depuis les Ki-Oubo, 


je trouve aujourd'hui : Longitude Lofoi : 27, 25!. 31,21 
Différence : — 7,35 


Les résultats que je donne ici sont justifiés dans notre quatrième mémoire sur nos observations astrono- 
miques, magnétiques et altimétriques. 

Voilà donc 16 nouveaux points bien fixés; cela fera sans doute plaisir aux bons géographes et déplaisir 
aux mauvais qui devront changer leurs cartes. 

Outre le calcul des longitudes, j'ai effectu* le calcul des altitudes ; trois fois déjà depuis notre rentrée à Lofoi 
je l'ai recommencé au complet, quelque fastidieux que soit ce travail, par ce fait qu'il manque d'intérêt, les 
nivellements à l’anéroïde ne pouvant inspirer aucune confiance; j'ai fait l'actuel calcul en comparant les 
lectures de pression faites en cours de route sur l’anéroïde, aux lectures barométriques directes faites à Lofoi 
pendant notre absence; certains résultats me donnent à penser ou que lanéroïde s’est mal comporté où que 
des lectures erronnées ont été faites; là où il y à doute, les résultats sont impitoyablement rejetés. 

Je reporte à la planchette 49 la portion de route levée entre les Ki-Ouho et Lofoï. 

Il serait bien intéressant de pouvoir dresser deux cartes hydrographiques du Ka-Tanga : l’une à la fin de 
la saison des pluies, l’autre à la fin de la saison sèche, en ne teintant en bleu que les points où il y aurait 
réellement de l’eau à ces deux époques. Ce travail, naturellement, ne peut se faire que sur place; essayer de 
l’établir en Europe, sur les rapports et les croquis de poids si variés qu'on y reçoit, serait antiscientifique, 
donc dangereux. Il est d’ailleurs regrettable que cette remarque me soit suggérée par des travaux de haute 
fantaisie exécutés dans le silence du cabinet. É 


Je fais remise aujourd’hui à M. Verdick de notre caissette d'instruments anthropométriques qui contient : 


1 goniomètre facial médian oblique ; 
1 indicateur de ce goniomètre ; 


2 compas d'épaisseur, dont un à branches courbes. 


M. Verdick fera des mensurations en se conformant aux indications que je lui ai données; je lui confie 
l’ouvrage de Broca qui achèvera de le mettre au courant. 

De son côté M. Verdick nous remet, pour les collections que nous nous apprètons à expédier vers 
l’Europe, un tonnelet de tabac coupé provenant de cultures indigènes et préparé par les noirs (exposé à 
Tervueren). 

Dans la vallée de la Lou-Fira le tabac se vend sous forme de rouleaux, tressés grossièrement avec les 
feuilles encore vertes, telles qu'on les cueille. 

Avant de faire couper les rouleaux, dont il a fabriqué le tonnelet qu'il nous remet, M. Verdick les à fait 
tremper légèrement pour éviter leur réduction en poussière. 

Ce tabac provient de la récolte de 1898. 

M. Verdick me promet qu'il fera lui-même cette année-ci des essais de préparation. 


Durée d’insolation : 9,65. 
Maxima diurne : 27°,7. 


Vendredi, 16 juin 1899. 


Minima nocturne : 11°,1. 

Bonne nuit. Les matinées sont devenues fraiches; l’eau des premières ablutions paraît très froide. 

M. Voss, toujours fiévreux, garde le lit. 

Le travail de rédaction des notes continue pour moi; Michel, Questiaux et De H. sont occupés à recopier 
respectivement les notes achevées, la planchette 49 (en 5 exemplaires) et des carnets reproduisant les 
feuilles de latitude et d'heure, le calcul des longitudes et les observations magnétiques de l’excursion aux 
Ki-Oubo. 

Pour varier leurs plaisirs, Michel et Questiaux mettent des animaux en peau et préparent définitive- 
ment les estagnons à formol remplis de reptiles, de coléoptères, de chenilles, etc. A ce propos, Michel me 
signale que certains de nos estagnons lui semblent se laisser attaquer par le formol, après un temps plus ou 
moins long. 

M. De H. prépare les emballages. 

Bref, nos occupations spéciales sont actuellement bien attrapées par chacun; dans l’ensemble la besogne 
s’accomplit proprement et régulièrement. 


J'ai dit que 8 caisses de cartouches Mauser nous étaient parvenues : 6 sont envoyées par le gouvernement, 
2 me sont personnelles et viennent de chez Janssen. 

Je fais ouvrir une caisse des premières (chargées en février 1897) et fais tirer 6 cartouches; surprise 
désagréable, 3 ratés se produisent; l’amorce est nettement percutée mais ne déflagre pas. 

Il est trop tard aujourd’hui pour pousser l'expérience plus loin. 

Durée d’insolation : 91,7. 

Maxima diurne : 289,5. 

Pris une observation d'heure par 11 étoiles. Cette observation est destinée à étudier la marche des chrono- 
mètres, et est la première de la série qui couvrira la reconnaissance au lac Di-Lolo. Ten effectue les calculs avant 
de me jeter sur ma couchette. Les chronomètres ont une marche remarquable. Quelle veine ! 


Samedi, 17 juin 1899. 


Minima nocturne : 16°. 

Jai passé une excellente nuit, malgré le vent violent qui a soufflé tout le temps et qui continue ce matin. 
Il est intéressant de noter que ce vent s'accompagne d’un minima nocturne relativement élevé; c’est donc un 
vent chaud. Il souffle de l'E. et du S.-E. Sa vitesse, mesurée à l’anémomètre, entre 6 h. 32 m. et 6 h. 42 m., 
varie de 2,75 à 3",95 à la seconde. 

L'état sanitaire laisse à désirer. 

Hier soir, M. Verdick se sentait prédisposé à prendre la fièvre; depuis quelques jours Michel à des diges- 
tions lourdes; M. Voss est dans son lit, mais va mieux. Notre nouveau géologue a le moral peu solide; le voici 
qui prend une éruption de bourbouille — mal bien anodin, quoique fort agaçant — pour la variole, qu'il dit 
bien connaître pour lavoir eue quatre mois avant de quitter Johannesburg; il devrait pourtant bien se dire 
que s’il a eu la variole il y a si peu de temps, il peut maintenant dormir sur ses deux oreilles (drôle de 
position !). 

Je charge Questiaux d'aller essayer nos cartouches Mauser; sur 50 cartouches des caisses de l'Etat on 
obtient 45 coups bons, 1 long feu, 4 ratés; ces dernières cartouches sont percutées quatre fois inutilement. 
10 cartouches Janssen ne donnent pas de ratés. 

Reçu un courrier : lettres oflicielles, lettres d'Europe et 1 caisse privée venant d'Europe. 

Une lettre du camarade Hecq me dit combien sa situation est difficile; toutefois les révoltés ne se sont pas 
encore décidés à prononcer l'attaque. 

Une lettre de Boma adressée à «M. le juge du conseil de guerre attaché à l'expédition du Ka-Tanga » 


réclame à ce fonctionnaire le relevé des affaires soumises à sa juridiction pendant les quatre semestres de 
l’année 1898 (sic), ainsi que le prescrit la cireulaire n° 38/f en date du 13 avril 1898, rappelée par une cireu- 
laire du 23 juillet de la même année. 

Et me voilà — alors que tant d'objectifs utiles réclament tout mon temps — obligé de répondre que : 
1° le personnel européen de ma mission n'ayant mis le pied sur le territoire de l'État indépendant du Congo 
que dans la nuit du 3 au 4 août 1898 ; 2° ce personnel n'ayant trouvé son escorte qu’à M'pwéto, le jeudi 13 octo- 
bre suivant; 3° la lettre gouvernementale contenant les arrêtés nommant le juge, l’oflicier et l’oficier adjoint du 
ministère public auprès de notre conseil de guerre, ne n'étant parvenue que le 19 octobre suivant, il me serait 
impossible d'envoyer autre chose que le relevé des affaires jugées pendant la dernière moitié du quatrième tri- 
mestre 1898. 

Je voudrais bien qu'à Boma il n’y ait que des gens ayant fait leur apprentissage — si nécessaire — dans 
l'intérieur. 

Questiaux gagne son lit à midi. 

Verdick fait de même au lieu de venir à table au repas du soir; par compensation M. Voss le remplace. 

D’après M. Verdick, les mois de mai et de juin — transitoires entre la saison des pluies et la pleine saison 
sèche — seraient les plus mauvais au point de vue sanitaire. 

Personnellement je les trouve excellents; depuis les derniers jours d’avril je n’ai plus eu le moindre ennui 
de fièvre ou d’autre « bobo ». 


Durée d’insolation : 9,75. 
Maxima diurne : 289,7. 


Dimanche, 18 juin 1899. 


Minima nocturne : 15°. 

De 5 heures à 4 heures même vent violent qu'hier; le vent se continue dans la matinée; de 6 h. 50 m. à 
6 h. 40 m., l’anémomètre donne, comme vitesse à la seconde, de 2",75 à 4 mètres; le minima nocturne a cté 
relevé légèrement par ce vent qui souflle du S.-E.; entre 2 heures et 4 heures, la courbe thermographique 
montre un relèvement de 2, suivi d’une descente de 4°, effectuée en zigzags. 

MM. Verdick et Questiaux sont sur pied; M. Voss va beaucoup mieux, mais son œil gauche reste 
faible. 

Continuation des travaux connus. 

L'expérience me montre que j'aurais eu avantage à préparer en Europe des carnets de mise au net des 
observations astronomiques, magnétiques et météorologiques; il est vrai que le temps m'aurait fait défaut, 
élant donné les conditions dans lesquelles je dus organiser ma mission; je note donc ceci pour l’avenir. Ce 
qui, dans le même ordre d'idées, est absolument désirable, c’est que les planchettes de la carte d’assemblage 
de Delporte soient préparées en Europe, pour tout le territoire de l’État, et tirées par impression à de nom- 
breux exemplaires, dont les diverses stations seraient toujours munies, de façon à tirer de ces documents 
tout le parti possible. Par « préparer ces planchettes », il faut entendre y tracer les méridiens, les parallèles 
et aussi, pour un certain nombre, les coordonnées de longitude et de latitude exprimées en kilomètres, selon 
les propositions du regretté géodèse. 

Enfin, je regrette une fois de plus de n'avoir pu donner suite à une idée que j'avais eue pendant 
l'organisation de notre départ, et qui était de faire confectionner une série de caisses en fer-blanc s’emboîtant 
lune dans l’autre, et prêtes à être soudées pour le renvoi de nos collections en Europe; actuellement nous 
sommes obligés d’arranger tant bien que mal des caisses imperméables avec des boîtes à conserves et des 
doublures de caisses à perles et à cartouches. Toutefois on ne se rebute pas au travail. 

Avec le soir venu M. Questiaux doit se coucher au lieu de paraitre à table. 


Durée d’insolation : 92,75. 
Maxima diurne : 27°,9. 


Lundi, 49 juin 1899. 


& 


Minima nocturne : 100,5. 

Ma nuit a été excellente et reposante. 

M. Questiaux doit garder le lit. 

Vers le milieu de la journée M. De H. doit aussi quitter la besogne. 

Changé les feuilles des enregistreurs. 

A la courbe thermographique le tremblé des parties descendantes est devenu moins nerveux que les 
semaines précédentes; les parties ascendantes sont d’une belle régularité; les maxima journaliers tendent à 
diminuer. 

Minima et maxima absolus de la semaine : 10°,5 et 28°,7. Moyenne : 20°,7. 

Le barographe montre un relèvement général de tout le diagramme. 

La copie des observations météorologiques est faite jusqu'à la date d'aujourd'hui pour envoi à 
Bruxelles. 

D'autre part j’achève aujourd’hui les derniers calculs nécessaires pour que nous puissions envoyer à 
Bruxelles les résultats de toutes nos observations. 

De son côté Michel a confectionné 4 caisses de collections. 

Dans l'après-midi les nyamparahs de notre escorte viennent me demander de ne plus voyager sans les 
prendre tous avec moi. C’est précisément mon intention. 

On a vu que, depuis notre arrivée au sud du Tanganika, l’escorte — en temps que force armée — ne nous 
a pas été et n'aurait pu nous être nécessaire, tout le pays que nous avons parcouru n’exigeant aucune espèce de 
déploiement de force, bien au contraire. 

Maintenant peut-être va-t-il en être autrement; mais, plus que jamais, mon intention est de ne tirer 
la première cartouche qu’à la toute dernière extrémité. Et j'y réussirai très facilement, comme on verra! 


Durée d’insolation : 91,8. 
Maxima diurne : 27. 


Mardi, 20 juin 1899. 


Minima nocturne : 9°,2. 

Il fait de plus en plus froid le matin; depuis quelques jours on allume un léger feu sous ma vérandah. 

Ainsi que je l'ai dit, la maison que j'occupe est orientée de telle sorte qu’elle n’a aucune ouverture 
vers l’est, et que sa face principale — avec portes et fenêtres — regarde exactement l’ouest; voici les avantages 
de cette malencontreuse orientation : le matin, quand il me faudrait du soleil sur ma vérandah et dans mes 
fenêtres, je suis dans l’ombre froide, et je dois allumer du feu pour dégourdir mes doigts que le seul 
maniement, même extra-rapide, du porte-plume, ne réchauffe pas; dès que Phœæbus a passé au méridien, 
c’est-à-dire au moment où l'ombre devient de plus en plus indispensable, toute la face ouest de ma maison se 
baigne des ardeurs solaires; pour pouvoir rester à ma table de travail j'ai dû faire suspendre des nattes 
fermant la vérandah ; il fait ainsi un peu plus supportable, au détriment de la lumière que j'adore pleine et 
brillante. 

Tout cela semble crever les yeux; dans six mois nous retrouverons presque exactement celte disposition au 
Lou-Kafou; on dirait que le Belge n’a pas le sens de l'orientation. 

M. Questiaux reste tourmenté d’envies de vomissements. 

M. De H. est sur pied. 

Continuation du travail; personnellement je poursuis la rédaction d’une série de notes à joindre 
au prochain rapport. 

Mais cette journée devait encore me mettre en deuil. 

On se souvient qu’au sud du Moéro j'avais dû renvoyer mon boy Djôti, le seul convenable de toute notre 
bande; je l'avais remplacé par un de nos cuisiniers, Ki-Toumbou, ce brave petit gosse dont j'ai dit à diverses 


reprises le dévouement. Le gamin était devenu excellent et plus dévoué que jamais; même je crois qu'il 
m'affectionnait et que je le lui rendais quelque peu. 

Dans l'après-midi M. De H. vient m'apporter un trousseau de clefs (les miennes), en m'avertissant que 
Ki-Toumbou a été noyé dans le Lofoï par un boy de la station, lequel a pris la fuite. 

J’envoie M. De H. prévenir le capitaine Verdick et M. Michel (celui-ci est oflicier du ministère public) de 
faire enquête sans retard. ; 

Pour moi je cours avec quelques-uns de mes gens de l’Equateur vers la place où le drame s’est passé. 

A la rive, un groupe de boys et de femmes se lamentent; des hommes plongent sans rien trouver; 
ils pensent qu'un crocodile a enlevé le pauvre gamin; j'interroge; on me dit que c’est un accident; le boy en 
fuite n’est pas plus grand que Ki-Toumbou, il est mème plus petit; c’est en prenant leur bain de chaque jour 
que le malheur s’est produit : le bain était fini et la bande Joyeuse regagnait la station, le long d’un chemin 
bordé de buissons de tomates abandonnées à l’état sauvage; pour s'amuser, les gamins se jetaient des tomates 
’écrasant sur leur peau nue, les faisaient s'amuser ferme; Ki-Toumbou, tout barbouillé de 
tomates écrasées est retourné à la rivière pour s’y nettoyer, l’autre gamin l’a suivi et l’aurait poussé trop loin 


müres qui, S 


de la rive, de sorte que mon boy avait perdu pied et aurait été entrainé par le courant, encore violent en ce 
moment de l’année; effrayé, l’autre gamin s’est sauvé dans la brousse, 

Tout ce récit sera confirmé plus tard par l'enquête; le prétendu coupable est bientôt ramené. 

Je demande à mes Equateurs de plonger à leur tour et de trouver le corps de l’infortuné; une heure plus 
tard on me le rapporte; l’enfant semble dormir tant sa figure est calme; le pauvre est étendu, nu, sur la terre 


battue de la vérandah; mes yeux sont gros de larmes, brûlantes, sincères, car cet enfant — qui ne savait 
ce que c'était ni père ni mère — m'était attaché, quoique je fusse plus souvent désagréable qu’agréable 


pour lui. 

Que ne puis-je prolonger mon terme pour payer sa rançon à la mort! Comme je le ferais avec joie! 
Hélas! tout ce que je puis encore, c’est donner mes plus belles étoffes, ma meilleure couverture, pour qu’on 
l'y enveloppe avec le luxe des noirs {rès riches; mes soldats procèdent à la funèbre besogne et, au soleil cou- 
chant, nous allons ensemble, dans un coin de brousse, creuser une tombe, très profonde, pour que les hyènes 
n’en puissent atteindre le fond. Michel me reproche doucement d’avoir voulu être seul blanc à ce simple 
enterrement. 

Et je passe, seul, une soirée très triste. 


Mercredi, 21 juin 1899. 
a  —_—— 


Hier la durée d’insolation a été de 9,8, le maxima diurne de 28°,4. 

Aujourd’hui, le minima thermométrique n’est atteint qu'à 7 heures : 9,8. 

Ma nuit à été lourde, à la suite du drame d'hier. 

Dardenne est repris de fièvre avec vomissements, et d’un accès d'asthme; il devra se coucher avant la fin 
du jour. 

De H., que la fièvre a repris hier soir, garde aujourd’hui la chambre. 

Questiaux est au travail. 

C'est maintenant le courrier qui nous occupe. 

Lettre à M. le capitaine Weatherley-Poulett, au Moéro, lui exposant qu'à notre rentrée des Ki-Oubo, 
M. Michel — photographe et aide-naturaliste de la mission — s’est aperçu que ses tubes d’iconogène (dévelop- 
pateur) avaient pris l'humidité. Il à eu juste de quoi développer les clichés impressionnés pendant notre 
dernière reconnaissance. Je me permets donc de demander à notre aimable voisin de bien vouloir, si la chose 
lui est possible, nous envoyer de quoi confectionner 4 à à litres de développateur; il faudrait qu'il fasse cet 
envoi de manière à ce que nous le trouvions à Lofoï fin octobre prochain, au retour de notre excursion au 
Di-Lolo. 

Lettre au chef des zones Tanganika—Ka-Tanga, lui envoyant copie de la planchette cartographique 49 
avec notre dernier itinéraire, et copie de la feuille donnant les résultats des 16 observations fixant cet 
itinéraire, S 


Lettre à M. Verdick lui remettant copie des deux mêmes documents; cette lettre dit aussi à son 
destinataire : 

« Ainsi que j'ai eu à diverses reprises l’occasion de vous le dire, la valeur d’un document cartographique 
est déterminée, non par l’accumulation de détails non vus de près et non contrôlés, mais par la seule mention 
des choses vues; il est dangereux de prolonger de sentiment les rivières, les lignes de hauteur, les parties 
boisées, ete. Des documents établis par eette méthode d'estime vague et de sentiment injustifiable devant Ja 
science, sont destinés à être rejetés rapidement; d’ailleurs, ils ne sont utilisés que par des cartographes qui se 
parent des travaux d'autrui, comme le geai se parait des plumes du paon; les croquis cartographiques 
consciencieux ne renseignent que peu de chose, mais ce peu de chose est certain; et c’est par la réunion de 
nombreux itinéraires réservés dans leurs indications que peut, et que peut seulement, s'établir un travail 
synthétique définitif, parce qu’il sera l'expression des faits, non des conceptions subjectives, imprudentes ou 
impudentes, de l'observateur. 

« La cartographie vous saura grand gré de documents sûrs quoique restreints; elle n’emploiera pas des 
documents suspects par la trop grande aire représentée sans avoir été foulée par le pied du voyageur. » 


Lettre au gouverneur général envoyant copies des deux documents susmentionnés. 

Je fais également connaître à ce haut fonctionnaire une décision importante relative à la suite de notre 
reconnaissance. 

Au cours de notre reconnaissance aux chutes Ki-Oubo, j'ai pu apprécier ce qu'on pouvait attendre de 
M. Questiaux, prospector; cet adjoint sait très convenablement prendre échantillons, et peut assurer sufiisam- 
ment le travail géologique tel qu'on peut le faire au cours d’une reconnaissance assez hâtive. 

D'autre part M. Voss, géologue, m’a exposé l'intérêt qu'il avait trouvé, géologiquement parlant, aux salines 
de Mo-Achia et dans leurs environs. 

J'ai donc décidé que M. Voss serait détaché du gros de la mission pendant la reconnaissance vers le lac 
Di-Lolo; notre géologue reprendra la reconnaissance qu'il avait entamée en amont de Lofoï, verra en détail les 
salines de Mo-Achia, les mines de cuivre du chef Ka-Tanga; puis continuera vers le Sud et le Sud-Est. 

Cette décision augmentera notablement le travail effectué par nous, et compensera en partie l'abandon que 
j'ai dû faire du voyage jusqu’au Bangwélo. 

Ces diverses lettres terminées, je dresse l'inventaire de tout ce que M. de H. devra préparer comme appro- 
visionnements, matériel et munitions pour notre départ très prochain. 

M. Verdick à fait avertir les chefs qui devront nous fournir des porteurs. 

Durée d’insolation : 9,8. 

Maxima diurne : 28°,6. 


Jeudi, 22 juin 1899. 


Minima nocturne : 129,9. 

Ma nuit a été agrémentée d’une invasion de fourmis noires; quand fut rempli mon lit, force me fut bien 
de déguerpir pour faire de la lumière, et aller secouer mes draps et couvertures au dehors 

Ce matin Dardenne va mieux. 

Michel recopie les lettres officielles que j'ai écrites hier. 

Je m'occupe avec M. de H. de la préparation des charges; cela me fait constater qu'il y à du mic-mac dans 
les cartouches destinées à notre escorte; notre sous-oflicier qui a reçu ces cartouches en partie à Miowa, 
en partie à M'pwéto, ne me fournit que des explications embrouillées. Je lui donne jusqu'à demain pour 
éclairer la situation et expliquer les fuites constatées. 

M. Verdick brûle 15 cartouches Mauser, sur lesquelles se produit 1 raté. 

Après-midi de courrier ofliciel. 

Durée d’insolation : 10°,3. 

Maxima diurne : 28°,9. 


— 332 — 


Vendredi, 23 juin 1899. 


Minimas nocturnes : 15°,5 à 3 heures, suivi d’un relèvement de 3°, puis d’un second minima de 16°,8 
à 7 heures. 

Ma nuit a été bonne. 

Continuation des écritures. 

M. de H. ne pouvant arriver à me fournir verbalement des explications convenables au sujet de notre 
approvisionnement de cartouches, je suis obligé de lui formuler par écrit les questions qui exigent une 
réponse claire. 

Il résulte de sa réponse écrite que des mélanges se seraient produits dans le magasin d’armes de Lofoï, où 
nos munitions ont été rangées près de celles de la station; notre sous-ofhicier prétend que feu le sous-lieutenant 
Fromont avait par-devers lui les états justificatifs de nos munitions, et que ces états auraient dû être retrouvés 
dans les papiers de notre regretté chef de caravane. 

De la note de nos munitions dressée par M. de H., il résulte que nous ne disposerions plus que de 5,071 
cartouches au lieu de 6,000 qui ont dû nous être remises. [1 faut savoir qu’en partant de Mtowa pour 
Mpwéto où ils devaient nous attendre, nos hommes avaient reçu chacun 50 cartouches. Pourquoi? Ils avaient 
à traverser un pays très tranquille et l’on éprouvait le besoin de les armer, quitte à les amener à user 
de leurs armes sans rime ni raison, ces gens n'étant pas conduits par un blanc. 

C’est évidemment là qu'il y a eu fuite; pour en déterminer moi-même l'importance, je compte ce que 
nous avons maintenant en main; notre nombre exact est de 4,853 au lieu de 5,071 que me renseigne le res- 
ponsable. 

Il n’est pas inutile que je mentionne que les cartouches réunies à M'pwéto, six mois avant mon arrivée, 
avaient été fournies en partie par Mtowa, en partie par Lofoï; cette dernière station avait envoyé des caisses 
portant la marque « Stairs » et provenant de l’expédition de cet officier au Ka-Tanga; aucune lettre d'envoi de 
ces munitions ne m'avait été adressée; je croyais n'avoir que des munitions en caisse; en quittant M'pwéto 
seulement, je sus qu’une partie des cartouches était hors boîtes. 

Vrai, je ne puis vanter la façon dont avaient été exécutées les prescriptions gouvernementales par ceux 
qui avaient reçu, avant mon arrivée, l'ordre de me fournir soldats, armes et munitions. 

Heureusement soldats, armes et munitions n’eurent aucun emploi dans mon long voyage! 

Ainsi fut déjouée la malice du destin ! 

Mais c’était déjà beaucoup trop que — une fois de plus — je dusse perdre tant de temps par l’incurie 
d'autrui. 

MM. Dardenne et De H. se couchent à l'heure du souper : fièvre. 


Durée d’insolation : 10 heures. 
Maxima diurne : 289,5. 


Samedi, 24 juin 1899. 


Minima nocturne : 10°,2. 

Ma nuit a été bonne. 

Aussi puis-je continuer ferme à abattre du courrier. 

Lettre au chef des zones Tanganika=Ka-Tanga, lui donnant les renseignements nécessaires sur nos futurs 
mouvements. Ma lettre dit, entre autres choses : 


« J’estime que nous ne nous trouverons réunis de nouveau à Lofoi que vers décembre 1899, peut-être 
mi-novembre. 

« À ce moment seulement je pourrai prendre une décision quant à la voie de notre retour. 

« Il ne pourrait être question de rentrer par le Kassaï; il serait impossible de recruter des porteurs de 
bonne volonté pour ce trajet. 


= 555 


«-Pour rentrer par Lou-Sambo, il faudrait garantir aux porteurs recrutés ici qu'ils seront ramenés à Lofoï 
par un Européen avec une forte escorte ; je ne puis prendre cet engagement. 

« Il est donc possible que nous devions rentrer par les Stanley-Falls. 

« Ma décision, quant à la route vers cette dernière station, dépendra pour beaucoup des renseignements 
que je vous prie instamment de bien vouloir me donner relativement à la situation des pays à traverser, spé- 
cialement au point de vue révoltés. 

« Je vous saurais le plus grand gré, M. le chef de zones, si vous pouviez faire en sorte que je trouve ces 
renseignements à Lofoi vers la mi-novembre, puis une nouvelle lettre à M'pwéto vers la mi-décembre 1899. 

« Ce pourquoi je vous remercie à l’avance. » 


M. Voss est fiévreux au lit. 
Durée d’insolation : 40°,6. 
Maxima diurne : 270,9. 


Nous prenons une dernière observation d'heure à Lofoï, par 10 étoiles; de sa comparaison avec les 
précédentes il résulte que la marche journalière du chronomètre 737 — que nous emporterons avec nous — 
est seulement de —(*,761 (variation journalière de dh 737). 

Le chronomètre 733 demeurera en marche à Lofoiï, où nous le retrouverons à la fin de l’année; il nous 
donnera un contrôle précieux de la marche du 737. 


Dimanche, 25 juin 1899. 


Minima nocturne : 400,92. 

J’ai excellemment dormi. 

M. Voss reste couché avec la fièvre. 

Tout le monde se plaint du froid; ainsi que je l’ai dit, je dois me faire allumer du feu chaque matin; 
après une demi-heure d’écritures j'ai les doigts gourds, et suis obligé de les exposer à la chaleur du feu pour 
pouvoir continuer à travailler. 


Achevé aujourd'hui le rapport n° 19 au Secrétaire d'Etat; avec ce rapport j'ai le bonheur d'envoyer une 
nouvelle série de documents, savoir : 


1° Deux carnets donnant le détail des observations de position faites dans la vallée de la Lou-Fira, du 
7 mai au 11 juin 1899; 

2° La feuille de résultats de ces observations ; 

3° Copie de la planchette 49 du tableau d'assemblage de la carte générale du Congo, avec report de notre 
dernier itinéraire; 

4 Un carnet renfermant la copie des observations météorologiques faites à Lofoi-Station du 1% mai au 
19 juin 1899; 

5 T feuilles hebdomadaires de l’enregistreur de température, relevées à Lofoï pendant la même 
période ; 

6° 7 feuilles hebdomadaires de l’enregistreur de pression atmosphérique, idem ; 

T° 49 bandes de l’enregistreur solaire, obteuues à Lofoï du 1% mai au 19 juin 1896; 

8& L’inventaire du contenu de 4 caisses de collections numérotées 95 à 28; 
La liste des clichés photographiques que nous envoyons ; 
10° Des épreuves de ces photographies, portant au verso une notule explicative ; 
11° La liste des tableaux de Dardenne se trouvant dans la caisse n° 29; 
S planches de faune et de flore, dessinées par Dardenne ; 
13° Un rapport géologique de M. Questiaux, relatif à notre reconnaissance aux chutes Ki-Oubo ; 
14 L’inventaire des échantillons de roches contenus dans deux caisse numérotées 30 et 31; 


— 334 — 


15° Un rapport succinct de M. le géologue Voss sur sa reconnaissance au sud de Lofoï, avec une liste des 
échantillons contenus dans la caisse n° 33; 

16° Une note sur quelques-uns des objets de collections que nous envoyons; 

17° Une note détaillée sur la reconnaissance effectuée dans la vallée de la Lou-Fira, du 7 mai au 9 juin 1899; 

18 Une note détaillée sur les grottes du Ka-Tanga et sur la dépression où coule la Lou-Fira en aval des 
chutes Ki-Oubo; 

19 Une note sur la station du Lou-Kafou. 


A ces divers documents j'ajoute une lettre de M. Verdick, détaillant les circonstances dans lesquelles le 
regretté sous-licutenant Fromont à trouvé la mort, et une note du même officier sur la station de Lou-Kafou ; 
j'avais remis à M. Verdick les considérations que m'ont suggérées l'emplacement choisi par lui comme nouveau 
chef-lieu de district, en l’autorisant à me remettre une réponse, soit corrective soit rectificative, que je ne 
manquerais pas de joindre à mon rapport n° 19 au secrétaire d'État; c’est de cette note qu'il s’agit. 


Les deux derniers paragraphes du rapport n° 19 disent : 


Observations météorologiques. 
PR 


« Je confie à M. le capitaine Verdick l’ensemble des observations météorologiques commencées à Lofoï- 
Station depuis le mardi 21 février 1899. 

« M. Verdick a été mis au courant du maniement et de la lecture des divers appareils; e’est du reste lui 
qui, sous ma direction, a assuré ce service depuis bientôt un mois. 

« Je lui laisse comme instructions d’expédier, par la voie anglaise, la copie des relevés journaliers et des 
diagrammes de pression et de température; cet envoi sera fait aux dates du 1% août et du 1* octobre 
prochains. 

« Pour la suite nous serons vraisemblablement de retour à Lofoï. 

« A propos des observations météorologiques, il importe — si le gouvernement désire qu’elles soient con- 
ünuées dans de bonnes conditions de continuité — qu'un adjoint bien choisi soit envoyé à M. Verdick. Ces 
observations demandent, en effet, à être faites tous les jours; il faut done compter que la station ne peut 
jamais être laissée sans européen-observateur. 

« Je pense qu'il serait bon de détacher quelque temps, à l'observatoire royal, Pagent qui serait éventuelle- 
ment désigné pour Lofoi. » 


Lormation d'un herbier. 


a 

« J’avais compté charger feu M. le sous-lieutenant Fromont de la confection d’un herbier. 

« La mort de cet agent dévoué a augmenté encore la somme de besogne déjà grande de chacun des 
membres de la mission. 

« Ne pouvant confectionner nous-mêmes un herbier satisfaisant, j'ai remis à M. Verdick les 6 caisses 
matériel que feu M. le docteur Jean De Windt avait fait préparer au jardin botanique de Bruxelles. M. Verdick 
s’occupait du reste déjà de la réunion des plantes qui lui semblaient intéressantes. » 


Mensurations anthropologiques. 
A 


« Enfin, j'ai remis au même oflicier notre boîte d'instruments anthropométriques, parce que nous 
n'avons absolument pas le temps d'effectuer nous-mêmes des mesures. » 


On voit par ces extraits que j'avais fait de M. Verdick un important adjoint à nos travaux; je note dès 
maintenant qu’il assura très convenablement les différentes tâches assignées à son activité. 


— 335 — 


Désireux de ne laisser aucun point dans l'ombre, j’établis pour M. Verdick une lettre d'instructions traitant 
des divers détails que je viens de signaler; cette lettre se termine par le paragraphe suivant : 


Chronomètre 733. 


« Le chronomètre 733 restera en dépôt à Lofoï-Station jusqu’à notre retour du lac Di-Lolo. Je vous 
prie de bien vouloir veiller à ce qu'il soit remonté tous les jours, à la même heure. Il est très important 
— pour le contrôle des observations astronomiques qui seront faites pendant notre prochaine reconnais- 
sance — il est très important, dis-je, que nous soyons certains de retrouver, à Lofoï, l'heure gardée par le 
chronomètre 733; sinon le 737, qui nous accompagnera, ne pourrait être obligé de révéler ses dérangements 
éventuels. » 


En ce qui concerne cette garde de l'heure à Lofoi, mes instructions devaient être décues. Forcément 
ignorant des choses de la chronométrie, M. Verdick crut pouvoir — avant notre retour — déplacer le 755 de 
Lofoï à Lou-Kafou; il anéantit ainsi de façon absolue le contrôle précieux que je m'étais préparé. Le 


diable est qu'une occasion de l’espèce se reverra Dieu sait quand, mais pas nous! 


Durée d’insolation : 10°,9. 
Maxima diurne : 289,2. 


Lundi, 26 juin 1899. 


Minima nocturne : 10°,1. 

M. Voss continue à garder la chambre. 

Nos porteurs sont réunis; je prévois que nous partirons demain. 

Nous prenons nos dernières mesures; MM. Michel et Questiaux achèvent aujourd’hui de recopier les 
lettres officielles et les notes écrites ces derniers jours. 

Un soldat de réserve, habitant à Lofoï, vient demander à pouvoir nous accompagner au Di-Lolo ; accordé. 

Trois femmes de soldats se présentent pour m'exposer que leur état — momentané — les empêche de 
prendre le sentier des longs voyages; un coup d’œæil sur les trois Vénus noires — dédaigneuses d’ailleurs des 
atours dissimulateurs — ne laisse aucun doute sur la véracité de leur afirmation; elles resteront ici. 

Pour la dernière fois je change encore moi-même les feuilles des enregistreurs. 

Minima et maxima thermométriques absolus : 9,8 et 280,9 ; moyenne : 200,3. 


Mis par écrit les instructions nécessaires à M. Voss. Les voici : 


« Jai l'honneur de vous confirmer par écrit la décision que j'ai prise après en avoir conféré avec 
vous. Pendant la reconnaissance qui va commencer sous ma direction vers le lac Di-Lolo, vous serez détaché 
du gros de la mission pour reprendre, vers Mo-Achia, les études que vous avez commencées dans la vallée 
de la Lou-Fira. : 

« Lorsque votre état de santé vous le permettra, vous vous mettrez en route avec la caravane que 
M. le capitaine Verdick voudra bien vous fournir, et vous remonterez la vallée de la Lou-Fira; vous tâcherez 
d'arriver aux sources de cette rivière; vous aurez à reconnaître spécialement les gisements miniers de Ka-Tanga 
et de N’Tenké, ainsi que les terrains qui en dépendent. 

« Les cartes actuelles mettent très près l’une de l’autre les sources de Lou-Alaba et de la Lou-Fira: 
vous voudrez bien porter votre attention sur ce point. J’attire également vos vues sur les renseignements 
suivants, extraits du Guide de la Section de l'État indépendant du Congo, à l'Exposition de Bruxelles- 
Tervueren : 


« À quelques kilomètres des sources du Lou-Alaba s'élève une colline conique d'une centaine de mètres, exclusive- 
ment formée de minerai de fer magnétique. Sur cette colline, ou plutôt dans cette colline, se trouve un village Ba-Sanga, 


— 336 — 


nommé Ka-Founda-Mikopo. Ses habitants ne sont pas exclusivement troglodytes; ils possèdent quelques huttes 
véritables, entourées même d’un boma; cependant la plupart habitent dans les profondes anfractuosités que présente la 
masse de minerai, ou sous les abris que forment les blocs et les boulets. : 

« Ka-Founda-Mikopo appartient à N’tenké, le grand chef des Ba-Sanga, et constitue une forteresse armée contre les 
incursions des Ba-Lounda. 

« Ces mêmes Ba-Lounda ont quelques villages établis dans des conditions pareilles de l’autre côté du Lou-Alaba. » 


« Il y aura lieu de vérifier si ces renseignements sont exacts et, en particulier, si C’est bien dans 
des roches de magnétite que les grottes de troglodytes existeraient, et non pas dans des terrains de calcaire 
tendre. 

« Déterminer si ces grottes sont naturelles ou artificielles. 

« Rechercher aussi si le chef N’Tenké est bien de race Ba-Sanga. En un mot vérifier point par point. » 


J’ouvre ici une parenthèse pour dire que, par nous-mêmes, nous pümes — à la fin de 1899 —- établir 
1° que Ka-Founda-Mikopo est le nom d'un petit chef de race Ka-Hondé, et non de race Ba-Sanga; il dépend du 
chef Mou-Koyo installé sur le Lou-Alaba, et non du chef N'Tenké ; % que le chef N’Tenké n’est pas de race 
Ba-Sanga, mais bien de race Mou-Lamba; il n’est nullement le grand chef des Ba-Sangas; il est plutôt 
l'ennemi de ces derniers, et est l’allié du chef Ka-Tanga qui est également de race Mou-Lamba; 3° qu'aux 
sources réelles du Lou-Alaba, par 11°. 45". 29,01 de latitude Sud, 26°. 39’. 17/17 de longitude Est Greenwich 
etenviron 1,500 mètres d'altitude absolue, il n'existe ni collines coniques dans un rayon de 15 à 20 kilomètres, 


ni habitants dans un rayon de 40 kilomètres. 


Je reprends la citation de ma lettre à M. Voss : 


« Après la reconnaissance détaillée de la vallée de la Lou-Fira jusqu’à la frontière de l’État du Congo, 
vous pourrez vous porter vers l’est et le sud-est. 

« M. le capitaine Verdick — qui a parcouru la région — veut bien me promettre de vous adjoindre 
quelques soldats de la station de Lofoï, si c’est nécessaire. 

« Le pays que vous aurez à parcourir, me déclare cet officier, est bien soumis et vous serez bien accueilli. 

« Je vous prie de conduire vos études de manière à rentrer à Lofoi en novembre prochain. 

« Outre La partie géologique et spécialement minière de votre reconnaissance, vous voudrez bien recueillir 
le plus de renseignements possibles sur les régions parcourues. 

« Veillez à vous faire donner les noms exacts des villages et pas seulement des chefs, à bien fixer la valeur 
des cours-d’eau et, éventuellement, leur navigabilité. » 


« Je vous remets des vivres et des articles d'échange pour une durée de cinq mois. En route, vous 
ne devez donner à vos porteurs que la ration, c’est-à-dire 15 perles par semaine. 

« Le paiement des porteurs sera fait à Lofoï lors de mon retour du lac Di-Lolo. 

« Vous devrez n’accepter que les présents des chefs importants en leur en donnant à votre tour l'équivalent 
en marchandises d'échange. 


« Quant aux nombreux présents que voudraient vous faire d'autres indigènes, vous aurez à répondre 
ainsi que je vous l'ai dit déjà de vive voix — que vous n'avez pas de quoi les payer, que vous n êtes pas le chef 
de la mission, et que par conséquent vous ne pouvez pas accepter tant de cadeaux. 


« Ci la liste des vivres et articles d'échange que je vous remets : 
« 4 caisses perles, 3 ballots d’étoffe, 3 couvertures rayées, 3 caisses de vivres, 1 jambon, 1 fromage, 


1 touque farine, 1/2 bouteille de porto, 4 demi-bouteilles de champagne. 


à 
— 337 — 


« J'ai déjà eu le plaisir de vous remettre, sur mes ressources personnelles, la valeur de deux caisses vivres, 
vins et liqueurs. 

« Enfin vous pourrez prendre du riz et du miel en quantité suflisante. 

« Je souhaite que votre santé s'améliore au plus vite et je ne doute pas que vous réunirez, au cours de 
votre voyage, d’intéressants et nombreux documents. » 


Cette missive terminée, j'établis une dernière lettre à M. Verdick, lui spécifiant par leurs marques, leurs 
numéros et leur contenu, les caisses et ballots que nous laissons en dépôt à Lofoï. 

Comnie j'ai l'impression que je pourrai continuer pacifiquement mon travail, je n’emporte que la moitié 
de nos cartouches. 


De ma dernière lettre à M. Verdick je citerai les passages suivants : 


« Je vous prie de bien vouloir porter votre attention sur le remisage et l’aération de ces approvisionne- 
ments, et je vous saurais le plus grand gré de les assurer fréquemment. » 


Courriers. 


« Il est probable que j’expédierai un dernier courrier des grottes de Ki-Amakélé, par lesquelles nous 
passerons. 

« Quant aux courriers et caisses qui pourraient arriver d'Europe, je vous demanderai d’expédier ce qui 
arrivera jusqu'au 15 juillet prochain. Passé cette date il faudra conserver à Lofot tout ce qui arrivera pour nous. 

« Je vous autorise bien volontiers à ouvrir les paquets de journaux qui arriveront à mon adresse. » 


« L'état de M. Voss n’est pas sans m'inspirer quelque appréhension. de dois done prévoir le cas où cet 

agent ne pourrait pas se mettre en route pour la reconnaissance que je lui ai prescrit de faire dans la vallée de 

. la Lou-Fira et vers le sud-est de l'État. Ou bien encore M. Voss pourrait rentrer malade à Lofoï Si son état 

‘ l'exigeait, vous voudriez bien lui donner connaissance de la présente, par laquelle je vous autorise à effectuer 

le rapatriement de M. Voss par la route anglaise. Il y aurait lieu, dans ce cas, d’avertir sans retard M. le Secré- 
taire d’État de l’État indépendant du Congo, en expédiant votre lettre par la voie anglaise. » 


Cette lettre remise à M. Verdick, je puis écrire à M. Gibbs à Blantyre, et à M. Tracer à Ki-Engué, pour 
leur annoncer que j'expédie vers Bruxelles 8 caisses de collections numérotées 95 à 32. Je les prie de conti- 
nuer à donner toute leur attention à ces envois. 

Et maintenant je me frotte les mains; tout est réglé; Michel établit le bordereau du courrier et scelle 
celui-ci. 5 

Pour moi je ferme mes malles. 

Nos épaules sont de nouveau bien libres : tout notre travail est mis au courant, et copie en à été remise à 
tous les intéressés; toutes nos collections ont pris le chemin du musée de Tervueren. 

Il me semble vraiment que cette besogne déjà longue est oubliée, et c’est dans un état d'esprit excellent 
que nous partirons demain. : 

À 15 h. 45 m. arrive, volant du sud-ouest au nord-est, un énorme nuage de sauterelles ; le vent — d’inten- 
sité 2 — accélère leur vitesse qui est remarquable; Michel essaie de prendre une photographie qui montrera, 
sur le fond du ciel, ce monde brun, grouillant, multiple et effrayant. 

C'était un présage de malheur, car voici qu'entre au poste un courrier du nord. 

Je dois rouvrir mes malles pour répondre à ce courrier; heureusement le département de l’intérieur 


99 


a 
Se 3938 Sue 


continue à me laisser tout à fait tranquille; seul le département de la justice m'adresse d’inutiles paperasses 
et me réclame des pièces qui lui ont été envoyées régulièrement de Mpwéto à la mi-octobre 1898. 

Me voilà obligé de retarder notre départ jusqu'après-demain pour répondre de suite. 

Comme compensation une lettre de Boma me fait connaître que le gouvernement de la République 
française m'a fait l'honneur de me nommer oflicier de l'Étoile noire du Bénin. On ne dira pas que cette 
distinction nous fut accordée dans quelqu’antichambre ! 


Durée d’insolation : 10 heures. Maxima diurne : 28°. 


Mardi, 27 juin 1899. 


Minima nocturne : 11°,9. 
Très bonne nuit. 


Reprenons encore un moment la plume pour écrire à Boma que les pièces qui me sont réclamées ont été 
expédiées en leur temps. J'ajoute : 

« Comme il se pourrait que ma lettre se soit égarée ou ait été anéantie par suite des événements qui se 
sont déroulés dans la zone en révolte, je crois bien faire en envoyant de nouvelles prestations de serment 
pour le juge, le ministère public et le greflier. 

« Quant à M. Maffei dont on me demande la prestation de serment, il a été rapatrié par la voie anglaise 
dans les premiers jours de novembre 1898, ainsi que j'en ai averti Boma à ce moment. » 


Enfin, une lettre au chef de Mpwéto-Station lui donne quelques dernières instructions; les hommes 
chargés d’emporter le courrier et nos caisses de collections vers Mpwéto partent, et nous pouvons fermer 
définitivement nos malles, et tourner la tête vers l’ouest pour longtemps. 

Selon mes indications toutes les charges ont été disposées, prêtes à être enlevées; j'ai fait établir des listes 
des porteurs; le sous-oflicier chef de caravane en gardera une, moi l’autre. 

Les porteurs sont réunis ; nous les disposons par petits groupes selon les villages et les chefs dont ils 
dépendent; ensuite ces chefs, et les capitas qui vont nous accompagner, sont appelés sous ma vérandah. 


Constitution de notre caravane pour la reconnaissance au lac Di-Lolo. 
(Lofoi-Station 1899.) 


Lentement, longuement, patiemment, je leur dis tant bien que mal moi-même, et leur fais par surcroît 
traduire, quel est le but de notre nouveau voyage; j'insiste sur le fait que nous reviendrons à Lofoi dans cinq 


— 339 — 


ou six lunes; il doit être bien entendu dans leur esprit que je ne vais pas les emmener à trois mois de marche 
d'ici, puis les abandonner en leur disant : « Retournez comme vous pourrez »; Je ne les confierai pas non plus 
à un autre blane pour les ramener; e’est moi-même qui reviendrai iei avec eux. 

Les chefs et les capitas vont expliquer ce premier point à leurs hommes, puis reviennent aupres de mor. 


Je leur dis maintenant dans quelles conditions nous marcherons : que parfois la route sera longue, d’autres 
fois courte, que tous les mois, vers le septième jour de la lune, nous stopperons pour plusieurs jours; ils 
savent par ceux qui m'ont déjà servi — et beaucoup se trouvent de nouveau avec nous aujourd'hui — 
qu'aucune de nos charges n’est trop lourde. 

Une deuxième fois chef et capitas retournent dirent ces choses à leurs groupes respectifs. 


Je leur dis alors qu'il y aura, dès la distribution des charges tout à l'heure, un homme de réserve sur dix, 
de manière à ce que si quelqu'un tombe malade, il soit immédiatement soulagé de sa charge; d'autre part, 
après quelques jours de marche, des charges s’allègeront par suite des distributions de la ration hebdo- 
madaire, des cadeaux aux chefs et de nos propres achats en cours de route; le nombre d'hommes à vide 
augmentera donc rapidement; mais il est entendu qu'une partie d’entre eux recevra les charges de collections 
que nous réunirons en cours de route. 

Enfin, quand le nombre d'hommes à vide le permettra, il sera constitué une première équipe de porteurs 
de hamac, puis une deuxième, affectées uniquement au transport des hommes qui deviendraient malades ou 
seraient blessés. 


Chefs et capitas vont répéter mes paroles et de nouveau reviennent. 


« Je veux que chacun sache bien que tous les noirs que nous verrons au cours de notre voyage sont les 
enfants de Boula-Matari, notre chef à tous; ceux que nous verrons pour la première fois, ceux que nous ne 
reverrons plus, tout comme ceux qui me servent, ont droit à ma protection; si les gens du blanc volaient dans 
un village, c’est comme si le blane lui-même volait; que personne ne se fasse donc pincer à voler ou à 
maltraiter les indigènes que nous visiterons, sinon je sévirai impitoyablement. D'ailleurs, partout où nous 
passerons, j'avertirai les chefs qu'ils doivent s’efforcer d’empoigner ceux qui méconnaïîtraient mes défenses, 
afin de me les amener pour être punis » 

Chefs et capitas vont dire cela. 


« Maintenant je vais distribuer les charges; chacun prendra la charge que je lui désignerai; il ne peut 
l’échanger contre celle d’un camarade sans ma permission; j’accorderai toujours ces permissions dès que 
j'aurai inscrit le changement dans ma mokande. Je dirai aussi quels sont les porteurs qui, à l’arrivée au 
campement, doivent apporter leur charge, et ceux qui devront la garder par devers eux, à moins que je ne les 
fasse appeler nominalement. De cette façon il y aura beaucoup moins de désordre à l’arrivée à l'étape, et au 
départ; enfin ceux qui recevront des charges à nous apporter chaque jour, devront s'arranger pour être toujours 
à avant de la colonne et, quand on arrivera au camp, ils ne pourront jeter leur charge à terre puis s’en aller; 
ils devront attendre que j'ai indiqué les emplacements des tentes de chaque Européen, la place de la 
cuisine, elc.; alors seulement chacun déposera sa charge à l'emplacement correspondant; pendant les 
premiers Jours je dirigerai personnellement ce service, ct nos gens verront très vite, qu'avec cet ordre, ils 
gagneront eux-mêmes du temps et éviteront des ennuis. » 


Quand tout cela est dit et redit, expliqué et commenté, je procède à la distribution des charges ; au fur et 
à mesure qu'un homme est appelé il reçoit un demi-bloc de sel provenant des salines de Mo-Achia: chaque 
bloc complet pèse environ 3 kilogrammes. 

À ce propos je signalerai que la station de Lofoï, en décembre et janvier derniers, avait pu distribuer 
aux porteurs recrutés pour enlever nos charges au sud du lac Moéro, un total de 500 de ces blocs de 
sel pesant chacun 3 kilogrammes. 

Aujourd'hui nous en distribuons 270, ce qui fait en tout 770 blocs représentant 2,310 kilogrammes de 
sel, envoyé comme contribution en nature par Mo-Achia, chef des salines de Pa-Kanoké. 


0e 


Il faut voir les gambades de ceux à qui échoie la bonne fortune d’être désignés comme ba’n’'tou boulé — 
homme pour rien, c’est-à-dire homme de réserve. 

La palabre des porteurs se termine par l’annonce du départ pour demain. 

Je distribue alors aux chefs un premier cadeau; ils en recevront un second à notre retour, dans 5 ou 
6 lunes. 

Je m'occupe enfin des soldats : chacun reçoit 20 cartouches et une nouvelle couverture. 

Tout est prèt; seul M. Questiaux est un peu fiévreux ; cela passera dès la première étape. 

Nous achevons joyeusement la journée, vidant, une fois n’est pas coutume — malheureusement — 
un verre de champagne à la santé du capitaine Verdick qui nous a hébergés de si complaisante façon, et qui 
s’est efforcé de nous rendre tous les services possibles; je lui donne pour sa bibliothèque l’Ame nègre, 
de I. Hess, et Matelot, de Loti; je lui confie aussi le bel ouvrage de Johnston sur le Nyassaland, et une de mes 
montres de réserve à me remettre à mon retour... si je reviens. 

Mais parbleu oui, je reviendrai ! Nous reviendrons tous ! 


Fin de la 1" section. 


TABLE DES MATIÈRES. 


PRÉELCRUDC EME BLYSÉE ARECLUSS LE CRUE LS ART En ET TRE ET CN RU TR RS ET 


SCIENCE a ARTE SR A ER AR AN AO AE EE Are EUR EE EE STE CE RE ET en 2e 


CHAPITRE I. 


Arrivée au sud du Tanganika. — Moliro, première station de l'État indépendant. — Examen et installation de 
nos instruments d'observation. — Premiers travaux. — . . . . . . . . . . . . . . . 


CHAPITRE II. 


Continuation du séjour à Moliro-Station. — Recrutement de serviteurs noirs. — Premier coup d'œil sur le poste. — 
Réveil terrible : mort de Jean De Windt et de William Caisley, noyés avec six pagayeurs. — Dépression et 
découragement momentanés. — Reprise du travail. — . . . . . . . . . . 


CHAPITRE III. 


Nécessité des observations astronomiques au Congo. — Importance des observations magnétiques. — Programme 
et idées du capitaine Delporte — Instructions spéciales pour le chef de la mission du Ka-Tanga. — Matériel 
pour les observations astronomiques et magnétiques. — . . . . . . . . . . . . . . . 


CHAPITRE IV. 


Premières observations. — La tente observatoire. — Diagrammes de la température et de la pression atmosphé- 
rique pour la semaine du 8 au 15 août : curieuses constatations. — Arrivée d’une caravane de Ki-Touta. — 
Dernières formalités relatives à la mort de De Windt et Caisley. — Visite au potager. — Service de pèche de 

_la station. — Travaux divers. — Diagrammes des températures et des pressions du 15 au 22 août. — Prome- 
nade jusqu'à Moliro-village. — La tréfilerie du cuivre rouge. — Le lac Souzi. — Visite nocturne d'un fauve, 
léopard ou lion. — Résultats des observations astronomiques et magnétiques. — Vilaine morsure. — . . . 


CHAPITRE NV. 


Départ pour le lac Souzi. — Campements dans la brousse. — Villages abandonnés. — La plaine Ka-Chichi. — On tue 
un zèbre, — Premiers villages. — Pièges à gibier. — Depart du lac Souzi. — Ruines de hauts-fourneaux. — 


Les chutes de la N'Kongué.— Les feux d'herbes. — Premiers villages importants. Les maisons des esprits. — 
Un fondeur de fer. — Un paradoxe. — La plaine de P'an’dé. — Fièvre générale. — Un âne de luxe. — 
Plusieurs coups de tonnerre. — Le manque de bonne eau potable. — Ancienne prospérité de la route Moliro- 


1 


16 


M'pwéto. — Hauteurs bordières du Tanganika. — Rentrée à la station. — Cassime. — Le père Castelain et la 
mission de Ka-La. — Premiers envois de collections. — Derniers jours à Moliro. — Quelques renseignements 
météorologiques. — Caravane d'avant-garde. — Coup d’æil sur les ressources du poste de Moliro. — . . . 47 


CHAPITRE VI. 


Départ de Moliro-Station. — Une curieuse bête. — Dernier coup d'œil au Tanganika. — La lune en plein midi — 
Traces de pluie.— Les oies de l'étang Pa’n’dé.— Rafales chaudes du milieu du jour — L’aveugle de N’tambala. — 
Le strophantus hispidus. — Trombes de poussière. — Minerai de fer. — Vitesse de marche — Erreurs 
désagréables. — Un arbre en pot. — Distribution d’eau. — Le mont Lomboloa — La vallée de la Tehoma. — 


Départ de Lou-Bambo — Arrivée au village de Ki-Topé.— N’zila na Kapouti M’zinga. — Produits de culture. — 
Tabac et sel indigènes. — Le ficus à étoffe. — Greniers et bourriches. — La maison des esprits. —- Premières 
pluies. — Départ de Ki-Topé. — Sites pittoresques. — Contrebandiers. — Feu du soir. — Le pays s’embellit — 


Fruits sauvages comestibles - L’indicateur de miel — Plus de sentier. — Bain forcé — Pays giboyeux. — 
Un canellier. — Vue sur la vallée de la Lou-Fonzo.— Forèt de bambous d'Inde — Monstrueux champignons. — 
Le long de la Lou-Fonzo. — Nouveaux fruits et fleurs de la brousse. — Village du chef Ki-Sabi. — Soirées 
couvertes. — Séjour à Ki-Sabi. — Abondance de miel sauvage. -— Départ de Ki-Sabi. — Passage de saute- 
relles. — Village Ka-Sama. — Caoutchouc et sel indigènes. — Les salines de Ka-Sama — Vignes sauvages, — 
Le Lou-Alaba. — Carrefour de montagnes. — Le village Mou-Téta. — Limonade rafraichissante. — Pluie 
d'orage. — Escalade de montagnes. — Camp dans la brousse. — Le lac Moéro, — Arrivée à M'pwéto-Stalion. — 75 


CHAPITRE VIT. 


Notre escorte. — Visite de chefs noirs. — Erreurs d'orthographe et d'écriture. — Construction des observatoires. — 
Installation des instruments. — Appréhensions concernant le recrutement des porteurs. — Mauvais état 
sanitaire. — Soirées couvertes. — Coup d'œil sur la station et ses dépendances. — Tornade. — Intéressantes 
constatations-climatériques. — Modifications dans notre escorte. — Examen des feuilles du barographe et du 
thermographe. — Tubercules comestibles. — Nécessité de rapatrier M. Malle. — Mauvais état sanitaire. — 
Délicat souvenir d'Europe. — Excursion jusqu'à la factorerie anglaise de Ki-Engué. — Promenade le long de 
la rive nord du Moéro. — Départs de Ki-Engué — Coup de collier. — L'eau du Moéro est-elle potable? — 
Dardenne part en avant-garde. — Organisation de convois de pirogues vers le sud du lac. — Série à la noire. — 
Désagréables compagnons de lit. — Lettre d'un officier anglais. — Les trombes de mouches Kou‘n’gou. — 
Lettre de Dardenne. — Toujours mauvais état sanitaire. — L'’oryctérope. — Sauterelles. — Djiques et puces. — 
Racontar sinistre. — Mauvais esprit des soldats. — Méchante inflammation de ma jambe droite. — Encore 
les sauterelles. — Difficultés dans les recrutements de porteurs. — Chute de grèle. — Mal d'oreilles. — 
A propos des recrutements de porteurs indigènes. — Collection intéressante. — Départ retardé. — Nouvelles 
de Dardenne. — Noyade de deux indigènes. — Piège à feu. — Glu indigène. — Nouvel an. — Banquet en 


musique. — Curieux tambour. — Soirées couvertes. — Fin de notre séjour à Mpwéto. — . . . . . . 105 


CHAPITRE VIT. 


Départ de Mpwéto-Station. — Étape pitloresque. — Vue sur le lac Moéro. — Le village de Niemba-Kounda. — 
Visite d’un fauve. — Le pays devient riche au point de vue de la végétation. — Grandes cultures indigènes. — 
La mission protestante de Loanza — Le cottage du capitaine Weatherley-Poulett. — Bonnes nouvelles au 
sujet des recrutements de porteurs à Lofoï. — Belle journée. — Pays pittoresque et fertile. — Échappées sur 
le Moéro. — Campement à la Mo-Lombé. Soirée d'observation pénible. — La pluie. — Les infiniments 
petits. — Marche dans l’eau. — Sauterelles. — Campement à la Lou-Salala, — Curieuses toiles d'araignées. — 
Continuation de la marche en un pays pittoresque. — Percées sur le Moéro. — On aperçoit l'ile Kilwa. — 
Arrivée au village du chef Mo-Banga. — Richesses florales. — Séjour chez Mo-Banga. — Journées 
d'observations et de calculs. — Réception de nombreux chefs. — Pays de plaines. — La rivière Ki-Tété. — 
Traces de gros gibier. — Arrivée au camp de Mo-Linga. — L'ile Kilwa. — Frontière à rectifier. — Émotion 
aurifère! —— Arbre intéressant. — Penible soirée d'observation. — Sale compagnie. — Fin de la plaine 


roculeuse —" Halo "Arrivée au poste dit de Ii-Lomba "TX 


CHAPITRE IX. 


Séjour au poste dit de « Ki-Lomba ». — Mauvaises soirées. — Visites de chefs, — Négligence orthographique. — 
Abondance de provisions culinaires. — Palabre amicale. — Pléthore de porteurs. — Coiffure de femme 
favorite. — Dispute de nègres. — Morsure de scorpion. — Arrivée d’un nouveau géologue et d’un nouveau 
prospector. — Reconnaissance géologique de la vallée de la Lou-Fonzo. — Pêches miraculeuses. — 
Psychologie nègre. — Toujours les mauvaises soirées. — Toujours le mauvais temps, — Les ambachs. — 
Reconnaissance de la rive par M. Michel. — Considérations relatives à une station à créer au sud du Moéro. — 
Le « Dawa » du chasseur noir. — Terminologie indigène. — Nouvelles de Mpwéto. — Du choix des stations. — 
Visite de deux envoyés de N’Soudi. — Utilisation de l’ambach. — Nouvelles diverses. —- État sanitaire 
déplorable. — Mauvaises disposilions de notre escorte. — Cucurbitacées comestibles: — Un chasseur 
d'éléphants. — Encore la vermine. -— De H. échaudé. — Fin da séjour à Ka-Béça. — Préparatifs de départ 
vers Lofoï. — Envoi de la caisse de collections n° 15. — Départ de l'avant-garde. — La rivière Ka-Béça et 


la rive du Moéro. — A propos des anciens lils de lacs asséchés. — . . . . . . . , . . 171 


CHAPITRE X. 


Départ de Ka-Béca. — Les villages de Mou-Koubé et de Bondo. — Marche inutile. — Pluie. — Étape du village 
Bondo à la rivière Ka-Toula. — Villages abandonnés. — La pluie. — Triste sort d'un gros serpent. — Offre 
spontanée de porteurs. — Étape de la Ka-Toula au village Wamola. — Le chef Mou-Kobé, le village Lou-Banga, 
la rivière Lou-Foukwé. — Inondations. — Le vieux chef Kia-N’sambalé. — Humidité des soirées. — Fièvre. 


Départ de Wamola. — On continue à marcher dans l’ancien lit du Moéro. — Abondance de mille-pattes. — 
Le village Pa-Windé. — Visite de sept chefs. — Renseignements intéressants. — La mouche tsé-tsé. — 
Écumeurs de la brousse. — Séjour à Pa-Windé. — Arrivée d’une caissette oubliée au Nyassa. — Départ de 
Pa-Windé. — Les chutes de la Lou-Alala. — Le pays se mouvemente. — Campement à la rivière N'toungwé. — 
Une chute de 100 mètres de haut. — Campement à la Ka-Boula-M'pakati. — Abondance d'eaux limpides. — 
Visite de chef. — Il fait froid. — Pauvreté de la faune. — Fougères arborescentes. — Énormes termitières. — 
Éponges. — Pays de sources. — Point d'altitude maximum. — Nous entrons dans le bassin de la Lou-Fira. — 
Températures basses. — La rivière Ka-Sanga. — Pays très tourmenté. — Camp à la rivière Diassa. — Arrivée 
au bord de la falaise occidentale des Kou-N'déloungou. — Vue sur la vallée basse de la Lou-Fira. — Descente 
le long d’un sentier de cocagne. — Camp à Ia L'ou-Kalowéchi. — Arrivée à Lofoï-Station. — La musique du 
190 


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CHAPITRE XI. 


Séjour à Lofoï-Station. — Installation de l'observatoire météorologique. — Réception de chefs. — Bières indi- 
gènes. — Tchikola, ex-bourreau de M'siri. — Série de soirées couvertes. — Les jardins de Lofoï. — Premiers 
diagrammes de température et de pression atmosphérique relevés à Lofoï. — La vallée de la Lou-Fira au 
point de vue des cultures. — Nouvelles de M. Voss. — Le capitaine Verdick demande de pouvoir disposer de 
notre escorte pour agir contre le chef rebelle Mouloumou-Niama. — Écritures multiples. — Abondance de 
moustiques. — Phénomènes d’acclimatement. — La question des langues. — Considérations sur l'occupation 
du pays par les Européens. — Mauvais état sanitaire général. — Remarques climatologiques. — Hygromé- 
tricité exagérée. — Désastre musical. — Légumes phénomènes. — Ruches. — Affreuse nouvelle : le sous- 
lieutenant Fromont tué aux grottes de Ki-Amakélé. — Inutilités administratives. — Toupies indigènes. — 
Tornade violente. — Arrivée de MAL. Voss et Questiaux, de M. et Me Mac-Lacklaen. — Curieuses fiançailles. — 
Invasion de fourmis. — Renseignements divers. — Curieuse forme des précipitations atmosphériques. — 
Travail général. — Le Mioumbou. — Curieux phénomène lumineux. — Fabrication de biltong. — Modification 
dans nos projets de reconnaissance — Important envoi de documents et de collections. — Note sur la station 
de Lofoï. — A propos du conseil de guerre de notre mission. — Une rivière qui s’enterre. — Préparatifs 


d’excursion jusqu'aux chutes Ki-Oubo sur la Lou-Fira. — Départ de Lofoï. — 


CHAPITRE XII. 


Le long de la falaise des Kou’n’déloungou. — Le village Lou-N’koubé.— Le village Mo-Ambé. — Un flütiste. — Le 
long de la Ka-Sanga. — Le village Ka-Mapembwé et ses cultures variées. — Incartade d’un soldat. — Un pont 
précaire. — Chef aveugle. — Curieux sol arable. — Le village Ngabila. — Les Ba-Lamotwas. — Moustiques 
enragés. — Herbes-javelots. — Nous quittons la falaise. — Visite des chefs de la Ka-Sanga. — Le village 
Ki-Swa. — Peints en blanc. — Allures de la plaine bordière de la Lou-Fira. — Passage de la Lou-Fwa. — 
Une femme chef. — Le village Ka-Langa et le chef Sampwé. — Réception cordiale. — Curieux tonneau 
indigène. — Le long de la Lou-Fira. — Haie de chasse. — Les chutes Ki-Oubo. — Campement pittoresque. — 


AU DLE DE SICRU LES EE ARE RE RS NE Re TRE Nns EN A GS 


CHAPITRE XIE 


Continuation de la reconnaissance le long de la Lou-Fira, en aval des Ki-Oubo. — Dépression inattendue. — 
Nombreuses concrétions calcaires. — Affleurements dolomitiques. — Le village Mo-Lobo et ses grottes (?). — 
Curieux passage d'oiseaux. — Le village Di-Boué. — Les Bena-Mitoumba. — Les « Mouta » et les prétendus 
troglodytes du Ka-Tanga. — Palmiers élais. — Ruisseau d’eau chaude. — Crevettes minuscules. — Indigènes 
peureux. — Nous reprenons le chemin de Lofoi. — Traversée de la Lou-Fira et de la Di-Koulouwé. — 
Le mauvais guide. — Le joli village Di-Sanga. — Encrier vide. — Étapes désagréables. — Le village 
Ki-Lombé. — Les Ba-Lembwés. — Renseignements ethnographiques. — Froid -désagréable. — Zèbres et 
antilopes. — Traces d’éléphants. — Manque de bonne eau potable. — Pays pauvre — Les villages 
Ki-Tabiké. — La Bou’n’Keia. — Vue d'ensemble sur la plaine basse de la Lou-Fira. — Le pays se mouve- 
mente. — Le village Ka-Miba. — Un chef en appareil de guerre. — Arrivée de M. Delvaux. — Le long des 
hauteurs N'Kôni. — Rencontre de M. et M" Mac Lacklaen. — Camp de la Ka-Lin'dila. — Passage de la 
Lou-Fira. — Le village Toupissia et le chef Mokandé-Bantou, fils de MSiri, — Beau troupeau de gros 
bétail. — Curieuse capture d’un serpent-cracheur. — La station de Lou-Kafou. — Nouvelles de M. Voss. — 
Retour vers Lofoï le long de la falaise des Kou-n’déloungou. — La vieille Ki-Pouna, femme-chef du village 
Ki-Sa. — À propos des larges routes. — Le joli village Ka-Panda. — Un cimetière indigène. — A propos de 
l'accessibilité de la falaise des Kou-n'déloungou. — Rentrée à Lofoi. — Nouvelles diverses. — . . . . . 987 


CHAPITRE XIV. 


Nouveau séjour à Lofoi-Station. — Tout le monde au travail pour un nouvel envoi de documents et de collections. — 
Soirées fraiches. — Disparition des moustiques. — Échaulfourée de nègres. — Histoire de femme. — 
Intéressantes constalations chronométriques. — Colis postaux et caisses d’extra. — Complément de rensei- 
gnements sur les grottes et troglodytes du Ka-Tanga. — Je remets au capitaine Verdick notre trousse d’ins- 
truments anthropométriques. — M. Voss pris de fièvre continue. — Mauvaises cartouches. — Réquisition 
impossible à satisfaire. — La question de l'orientation des habitations sous les tropiques. — Mon boy 
Ki-Toumbou se noie dans le Lofoï. — À propos des travaux cartographiques. — Préparation de notre recon- 
naissance vers le lac Di-Lobo.— Disparition de cartouches. — Nous établissons un abondant courrier officiel, — 
Instruclions pour M. Voss qui sera chargé d’une reconnaissance séparée vers le sud-est de l'État. — Confé- 


RENCE AVECAOSS POLIEULS JO MEUXAÉ PARTNER De UC CC CIC UD 2 


ACHEVÉ D’IMPRIMER LE 20 JUIN 1902 
SUR LES PRESSES DE P. WEISSENBRUCH, IMPRIMEUR DU ROI 


49, RUE DU POINCON, BRUXELLES. 


PLANCHES EN COULEURS TIRÉES SUR LES PRESSES DE 
x. BULENS, IMPRIMEUR-ÉDITEUR 


Do RUE TERRE-NEUVE, 79 — BRUXELLES 


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